Texte intégral
Q. - La question de fond que pose la crise irakienne n'est-elle pas de savoir comment en finir avec le régime de Saddam Hussein ?
R. - Il n'est pas acceptable de poser la question en ces termes. Ce qui est en jeu, c'est le respect du droit international. Se débarrasser d'un leader politique peut être le souhait de tel ou tel, mais ce n’est pas élément du droit international, et cela ne petit être d'ailleurs la préoccupation d'aucun État. Nous fonctionnons dans un système de Nations unies qui suppose un règlement pacifique, et l'on commettrait dans un tel cas une singulière régression, même si, qu'on le comprenne bien, je n’ai aucune sympathie pour la politique de Saddam Hussein et pour sa personne.
Q. - Les récentes prises de position de la diplomatie française signifient-elles que la France considère Israël comme l'unique responsable du blocage du processus de paix ?
R. - Les responsabilités sont évidemment partagées. Nous comprenons des inquiétudes d'Israël pour sa sécurité Mais nous avons la conviction que la politique de M. Netanyahou, si elle n'est pas infléchie, risque d'être contre-productive, tant pour la paix que pour la sécurité d'Israël à long terme. Nous ne nous résignons pas à l'échec du processus de paix. Nous souhaitons que les accords sur l’autonomie soient respectés, nous jugeons particulièrement grave l'extension de la colonisation, nous pensons que la croissance des colonies et le percement de nouvelles routes pour les relier va complètement fragmenter la Cisjordanie, et que dans ces conditions, il sera impossible de créer une entité palestinienne économiquement viable. Tout cela nous paraît être une bombe à retardement.
Mais j’ajoute que, de l'autre côté, il faut que l'autorité palestinienne combatte le terrorisme sans aucune faiblesse. Il n'est pas question de jouer avec la sécurité pour peser sur les négociations.
Q. - Les divergences n'assombrissent-elles pas les relations franco-israéliennes ?
R. - Les relations entre Israël et la France sont très amicales. M. Mordechaï, ministre de la défense, sera en mars à Paris, nous allons entamer la saison israélienne en France, il y aura de prestigieuses manifestations culturelles, et le Premier ministre a tenu à célébrer lui-même le 50e anniversaire de l'État d'Israël.
Q. - Dans ce cas, pourquoi la ratification des accords d'association avec Israël est-elle bloquée ?
R. - Le gouvernement français souhaite leur ratification. Mais nos amis israéliens doivent comprendre que dans la situation présente compte tenu de la sensibilité du Parlement français, il n’y aurait pas de majorité pour les ratifier. C’est pourquoi ils sont en suspens. C’est un état de fait, et il est tout à fait souhaitable qu’on en sorte, c’est-à-dire que les conditions soient créées pour que ces accords soient ratifiés, et non l’inverse.
Q. - Éclaboussée par de nombreux scandales, désorganisée, l’autorité palestinienne n’est-elle pas elle-même un obstacle pour une relance du processus ?
R. - Les choses peuvent toujours être améliorées. Mais il faut aussi qu’on lui facilite la tâche.
Q. - Revenons en France. Que vous inspire l’annonce faite par Nicolas Sarkozy du retour de la « droite républicaine » ?
R. - Un frisson rétrospectif, car cela suppose qu’elle avait disparu ! Il faudra qu’il nous éclaire sur le sens de cette déclaration fracassante. Si M. Sarkozy veut dire que la droite refusera toute alliance avec le Front national, condamnera tous ceux qui en font, exclura tous ceux qui s’y livrent, alors cette déclaration va dans le bon sens. Mais nous attendons des clarifications. Certains ont clairement répondu, comme M. Balladur qui semble être un ami de M. Sarkozy. Que M. Sarkozy précise, en sa qualité de secrétaire général du RPR, qu’il est aussi un ami de M. Balladur et que cet engagement et celui de tout son parti… M. Blanc, en Languedoc-Roussillon, fera-t-il ou pas alliance avec le Front national ? Tous les dirigeants de la droite dans la région PACA seront-ils sur la même ligne que M. Léotard ? Dans ma propre région, je ne garantirais pas qu’une bonne partie des futurs élus de droite refuseraient les voix du front national. Je crois qu’il faut une règle claire. Puisque nous sommes dans un scrutin proportionnel, c’est la liste républicaine arrivée en tête qui doit administrer la région. Je prends un engagement qui ne souffrira pas de discussion : dans ma région, si la droite nous devance, elle dirigera.
Q. - Mais les propres dissidences de la gauche, comme celle de M. Weygand, ne sont-elles pas, une opportunité pour le parti de Jean-Marie Le Pen ?
R. - Il est extrêmement difficile d’éviter les dissidences, les déceptions et les règlements de compte. La gauche a maîtrisé beaucoup de dissidences, ce qui n'est pas le cas de la droite. Je juge bien sûr très sévèrement l’attitude de M. Weygand. Tout ne se marchande pas. M. Weygand aurait dû avoir une attitude responsable. Le risque existe, effectivement, de faire perdre la gauche.
Q. - Voilà quelques jours, un réseau appelant sur Internet au meurtre de nombreuses personnalités juives a été démantelé. Comment luttent ensemble les pays de l'Union européenne contre le racisme ?
R. - Ces actes sont répugnants, et moi-même, j’ai figuré sur des tracts antisémites largement diffusés en région parisienne. La France a joué un rôle très actif dans la définition d'une stratégie commune, notamment avec la Commission consultative Racisme et Xénophobie et maintenant l’Observatoire des phénomènes racistes installé à Vienne, sous la présidence de M. Jean Kahn, qui joue un rôle éminent dans cette politique commune. Le Conseil de l’Europe est lui, aussi très actif. Nous sommes sur la bonne voie.
Q. - François Mitterrand refusait de lier la responsabilité de l'État français à la politique de Vichy. En 1995, son successeur Jacques Chirac a reconnu cette responsabilité. M. Jospin a paru se mettre de nouveau en retrait de cette position. Y a-t-il une pensée à géométrie variable de l’État sur ce sujet ?
R. - Votre impression est fausse. Jacques Chirac a eu les paroles qui convenaient, des paroles définitives prononcées par la plus haute autorité de l’État, et les propos de Lionel Jospin s’inscrivent exactement dans la même philosophie. Le reste n’est que querelle de sémantique.
Q. - Israël fête le 50e anniversaire de sa refondation. En tant que juif, quel sentiment cela vous inspire-t-il ?
R. - En tant que ministre de la République, je ne me prononce pas en fonction de mon appartenance à une communauté. Je suis d’ailleurs totalement athée. Mais sur le fond, pour moi, Israël n’est pas un État comme les autres, parce qu’il est né après la Shoah, et cette histoire n’est réductible à aucune autre. Je souhaite à Israël de pouvoir continuer d’exister, de rester une démocratie vivante et ouverte, ce qui n’est jamais acquis, et d’être capable d’avancer vers la paix. Car Israël sera définitivement installé le jour où il sera en quelque sorte banalisé, vivant dans une démocratie ordinaire, avec des alternances ordinaires qui ne remettent pas en cause la totalité de la politique du pays, un pays vivant en paix avec des voisins n’ayant plus eux-mêmes l’intention proche ou lointaine de le détruire.