Interviews de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à France Inter le 3 mars 1998, dans "Ouest France" le 9, à TF1 le 10, à RTL et dans "L'Evénement du jeudi" le 12, sur la campagne des élections régionales de 1998.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France Inter - L'évènement du jeudi - Ouest France - RTL - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

L'évènement du jeudi le 12 mars 1998

L'Evènement du jeudi : François Léotard, votre ancien associé au Parti républicain, candidat à la présidence de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, pointait récemment que ni vous ni François Bayrou, de Force démocrate, n’aviez mouillé votre chemise pour ces élections régionales. Ce scrutin vous intéresse-t-il si peu ?

Alain Madelin : Il est vrai que, à la différence de François Léotard, je ne suis pas candidat dans ma région de Bretagne. J’ai été sollicité, mais j’estime qu’être président du conseil régional est une fonction à quasi temps plein, que je ne peux assumer compte tenu de mes activités. Cela étant, je participe entièrement au débat, même s’il est vrai que nous n’avons pas réussi à intéresser les Français à ce qui aurait pu être l’enjeu de ces régionales : une réelle redistribution des pouvoirs et des moyens dans une démocratie rénovée.

L'Evènement du jeudi : Des élections pour rien ?

Alain Madelin : Non, mais des élections à côté de cet enjeu. Un enjeu qui aurait dû être posé et accompagné d’une modification de scrutin instaurant une circonscription régionale et non plus départementale, ce qui aurait permis de dégager clairement une équipe régionale, un enjeu régional et un leader qui incarne cet enjeu.

L'Evènement du jeudi : Ne dites-vous pas cela parce que le mode de scrutin - proportionnel - favorise en l’occurrence la gauche ?

Alain Madelin : Non. Mais il est clair que le scrutin actuel défavorise considérablement l’opposition, dans la mesure où nous nous battons sur deux fronts : d’un côté, l’union des gauches, et, de l’autre, le Front national. Si nous étions les alliés du FN, comme la gauche le susurre parfois, celle-ci n’aurait aucune chance d’emporter une seule région ! En refusant toute alliance, nous savons que nous allons vers une défaite programmée dans un certain nombre de régions. Ce qui prouve d’ailleurs au passage que, dans cette élection encore, le FN est le meilleur allié des socialistes.

L'Evènement du jeudi : Pouvez-vous nous assurer qu’il n’y aura pas d’accord entre des élus UDF et le Front national ?

Alain Madelin : Assez de suspicion : Ce sont les socialistes qui bénéficient de l’existence du FN. Faut-il rappeler que, si aux dernières législatives il n’y avait pas eu de candidat du FN au deuxième tour dans 47 circonscriptions, M. Jospin ne serait pas Premier ministre aujourd’hui. Ensuite, je répète ce que j’ai dit maintes fois : il n’y a pas et in n’y aura pas d’accord, ni sur la table ni sous la table, avec le FN. À l’évidence, si quelqu’un voulait enfreindre cette règle et tenter une alliance avec le FN, la majorité de nos élus ne s’y prêterait pas, et il perdrait sûrement d’un côté ce qu’il pourrait espérer gagner de l’autre. Tout le monde comprend que, si notre intérêt est de faire maigrir le FN, ce n’est pas celui des socialistes.

L'Evènement du jeudi : Vous avez été militant d’extrême droit dans les années 70, membre du mouvement Occident, sans avoir jamais publiquement soldé votre passé. Cela ne vous chagrine-t-il pas qu’on puisse encore insinuer à votre propos : « Facho d’un jour, facho toujours » ?

Alain Madelin : J’ai été, adolescent et étudiant, un militant anticommuniste convaincu, passionné, au-delà de ce qui, avec le recul du temps, peut apparaître comme raisonnable. Mais ce fut dans un contexte particulier, et très sincèrement, je ne suis pas certain de m’être trompé sur le Cambodge ou sur l’Union soviétique. Que cela m’ait conduit à des excès, c’est évident. Sur le fond, cependant, je préfère avoir eu l’engagement, même passionnel, que j’ai eu à cette époque contre ce qui était le totalitarisme d’alors plutôt que d’avoir suivi tranquillement des petites études à Sciences-Po avec comme seule ambition d’entrer dans un cabinet ministériel !

L'Evènement du jeudi : Par vos anciennes affinités avec l’extrême droite, n’êtes-vous pas aujourd’hui le mieux placé ou le plus disposé à cannibaliser le courant politique qu’incarne le FN ?

Alain Madelin : Si j’en crois le courrier d’injures que je reçois ou les articles dans la presse du Front national, les libéraux que nous sommes sont bien les ennemis de celui-ci. Le Front national combat les libéraux, et les valeurs des libéraux ne sont pas celles du Front national. Lorsque, par exemple, les leaders du FN défendent des thèses xénophobes et protectionnistes, ils sont à l’opposé des idées libérales.

L'Evènement du jeudi : Le Front national est aussi pour la suppression de l’impôt sur le revenu, contre les syndicats…

Alain Madelin : je ne considère pas la suppression des impôts directs au profit des impôts indirects comme une idée libérale. Le fait d’avoir un comportement antisyndical n’est pas à mes yeux une preuve de libéralisme. Je rappelle que ce sont les libéraux qui sont les auteurs de l’idée même des syndicats, institués en 1884.

L'Evènement du jeudi : En bon libéral, vous devriez être partisan d’une ouverture totale des frontières, aux hommes comme aux marchandises. Or ce n’est pas votre ligne.

Alain Madelin : Plus un pays est libéral, plus il a une dynamique de création de richesses et d’emplois, et plus il peut être ouvert à l’immigration. Moins un pays est libéral, plus il doit être fermé. La France a longtemps été un pays ouvert à une immigration du travail. Celle-ci enrichissait notre pays, s’intégrait plus facilement. Car le meilleur moteur de l’intégration, c’est encore le travail. Puis, à partir des années 70, nous avons eu une immigration qui, pour une part de plus en plus grande, n’était pas une immigration du travail mais une immigration de regroupement familial ou d’ayants droit sociaux. Et ce dans un pays où s’aggravait le chômage et où les systèmes sociaux entraient en crise. J’ai toujours soutenu, contrairement à certaines thèses, que l’immigration n’était pas en soi la cause du chômage, mais que le chômage français aggravait nos problèmes d’immigration. Voilà pourquoi, dans les conditions actuelles où l’intégration par l’économie et le travail ne marche plus, il nous faut prendre des mesures de limitation des flux.

L'Evènement du jeudi : Vous justifiez ainsi vos propos fermes en matière d’immigration… N’est-ce pas un procédé un peu trop habile ?

Alain Madelin : Non. Je suis convaincu que libérer les forces de la création d’emplois, dans notre pays est le meilleur remède à toutes les attitudes frileuses et protectionnistes. Pour moi, le travail est par nature illimité. Il n’y a que des freins à la création d’emplois. D’autres considèrent, à l’inverse, que nous allons vers un monde qui offrira de moins en moins d’emplois et que la seule solution réside dans le partage de la pénurie du travail. De ce point de vue-là, il n’y a pas de différence de nature entre ceux qui proposent, comme les socialistes, de partager autoritairement le travail, avec les 35 heures ou les 32 heures, et le RN, qui propose partager le travail entre Français.

L'Evènement du jeudi : Si l’on écoute le Front national, l’islam est un obstacle à l’intégration en France d’une population d’origine musulmane. C’est aussi votre avis ?

Alain Madelin : Non. Dans la société française coexistent, par exemple, des cultures d’origine occitane ou celtique avec des traditions juives venues d’Afrique du Nord ou d’Europe de l’Est. Je suis favorable à une certaine forme de multiculturalisme, dans les limites du respect par toutes les communautés de notre règlement de copropriété que sont les Droits de l’homme. Il ne me paraît pas bon de couper les individus de leurs racines. Le problème des gamins pauvres de nos banlieues grises, c’est justement de n’avoir plus aucune racine. Ils sont victimes d’une déstructuration sociale. C’est elle qui explique la forte délinquance de la population d’origine maghrébine. Et non la culture maghrébine en soi. Il y a des pays musulmans où l’insécurité est moins forte que chez nous, vous savez ! J’aimerais que l’on évite de s’enfermer dans un langage pseudo-républicain qui consiste à dire : « Assimilez-vous ou partez ! » Les choses sont beaucoup plus complexes.

L'Evènement du jeudi : Le libéral que vous êtes est-il totalement comblé à droite ?

Alain Madelin : Je n’entends pas m’enfermer ni enfermer les idées libérales à droite. Il peut exister une gauche libérale, comme il peut exister une droite étatiste, dirigiste, égoïste, voir xénophobe, qui n’a rien à voir avec le libéralisme.

L'Evènement du jeudi : Avez-vous l’espoir de rallier à certaines de vos idées une partie des socialistes ?

Alain Madelin : Si j’étais plus jeune, j’essaierais sans doute aujourd’hui de construire un libéralisme de gauche ! Il y a quelques années, j’avais commencé à écrire ce que pourrait être un programme libéral pour reconstruire la gauche. J’opérais le retour aux sources de la pensée socialiste, vers une pensée libérale de gauche avant qu’elle soit contaminée par le marxisme. J’en ai discuté avec Michel Rocard : « Vous auriez tout entre les mains pour faire une gauche libérale », lui ai-je dit. Il m’a répondu : « J’ai échoué. » Je regrette profondément qu’il n’y ait pas eu cette évolution de la gauche. Lorsque la gauche a abandonné le marxisme, elle a renoué avec les vieilles lunes sociales-démocrates. Elle en est là à présent.

L'Evènement du jeudi : Le libéralisme de gauche est donc désormais une idée sans lendemain ?

Alain Madelin : Non, il existe bien un espace libéral entre la vieille gauche et la veille droite. À l’intérieur de la gauche, un clivage de fond oppose ceux qui croient à la souveraineté de l’État et ceux qui croient à la souveraineté de la personne. Il existe un socialisme libéral qui part de la souveraineté de la personne sur elle-même, dans la lignée de Proudhon ou de l’autogestion. C’est la grande idée moderne, une idée libérale qui dépasse la gauche et la droite, que l’on retrouvera, j’en suis convaincu, au cœur du nouveau siècle qui se dessine aujourd’hui.

L'Evènement du jeudi : Êtes-vous, alors, d’accord avec François d’Aubert, membre de votre parti, lorsqu’il dit que Lionel Jospin est « inblairisable » ?

Alain Madelin : Je crains que François d’Aubert n’ait raison, même si je pense que le nouveau travaillisme britannique fait beaucoup de bien au Parti socialiste. Son exemple peut être un facteur d’accélération de l’évolution du PS. Les socialistes peuvent instiller des réformes libérales à doses homéopathiques. Mais, à un moment donné, l’homéopathie ne marche plus.
L'Evènement du jeudi : De votre côté, à vouloir implanter la pensée libérale au cœur de la droite, ne risquez-vous pas d’échouer comme Rocard a échoué, dites-vous, à gauche ?

Alain Madelin : J’observe que les idées libérales ne cessent depuis des années de gagner du terrain au sein de l’opposition, comme en témoigne l’évolution du RPR. Je me sens plutôt en situation d’entraîneur.

L'Evènement du jeudi : Le RPR ne vous a pas toujours suivi… depuis 1993. Vous êtes-vous remis de l’abandon par Jacques Chirac de son discours sur la fracture sociale ?

Alain Madelin : L’histoire de France nous montre que nous ne savons pas opérer les transformations sociales en virant de bord tranquillement et qu’il nous faut des périodes de sursaut. Je regrette, bien sûr, que les lendemains de l’élection présidentielle n’aient pas été mis à profit pour entreprendre le grand sursaut de transformation sociale que j’espérais et que, je crois, le pays attend.

L'Evènement du jeudi : Dominique Strauss-Kahn disant récemment : « On a fait des erreurs majeurs dans les années 80 et au début des années 90, des erreurs monétaires ». Vous êtes d’accord avec ce constat ?

Alain Madelin : Dominique Strauss-Kahn a raison sur ce dernier point. On ne dira jamais assez le poids des erreurs monétaires des années 1992 et 1993. C’était une folie de rester accroché au mark !

« Les partis politiques ? Des syndicats de défense d’élus sortants »

L'Evènement du jeudi : Edouard Balladur a hésité à dévaluer. Vous étiez ministre des PME à l’époque. Mais vous n’avez pas réussi à le convaincre. C’est exact ?

Alain Madelin : Oui, malheureusement la décision n’est pas tombée du bon côté. Souvenez-nous : en 1992, tous les bons instituts de conjoncture donnaient 2,5 % de croissance sur 1993. À cette époque, j’avais - à contre-courant - essayé d’attirer l’attention sur les risques de récession et d’étouffement de notre économie en raison des taux d’intérêt réels français trop élevés, qui nous étaient imposés compte tenu du lien franc-mark au sein du système monétaire européen. J’ai même suggéré à Édouard Balladur - la Banque de France n’était pas encore indépendante - que l’on baisse nos taux d’intérêt en élargissant nos marges de fluctuation. J’avais ajouté que, « faute d’élargir nos marges de fluctuation à froid, cela risquait de nous être imposé à chaud ». C’est ce qui s’est passé en août 1993. Nous avons commis collectivement une grave erreur économique, que nous avons payée par la récession et par la fuite en avant dans l’endettement. C’est ce boulet de la dette publique que nous n’avons pas fini de tirer et qui, par la suite, a réduit les marges de manœuvre pour des politiques plus audacieuses.

L'Evènement du jeudi : Et qui explique l’échec du gouvernement d’Alain Juppé, auquel vous avez furtivement appartenu, à Bercy ?

Alain Madelin : C’est une contrainte qui a assurément pesé sur le gouvernement du moment. C’est pourquoi la politique d’assainissement financier menée par Alain Juppé - et que j’avais moi-même engagée à Bercy - devait nécessairement être complétée à mes yeux par une politique délibération des énergies et des forces vives du pays. C’est ce programme que j’aurais souhaité voir engagé. Je l’avais d’ailleurs résumé dans un document sur les « Cent jours » du septennat de Jacques Chirac. Je pense que les Français étaient prêts à des réformes audacieuses. Mais cela ne correspondait ni à la volonté ni sans doute à l’imagination du Premier ministre d’alors. Peut-être estimait-il que les conditions n’étaient pas réunies pour les mettre en œuvre. L’histoire de ce ratage reste à écrire. Peut-être le ferai-je un jour.

L'Evènement du jeudi : Au-delà de ses débats d’idées, la droit n’est-elle pas plombée par des structures partisanes qui ne reflètent plus ses clivages ?

Alain Madelin : Je constate que tous les partis politiques sont menacés de « blondelisation » : ils ne sont plus que des syndicats de défense d’élus sortants ! Mais j’essaie de travailler, à ma façon, au renouvellement de la pensée et de la pratique politiques dans notre pays. Je l’ai fait et continue de le faire avec Idées-Action. Idées-Action, c’est l’union la plus large de sensibilité très diverses - pas seulement de l’opposition -, mais aussi une ouverture sur la société civile, privilégiant évidemment le débat. C’est aussi le combat que je mène à la tête de Démocratie libérale.

OUEST FRANCE le lundi 9 mars 1998

Jean-Yves BOULIC : L’enjeu de ces régionales et cantonales est-il de tester la santé politique de la droite et de la gauche ?

Alain Madelin : Pas du tout. Je veux bien croire que, dans certaines régions comme l’Île-de-France ou Provence-Alpes-Côte d’Azur, il existe un enjeu politique national, mais laissons aux élections régionales leur caractère régional. Je suis un régionaliste convaincu. Je crois que la maladie française par excellence c’est celle d’un État trop centralisé, trop lourd, trop coûteux, et que l’enjeu des prochaines années est celui de la redistribution des pouvoirs et des ressources. Il est d’ailleurs dommage que majorité et opposition n’aient pas profité de ces élections pour redéfinir les compétences et les ressources des collectivités locales.

Jean-Yves BOULIC : Tout le monde fait mine aujourd’hui de regretter la multitude des échelons politico-administratifs, et pourtant rien ne change…

Alain Madelin : Quand j’ai rencontré le Premier ministre, je lui ai demandé s’il avait l’intention de faire une nouvelle avancée en matière de décentralisation. Il m’a répondu que non. Dans un programme libéral en revanche c’est une priorité. La culture, la formation professionnelle, le social, l’université, le développement économique, la politique de l’emploi et de l’insertion, la sécurité, tout ceci se résout mieux aujourd’hui au niveau local qu’au niveau national. Il faut mettre fin à cette bureaucratie croisée, à ces contrats de plan État-Régions qui n’aboutissent qu’à diluer les responsabilités. La bonne solution c’est la liberté contractuelle des régions. Pourquoi ne pas imaginer qu’en Bretagne une partie de ce qui est fait actuellement par les départements soit transférée à la région (en matière économique par exemple) et une autre partie transférée aux communautés de communes (l’action sociale par exemple) ? Pourquoi ne pas imaginer dans une région comme l’Alsace que les deux départements fusionnent avec la région dans une sorte de transfert librement accepté ?

Jean-Yves BOULIC : Aller plus loin dans la décentralisation, cela veut dire quoi, concrètement ?

Alain Madelin : Cela veut dire donner des responsabilités claires à chaque niveau de collectivité locale, avec les ressources fiscales clairement affectées à l’exercice de cette responsabilité. S’agissant des régions, il me semble qu’elles devraient avoir davantage de pouvoirs, si je m’en réfère à ce qui marche en Europe, notamment en matière d’enseignement supérieur. Le ministère de la Culture devrait être très largement décentralisé. L’environnement, le développement économique et l’emploi sont des domaines où, partout en Europe, une gestion de proximité se révèle plus efficace. Les collectivités locales sont de surcroît des lieux privilégies d’expérimentation. Dans une société complexe, les solutions ne se parachutent pas depuis le sommet vers la base, mais se découvrent, par l’expérimentation, dans un processus d’essais et d’erreurs. J’ajoute que ces libertés et ces responsabilités nouvelles des collectivités locales doivent s’accompagner de contre-pouvoirs et de règles strictes sur le non-cumul des mandats et surtout des fonctions exécutives.

Jean-Yves BOULIC : Sur le non-cumul justement jusqu’où voudriez-vous aller ?

Alain Madelin : Il faut avoir une seule fonction exécutive pour pouvoir l’exercer à plein temps. Si vous en avez deux, vous les exercez mal ou vous laissez proliférer la bureaucratie. Pour le reste, les choses étant ce qu’elles sont, le président d’un conseil régional ou général, le maire d’une grande ville ont besoin d’être entendus par les bureaux parisiens. C’est regrettable mais, dans ce contexte, posséder un mandat parlementaire national est un atout pour mieux assumer sa fonction locale. De plus, j’en fais l’expérience moi-même, l’enracinement dans une ville de 10 000 habitants est une précieuse leçon, un complément très utile de mon mandat de député. J’ai renoncé à mon mandat régional pour mieux me consacrer à mes autres fonctions. Et je trouverais d’ailleurs normal qu’il n’y ait pas cumul des indemnités

Jean-Yves BOULIC : À l’occasion du départ du président de région, n’aurait-il pas été possible et… démocratique de rebattre les cartes au sein du RPR et de l’UDF ?

Alain Madelin : Dans ces élections régionales où l’opposition nationale détient vingt régions sur vingt-deux - dont dix pour la seule UDF -, la tendance naturelle a été, pour des équipes sortantes qui ont fait du bon travail, de maintenir les équilibres politiques. C’est dans ce contexte que Josselin de Rohan a été pressenti pour la Bretagne, même s’il est évident que d’autres personnalités pouvaient légitimement prétendre conduire le dessin de notre région. L’union a prévalu et je m’en réjouis, tout en regrettant la constitution de listes dissidentes.

France Inter le mardi 3 mars 1998

Stéphane Paoli : En studio, A. Madelin, président de Démocratie libérale et député-maire de Redon en Ille-et-Vilaine. À quoi attribuez-vous ce désintérêt des Français pour ces régionales ?

Alain Madelin : « Je ne suis pas certain qu'il y ait toujours eu un immense intérêt pour les élections locales et régionales. Sans doute il faut encore quelque temps pour que les gens comprennent l'importance de la région. Peut-être y a-t-il aussi, mais cela, c'est un regret que j'exprime, le fait que nous ayons été trop timides en matière de régionalisation. Et si nous avions, comme je le souhaite depuis longtemps, un scrutin régional avec une circonscription régionale, avec une équipe régionale, avec un leader régional, avec un programme régional, une véritable ambition pour la région, peut-être aurait-on pu mieux matérialiser les enjeux pour les Français. Cela étant, ces élections ont lieu ; il appartient à chacune et à chacun de dire... C'est une élection à un seul tour... »

Stéphane Paoli : Ce sera un test national ?

Alain Madelin : « Non. Pour moi, les élections régionales sont avant tout des élections régionales, je dis cela depuis longtemps. Ce n'est pas aujourd'hui l'examen de passage du Gouvernement. »

Stéphane Paoli : Il n'y aura pas un effet de bilan ?

Alain Madelin : « Je ne crois pas ; d'abord, parce que le bilan du Gouvernement aujourd'hui, en quelque sorte, c'est l'héritage du précédent gouvernement. Donc, nous ne pouvons pas encore juger le Gouvernement sur ce qu'il a réellement engagé. Donc, ce sera le bilan des équipes sortantes dans les régions. Est-ce que votre région a fait un bon travail ? A-t-elle préparé l'avenir ? Est-ce que son projet et son équipe vous paraissent à la hauteur de l'ambition que vous pouvez légitimement former pour votre région ? Ce qu’il faut dire, c'est que les régions sont un lieu formidable d'initiatives, d'expérimentations, d'investissements. Prenons juste un sujet : l'emploi... »

Stéphane Paoli : Pardon, mais c'est un lieu privilégié pour l'emploi, justement, par la présence du tissu industriel ?

Alain Madelin : « Prenez l'exemple de l'emploi : l’emploi, aujourd’hui, nous le sentons bien, ne dépend plus des grandes entreprises industrielles, mais d'un tissu de petites et de moyennes entreprises – d'entreprises individuelles, d'artisans. Or ce tissu, on peut le mailler plus ou moins fortement. Et les régions ont un rôle important à jouer, je le vois dans la mienne, en Bretagne ; je vois tous les, efforts qui ont été faits par le Conseil régional pour favoriser ce développement, et donc de tissu, de moyennes et petites entreprises et donc l'emploi. »

Stéphane Paoli : Mais il y a eu une vraie décentralisation en France ou pas ? Y a-t-il aujourd'hui…

Alain Madelin : « Non, non, non. Nous sommes largement en-dessous de ce qu'il faudrait, largement en retard par rapport à tous nos partenaires. Et tout le monde sent bien qu'aujourd'hui, la démocratie française est à reconstruire, parce que la maladie française, la maladie politique - qui explique, à mon avis, l'essentiel de nos difficultés -, c'est la centralisation. La congestion au centre, la paralysie aux extrémités. Eh bien cette centralisation française - qui est un État plus lourd, plus coûteux, plus centralisé que les autres -, il faudra bien un jour reconstruire la démocratie. Si l'on veut reconstruire la démocratie, c'est à mes yeux à partir des collectivités locales, et notamment à partir des régions. Celles-ci devraient avoir un pouvoir d'initiative beaucoup plus grand. La culture, c'est une affaire régionale ; l'éducation, l'enseignement supérieur, c'est une affaire régionale ; les politiques de l'emploi, c'est une affaire régionale. Donc beaucoup trop de choses se décident à Paris et pas encore assez de choses au niveau régional. Un jour ou l'autre, il faudra bien redistribuer les pouvoirs et redistribuer l'argent. Car si on ne fait que redistribuer les pouvoirs en gardant l'argent concentré à Paris, on n'a pas rendu service à la décentralisation. Aujourd'hui, il y a encore un maquis beaucoup trop grand de pouvoirs, de relations financières, de responsabilités entre différents étages. La clarification reste à faire. C'est dommage, parce que notez que ça aurait pu être un beau débat à l'occasion de ces élections régionales. »

Stéphane Paoli : Quel paradoxe tout de même Quand on sait à quel point les Français mettent vraiment tous leurs soucis et tous les espoirs dans l’emploi ; quand on voit, à vous écouter, à quel point justement, régionalement, l'emploi est un champ de réflexion extraordinaire ; et cette indifférence par rapport à cela !

Alain Madelin : « C'est un enjeu sur l'emploi, parce que, au fond, vous avez : est-ce que vous voulez relancer l'emploi - j'allais dire - à coups d'emplois publics ? Comme le fait plus ou moins le Gouvernement ; l'autoritarisme réglementaire - les 35 heures, les semi-emplois publics, les emplois-jeunes ; ou en développant l'initiative locale et notamment l'initiative des PME. Dans un cas, vous avez les politiques défendues au niveau régional aujourd'hui par l'opposition en charge d'une majeure partie des régions et dans l'autre cas, vous avez la politique socialiste. C'est quand même un choix politique. »

Stéphane Paoli : La politique socialiste bénéficie quand même de la reprise de la croissance. Vous dites quoi : continuité ? Vous dites : ils ont plus de chance que nous ?

Alain Madelin : « Moi je suis un jardinier ; et je sais qu'avant de récolter, il faut labourer, et il faut semer. Le Gouvernement récolte, mais ce n'est pas lui qui a labouré, et ce n'est pas lui qui a semé. Que récolte-t-il ? Il récolte quelques indicateurs favorables à la croissance ; mais la croissance, c'est le résultat de ce qui a été fait douze mois ou dix-huit mois plus tôt. Et ce qui a été fait effectivement au cours des dernières années, ce n'était pas facile, c'est un effort d'assainissement financier sans précédent, qui a permis de nous guérir des déséquilibres financiers qui touchaient la croissance depuis le début des années 1990. Les taux d'intérêt ont baissé, ce qui donne un peu d'oxygène à l'économie ; le dollar s'est réévalué ; et nous avons une croissance qui a été essentiellement tirée, n'en déplaise à M. Jospin, par les exportations - c'est-à-dire par les locomotives que sont par exemple les États-Unis ou l'Angleterre. C'est une croissance qui ne doit rien aux mesures engagées par les socialistes. »

Stéphane Paoli : Dites-vous, comme certain experts, que c'est une croissance qui peut être durable ?

Alain Madelin : « Elle pourrait l'être mais je crains que ce qui est cette fois-ci directement imputable au Gouvernement comme ces mesures - comme par exemple les emploi-jeunes, des emplois publics, ou les  35 heures autoritaires pour toutes les entreprises - soient de nature à casser la confiance et donc à casser la croissance. Le rendez-vous, si vous voulez, ce sera au début de l'année prochaine ou la fin de cette année où nous pourrons juger réellement le Gouvernement sur ce qu'il a fait et non sur ce qu'ont fait ses prédécesseurs. »

Stéphane Paoli : Mais quand vous entendez comme l'autre soir M. Jospin dire : attention il faut être très prudent, la croissance n'est pas gravée dans le marbre et il faut privilégier plutôt l'emploi, le travail, que les aides. Que répondez-vous ?

Alain Madelin : « J'applaudis des deux mains. Bien évidemment la croissance est fragile et compte tenu des mesures qui ont été prises par le Gouvernement, je crains qu'elle ne soit pas vraiment pas au rendez-vous à la fin de cette année. Deuxièmement, que bien évidemment nous avons besoin de réformer notre État-providence. Il est insoutenable financièrement : on commence à s'en apercevoir. Et en plus il est insoutenable moralement. On ne peut pas ainsi laisser des centaines de milliers de familles enfermées dans l'assistance et la pauvreté dans laquelle on n'a plus aucun espoir de sortir, de laquelle on ne peut pas sortir. Il est évident qu'il faut qu'aujourd'hui, chaque fois qu'on le peut transformer les revenus d'assistance en revenus d'activité. C'est ce que je dis depuis longtemps, c'est ce que le Gouvernement commence à dire. Malheureusement il ne le fait pas ! Je vais prendre un exemple : nous avons dans les collectivités locales la possibilité de donner des revenus d’activités à partir d’un certain nombre d'emplois d'utilité collective, la sécurité à la sortie d'une école, la bibliothèque, la défense de l'environnement etc. Ces petits emplois publics ou parapublics existent dans les municipalités. Il fallait les réserver justement en complément de revenus, en revenus d'activité à celles et ceux qui sont aujourd'hui enfermés dans la pauvreté et non pas les offrir comme véritable espoir de véritables emplois à des jeunes et à des jeunes qui, au surplus, sont des jeunes diplômés. En quelque sorte M. Aubry a gâché par avance les quelques munitions que nous pouvions avoir pour remettre des gens qui sont aujourd’hui enfermés dans l’assistance en activité. »

TF1 le 10 mars 1998

Patrick Poivre d’Arvor : On sent pour l’instant la droite un petit peu sonnée, et on a le sentiment que cette échéance arrive un peu tôt pour pouvoir juger ou éventuellement sanctionner le gouvernement Jospin ?

Alain Madelin : « Je pense que cette élection aura, bien sûr, une importance nationale, mais que l'enjeu n'est pas national et, quel que soit le résultat des élections, le 23 mars au matin Monsieur Jospin sera toujours Premier ministre. À l'heure actuelle, je crois que cette élection n'arrive pas au bon moment. Ce n'est pas l'examen de passage du gouvernement socialiste qui vit, en quelque sorte, à crédit sur quelques bons indices de croissance obtenus en raison du dynamisme international, de la rigueur et de la gestion passées. Donc il faudra attendre un petit peu pour juger les socialistes sur les 35 heures, sur les emplois Aubry, sur la loi sur l'immigration. Ce ne sera sans doute pas le cas dimanche si, de réunion en réunion, depuis déjà plusieurs mois je dis, je pense et je répète que les socialistes préparent bien mal l'avenir de la France et l'avenir de nos enfants. »

Patrick Poivre d’Arvor : Quand on dit que l'enjeu est plutôt local ou régional ça veut dire qu'on s'attend plutôt à de mauvais résultats nationaux ?

Alain Madelin : « Non, je crois que l'enjeu aux régionales est très important en revanche, parce que l'opposition aujourd'hui gère 20 régions sur 22. C'est beaucoup. Les socialistes gèrent une région, une seule, le Limousin. C’est peu mais c'est édifiant. Et il faut que tout le, monde sache que le Limousin socialiste c'est le record des impôts par habitant, c'est le record des bureaucratiques, administratives, et c'est le record des indemnités et des frais de mission pour les élus. Au regard  de cela, vous avez la gestion de 20 régions sortantes ; je crois, une bonne gestion, prudente, très innovante. Région par région il y a des gens qui ont fait des choses formidables : J.-C. Gaudin avec les nouvelles technologies ; V. Giscard d'Estaing pour l'innovation dans les entreprises ; J.-P. Raffarin pour la création d'entreprise ; C. Millon pour l'université. Bref, il y a eu, je crois, une bonne gestion, et il faudra comparer la gestion socialiste et la gestion des majorités sortantes. Mais il y a un deuxième enjeu. Vous avez remarqué, depuis quelques jours, les dirigeants socialistes qui disent : nous voulons faire des régions les relais du Gouvernement. Il n'y a pas seulement un enjeu de gestion, il y a aussi là un enjeu démocratique, parce que les socialistes savent que ces régions ont été bien gérées et qu’on peut un peu plus les endetter, augmenter éventuellement la pression fiscale, et que les régions peuvent être les vaches à lait des promesses socialistes que ceux-ci ne réussissent pas à financer au plan national. Et je crois vraiment que faire des régions françaises les rouages de la politique du Gouvernement c'est une autre conception de la démocratie. En tous cas, ce n'est pas la mienne. »

Patrick Poivre d’Arvor : Vous venez de nous rappeler qu'il y a 20 régions actuellement gérées par la droite UDF-RPR. À combien de régions, de présidences de région perdues vous estimerez qu'il y a échec, déroute ou bonne résistance ?

Alain Madelin : « On se retrouvera dimanche soir : je regarderai le nombre de voix, je regarderai le nombre de régions bien sûr, mais je pense que ces derniers jours sont importants pour essayer de bien faire peser sur les esprits des électeurs l'enjeu régional : quel type de gestion voulez-vous et quel type de région et de démocratie voulez-vous ? C'est ce que j'ai essayé de faire, il y a un instant, de façon à obtenir le meilleur score possible dimanche soir. »

Patrick Poivre d’Arvor : Peut-on perdre dimanche soir et gagner finalement vendredi à la suite de tractations pour les présidences de région ?

Alain Madelin : « Je crois que les choses sont claires. En ce qui me concerne j’ai dit : il n’y aura ni compromis, ni alliance, ni accord avec le Front nationale, ni sur la table, si sous la table. Et je crois que celles et ceux qui se risqueraient, s’excluraient en quelque sorte de l’opposition libérale. Mais je n’accepte pas cette sorte d’inquisition socialiste permanente. Des socialistes qui, s’ils sont au gouvernement, c’est parce que le Front national leur a fait la courte échelle dans 47 circonscriptions aux dernières élections législatives ; parce que Monsieur Le Pen disait à l’époque - souvenez-vous - : « Je préfère Monsieur Jospin à Monsieur Chirac. » Eh bien on a Monsieur Jospin. Parce que les socialistes aussi sont les alliés depuis toujours du Parti communiste. Alors je n’entends vraiment pas me remettre  à la remorque des leçons de morale que prétendent nous donner aujourd’hui les socialistes. C’est le choix que je fais en toute indépendance. C’est un choix d’avenir parce que je pense que, sur le fond, nous n’avons pas de raison de nous allier avec le Front national. Beaucoup de choses nous divisent. Surtout, moi, je veux travailler à la rénovation de l’opposition, à ce qu’elle puisse avoir un message imaginatif, entraînant, tonique qui entraîne une majorité de Français. Est-ce que je serais crédible si nous commencions avec une alliance politicienne avec le Front national ? C’est pour toutes ces raisons-là que le choix se pose entre les socialistes et nous, et seulement, entre les deux dimanche prochain. »

RTL le mardi 10 mars 1998

Olivier Mazerolle : Il y a quelque temps, vous disiez que ces élections régionales étaient une affaire locale ou régionale, mais vous ne croyez pas qu’une défaite de la droite pourrait avoir des conséquences sur le plan national ?

Alain Madelin : « Bien évidemment, il y a un enjeu national. Mais l'enjeu national, ce n'est pas l'examen de passage du gouvernement socialiste qui vit plutôt à crédit, sur un acquis de croissance lié à l’assainissement financier, à une reprise internationale. Non. Je crois que les élections régionales ont d'abord un enjeu régional. Dans 20 régions sur 22, vous savez, l'opposition est sortante. Et je crois qu'elle a fait du bon travail. Et les socialistes détiennent une seule région, le Limousin, qui est justement la région qui a le record des impôts par habitant, le record des dépenses administratives, c'est-à-dire la bureaucratie, et le record des indemnités et frais de mission pour les élus. Je crois que c'est édifiant et je crois que c'est cet enjeu régional-là qui est l'enjeu de dimanche. J’ajoute à cela que les socialistes disent depuis quelque temps : nous voulons faire de ces régions les relais de la politique du Gouvernement C'est aberrant, dans aucun pays au monde, on ne dit cela : les régions sont un pouvoir autonome, éventuellement un contre-pouvoir ; mais ce n'est pas un rouage de la politique du Gouvernement. Justement, si les socialistes disent cela, c'est parce qu'ils savent très bien que ces régions ont été bien gérées, qu'elles ont une capacité de financement et d'endettement, et voudraient faire main basse sur le carnet de chèques des régions pour payer les promesses qu’ils ont faites et qu'ils ne peuvent pas payer au niveau du Gouvernement. »

Olivier Mazerolle : Beaucoup, à droite, évoquent une sorte de morosité dans leurs propos ; on entend même dire, chez certains élus de droite : après tout, s'il y avait une bonne défaite, cela accélérerait la reconstruction.

Alain Madelin : « Non, pas du tout, parce qu'il y a un véritable enjeu régional. Je suis un régionaliste convaincu, je crois à l'importance de ces pouvoirs dans les provinces françaises, j’aurais même souhaité qu'elles aient encore davantage de pouvoir, qu’il y ait un scrutin au niveau de la région et non pas au niveau des départements - qui permette de dégager vraiment une majorité avec un programme régional, une équipe régionale, une ambition régionale, de façon à ce que les gens prennent bien conscience de cela. Les régions sont encore trop jeunes et trop fragiles, ce qui explique peut-être qu'elles manquent d'intérêt. Mais pour ma part, je me dis que rien n'est joué. Vous savez, 1 ou 2 %, peuvent avoir un effet  considérable sur le nombre de régions gagnées ou perdues. 1 ou 2 %, c'est un électeur sur 100, ou un électeur sur 50, alors c'est pour ça que la dernière ligne droite d'une élection convaincra un électeur sur cent, ou un électeur sur 50, c'est possible, il faut le faire, c’est pour ça que je suis chez vous ce matin, et c'est pour cela que je sillonne la France. »

Olivier Mazerolle : Vous croyez que ce n'est pas fichu alors ?

Alain Madelin : « Non pas du tout. Je me bats jusqu'au bout dans une élection et pour gagner, sans morosité. »

Olivier Mazerolle : Depuis plusieurs semaines, on a vu E. Balladur, P. Séguin qui rament comme des forcenés pour arriver à récupérer des voix et puis à l'UDF, vous, F Léotard, F. Bayrou, vous parlez de la reconstruction à opérer après le scrutin.

Alain Madelin : « Non, non. »

Olivier Mazerolle : Mais si, vous avez annoncé que le 3 avril, il faudra faire quelque chose.

Alain Madelin : « Mais, oui, mais comme tout le monde, parce qu'il faudra, comme tout le monde, tirer les leçons de ce scrutin et poursuivre la reconstruction de l'opposition. Mais pour ma part, je suis en campagne depuis neuf mois. Cela fait neuf mois que, deux fois par semaine, je sillonne la France. »

Olivier Mazerolle : Donc c'est le moment d'accoucher alors.

Alain Madelin : « Et une élection régionale, c'est le moment de parler des élections régionales, mais c'est également le moment de parler de l'avenir de notre pays, avec des gens... »

Olivier Mazerolle : Mais la reconstruction de l'opposition tout de même, vous la voyez comment ?

Alain Madelin : « Écoutez, ce n'est pas le moment d'en parler pour l'instant. »

Olivier Mazerolle : Mais on parle d'un parti unique avec pour référence unique le Président de la République.

Alain Madelin : « Écoutez, si vous voulez que je vous dise quelque chose, c'est qu’il faudra bien évidemment, plus que jamais, reconstruire, repartir sur une nouvelle base, au lendemain de cette élection régionale, et faire des propositions. Il faudra qu'on détermine des choix forts. »

Olivier Mazerolle : Pour se rassembler autour du Président de la République ?

Alain Madelin : « Mais le Président de la République est Président de tous les Français, et je tiens à ce qu’il garde sa mission. Le Président de la République a bien évidemment un rôle et est une référence pour nous, mais je crois que la reconstruction de l'opposition, c'est d'abord l'affaire de l'opposition. Et il faudra faire des choix forts. »

Olivier Mazerolle : Parti unique ?

Alain Madelin : « Plus il y a besoin d’unité, assurément, mais il y a en même temps un fort besoin de diversité. Nous le voyons d’ailleurs, avec la gauche qui réussit à être plurielle. Conjuguer l’unité et la diversité, ce n’est pas facile mais cela sera le défi de l’opposition dans les temps qui viennent. »

Olivier Mazerolle : La gauche est plurielle avec un chef incontesté qui s’appelle L. Jospin, incontesté à gauche, et à droite vous êtes nombreux alors. C’est possible que vous vous rassembliez autour de l’un d’entre vous ?

Alain Madelin : « Le moment venu, nous le ferons nécessairement. Mais le moment aujourd’hui, ce n’est pas… Vous savez, quel que soit le résultat des élections régionales, le 23 mars au matin, M. Jospin sera toujours chef du Gouvernement. Ce n’est donc pas une élection qui a un enjeu national, les Français le sentent bien, mais je crois qu’il nous reste quelque temps devant nous pour achever la reconstruction, le renouveau de l’opposition. Moi, je voudrais que l’opposition réussisse vraiment à avoir un message neuf, entraînant, tonique, déterminant les contours de la société française, à l’horizon du prochain millénaire, avec une véritable assise populaire, et quelque chose qui entraîne les jeunes. Formidable défi qui est devant nous, vous voyez qu’il nous reste du chemin à faire. »

Olivier Mazerolle : Vous parlez souvent du Front national pour dire que vous en avez assez que l’on vous en parle, en disant qu’il n’y aura pas d’alliance avec le Front national, mais vous ne parlez jamais nommément de P. Vasseur qui est tout de même le vice-président de Démocratie libérale, et qui dit : moi je ne refuse aucune voix, y compris du Front national !

Alain Madelin : « J'ai dit et répété qu’il n'y aura pas d'alliance, pas d'accord, pas de compromis avec le Front national. Je dis et je répète aussi que j’en ai assez de ces leçons de morale du Parti socialiste et qu'ils sont au pouvoir grâce au Front national. »

Olivier Mazerolle : Et P Vasseur ?

Alain Madelin : « Mon ami P. Vasseur, qui est vraiment tout à fait remarquable, ajoute pour sa part, qu'il ne récuserait pas le moment venu, la présidence de la région Nord-Pas-de-Calais, les voix du Front national, et il ajoute sans doute par coquetterie, les voix du Part socialiste ou les voix du Parti communiste. Restons donc, si vous le voulez, sur les voix du Front national. Dès lors qu’il n'y a pas de compromis, dès lors qu’il n'y a aucun accord, ce que dit P. Vasseur, entre nous, n’est pas choquant. Mais la question ne se pose même pas, parce que le Front national a répondu à P. Vasseur. Le Front national a dit : nous ne donnerons jamais nos voix gratuitement. Nous voulons qu'il y ait un accord, et il n'y aura pas d'accord. L'affaire est donc close. »

Olivier Mazerolle : Mais pourquoi il continue à en parler ? Il y a quand même une ambiguïté.

Alain Madelin : « Il n'y a aucune ambiguïté et je vous répète que ceux qui pourraient imaginer de faire un accord avec le Front national pour je ne sais trop quel compromis permettant de le faire, élire, ceux-là s'excluront d'eux-mêmes de l'opposition libérale. Les choses sont donc claires. Mais je ne veux pas me focaliser sur le Front national. Et je voudrais peut-être essayer d'expliquer à vos auditeurs que si je dis cela, ce n'est pas parce que je me mets à la remorque du Parti socialiste, et de ces croisades morales que je trouve parfaitement déplacées contre le Front national. Si je dis cela, c'est parce que justement, moi, je veux travailler à la reconstruction de l'opposition. Et faire alliance avec le Front national, ce serait presque, au-delà de tout jugement moral, une solution de facilité : on gagnerait par une petite addition arithmétique. Mais ce n’est pas comme cela qu'on va gagner. On va gagner parce qu'on aura réussi à faire passer un message fort, un message entraînant, quelque chose qui a une véritable assise populaire, qui entraînera les jeunes et qui réussira à entraîner 40, 45, 50 % des Français. C'est cette voie là que je veux proposer à l'opposition, et pas la voie des combines. Si je commençais par la voie des combines, nul doute que je ne serais pas crédible pour entraîner les Français dans cette direction. »

Olivier Mazerolle : Au-delà des régionales ?

Alain Madelin : « Au-delà des régionales, bien sûr. »

Olivier Mazerolle : A. Madelin, la dernière fois que vous étiez venu ici, le matin, on avait parlé des jeunes qui brûlaient des voitures. Vous aviez répondu : oui, bien sûr, il faut s’en occuper, il faut faire aussi de la sanction, mais on ne peut pas ne parler que d'eux, il faut parler de la restauration d'un ordre social respectable, et parler des jeunes qui volent des voitures, mais aussi de ceux qui ont piqué des milliards d'argent public. Alors, le fait que la justice s'intéresse plus précisément en ce moment à M. Le Floch-Prigent, à M. Dumas, à M Haberer, cela vous satisfait ?

Alain Madelin : « Oui, bien sûr. Un ordre social, vous ne pouvez pas le faire respecter en mettant un policier derrière chaque gamin. Vous pouvez le faire respecter parce que les gens ont envie de respecter cet ordre social. Et pour qu'on ait envie de le respecter, il faut qu’il soit respectable. Et il y a certaines scènes de la vie quotidienne qui heurtent, bien évidemment. Le Crédit Lyonnais et ses milliards perdus, envolés - pas perdus pour tout le monde : il faut que la justice passe. L'affaire Dumas, je ne me prononce pas sur les faits et leur qualification juridique, c'est l'affaire de la justice, mais les faits montrent quoi ? Que l'argent coulait à flots dans un certain monde socialiste et qu'on avait pris des habitudes d'un luxe insolent ! Insolent pour le gamin des banlieues, insolent pour les Français qui travaillent dur, et que parfois, derrière les beaux décors et les beaux discours, il y a une toute autre réalité socialiste. »