Texte intégral
Date : Mardi 24 septembre 1996
Source : Europe 1 / Édition du soir
J. Godfrain : Je crois que, sur le fond des choses, les Maliens – depuis le président jusqu’à la population – comprennent les choses. Ils comprennent que l’État de droit ne peut pas être que d’un côté, mais en même temps – je crois qu’ils l’ont exprimé d’ailleurs – ils aimeraient que nous réfléchissions à une autre manière de pouvoir rapatrier chez eux ceux qui ne respectent pas nos lois.
Europe 1 : Ils contestent la forme ?
J. Godfrain : Ils l’admettent dans la mesure où nous n’avons pas d’autres moyens, mais si, à l’avenir, nous pouvons trouver d’autres voies, d’autres moyens pour arriver au même but, je crois qu’ils préféreraient autant. Ceci dit, les liens d’amitié sont très conservés et j’avoue que, ce matin, le président de la République, J. Chirac, a été applaudi lorsque j’ai cité son nom dans mon discours, parce qu’ils savent que la France, aujourd’hui, est à la tête des nations qui veulent aider l’Afrique. Leur problème, c’est de pouvoir compter sur l’épargne de ceux qui travaillent en France de façon régulière, afin que nous les aidions à mettre en œuvre cette épargne, que nous puissions abonder pour un certain nombre de cas, de manière à ce que chacun qui a envie de créer une microentreprise, un agriculteur plus performant, d’être artisan, puisse le faire avec quelque facilité. Et j’avoue qu’ils savent aussi ce que la France a déjà fait dans le passé, sur le fleuve Sénégal, en matière d’énergie, et aujourd’hui, je crois qu’il faut faire beaucoup en matière de désenclavement.
Date : 25 septembre 1996, à Paris
Source : RTL
J.-M. Lefèbvre : Avec M. Xavier Emmanuelli, secrétaire d’État à l’action humanitaire, vous rentrez d’un voyage au Mali. Quelques semaines après l’affaire des sans-papiers, c’était un voyage de « rédemption » ?
Jacques Godfrain : Non. C’était plutôt un voyage de « communion ». Pourquoi ? Parce que nous sommes convenus avec les Maliens que nous étions deux pays amis de longue date, historiquement amis. Deuxièmement, dans leur esprit comme dans le nôtre, le bon moyen de lutter contre les émigrations illégales, contre lesquelles ils sont eux aussi, était de pouvoir assurer un développement local, que les gens soient heureux chez eux, qu’ils puissent se nourrir à leur faim, avoir des activités agricoles, artisanales, comme ils l’entendent. Or, ce pays de Kayes dans lequel nous sommes allés…
J.-M. Lefèbvre : Est la région d’où proviennent la plupart des émigrants.
Jacques Godfrain : Oui, à l’extrême ouest du Mali, à la frontière du Sénégal et la Mauritanie, c’est une région extraordinairement enclavée, où on a beaucoup de mal à évacuer ses productions agricoles. Bref, c’est un pays dont on a presque envie de partir, tellement il est difficile d’y vivre.
Nous avons communié autour de cette idée que la France était prête à accueillir ceux qui respectaient nos lois, qui étaient en situation régulière, et ceux-là ont même droit à notre protection…
J.-M. Lefèbvre : Il y a 100 000 Maliens actuellement, dont 50 000 dit-on, sont en situation…
Jacques Godfrain : Je vous laisse la responsabilité des chiffres. C’est difficile à dire. Mais, nous étions en communion aussi sur l’idée que ceux qui étaient en situation irrégulière ne pouvaient qu’entacher les autres et leur communiquer leur mauvaise réputation. Donc, il s’agissait, pour eux, de pouvoir revenir au Mali, dans de meilleures conditions que celles dans lesquelles ils sont partis depuis quelque temps.
J.-M. Lefèbvre : Vous avez eu droit à des reproches du président Konaré ou d’hommes politiques maliens…
Jacques Godfrain : Très sincèrement, cela n’a pas été des reproches. Cela a été un certain nombre de regrets surtout, de regrets de ce qu’ils avaient vu et aussi de voir que ces hommes, ces femmes, avaient, en quelque sorte, été récupérés par X ou Y de la classe politique française ou du milieu du show business. Je leur ai proposé, en plein accord avec eux, que nous dialoguions directement, que les associations de Maliens, qui sont à Paris, puissent venir nous voir, discuter de la meilleure façon dont nous pourrions les aider à repartir. Nous sommes à la veille de pouvoir trouver des solutions, sans doute nouvelles et plus efficaces que celles qui ont été tentées jusqu’à présent. Dans quelques jours, le 18 octobre, le président Konaré rencontrera le président Chirac, à Paris, et je ne doute pas que de cette rencontre sorte une réflexion nouvelle sur la façon de traiter l’immigration illégale, avec, de la part des États africains, et du Mali notamment, la volonté de faire revenir chez eux ceux qui se conduisent mal chez nous.
J.-M. Lefèbvre : Est-ce que l’idée du développement sur place n’est pas complètement utopique et que vous ne dites pas : « je vais sur place mais je sais bien que c’est irréalisable ». Les récoltes sont très mauvaises, par exemple, cette année ?
Jacques Godfrain : Non, pas tout à fait. Souvenez-vous, il y a quelque dix ou quinze ans, le mont Sahel était sur la bouche de tout le monde et l’on évoquait cette sécheresse qui galopait du nord vers le sud. Voilà le résultat, quinze ans après : le Sahel s’est étendu, il y a eu un déboisement formidable, l’arachide n’est plus cultivée dans cette région-là, en tout cas mal cultivée, donc les ressources agricoles ont beaucoup diminué. Deuxièmement, c’est vrai que ces voyages, au bout du monde pour eux, font partie du rite initiatique. Mais entre le voyage initiatique et la présence, ici, dans des conditions irrégulières, il y a une marge ! C’est à nous de l’évaluer, et sans pour autant interdire complètement l’immigration, dans la mesure où elle respecte nos lois. On peut réfléchir à une formule qui leur permette plus aisément de revenir chez eux dans de bonnes conditions.
Date : 25 septembre 1996
Source : LCI
LCI : Monsieur le ministre, on a quand même entendu des phrases assez dures sur la France, sur l’attitude de la France vis-à-vis des immigrés maliens ?
Jacques Godfrain : On a entendu beaucoup d’autres choses qui ne sont pas dans le reportage et qui étaient la preuve d’une amitié entre la France et le Mali. Je peux en témoigner. Mais ce qu’a dit le président des associations est vrai. Si les Maliens, de cette région de Kayes particulièrement, sortent et partent de leur pays, en France et ailleurs en Afrique – pas loin d’un millier viennent d’être expulsés d’Angola, dans des conditions dont je ne préfère pas vous parler – c’est parce que, chez eux, la situation économique est dramatique.
Depuis les grandes sécheresses, il y a quinze ans, on parlait à l’époque du Sahel ; la culture du mil, du sorgho, de l’arachide, se fait dans de très mauvaises conditions. Il n’y a pas de routes, il y a des pistes et j’ai mis des heures pour faire 40 kilomètres en 4 x 4, hier. Bref, tout cela fait que cette région, par sa nature, par son économie, pousse les gens à partir. Je suis allé dire à ces amis maliens, que je qualifie d’amis, que la solution pour eux n’est évidemment pas de venir en France en situation illégale. Elle est au contraire, avec nous à leur côté, avec les Maliens en situation régulière aussi à leur côté. Je rappelle que ce sont des agents de développement et qu’ils envoient de l’argent chez eux…
LCI : Justement, vous avez réfléchi…
Jacques Godfrain : Oui, bien sûr.
LCI : Et évoqué des pistes de développement…
Jacques Godfrain : Tout à fait.
LCI : En collaboration avec les associations d’immigrés maliens en France ?
Jacques Godfrain : C’est exactement cela. C’est-à-dire que ces immigrés maliens, qui sont en France aujourd’hui réunis en association, envoient de l’argent là-bas, pas simplement pour leurs familles mais pour des travaux collectifs, que ce soit une école, que ce soit une salle, un petit pont aménagé sur un chemin, bref ces travaux de proximité qui peuvent véritablement changer la vie des gens. Je suis allé dire à ces Maliens que nous sommes à leur côté pour faire cela, et si, en plus nous pouvions provoquer un grand chantier de désenclavement, avec l’aide de l’Union européenne, alors, je crois que la boucle serait bouclée et qu’ils pourraient mieux vivre chez eux.
LCI : Mais, Monsieur le ministre, tout de même, les frontières françaises sont fermées, on sait que ce n’est pas l’immigration zéro, mais elles sont beaucoup plus fermées qu’avant.
Jacques Godfrain : Oui.
LCI : Est-ce que l’aide publique peut prendre le relais de cette manne que constituait l’immigration pour cette région ?
Jacques Godfrain : Mais attendez, quand cette manne vient de Maliens en situation régulière, cela ne pose aucun problème et ils continueront, eux qui respectent nos lois, à être sous notre protection.
LCI : Oui, mais il y en a de moins en moins ?
Jacques Godfrain : Non. Je suis allé m’adresser à ceux qui tentaient le coup, poussés, d’ailleurs, par des escrocs qui sont de véritables passeurs, qui prennent des commissions sur lesquelles le président du Mali, le président Konaré, m’a dit ce qu’il fallait me dire, c’est-à-dire que c’était des profiteurs. C’est cette source-là que nous voulons tarir, mais pas les autres.
LCI : Mais en même temps, est-ce que vous ne croyez pas que votre discours est plus difficile à faire passer dans un contexte où il y a justement en France des grandes déclarations sur la lutte contre l’immigration clandestine ou sur la lutte contre l’immigration, globalement ?
Jacques Godfrain : Mais vous savez, l’intérêt du gouvernement malien et des Maliens eux-mêmes, c’est que leurs ressortissants qui sont chez nous, par exemple, aient, en quelque sorte, bonne réputation, qu’ils se conduisent bien, et ils savent qu’elle peut être entachée par d’autres qui se conduisent un peu plus mal. Donc, ils savent très bien faire le distinguo. Je ne suis pas allé m’adresser à tous les Maliens indistinctement. Il y a ceux qui respectent nos lois, qui, je le répète, ont droit à notre protection, qui ont fui la misère pour chercher chez nous un peu d’aide, pour eux et pour leur pays. Et puis, il y en a d’autres, avec lesquels nous voulons dialoguer. Mais je voudrais le dire : nous n’avons pas besoin d’intermédiaires qui recherchent des micros et des caméras et qui recherchent des gloires fugitives du show business, nous voulons dialoguer directement avec eux. C’est ce que j’ai vu à l’écran à l’instant : ils peuvent, s’ils le souhaitent, bavarder, parler avec Xavier Emmanuelli, avec moi-même, avec les membres du gouvernement. Ils auront un contact direct. Mais de grâce, qu’on ne fasse pas de cette affaire une affaire strictement médiatique.
LCI : La loi contre l’immigration clandestine est appliquée de plus en plus fermement. Il y a de plus en plus de charters, surtout vers l’Afrique de l’Est en ce moment. Mais enfin, il y en aura de plus en plus vers l’Afrique noire. Est-ce que vos interlocuteurs sont préparés à recevoir d’autres charters, d’autres Maliens qui seront expulsés dans les jours qui viennent ? Est-ce que vous leur avez dit cela ?
Jacques Godfrain : Je leur ai dit que, de toute façon, nous ne faisions pas une fixation sur les Maliens. Vous savez très bien qu’il y a des avions qui partent vers la Roumanie en ce moment. Il n’y a pas de fixation. Nous ne montrons pas l’Afrique du doigt, ni les Maliens. Tout autre pays qui laisse passer chez nous des gens en situation irrégulière a droit au même traitement. Simplement, je crois que nous pourrions rechercher une solution intelligente, tripartite. C’est l’intérêt de ces pays, et ils le disent eux-mêmes, que leurs ressortissants en situation irrégulière reviennent chez eux.
LCI : C’est quand même un vœu pieu ?
Jacques Godfrain : Non, pas du tout. Les autorités, là-bas, sont sensibles à ce que nous faisons et nous sommes sensibles à ce qu’ils nous disent. Si nous pouvions trouver une solution de concertation avec des associations de Maliens en situation régulière, avec les autorités maliennes et nous-mêmes, je crois que nous aurions fait un grand pas pour que ce soit plus un acte volontaire de retour qu’un acte contraint.