Interview de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, dans "L'Humanité Dimanche" du 15 mai 1997, sur les propositions du PCF en vue des législatives de 1997 et sur la déclaration commune PCF PS.

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Circonstance : Elections législatives anticipées des 25 mai et 1er juin 1997

Média : L'Humanité Dimanche

Texte intégral

L’Humanité Dimanche : La droite qui a pris l’initiative de ces élections ne paraît plus aujourd’hui assurée de son succès. À quoi attribuez-vous cette évolution ?

Robert Hue : À quelques jours du scrutin, la droite n’a en effet visiblement pas le moral. Elle a voulu précipiter ces élections par crainte de les perdre dans un an. Elle a voulu une campagne électorale brève pour éviter tout grand débat sur l’avenir. Mais les électrices et les électeurs ne l’entendent pas de cette oreille. Et le rejet de la désastreuse politique d’Alain Juppé, la conscience de la nocivité de ses projets, l’aspiration à une politique neuve, tout cela est si fort que voilà la droite qui prend peur devant sa possible défaite. Il ne faut naturellement pas « vendre la peau de l’ours », comme l’on dit, mais cette situation constitue un encouragement puissant, une motivation nouvelle pour les communistes dans cette campagne. Et cela donne une portée nouvelle, une grande utilité au vote en faveur des candidates et candidats communistes.

L’Humanité Dimanche : « L’appel » de Jacques Chirac dans la presse de province visait à prendre l’offensive…

Robert Hue : Il peut ne pas avoir l’effet escompté. Qu’y dit Jacques Chirac ? Qu’il ne faut pas « tricher avec la vérité », alors qu’il s’empresse de le faire en affirmant que grâce à son gouvernement « l’ardoise du passé » est soldée et que désormais tout va bien. Il demande la « confiance » pour aggraver encore plus la même politique. On comprend que cela ne suscite pas l’enthousiasme !

Car les Françaises et les Français sont évidemment loin de considérer que « tout va bien » pour eux et pour le pays. Et ils ressentent bien le danger que constituerait pour eux une droite dopée par un succès et disposant de tous les pouvoirs pour cinq nouvelles années. Le « nouvel élan » dont elle se réclame, ce serait en fait un « nouvel enfoncement » de la France dans l’austérité et le chômage, la crise et les difficultés sociales encore approfondies.

L’Humanité Dimanche : Reste qu’à huit jours au scrutin, un nombre important de Français restent indécis. Comment l’expliquez-vous ?

Robert Hue : Les raisons en sont bien compréhensibles. D’abord, me semble-t-il, les Français ont été pris par surprise avec cette décision d’anticiper les élections, de brusquer les échéances. Il est bien normal qu’ils réfléchissent à ce qu’ils vont faire. Ensuite, face à la politique dévastatrice de la droite actuelle, demeure bien vivace le souvenir de l’amertume de l’impasse des années quatre-vingt. Comment ne pas y réfléchir à deux fois ?

Dans l’indécision dont vous parlez, il y a donc au fond la crainte de deux risques que les Françaises et les Français mesurent parfaitement. Le risque d’une droite sortant victorieuse et, forte de son succès, déchaînant une politique encore plus brutale, encore plus douloureuse, dans une société déchirée, violente. Mais aussi le risque d’une gauche élue du bout des lèvres par rejet de la droite plus que par conviction, par adhésion à ce qu’elle propose et qui, faute de faire une politique répondant aux attentes si fortes du pays, décevrait à nouveau.

C’est bien pour éviter ce double écueil que nous déployons tous nos efforts ; car nous voulons battre la droite pour lui substituer une gauche qui réussisse. Une gauche qui dure. Une gauche qui cette fois aurait sa vraie chance parce qu’elle serait forte de sa diversité, de son pluralisme. Avec une politique et un gouvernement issus de toutes ses composantes. Une gauche auprès de laquelle, parce que le Parti communiste y tiendrait toute sa place, les salariés, les citoyens, le mouvement social pourraient intervenir et se faire entendre. Avec le vote pour les candidates et candidats communistes, avec une audience plus forte de nos idées, de nos propositions dans la vie nationale, ce sont ces exigences qui pèseront, qu’il faudra prendre en considération. Avec le vote communiste, celles et ceux qui veulent le changement peuvent se donner la chance d’une gauche plurielle, ouverte sur les aspirations sociales et les attentes citoyennes et qui, à cause de cela, pourra engager vraiment et dans la durée un changement du cours des choses.

L’Humanité Dimanche : Êtes-vous toujours inquiet d’une éventuelle percée du Front national ?

Robert Hue : Le score d’un parti aux idées de haine, de violence, d’exclusion comme le Front national est évidemment toujours pour moi un sujet de préoccupation.

Ce qui est nouveau, cette fois-ci, c’est ce que j’appellerai « l’effet Gardanne » ou « Morsang-sur-Orge ». Autrement dit, la preuve concrète qu’il est possible, non seulement de battre le Front national, mais de le faire reculer. C’est l’objectif que nous nous assignons. En nous opposant fermement à l’insupportable prétention de l’extrême droite d’incarner le monde ouvrier, de parler au nom de celles et ceux qui souffrent de la dictature de l’argent, alors qu’elle est représentée par le parti du milliardaire Le Pen.

Cette signification du vote communiste, porté par une campagne de ses candidats faite de présence sur le terrain et d’écoute citoyenne, de proximité, d’honnêteté et de fidélité aux engagements pris, peut, c’est ma conviction, conduire au recul du Front national.

L’Humanité Dimanche : Si la gauche remportait ces élections législatives, qu’est-ce qui permettrait qu’elle réussisse alors que tout le monde a encore en mémoire l’échec de la décennie précédente ?

Robert Hue : La droite, je l’ai dit, peut être battue ; la gauche peut l’emporter et nous faisons tout pour cela. Mais, naturellement, celles et ceux qui assureront son succès veulent que cette fois la gauche réussisse : qu’une nouvelle majorité se constitue pour faire vraiment une politique nouvelle, à l’unisson des aspirations populaires. Est-ce possible ? C’est ce que nous voulons, c’est ce à quoi nous nous efforçons de contribuer de toutes nos forces. Et c’est cette exigence qu’exprimeront les électrices et les électeurs qui utiliseront le vote communiste.

Cela implique d’abord à mes yeux que le pluralisme de la gauche s’affirme pleinement et soit bien pris en compte. Car, tout le montre, aucune de ses composantes ne pourra l’emporter seule et ne pourra gouverner seule. Une majorité nouvelle ne pourra donc se constituer que si l’ensemble des forces de gauche, de progrès, écologistes, décide de se rassembler autour d’une politique nouvelle que cette majorité devra mettre en œuvre avec un gouvernement à l’image de sa diversité, de son pluralisme.

Cela implique aussi, à mon sens, que l’a majorité, le gouvernement de toute la gauche dirige le pays de manière neuve. Car pour faire prévaloir le changement qu’attend le pays, il lui faudra affronter et surmonter de nombreuses résistances. Ce ne sera possible qu’en appui avec le mouvement social et en répondant positivement au profond désir d’intervention des citoyens. L’heure n’est pas en effet pour les Français – et c’est tant mieux – à donner un « chèque en blanc » à qui que ce soit. Et les différents mouvements très divers, les fortes aspirations qui parcourent la société ne sont pas appelés à disparaître par enchantement au lendemain du scrutin, quelle que soit d’ailleurs son issue. Nous considérons, nous que ce mouvement profond de la société, ces exigences citoyennes constituent des atouts précieux pour une gauche ambitieuse et bien décidée à changer le cours des choses. Et nous voulons contribuer pleinement à les exprimer et à les faire entendre.

Et pour cela – et c’est encore ce qu’affirmera le vote communiste –, il me semble qu’une gauche victorieuse et résolue devrait prendre tout de suite des décisions rendant tangibles son ambition, sa détermination. Car la gauche ne l’emportera pas dans le flou, avec de simples déclarations d’intention. Elle doit dire ce qu’elle fera et comment elle le fera.

L’Humanité Dimanche : Qu’y a-t-il de nouveau dans la déclaration commune que vous avez signée avec le Parti socialiste ?

Robert Hue : Il ne s’agissait pas d’établir une nouvelle mouture d’un programme commun. Il ne s’agissait pas non plus d’aller à un accord électoraliste de circonstance « bricolé » à la va-vite et sous la pression des événements. Il s’agissait de voir si, compte tenu des positions des uns et des autres, il était possible d’affirmer en commun de grandes orientations pour ouvrir la perspective de changement qu’espèrent tant les Français. Il est donc très important, à mes yeux, que nos deux parts expriment ensemble dans cette déclaration commune leur conviction qu’avec les grandes orientations définies une perspective progressiste peut être ouverte.

En même temps – et je crois que l’opinion l’appréciera – nous avons décidé de jouer la carte de la transparence, de l’honnêteté, du débat à gauche. Cette déclaration affirme les convergences, montre les évolutions, mais ne dissimule pas les différences. Elle ne constitue pas un programme de gouvernement. Et il y a incontestablement du travail à faire pour définir – et pas seulement entre PC et PS, mais avec toutes les forces de gauche, de progrès, écologistes – une politique à gauche, à mettre en œuvre ensemble au gouvernement.

À la simple lecture des « points forts » de cette déclaration commune, on voit bien que, si elle résulte d’un effort de chacun des deux partis, il y a – et personne ne s’y trompe – un apport original, constructif du Parti communiste. Un apport à la mesure de notre volonté constructive et uniforme de « bouger la gauche », pour que, cette fois, elle réussisse et fasse vivre un changement réel et durable, à la hauteur de ce qu’attend notre peuple.

L’Humanité Dimanche : Cette déclaration commune ne conduit-elle pas à renoncer à certains de vos objectifs ?

Robert Hue : Je viens de le dire : nous avons voulu jouer franc jeu, cartes sur table. Nous affirmons ensemble un certain nombre de grandes orientations et une volonté commune d’ouvrir une perspective de changement. En même temps, la déclaration le dit également, nos différences sont bien connues et chacun se présente devant les électeurs avec son identité, son programme, ses candidats. C’est bien pourquoi les candidates et candidats communistes soumettent à la réflexion et au vote de nos concitoyens leurs propres propositions, que nous avons formulées en cinq axes d’initiatives pour une politique radicalement neuve. Chacune, chacun pourra donc se forger son opinion en toute liberté et en toute reconnaissance de cause.

Ainsi, par exemple, nous disons tous à gauche : il faut le progrès social, la relance de la consommation, de l’emploi. Mais nous précisons, nous communistes, comment nous voyons les choses, comment nous pensons qu’il faut les engager tout de suite et au bon niveau. Car nous tirons les leçons de l’expérience passée. Nous savons qu’une hausse trop limitée du pouvoir d’achat est sans incidence sur la consommation. Nous savons qu’une diminution trop faible du temps de travail ne conduit pas à des créations d’emplois.

C’est pourquoi les candidats communistes proposent une augmentation des salaires, des retraites et des pensions, dont 1 000 francs de plus pour le SMIC dès le 1er juillet, avec des retombées positives pour les autres salaires inférieurs à 15 000 francs. Ou bien encore une action résolue contre la vie chère, avec la baisse de la TVA, des loyers, des taux de crédit. Un plan d’urgence contre la pauvreté et l’exclusion sur la base des demandes des organisations caritatives et financé en quadruplant l’impôt sur la fortune.

De même, ils proposent une loi-cadre réduisant immédiatement le temps de travail à 35 heures sans diminution de salaire. Ils préconisent également des mesures pour engager sans délai une dynamique de développement dans l’industrie, la recherche, les services, un rôle nouveau des services publics afin de créer de vrais emplois.

Le vote communiste sera donc un vote utile pour, du même mouvement, dire sa volonté de voir la gauche se rassembler et son exigence qu’elle réussisse, qu’elle soit bien à gauche, c’est-à-dire prenant pleinement en compte les exigences sociales et les aspirations citoyennes si fortes dans la société. Il sera utile pour permettre aux électrices et aux électeurs d’affirmer à la fois leur exigence d’une autre politique, d’une politique de gauche, et ce qu’ils veulent pour cette politique, les mesures qu’ils en attendent et comment ils veulent que cette politique soit conduite : avec eux, dans la transparence et la démocratie citoyenne.

L’Humanité Dimanche : Mais quand Lionel Jospin déclare, par exemple, que sur l’Europe. Il y aura une seule position, celle du gouvernement, cela ne suscite pas votre inquiétude ?

Robert Hue : Que le gouvernement ait une seule position me paraît tout à fait souhaitable. Sinon, ce ne serait pas un gouvernement. Nous sommes, nous, pour un gouvernement et une majorité cohérents, efficaces. Cela n’empêche pas mais au contraire nécessite le débat pour définir ce que sera cette position. Et cela me ramène à la question du pluralisme constitutif de la gauche, qui n’est pas pour elle un obstacle mais une richesse et un atout. Les différences existant entre le PC et le PS sur l’Europe sont connues. Mais je constate qu’ensemble – c’est dans notre déclaration commune –, nous sommes d’accord pour dire « non à l’Europe libérale, à l’Europe de l’argent-roi et de la soumission aux marchés financiers », pour « redonner du sens à l’Europe en dépassant le traité de Maastricht », pour engager des discussions avec nos partenaires européens afin de « réorienter la construction européenne ». C’est évidemment important.

Nous n’avons pas la même position sur l’euro, mais quand j’entends Lionel Jospin affirmer qu’il dit non aux critères de Maastricht si c’est pour imposer une nouvelle cure d’austérité, je me dis que, quels que soient les mots des uns et des autres, avancer dans le sens du refus de l’austérité, ce serait faire autre chose que suivre le processus actuel de passage à la monnaie unique. De même engager des discussions avec nos partenaires européens, ce serait, là encore, quels que soient les mots, suspendre en fait le processus en cours vers l’Europe ultralibérale. Le gouvernement aurait un an devant lui et pourrait le mettre à profit utilement. Avec l’appui de notre peuple qui ne veut pas d’austérité. Avec l’appui d’autres peuples en Europe, comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal et même – qui sait ? – la Grande-Bretagne de Tony Blair. Sur une telle évolution, on pourrait, je crois, aller de l’avant ensemble, sans demander à personne de renier ses propres convictions. Et ce serait un atout pour une majorité durable.

L’Humanité Dimanche : Des personnalités qui n’en ont pas l’habitude déclarant qu’elles voteront pour un candidat communiste. Est-ce à dire qu’il y a des raisons nouvelles de faire ce choix ? Au fond, à quoi sert aujourd’hui le vote communiste ?

Robert Hue : Je me réjouis que des personnalités tiennent à dire les raisons qui les conduisent à voter pour des candidats communistes à ce scrutin. Chacune le fait à sa manière, avec ses mots et, bien entendu, je respecte totalement l’originalité et la diversité des motivations et des cheminements. Disons donc que, dans ce qu’elles expriment, je suis particulièrement sensible à trois idées qui me tiennent à cœur à moi aussi.

La première, c’est en quelque sorte l’affirmation qu’il faut que les citoyens s’en mêlent, qu’ils interviennent pour que la gauche soit bien ce qu’elle doit être. Que la gauche ne peut pas diriger ce pays comme la droite : en régnant. Mais qu’elle doit entendre ce qu’exprime le mouvement social, ce qui s’affirme dans la société, prendre au sérieux le beau mot de citoyen. Avec au fond cet avertissement : « On ne vous laissera pas gouverner seuls », qui m’apparaît comme tout à fait prometteur et conforme à notre propre conception de l’élu comme « relais citoyen ».

La deuxième idée qui me frappe, et que je retiens parce que c’est également la nôtre, c’est la sensibilité très forte, l’attachement au pluralisme de la gauche. En somme, c’est le vote communiste comme moyen d’affirmer son exigence d’une gauche plurielle, équilibrée, respectueuse de la diversité qui la compose.

La troisième idée tient à l’affirmation d’une autre Europe que celle de l’ultralibéralisme. Là encore, à l’opposé de tout repli nationaliste, le vote communiste exprimera une conviction européenne : l’attachement à une autre Europe, solidaire, humaniste. Que des personnalités le disent pour cette élection, et parfois pour la première fois, montre bien que la question de l’utilité du vote communiste n’est plus seulement un argument électoral des… communistes. Mais que plus largement – et au-delà de toute conviction étroitement partisane – notre parti est en train de prendre toute sa place dynamique dans la vie nationale. C’est évidemment très important. Non seulement pour nous, mais aussi pour le pays lui-même et son avenir.

L’Humanité Dimanche : À huit jours du scrutin, rien n’est donc joué et vous avez bon espoir ?

Robert Hue : Tout à fait, car je crois que l’on peut aller non seulement vers un bon résultat de nos candidats mais vers une défaite de la droite. Ce qui nous donner, à nous comme aux autres partis de gauche, une grande responsabilité. Car si la gauche est espérée, elle est attendue sur sa capacité à faire prévaloir le changement. Il lui faut convaincre qu’elle va vraiment faire du nouveau. Et qu’après la victoire électorale, elle va passer aux actes. Elle n’a plus le droit à l’erreur ! Et c’est bien cela qu’exprimera le vote communiste. Permettez-moi donc de dire à nos amis lecteurs de l’« Humanité Dimanche » que je compte sur eux. Cette semaine, chacun d’entre eux peut jouer un grand rôle. En exposant autour de lui – dans sa famille, auprès de ses voisins, ses amis, ses collègues de travail, dans son quartier – les raisons qui sont les siennes de voter pour les candidates et candidats communistes. Ainsi l’espoir peut faire boule de neige, grossir et l’emporter.