Texte intégral
Lettre de Louis Viannet, secrétaire général de la CGT à Madjiguène Cissé, porte-parole et aux « sans-papiers »
Absent de Paris pour des raisons familiales, je ne peux être avec vous ce samedi 28 septembre 1996.
Je le regrette vivement car je mesure à quel point la solidarité de tous va devenir décisive, au fur et à mesure où évolue la situation et où se réduit la marge de manœuvre du gouvernement.
Je souhaite très fort plein succès pour cette manifestation tout en percevant, au fil des jours, combien le durcissement de la situation économique et sociale tire les préoccupations de nos militantes et militants sur les dossiers lourds de la défense de l’emploi, de la défense du service public, de la défense de la protection sociale, dossiers qui interfèrent avec la situation des « sans-papiers ».
Dans quelques jours je me rends en Afrique où je vais pouvoir témoigner de la légitimité de votre combat, du courage et de la lucidité exemplaire dont vous faites preuve toutes et tous, et, notamment vous, Madjiguène.
Je tiens à vous renouveler mon regret de ne pouvoir être avec vous.
Je vous transmets l’expression de ma solidarité profonde.
Montreuil, le 27 septembre 1996
Réponse des « sans-papiers » de Saint-Bernard et de Madjiguène Cissé, porte-parole, à Louis Viannet, secrétaire général de la CGT et aux camarades syndicalistes.
Nous avons bien reçu votre lettre et la solidarité que vous y manifestez avec notre lutte nous conforte dans l’idée que nous nous battons bien pour les mêmes objectifs. Nous étions ensemble dans la rue le samedi 28 septembre pour exiger la régularisation de tous les « sans-papiers ». Il s’agissait là d’un tournant décisif dans notre combat : créer un rapport de force permettant de mettre le gouvernement en face de ses contradictions et de ses responsabilités ; renforcer la mobilisation de tous les travailleurs pour le respect du droit, pour le respect du droit de tous les travailleurs, quel que soit leur origine, quel que soit leur situation…
La défense de l’emploi, du service public, de la protection sociale, il apparaît clairement que nous en auront été, que nous en sommes, avec les militantes et les militants de votre confédération, les artisans les plus motivés et les plus décidés. Nous sommes, en effet, des travailleurs que des lois dictées par des opportunités électoralistes ont installé dans la précarité afin de justifier une exploitation accrue. Les patrons qui licencient, qui gèlent ou baissent les salaires, ces patrons-là sont les mêmes qui nous interdisent de vivre où nous vivons et prétendent nous interdire de lutter là où vous luttez.
C’est pourquoi il nous paraît nécessaire d’élargir la syndicalisation à l’ensemble des travailleurs et, notamment, aux « sans-papiers ». Nous sommes des travailleurs, nous sommes aussi des pères et des mères, nous avons des enfants privés de tout droit : nous n’oublions pas, comment le pourrions-nous, que la protection sociale est pour tous un devoir de solidarité !
Notre lutte n’est pas une alternative à celle des travailleurs français. C’est la même. Nous luttons contre les mêmes patrons, contre les mêmes plans d’ajustement structurel, nous luttons contre le même ennemi. Ici ou là, nous avons le même ennemi : la finance internationale qui décide de la richesse ou de la pauvreté d’untel et d’untel, où qu’il se trouve dans le monde.
Quand nous avons décidé de marcher, de sortir de la clandestinité où nous confinaient les lois Pasqua et autres (antérieures et postérieures), nous faisions partie de ces travailleurs vulnérables entre tous. Il n’empêche, aujourd’hui, le mouvement des « sans-papiers » constitue un exemple de lutte pour l’ensemble des travailleurs. Face au durcissement de la situation économique, face à l’alignement du gouvernement sur les décisions du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, les « sans-papiers » n’ont pas plié l’échine. Puissent-ils être suivis par l’ensemble des travailleurs en France et dans le monde !
Les « sans-papiers » ont montré l’exemple de la lutte, ont montré que « seule la lutte paie », comme le dit l’adage. Ils assurent de leur militante et active solidarité tous les mouvements des travailleurs précaires, chômeurs, « exclus », de tous les travailleurs quelle que soit leur situation : défendre des intérêts communs, c’est marcher tous ensemble.
Paris, le 30 septembre 1996