Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à RTL le 27 février 1998, sur la lutte contre le chômage.

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Plus 0,2 % de chômage le mois dernier. Certains, selon des calculs différents, parlent de baisse, d’autres de stabilisation, et vous ? Faut-il considérer cela comme un bon résultat ?

N. Notat
- « Tant qu’on aura un chiffre du chômage de 12 %, 11 % ou 10 %, il y aura toujours un chômage, c’est-à-dire des chômeurs derrière ces chiffres, des hommes et des femmes pour qui il est urgent que cela baisse de manière plus importante. Alors ne nous réjouissons pas trop vite, car derrière l’embellie économique, le chômage demeure. Il faudra faire plus et mieux que la seule croissance pour que le chômage baisse ».

RTL
Comment résoudre le problème des chômeurs de longue durée, dont le nombre ne diminue pas, car pour l’instant ce sont plutôt les jeunes qui en profitent ?

N. Notat
- « C’est la raison pour laquelle il y a un problème spécifique des chômeurs de longue durée et que les décisions que le Premier ministre a retenues hier de ne pas augmenter franchement, considérablement, les minima sociaux supposent que d’autres décisions suivent. Car on n’imagine personne pouvoir vivre avec les minima sociaux tels qu’ils existent aujourd’hui s’il n’y a que ce seul revenu. Il faut donc aujourd’hui offrir à ces gens des vraies perspectives, d’accès au logement, de maintien dans le logement, d’accès à la santé. J’espère que l’assurance-maladie universelle va voir le jour ou la loi contre les exclusions. Il faut que l’on propose, à grande échelle, à ces gens qui ont le minimum vital insuffisant pour leur dignité, pour la reconnaissance et l’autonomie économique, des activités réelles de travail rémunéré qui leur permettent d’accéder à un niveau de vie acceptable. »

RTL
Ce matin, D. Strauss-Kahn a annoncé la création de 300 000 emplois en 98. Estimez-vous cela possible ou pas ?

N. Notat
- « Dès lors que l’on dépasse ou qu’on atteint 3% de croissance, je crois qu’entre 250 000 et 300 000 emplois, ce sont les créations qui vont avec ce taux de croissance. Mais ce taux de création d’emplois va permettre d’absorber des nouveaux venus sur le marché du travail. Ça ne va malheureusement pas suffire à réduire le chômage. Donc j’insiste et je ré-insiste : on peut avoir cette croissance. Et tant mieux si nous la tenons, nous ne faisons pas de l’euphorie collective derrière la déprime collective, ce dont nous avons l’art en France. En tout cas, cette croissance est bonne, il faut faire le maximum pour l’entretenir et pour l’amplifier mais mécaniquement, magiquement, elle ne suffira pas à venir à bout significativement du chômage. Il faut donc des politiques plus actives, des politiques audacieuses, des politiques qui mettent l’emploi au cœur des priorités de l’action gouvernementale et des entreprises. Et là il y a plusieurs pistes à explorer. »

RTL
Vous diriez, comme M. Blondel, qu’il y a une impérieuse nécessité d’une relance ?

N. Notat
- « La relance, pour moi, c’est de mettre au travail et de donner de l’autonomie économique à ceux qui sont aujourd’hui en situation de sous consommation. Ceux qui consomment bien, vous et moi peut-être et puis d’autres personnes qui se situent grosso modo du bon côté de la barrière, du côté de ceux qui, dans la société, ont ce minimum d’autonomie économique pour fonctionner. Mais c’est à ceux qui tirent tout le monde vers le bas, c’est à ceux qui ne peuvent pas consommer comme tout le monde, qu’il faut redonner du travail, de la rémunération, du pouvoir de consommation et ils seront des moteurs de la redynamisation de la croissance. »

RTL
Êtes-vous d’accord avec D. Strauss-Kahn qui dit qu’avec la croissance, il n’y aura pas de marge cette année et à peine l’année prochaine donc le débat relatif à la distribution ou la relance est un faux débat ?

N. Notat
- « D. Strauss-Kahn est ministre de l’Économie et des Finances, je ne suis donc pas étonnée qui tire la sonnette de la prudence et qu’il fasse de la prévention sur le thème : « nous avons des sous, à qui allons-nous les donner ? » Mais moi je pense que ça ne se pose pas d’abord en ces termes-là. Si nous entrons dans une nouvelle phase, plus propice au développement de l’activité et à l’augmentation des richesses, alors oui, il y a une responsabilité majeure à anticiper sur des questions qui se posent à notre société – la distorsion de l’offre et la demande de travail, le financement de la protection sociale – qui ne soient pas contre-productifs par rapport à l’emploi, le développement des emplois de service, qui est une sous-réalité en France. Voilà quelques-uns des domaines auxquels il faut s’attaquer d’autant plus délibérément, d’autant plus audacieusement que nous allons retrouver des marges de manœuvres financières. »