Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, accordée aux radios de langue française et conférence de presse conjointe avec M. Habib Al Adly, ministre égyptien de l'intérieur, sur le renforcement de la coopération dans le domaine de la sécurité, le dispositif prévu pour la coupe du monde de football et le projet de création d'un Institut des Hautes Études islamiques en France, au Caire le 13 avril 1998.

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Circonstance : Voyage de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, en Egypte du 11 au 13 avril 1998

Texte intégral

Interview aux radios françaises - 13 avril 1998

Q - Monsieur le Ministre, dans quel cadre inscrivez-vous votre visite actuelle en Égypte ?

R - D'abord, j'ai été invité par mon homologue égyptien, M. le ministre Habib Al Adly. Donc, je me suis rendu avec grand plaisir en Égypte, où j'ai rencontré aussi le Premier ministre. Nous avons fait le tour des problèmes de sécurité qui se posent naturellement sur les grands sites touristiques de Louxor et d'Assouan et, d'une manière générale, nous avons exploré les possibilités de renforcer notre coopération dans le domaine de la sécurité. Bien entendu, cette politique de coopération doit prendre place dans un ensemble, qui est constitué par l'ensemble de liens très étroits sur les plans politique, économique et culturel qui unissent la  France et l’Égypte et qui font que sur beaucoup de grands sujets, nous avons des po voisines, qu'il s'agisse du processus de paix, de la situation en Irak et dans le Golfe, de : l'approche des problèmes de l'évolution du monde arabo-musulman, des relations Nord-Sud. Nous avons, je crois, une large plage de convergences. C'est dans ce cadre-là que je suis venu, pour explorer toutes les possibilités de renforcer notre coopération.
 
Q - Quelle est l'exacte position de la France à l'égard des pays qui ont déclaré que l’Égypte n'était pas un pays sûr pour leurs ressortissants ?

R - Telle n'a jamais été la position de la France, qui d'ailleurs ne donne pas d'avis officiel. Par conséquent, je dirais que mon voyage à Louxor et à Assouan est une publicité vivante. Ce sont de très beaux sites, des sites qui donnent envie de revenir. Cela dit, je n'ai pas de conseil à donner. Nous sommes le pays de la liberté individuelle, alors chacun fait ce qu'il veut. Nulle part on ne peut dire qu'il y ait un risque zéro. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas voulu dire.

Q - En fin de compte, très bientôt, l'Europe sera unie. Qu'envisagez-vous pour les mesures d'extradition de criminels et de terroristes entre l'Europe et l’Égypte ?

R - "Très bientôt": permettez-moi de mettre un bémol, cela ne va pas aussi vite ! Pour le moment, nous sommes encore sous le régime où chaque pays (on peut s'en réjouir ou on peut le déplorer), a son propre système. Donc, si l’Égypte nous demandait d'extrader un criminel reconnu, nous le ferions sans barguigner.

Q - On a parlé de l'éventualité d'actions terroristes extrémistes musulmanes contre la Coupe du monde de football. En avez-vous discuté ?

R - Permettez-moi de rectifier votre question : je n'emploie jamais l'expression "terrorisme musulman", je dirais "extrémisme musulman" peut-être, ou "islamiste", que je distingue toujours d'"islamique", parce qu'il ne faut pas faire d'amalgame et nous savons très bien qu'il y a des gens qui cherchent à détourner la religion à des fins purement politiques et idéologiques, voire criminelles. Je vous ai déjà répondu que dans ce domaine, nous devons être extrêmement vigilants. C'est notre devoir, nous sommes très vigilants et il y a une coopération au niveau des services de renseignements avec tous les pays intéressés. Naturellement, nous sommes amenés à prendre beaucoup de précautions, notamment pour la surveillance de certaines équipes appartenant à certains pays, je ne vais pas vous dire lesquels.

Q - Vous avez également rencontré le grand Cheikh d'Al Azhar et je crois que vous avez parlé du développement d'enseignements en France.

R - J'ai rencontré le grand Imam de l'Université d'Al Azhar. Nous avons abordé de nombreux : aspects. J'ai posé la question aussi de ce que pouvait être l'Islam dans un pays comme la  France où il est très minoritaire. Cela concerne tout de même 2 millions de citoyens français, auxquels s'ajoutent les étrangers résidant en France qui sont de tradition musulmane. Donc, ... nous avons l'intention de créer un Institut des Hautes Études islamiques, au sein de l'Université française, mais qui sera naturellement un enseignement laïque, scientifique, destiné non pas seulement aux Musulmans, mais aussi aux autres, de façon à permettre l'émergence d'un Islam moderne.

Q - Et cela pourrait être en coopération avec Al Azhar ?

R - Oui, on peut imaginer qu'il y ait des programmes d'échanges. Pour le moment, nous n'en sommes qu'aux premiers échanges de vues. Le grand Imam m'a proposé de revenir le voir.

Conférence de presse avec le ministre égyptien de l'intérieur - 13 avril 1998

Q - Après la visite que vous venez d'effectuer à Louxor et à Assouan qui sont des sites touristiques de renommée mondiale et sur lesquels se trouvent de nombreux touristes, quelle est l'évaluation que vous avez pu faire des mesures de sécurité dont vous avez été témoin ? A votre sens, ces mesures sont-elles suffisantes pour protéger ces touristes ?

R - Tout d'abord, laissez-moi vous dire le plaisir que j'ai de vous rencontrer à l'occasion du voyage que je fais en Égypte à l'invitation de mon collègue, M. Habib Al Adly. La France et l’Égypte ont des relations amicales et anciennes. Nous avons un intérêt à la stabilité dans cette partie du monde à laquelle nous appartenons les uns et les autres. Je suis particulièrement attaché à ce que les rapports entre la rive Nord et la rive Sud de la Méditerranée se développent harmonieusement. Vous m'interrogez sur Louxor et Assouan Ce sont des visites dont on ne se lasse jamais. J'y suis allé souvent et j'y retournerai très souvent, je l'espère. J'ai pu constater que la beauté était toujours au rendez-vous et j'ai pu observer les efforts remarquables que déploient les autorités égyptiennes pour assurer la sécurité de ces grands sites mondiaux que sont Assouan, Karnak, Louxor, la Vallée des Rois et la Vallée des Reines. J'ai pu voir à la fois une présence humaine importante et des systèmes de sécurité perfectionnés. Je pense au Musée de Nubie à Assouan, par exemple. D'une manière générale, j'ai trouvé que ces dispositifs étaient très rassurants. Naturellement, il n'y a jamais de garantie totale, dans aucun pays du monde.

Q - Pour compléter votre réponse, Monsieur le Ministre, pourriez-vous nous donner une idée de ce qu'on pourrait dire aux touristes français après une visite comme celle que  vous venez d'effectuer sur les sites de Louxor et Assouan pour les encourager à venir ?

R - Il suffit que vous me voyiez : je suis en bonne santé. Cela dit, je respecte la liberté individuelle qui appartient à chacun.

Q - Que peut dire le ministre de l'Intérieur de la France, pays qui a été la cible de certains attentats dans le passé, lorsque vous voyez que certains pays conseillent à leurs ressortissants de ne pas aller en Égypte, de ne pas aller à Louxor ? Pensez-vous que cela est une position judicieuse ?

R - Je ne sais pas s'il y a des pays qui donnent ces conseils, mais la France ne donne pas de conseils officiels. Il y a simplement des choix individuels ou des choix qui sont faits au niveau des entreprises de voyagistes, organisateurs de voyage. J'ai rencontré beaucoup de Français qui voyageaient en famille. Je pense que, naturellement, ce sont des mouvements qui ... reprendront progressivement dès lors que les autorités égyptiennes auront les choses bien en main. Il y a aussi des aspects techniques qui peuvent être étudiés de manière efficace pour assurer la protection de grands sites qui sont, en définitive, peu nombreux.

Q - Monsieur le Ministre, permettez-moi d'insister, je vous avais justement signalé le fait que certains pays lancent un avertissement à leurs ressortissants de ne pas se rendre en Égypte. Ces pays sont connus. Il y a eu des dépêches d'agence de presse qui ont repris cette mise en garde. Je voudrais simplement votre avis sur ce point.

R - Il n'y a dans la position française rien de tel. Il n'y a jamais eu d'avis officiel du gouvernement ou d'une autorité engageant le gouvernement et visant à déconseiller le voyage en Égypte.

Q - Monsieur le Ministre, en dehors des discussions que vous avez eues avec votre homologue, le général Habib Al Adly, vous avez rencontré également le grand Cheikh d'Al Azhar, le Dr Sayyed Tantawi. Nous savons que vous êtes responsable des Cultes en France. Pouvez-vous nous dire les sujets dont vous avez discutés avec le grand Cheikh d'Al Azhar. Avaient-ils trait à la grande communauté franco-musulmane ?

R - J'ai, en effet, eu le plaisir d'être accueilli par le grand Imam de l'Université d'Al Azhar. Le Cheikh Tantawi m'a présenté le système d'Al Azhar, système d'enseignement, ce qui m’intéresse comme ancien ministre de l’Éducation nationale que j'ai été. Nous avons aussi envisagé la possibilité de développer des échanges. Comme ministre des Cultes, j'ai l'intention de favoriser la création, à la rentrée prochaine, d'un Institut des Hautes Études islamiques dans l'Université française. Il s'agit, naturellement, d'un institut scientifique, destiné à faire mieux connaître l'Islam par les Musulmans, mais aussi par les non-Musulmans. C'est donc une institution qui existera au sein de l'Université française. Comme vous le savez, la France est une république laïque. Elle considère que les citoyens doivent se déterminer à la lumière de la raison naturelle, qui existe d'ailleurs dans le Coran. Donc, le ministre des Cultes que je suis, n'a qu'un rôle modeste. J'essaie de contribuer à ce que l'Islam, qui est la religion de 2 millions de citoyens français puisse être traitée à l'égal des autres religions. Il est bien évident que nous ne souhaitons pas que l'Islam soit détourné à des fins politiques comme cela peut être le cas dans certains pays. Il faut donc accepter les lois de la République. Cela dit, nos échanges ont permis de dégager de larges convergences, notamment les avis que peuvent donner Al Azhar et la haute autorité qui s'y attache sur différents sujets me paraissent très importants. Je pense au terrorisme bien entendu, je pense aussi à l'observation des lois. Tout cela va dans le bon sens.

Q - Monsieur le Ministre, vous vous préparez à accueillir la Coupe du monde du football en France. Nous savons par ailleurs que la France a reçu des menacés d'attentats terroristes à l'occasion de cette Coupe du monde. Quelles sont les mesures que vous avez prises ou que vous avez l'intention de prendre pour protéger les pays participant à la Coupe du monde ?

R - Il faut s'exprimer sur ces sujets avec beaucoup de prudence. Le mot "menace" est excessif. Simplement, nous devons être extrêmement vigilants. Le principal problème est : d'ailleurs celui des supporters, des hooligans. Nous allons accueillir 2,5 millions de spectateurs. Je ne parle pas des téléspectateurs. Nous avons calculé que pour la finale, il y aurait un être humain sur trois qui la regarderait, 1,7 milliard d'humains, hommes et femmes, regarderont le match de finale. Cela ne pose aucun problème de sécurité, mais évidemment  sur place, il y a un dispositif complet avec des stadières et des stadiers, des policiers, des gendarmes et nos unités d'élite qui auront la charge de la protection des équipes notamment les plus menacées.

Q - Monsieur le Ministre, que peut offrir la France dans les cas où l’Égypte demande l'extradition de certains prévenus dans les affaires criminelles qui se trouvent en Europe. Par ailleurs, où en sont nos rapports avec l'Algérie dans le domaine de la sécurité ?

R - Sur les extraditions, il n'y a aucun problème. S'il y en avait, ils seraient facilement résolus. S'agissant de l'Algérie, la France ne peut que réprouver les massacres affreux qui ont été perpétrés au cours de ces derniers mois particulièrement. Elle souhaite de tout son cœur que l'Algérie trouve une identité moderne accordée aux exigences de notre temps qui lui permette de résoudre ses problèmes sociaux et de construire un État de droit.