Déclaration de Mme Anne-Marie Couderc, ministre déléguée pour l'emploi chargé des droits des femmes, sur la place des femmes parmi les cadres et la participation des femmes à la prise de décision, Nice le 25 octobre 1996.

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Circonstance : Colloque sur "La participation des femmes à la prise de décision" organisé par la Confédération européenne des cadres (CEC) et la CFE CGC à Nice le 25 octobre 1996

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour votre invitation à participer aujourd'hui au Colloque de votre Confédération Européenne des Cadres et de la CFE-CGC.

Je me sens doublement concernée par le thème que vous avez choisi « la participation des femmes à la prise de décision » ; concernée en tant que ministre délégué à l'emploi mais aussi en tant que ministre chargé des droits des femmes.

Comme vous le savez, en France, la présence croissante des femmes aux fonctions d'encadrement rend de plus en plus apparentes les insuffisances d'une société dont les modèles et les choix collectifs n'ont pas encore pleinement intégré les conséquences du travail féminin.

Il y a toujours eu une petite minorité de femmes exceptionnelles dans les entreprises, capables d'accéder aux plus hauts postes en se soumettant complètement aux attentes et aux contraintes d'organisation culturellement définies par des hommes en matière de carrière ou de disponibilité, aux dépens en particulier d'un investissement familial.

Cependant, on observe aujourd'hui de nouvelles attentes issues de divers facteurs qui viennent déstabiliser les normes établies :

– l'émergence en termes d'identité professionnelle de nouvelles générations de femmes qui souhaitent une vie plus équilibrée que leurs aînées. Elles revendiquent une plus grande égalité sans pour autant se conformer au modèle traditionnel ;
– la réalité d'un contexte économique difficile qui n'est pas sans remettre en question la valeur de l'attachement à l'entreprise.

Face à cette situation, beaucoup s'accordent à dire qu'il est urgent de revoir les règles du jeu dans l'entreprise pour une meilleure adéquation du système de travail avec ces mutations sociales en cours.

Qu'en est-il aujourd'hui de la place des femmes parmi les cadres ?

En premier lieu, il est intéressant de constater que l'évolution d'ensemble de la population active se caractérise par une augmentation des catégories professionnelles supérieures et l'élévation générale du niveau de qualification.

Les fonctions d'encadrement se développent, qu'elles soient techniques, administratives ou commerciales.

La comparaison de la structure de l'emploi des femmes en 1982 et 1994 reflète bien cette évolution.

Les femmes représentent 31,9 % des cadres en 1994 contre 24,3 % en 1982. Une nette progression des femmes à ce niveau socio-professionnel est ainsi à souligner mais aussi leur répartition inégale selon les diverses catégories considérées.


Elles sont très présentes dans les métiers suivants :
– 53,5 % parmi les professeurs, les professions scientifiques ;
– 41,4 % parmi les professions de l'information, des arts et des spectacles ;
– 33 % parmi les professions libérales.

En revanche, elles demeurent peu présentes (12,9 %) dans la catégorie des ingénieurs et des cadres techniques d'entreprises, ainsi que parmi les cadres de la fonction publique (26,6 %).

C'est parmi les cadres et les professions intermédiaires du secteur privé que la place des femmes s'accroît le plus rapidement, même si elles accèdent toujours en petit nombre aux fonctions les plus élevées.

Cette progression différenciée des femmes à ces postes de responsabilité peut sans doute s'expliquer par des accès plus ou moins facilités à des situations professionnelles ayant pu répondre à leurs attentes en matière de statut social et de maîtrise de l'organisation de leur vie.

Le phénomène de la féminisation des cadres interpelle tout particulièrement la question de l'organisation du travail dans l'entreprise.

Si les femmes ne doivent pas devenir une population à part stigmatisée par une gestion différenciée de leur trajectoire professionnelle en raison de leur besoin de flexibilité, si les entreprises ne veulent pas se priver de leurs capacités et de leurs compétences, il faudra bien repenser de façon plus globale l'organisation et l'aménagement du temps de travail et inventer de nouveaux modèles.

Comment pouvons-nous faire évoluer cette approche ?

L'État se préoccupe depuis longtemps de la place des femmes dans l'entreprise, du temps et du travail, tant cette question est importante pour l'avenir de notre société à la recherche de solutions pour concevoir et construire de nouveaux équilibres.

La participation active de la France à la 4ème Conférence mondiale sur les femmes à Pékin en septembre 1995, a été l'occasion d'un bilan de la situation des femmes dans notre pays, notamment dans le domaine professionnel.

Ce bilan souligne tout à la fois l'extrême avancement de l'égalité des droits mais aussi la persistance d'inégalités de fait, telles les discriminations à l'embauche, la difficulté des promotions ainsi que les écarts de salaires.

Il souligne également que notre société est loin d'avoir tiré tous les enseignements de l'engagement professionnel massif et irréversible des femmes ; elle est loin aussi d'avoir mesuré les changements positifs dont ce fait marquant peut-être porteur, en particulier pour une redéfinition d'un meilleur partage des tâches et des rôles entre hommes et femmes, aussi bien dans le domaine de la vie professionnelle que dans celui de la vie privée.

L'amorce d'une réflexion du Gouvernement sur les femmes et le temps de travail se situe au début des années 90, faisant écho aux préoccupations de l'Union européenne qui a placé la question de la conciliation entre vie professionnelle et la vie familiale au centre de sa politique d'égalité des chances en particulier avec l'adoption en 1991 du troisième programme communautaire pour l'égalité des chances.

Quelle méthodologie pouvons-nous adopter pour avancer ?

Le Conseil Supérieur de l'Égalité Professionnelle, qui regroupe les ministères concernés et les partenaires sociaux, dont la CGC, a formulé des propositions propres à faire progresser l'égalité professionnelle.

Une réflexion sur la diversification du temps de travail, les itinéraires professionnels et l'égalité professionnelle a ainsi été menée ; celle-ci se situe autour des garanties à mettre en place par rapport à un accompagnement de la flexibilité du temps de travail. Or, cette réflexion a bien souligné que si l'on veut avancer vers des solutions à même d'accompagner le changement, il convient d'adopter une vision globalisante des problèmes.

Le contexte actuel de crise est bien là pour nous signifier que beaucoup d'enjeux sont imbriqués et interdépendants : le partage du travail, le partage du temps entre activités rémunérées et activités non rémunérées, l'égalité des chances entre les femmes et les hommes.

Ainsi, tout en reconnaissant comme spécifique la question de l'emploi des femmes qui subissent encore de trop nombreuses discriminations dans la sphère de travail du fait de leur rôle effectif ou attendu dans la sphère familiale et domestique, il importe aussi de promouvoir davantage de mixité dans les pratiques de temps partiel choisi tant pour les hommes que pour les femmes et ce, à tous les niveaux de responsabilité, afin de banaliser ces pratiques dans l'entreprise.

Sans sous-estimer la réalité des divers constats qui ont été faits sur les risques du temps partiel (en particulier les risques de précarisation du statut et de déqualification qui pénalisent surtout les femmes), mais afin de répondre à la réelle demande sociale qui existe en faveur d'une meilleure articulation des temps professionnels, familiaux et personnels (et qui n'est pas uniquement le fait des femmes), le groupe de travail du Conseil Supérieur de l'Égalité Professionnelle a dressé la liste des conditions à retenir dans les négociations partenariales au sein des différentes entreprises pour ne plus rendre pénalisant le choix d'un travail à temps partiel notamment en terme d'itinéraires professionnels.

Ces critères débattus concernent entre autres :

* L'évolution de carrière

Le salarié à temps partiel doit pouvoir bénéficier des mêmes dispositions en matière d'évolution de carrière (avancements, promotions, changements de niveau de qualification) que le salarié travaillant à temps plein.

* La formation

Le bénéfice de la formation professionnelle doit pouvoir être acquis dans les mêmes conditions pour les salariés travaillant à temps plein que pour les salariés travaillant à temps partiel.

Ces critères en vue de la promotion d'un temps partiel non pénalisant sont des pistes qu'il faut, bien évidemment, encore affiner et concrétiser.

Ils seront développés aux côtés de la question des inégalités de rémunération entre hommes et femmes dans un guide du négociateur qui doit être prochainement réalisé par le Service des Droits des Femmes et le Ministère du Travail en liaison avec les partenaires sociaux. Ce guide pourra être utilisé tant dans les négociations salariales que dans les négociations relatives aux classifications ou à l'aménagement du temps de travail.

Un autre axe d'investigation concerne l'extension du champ des congés pour événements familiaux. Cet axe est actuellement traité dans le cadre de la Conférence de la Famille qui doit rendre son rapport à la fin de l'année. D'ores et déjà, à la demande du Conseil Supérieur de l'Égalité Professionnelle, doit être mise en place une étude sur le développement du compte épargne temps (mise en place et usage par les salariés). Une évaluation de ce dispositif récent devrait permettre de mieux connaître les pratiques et de savoir si ce dispositif constitue un enjeu important au regard de l'aménagement du temps de travail dans l'entreprise. Et si oui, comment l'encourager pour qu'il puisse être utile aux salariés.

La difficulté des cadres à accéder à des possibilités d'aménagement de leur temps de travail doit être dépassée. Un certain nombre de freins sont culturels ; d'autres, plus techniques, demandent que soient imaginés des changements organisationnels.

Voilà, succinctement, ce que je tenais à vous dire sur l'état de nos réflexions en France.

Nous avons là un vaste champ d'investigation où les partenaires sociaux et tout particulièrement les cadres doivent apporter leur force de proposition.

C'est donc dans ce sens que j'attends avec impatience les résultats de votre étude sur les femmes cadres qui éclairera efficacement notre réflexion commune.

Je vous remercie.