Interview de M. Michel Rocard, membre du bureau politique du PS et ancien Premier ministre, dans "Sud-Ouest" du 3 mars 1998, sur le bilan des accords de Matignon pour la Nouvelle Calédonie, notamment le respect du calendrier sur le référendum d'autodétermination et l'accord sur le nickel.

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Circonstance : Bilan des accords de Matignon à Paris le 25 février 1998

Média : Sud Ouest

Texte intégral

Sud Ouest : Dans quel climat s’ouvrent, selon vous, ces négociations ?

Michel Rocard : Nous avons au moins une certitude, dix ans après les accords de Matignon : les deux coalitions qui ont signé le 26 juin 1988 la paix de compromis sont encore là. D’un côté, nous avons le RPCR, qui rassemble des Caldoches mais aussi quelques Kanaks ; de l’autre, le FLNKS, qui regroupe la majorité des Kanaks – pas la totalité –, mais aussi quelques Européens. Ces deux coalitions sont obéies, chacune chez elle. Cette continuité constitue déjà un point de départ non négligeable et un atout dans la durée.

Sud Ouest : Quel bilan tirez-vous des accords de Matignon et en a-t-on respecté le calendrier ?

Michel Rocard : Les accords de Matignon ont d’abord permis un apprentissage de la vie en commun. Ce qui n’est pas le moins important, loin de là. S’agissant du calendrier, on est un peu en retard sur le processus d’engagement de l’article 2 de la loi référendaire de novembre 1998. On est en retard, mais rien n’est perdu. Je suis aujourd’hui plus optimiste qu’il y a un an. Parce qu’un accord a été trouvé sur le nickel, d’une part, et que Rock Wamytan a été confirmé dans ses fonctions de président du FLNKS, d’autre part. Ces deux questions – aujourd’hui résolues – pouvaient parasiter la négociation sur le statut.

Sud Ouest : Quel souvenir gardez-vous de la négociation de 1988 ?

Michel Rocard : Une anecdote que je n’ai jamais racontée et qui montre à quel point la signature d’une paix touche à ce qu’il y a de plus noble chez les hommes. Nous sommes le 26 juin 1988. Nous entrons tous à Matignon par une porte du jardin. On se retrouve dans mon bureau avec Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. Un collaborateur avait préparé la mouture définitive des accords. C’était un texte très « administratif ». Autant Tjibaou que Lafleur me disent : « On ne va pas commencer comme ça, Monsieur le Premier ministre. C’est pas un texte de vous, ça. » Il a donc fallu que je m’isole dans un bureau et que j’écrive un préambule aux accords. L’un et l’autre avaient besoin d’une belle langue pour consacrer la paix.
Après coup, quand j’ai rédigé, cet été, un texte destiné à préfacer l’édit de Nantes, annoté par l’universitaire Janine Garrisson, j’ai tout de suite été saisi par la beauté des mots employés pour dire la paix entre les catholiques et les protestants. Il y a une permanence des lois de la paix, jusque dans la langue.