Texte intégral
RTL le mardi 7 avril 1998
J.-P. Defrain : Lorsque le PS demande aux Verts de réfléchir sur la solidarité gouvernementale, est- ce que vous vous sentez concernée par un tel avertissement ?
D. Voynet : Je ne le prend même pas comme un avertissement. La règle du jeu est extrêmement simple au sein de la majorité plurielle. Chacun porte sa part du fardeau, et chacun contribue à la réflexion et aux projets communs. C’est bien ainsi que L. Jospin le conçoit puisque, un jeudi sur deux, il réunit son Gouvernement pour que chacun ait l’occasion de s’exprimer sur l’ensemble des pans de la politique gouvernementale. La règle du jeu est très simple aussi : une fois que ce débat a eu lieu, c’est L. Jospin qui décide, et le Gouvernement tout entier est engagé par ce qu’il a décidé.
J.-P. Defrain : Il n’y a pas des limites malgré tout à cette règle du jeu ? Elle est bien verrouillée ?
D. Voynet : Je suis membre du Gouvernement. Je me suis engagée dans un gouvernement dont le Premier ministre est L. Jospin, et c’est à l’égard de L. Jospin que j’ai pris des engagements et pas à l’égard de F. Hollande. Le PS dans cette affaire c’est la plus grosse composante de la majorité plurielle, mais ça ne lui donne pas le droit de donner le la sur l’ensemble des sujets. Ça lui donne, en revanche, la responsabilité de rester à l’écoute des plus petites composantes qui ont l’intention effectivement de contribuer à la rénovation de la gauche et à la fécondité de son travail.
J.-P. Defrain : Mais lorsque cinq députés Verts sur les six ne vont, non pas s’abstenir, mais voter contre – ce qui est relativement nouveau – le texte de J.-P. Chevènement sur l’immigration, vous les comprenez, vous les soutenez ?
D. Voynet : Je comprends ce qu’ils font. Ils sont en train tout simplement de faire entendre leur petite musique dans un concert qui n’est pas si dissonant que vous voulez bien le dire. Depuis le début, les choses étaient claires. Les Verts plaidaient pour une maîtrise des flux migratoires ce qui ne voulait pas dire pour autant : des frontières ouvertes à tout vent, permettant à n’importe qui de faire n’importe quoi. L’idée était bien de rompre avec une politique qui avait insécurisé des dizaines de milliers de familles, qui était génératrice de tensions sociales et d’insécurité. Moi je refuse qu’on parle constamment dans ce pays de l’immigration comme d’un problème. C’est aussi une opportunité formidable pour la France. Il faut qu’on apprenne à parler avec d’autres mots, d’autres concepts que la droite ne l’a fait pendant très longtemps pour dire que si nous concevons l’expulsion de personnes indésirables sur le sol national – je pense par exemple à des délinquants graves qui auraient rompu le pacte passé avec la majorité des habitants de ce pays – nous souhaitons manifester avec le même attachement notre volonté de voir respecter les libertés fondamentales, le droit d’association, le droit d’expression, le droit de manifestation.
J.-P. Defrain : À partir de là, est-ce que vous jugez que J.-P. Chevènement correspond à l’idée du ministre de l’Intérieur d’un gouvernement de gauche ?
D. Voynet : Je pense qu’il a une tâche très difficile et qu’être le Père fouettard dans un gouvernement de gens qui feraient de la démagogie généreuse ce n’est pas son projet – et je ne le lui demande pas. Je crois que tout le monde est conscient du fait que le ministre de l’intérieur a aussi parfois à mettre en œuvre des lois, qui sont difficiles à mettre en œuvre. Je pense que nous avons absolument besoin de discuter avec J.-P. Chevènement, et que le problème réside autant dans les mots qui ont été employés de part et d’autre – d’abord par J.P. Chevènement puis ensuite par N. Mamère – que sur le fond. Il faut se mettre d’accord sur le fond.
J.-P. Defrain : C’est du malentendu tout ça, rien de plus ?
D. Voynet : Disons que ce sont des mots qui blessent inutilement, dangereusement.
J.-P. Defrain : C’est vrai que le directeur de cabinet de J-.P. Chevènement vous a téléphoné pour que vous présentiez vos excuses au ministre après la réunion à Matignon, la semaine durant laquelle vous aviez critiqué la position du ministre de l’Intérieur ?
D. Voynet : Ça regarde surtout J.-P. Chevènement et moi, ça.
J.-P. Defrain : Autre aspect de la politique sur lequel semble-t-il les Verts ont quelques interrogations : la politique économique. Dans quels sens veulent-ils réorienter cette politique ? Et là, aussi, est-ce que vous les comprenez ?
D. Voynet : J’ai eu l’occasion de le dire ce week-end à mes amis Verts : je comprends qu’ils agissent comme des aiguillons. Ils sont là effectivement pour garantir le respect des engagements pris par le gouvernement et pour maintenir une pression sur ce gouvernement. En tant que membre du Gouvernement, j’ai l’intime conviction que nous n’avons pas relevé le pied depuis la mise en place de cette majorité. La priorité des priorités, telles que L. Jospin les a définies, c’est la lutte contre le chômage et l’exclusion. Et je ne sache pas qu’on ait perdu du temps sur ces terrains-là avec la mise en place des emplois-jeunes, la loi sur les 35 heures, la loi sur l’exclusion bientôt.
J.-P. Defrain : Le rythme vous satisfait ?
D. Voynet : Disons que, comme beaucoup, je rêve d’une revalorisation importante des minima sociaux, je rêve qu’on puisse maintenir des services publics nombreux et efficaces dans les zones rurales et qu’on crée des emplois ou qu’on maintienne des emplois en ce sens. Cela dit, je pense que nous n’avons pas intérêt les uns et les autres à déstabiliser la fragile relance qui se dessine. Nous pourrions perdre beaucoup de marge de manœuvre pour l’avenir en agissant de façon inconsidérée aujourd’hui. Donc s’il est vrai que j’ai envie d’aller plus loin, plus vite, plus fort, j’ai aussi envie de le faire de façon maîtrisée, parce que l’enjeu c’est quand même la redistribution des richesses, la réforme fiscale, la réduction massive et généralisée du temps de travail. Ce sont des thèmes sur lesquels j’ai plaidé et lutté depuis des années avec les Verts. Je voudrais qu’aujourd’hui, on fasse les choses de façon suffisamment sereines et sérieuses pour que ça crée vraiment des emplois.
J.-P. Defrain : Et vous sentez aujourd’hui, quand vous présentez ces idées, que vous retenez les idées de vos amis ?
D. Voynet : Jamais. Je ne m’efforce pas de les retenir. Je leur dis : vous avez une responsabilité en tant que parti politique, j’en ai une autre en tant que membre du Gouvernement, nous devons tirer dans le même sens, aller dans le même sens et ne pas user nos forces à nous combattre mutuellement. L’ennemi c’est le chômage, c’est la pauvreté, c’est la précarité et c’est les forces conservatrices de ce pays en matière d’immigration comme sur tous les autres sujets.
J.-P. Defrain : Êtes-vous toujours attachée à la proportionnelle quand on voit les résultats ?
D. Voynet : Ce ne sont pas les résultats de la proportionnelle. Chaque mode de scrutin a ses avantages et ses inconvénients. Je vous en donne une illustration concrète : dans ma région, en Haute-Saône, il y a eu une égalité parfaite du nombre de conseillers généraux de droite et de gauche avec un mode de scrutin majoritaire à deux tours, qui est censé nous épargner ce genre d’inconvénient. Nous avons procédé à l’élection d’un doyen d’âge et de vice-présidents dont le plus âgé doit avoir 79 ans, et le plus jeune a passé largement l’âge de la retraite. Je crois que ce n’est pas ainsi que nous devons fonctionner. Je souhaite défendre la proportionnelle comme moyen de représenter l’ensemble des forces politiques, comme moyen aussi de travailler sur la base de majorité de projet, et pas seulement en éliminant les deux-tiers de la population. Cela dit, pour que la proportionnelle fonctionne, il faut également travailler à un équilibre institutionnel et, pourquoi pas ? à un mode de scrutin comparable à celui qui existe pour le renouvellement de l’assemblée de Corse, un mode de scrutin à deux tours avec, peut-être, une petite prime à la force arrivée en tête pour rassurer ceux qui s’inquiéteraient de la gouvernabilité de telles instances dans une phase de transition. Une autre chose qui me paraît très importante c’est que, si on veut donner sa chance à la région, on ne devrait peut-être pas procéder au renouvellement de toutes les assemblées régionales en même temps. En Allemagne par exemple, les Länders ont un calendrier de renouvellement échelonné tout au long de l’année ce qui fait que le jour de l’élection n’est pas un moment de test national mais bien un moment où on défend des projets pour les régions. On n’a pas du tout entendu, au cours de cette campagne, les projets pour les régions. Qui a parlé de la région ? Qui sait ce que c’est la région exactement ? Personne. Moi, je crois qu’on a vraiment besoin de discuter des projets pour nos régions et d’une clarification des institutions françaises et de la répartition des compétences entre les collectivités.
J.-P. Defrain : Faites-vous le grand écart en ce moment ?
D. Voynet : Plus le temps passe plus je me sens bien au Gouvernement…
J.-P. Defrain : Ah bon !
D. Voynet : Parce que je pense que les choses se sont bien mises en place. Le parti a pour vocation de rester très fortement à l’écoute des mouvements de la société et de faire entendre, et de relayer la voix des citoyens ; les députés font leur travail à l’Assemblée : moi, je fais le mien dans un secteur que j’ai quand même très largement découvert au mois de juin : l’environnement et l’aménagement du territoire, c’est un monde dans lequel il y a beaucoup à faire.
EUROPE 1 le mardi 14 avril 1998
D. Voynet : Le rapport élaboré par le Conseil économique et social montre qu’il y a eu beaucoup de discours sur le bruit, beaucoup de bruit sur le bruit, mais que souvent les politiques publiques n’ont pas suivi : qu’il s’agisse de la prévention à la source des émissions sonores, ou des conditions dans lesquelles les gens vivent, ou qu’il s’agisse du financement du rattrapage des points noirs du bruit à proximité des infrastructures de transport, à proximité des aérodromes, par exemple. J’ai suggéré qu’un volet important des contrats de plan entre l’État et les régions, au cours des deux prochains contrats de plan, soit utilisé pour financer la résorption des points noirs du bruit. Parallèlement nous travaillons sur les conditions d’insertion des nouvelles infrastructures puisqu’il s’agit de réduire, dans leur conception même, le bruit subi par les riverains. Nous travaillons aussi, en concertation avec J.-C. Gayssot et A. Richard, à la réduction de l’impact sonore des activités sur les aéroports civils et militaires. Enfin nous cherchons à réglementer les activités bruyantes, qu’il s’agisse du bruit des discothèques, du bruit des deux-roues, ou de toute autre activité qui pourrait être mal ressentie par les usagers. Je pense par exemple aux ball-traps qui ont des tonalités qui suscitent beaucoup de courrier dans mon ministère.
S. Debinoy : Pour ce qui est des baladeurs et des discothèques, là il y a déjà des textes qui vont être mis en application dans les prochains mois ?
D. Voynet : Le texte sur les discothèques va sortir très prochainement. En ce qui concerne les baladeurs, le problème n’est pas vraiment un problème de bruit, c’est un problème de santé public et de destruction de l’oreille chez ceux qui ont tendance à abuser de cet outil. Je préférerais parier d’une part sur la limitation du niveau sonore dans leur conception et, d’autre part, sur un effort d’information et d’éducation des usagers, plutôt que sur une réglementation et sur des interdictions qui me paraissent extrêmement limitées. On s’adresse, avec les baladeurs, à des catégories particulières d’usagers qui sont quand même assez rétifs à ce qui leur est imposé sans qu’ils comprennent quel est l’enjeu pour leur santé.
S. Debinoy : Vous envisagez notamment des contrôles plus stricts pour les deux-roues.
D. Voynet : Figurez-vous que c’est une histoire intéressante. Les associations de défense des usagers des deux-roues étaient venues plaider à mon ministère en disant : épargnez-nous les interdictions de circulation lors des pics de pollution parce que, c’est vrai, on pollue beaucoup, mais on circule tellement plus vite que les autres usagers de la voirie que, finalement on améliore la fluidité du trafic. Leur argumentation était un petit peu bancale, mais je leur ai dit : d’accord, mais en échange vous vous engagez avec nous dans une grande concertation sur la réduction du bruit de vos engins. Un deux-roues qui traverse Paris du nord au sud, la nuit, réveille 40 ou 50 000 personnes. Ce n’est pas acceptable.
L’ÉVENEMENT DU JEUDI le 23 avril 1998
Edj : L’an dernier, Yves Cochet pronostiquait 137 élus régionaux écologistes et 16 régions à gauche. Vous n’êtes que 70 conseillers régionaux et le Nord Pas-de-Calais vous a échappé. N’est-ce pas l’échec de votre stratégie de liste commune de la « gauche plurielle » ?
Dominique Voynet : Je ne ferai pas un bilan négatif de ces élections. Très peu de listes vertes ont fait moins de 5 %. Alors que naguère les Verts n’atteignaient jamais le second tour des cantonales, une vingtaine de nos candidats ont passé ce cap et ont ensuite fait le plein des voix de gauche. Nous disposons aujourd’hui de vice-présidences dans la quasi-totalité des régions de gauche. Si nous avons fait le choix de l’union, c’est que nous n’avions aucune raison de remettre en cause la stratégie des législatives, d’autant qu’il y avait un fort soutien de l’opinion publique au gouvernement. Nous pressentions que ce scrutin – a priori favorable aux petites formations – serait impitoyable pour les listes autonomes. Il l’a été, puisque les autres écologistes, à droite ou à gauche, n’existent plus.
Edj : Vous déteniez la présidence de la région Nord Pas-de-Calais. Malgré cela, la liste de Marie-Christine Blandin a obtenu aux régionales un score plutôt faible : autour de 8 %. N’est-ce pas le signe que les Verts pâtissent de leur participation au gouvernement ?
D. V. : Face à une liste PC-PS-radicaux-MDC soutenue par des « mammouths » comme Mauroy ou Aubry, je considère que le score de Blandin est bon.
Edj : Vous évoquiez le casus belli que constituerait sa non-réélection à la présidence de la région. Le conflit avec le PS n’a pas encore été déclenché...
D. V. : Marie-Christine Blandin a pris elle-même la décision de retirer sa candidature. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a eu là une occasion manquée de continuer une expérimentation, grandeur nature, de la fécondité de la majorité plurielle.
Edj : Quel succès avez-vous remporté grâce à cette ligne politique ?
D. V. : Les 35 heures sont le résultat de nos années de lutte. Aux législatives de 1993, cela faisait rigoler tout le monde. Le PS était contre. J’ai gardé dans mes archives un fameux débat opposant à l’époque, dans la presse, Pierre Moscovici, actuel ministre, et Alain Lipietz, membre des Verts. À la présidentielle, Lionel Jospin faisait campagne pour les 37 heures en plusieurs étapes. Le chemin parcouru est lié au fait que les partenaires du PS au sein de la majorité plurielle ont été capables de se battre pour leurs idées. C’est à peu près la même chose pour le mouvement des sans-papiers, même si notre succès est inférieur à ce que nous espérions.
Edj : Sur ce chapitre, le soutien franc et massif de Lionel Jospin à Pierre Chevènement semble indiquer que vous avez dû vous incliner…
D. V. : Nous avons des points d’accord avec Jean-Pierre Chevènement. Dans sa loi, la reconnaissance du droit à vivre en famille constitue une avancée importante. Je trouve également très correcte la réaffirmation de l’attachement de notre pays au droit d’asile. Le ministre de l’Intérieur a aussi raison de dire que la France n’a plus désormais ses frontières ouvertes. Raison encore d’affirmer qu’il y a des critères qui fondent le droit à rester en France. Même lorsque j’étais très engagée dans le mouvement des sans-papiers, la ligne des Verts était la régularisation sur la base de critères du type de ceux du collège des médiateurs. Le refus d’une régularisation généralisée ne me paraît donc pas scandaleux sur le fond. Pour autant, j’ai le sentiment que la reconduite à la frontière des personnes qui ont déposé des dossiers est impraticable et ne peut être assumée humainement parce qu’on donnerait l’impression d’utiliser les fichiers constitués à l’occasion d’une démarche volontaire.
Edj : Si le gouvernement a recours aux charters, comment réagirez-vous ?
D. V. : La question d’une nouvelle étape de régularisation de tous ceux qui ont déposé un dossier mérite peut-être d’être examinée parce qu’il risque de ne pas être possible de s’en sortir dignement autrement. Ce serait une opération exceptionnelle, comme il y en a eu en Italie et en Espagne.
Edj : En dehors de l’abandon de Superphénix et du canal Rhin-Rhône, les succès des Verts au gouvernement dans le domaine de l’écologie semblent bien maigres. Est-il si difficile de faire appliquer un programme sur lequel PS et Verts s’étaient pourtant mis d’accord ?
D.V.: L’arrêt du surgénérateur de surgénérateur de Creys-Malville est une décision prise par tous les ministres concernés. Et qui se justifie de façon parfaitement objective. Cela dit, je peux vous donner la liste des mesures qui ont été prises dans le domaine de l’énergie et des pollutions. On a beaucoup parlé de la circulation alternée et de la pastille verte. Mais le travail entrepris au niveau européen dans le cadre des discussions sur Auto-Oil : un « paquet » qui prévoit la réduction d’un tiers des émissions liées aux carburants et aux véhicules en 2000 et une deuxième tiers en 2005, est plus important encore. Cela aura un impact sur la pollution atmosphérique beaucoup plus grand que n’importe quelle mesure de circulations alternée. Autres exemples : le renoncement définitif aux immersions de déchets radioactifs et les dispositions qui permettent de réduire la teneur en soufre des carburants en mer du Nord.
Edj : Quelles sont vos priorités dans les mois à venir ?
D. V. : Je tiens à faire adopter la loi d’orientation d’aménagement et de développement du territoire pour « dégraisser » les lois Pasqua de tout ce qui est impraticable. Ensuite s’engagera une discussion sur les contrats de Plan avec les présidents de conseil régional. Troisième volet, la réforme des fonds structurels – qui met en jeu plusieurs centaines de milliards de francs à Bruxelles – pour financer la formation, le développement rural, la restructuration des industries de défense et la reconversion industrielle. J’ai l’intention aussi de mener à bien la réforme des agences de l’eau pour améliorer le système en le rendant plus transparent. J’ai, par ailleurs, l’intention de donner des moyens indispensables au respect réel des préconisations de la loi de 1992 sur les déchets.