Texte intégral
Seul un arrêt généralisé de tous les essais permettrait de surveiller les établissements civils déclarés et les filières de manipulation des matières fissiles.
On a appris il y a quelques jours que les négociations mondiales pour la signature d'un traité d'arrêt généralisé des essais nucléaires ont été bloquées par l'Inde. Cette puissance refuse de le signer aussi longtemps que les cinq autres pays officiellement détenteurs de l'arme suprême ne démantèleront pas la totalité de leur arsenal, ce qui, pour être souhaitable, n'en est pas moins irréaliste.
Cet échec est extrêmement grave. Au-delà de l'Inde, il encourage le Pakistan et Israël, delà détenteurs, à ne pas signer le traité. Et, au-delà du cas de l'Irak et de la Corée du Nord, qui sont sous surveillance internationale relative, il signifie un indiscutable encouragement à l'Iran, à la Syrie, peut-être à d'autres, à poursuivre leurs efforts afin de détenir de telles armes.
Par ailleurs, une deuxième difficulté se profile. Saisie par l'ONU de certaines demandes de vérification en Irak, l'Agence internationale de l'énergie atomique, dite « Agence de Vienne », a mesuré l'insuffisance de la définition juridique de ses compétences. Pour cette raison, la direction de l'agence a élaboré un programme dit « 93 + 2 », qui est une demande à son conseil, où siègent 120 nations, d'élargir ses compétences et ses moyens. Il en va de la capacité de l'agence à surveiller dans le monde entier non seulement les établissements civils déclarés, mais aussi les dangereuses zones grises des filières de manipulation de matières fissiles.
Or les industriels producteurs d'équipements pour traiter ces matières, principalement les Japonais et les Allemands, exercent des pressions très fermes sur les gouvernements membres afin de tenter d'éviter cet élargissement des pouvoirs de l'agence.
Ce deuxième problème est de la plus haute gravité. Le danger nucléaire sur la planète s'est en effet diversifié depuis quelques années. II était autrefois limité à l'éventuel usage de leurs armes par les cinq puissances officiellement détentrices. C'est pourquoi l'objectif d'un désarmement nucléaire demeure un objectif important pour la communauté internationale. Mais sa réalisation sera lente, parce qu'il implique des étapes successives au cours desquelles chacun des pays en question doit conserver un certain niveau de dissuasion par rapport à celui dont il se méfie. De là une quadruple obligation : bien baliser les étapes, assurer une parfaite simultanéité, se donner les moyens d'un contrôle satisfaisant, enfin créer des procédures vigoureuses de solution pacifique des conflits.
Mais le danger principal est sans doute devenu celui de la prolifération nucléaire dans des États dotés de directions politiques agressives, au service de groupes mafieux ou terroristes. C'est pour faire face à ce dernier danger qu'il faut développer progressivement un climat de confiance permettant de poursuivre plusieurs objectifs à la fois :
– engager la destruction progressive des arsenaux (problème précédent) ;
– étendre le traité de non-prolifération à la totalité des États ;
– interdire tout nouvel essai (ce que l'Inde vient de refuser) ;
– doter la planète de moyens de contrôle internationaux puissants, efficaces et contraignants.
Ces trois derniers éléments sont aujourd'hui encore plus importants que le premier.
Il est donc essentiel que les gouvernements, les opinions publiques et les mouvements associatifs fassent pression sur l'Inde pour qu'elle signe le traité et sur les gouvernements, notamment japonais et allemand, pour qu'ils contrôlent leurs industriels.
L'espoir de profits ne saurait légitimer que l'humanité prenne le risque d'accepter une prolifération nucléaire aggravée. Greenpeace pourrait s'occuper de l'Inde… Mais tout cela serait surtout la tâche d'une diplomatie nucléaire française active.