Déclaration de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, sur la réforme du système de formation "tout au long de la vie" pour assurer la mobilité, la réorientation et la validation des qualifications acquises, Paris le 1er octobre 1996.

Prononcé le 1er octobre 1996

Intervenant(s) : 

Circonstance : Entretiens Condorcet sur la formation continue "tout au long de la vie", Paris Palais des congrès les 30 septembre et 1er octobre 1996

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Depuis deux jours, les Entretiens CONDORCET, (que vous venez de clôturer par une réunion de synthèse), se sont déroulés sur le thème de la formation tout au long de la vie, qui est aussi celui de l'année européenne de l'éducation.

1. Lorsqu'en avril 1792, Condorcet soumettait à l'Assemblée législative son rapport sur « l'Instruction Publique », c'est-à-dire la future éducation nationale, il insistait sur la nécessité de prolonger la formation initiale de l'homme et du citoyen, de l'individu « éclairé », par une application pratique de ces connaissances, par leur entretien et leur développement, à l'âge adulte, autrement dit par la permanence de la formation. Il écrivait : « l'instruction ne doit pas abandonner les individus au moment où ils sortent des écoles, elle doit embrasser tous les âges (...) la possibilité d'une première formation manque moins que celle d'en conserver les avantages ».

Dans les faits, la formation professionnelle et continue est longtemps restée dans l'ombre du système éducatif, avec la tradition de l'apprentissage et celle de l'enseignement mutuel. Enfin l'accord interprofessionnel du 9 juillet 1970 et la loi du 16 juillet 1971 ont consacré l'existence pleine et entière de la "formation professionnelle continue.

2. Vingt-cinq ans plus tard, on peut considérer que l'objectif est atteint, que la formation professionnelle existe pleinement, qu'elle a trouvé sa place tant sur le plan pédagogique, c'est-à-dire dans l'acquisition de savoirs et de compétences, que sur le plan social, en tant que champ de négociation collective et outil approprié par les entreprises et les partenaires sociaux. Le processus de décentralisation opéré, pour l'essentiel au profit des régions, a renforcé encore le développement de la formation professionnelle.

3. Les signes tangibles de cette maturité du système sont bien connus :
    – dans leur majorité, les entreprises considèrent aujourd'hui que l'effort de formation est une condition de leur performance et l'image de la formation continue est très positive, comme l'enquête BVA, rendue publique hier, le montre avec force ;
    – près d'un salarié sur trois bénéficie chaque année d'une formation les dépenses du plan de formation s'élèvent à 40 milliards de francs et représentent environ trois fois le montant de l'obligation légale ;
    – les demandeurs d'emploi ont eux aussi un large accès à la formation : plus de 600 000 d'entre eux suivent une action d'insertion ou de conversion financée par l'État. Globalement, 28 milliards de francs sont consacrés à la formation des chômeurs, presque autant qu'à celle des actifs dans l'emploi ;
    – après une longue période de stagnation, le volume des formations des jeunes en apprentissage et en alternance a connu une croissance marquée. Il concerne 450 000 jeunes ;
    – l'évolution semble irréversible : les dépenses totales de formation professionnelle correspondent à 1,5 % du PIB contre 0,4 % il y a vingt ans.

4. Cependant, ce succès doit nous préserver de la tentation de l’immobilisme. Car il faut aussi reconnaître que la formation professionnelle a besoin d'un nouvel élan et de nouvelles perspectives. À cela deux raisons essentielles : d’abord les insuffisances du système mais aussi, et surtout, la nécessité de répondre à l'apparition de nouveaux enjeux, à des modifications profondes actuelles et à venir, de la vie professionnelle.

5. D’abord les insuffisances...

La formation continue n’est pas considérée comme un moyen crédible d’acquérir une qualification. Trop souvent elle apparaît comme un simple moyen de maintenir ou d’adapter en fonction des besoins de l'entreprise, la qualification de ceux qui en ont déjà reçue une : alors qu’un salarié sur cinq ne maîtrise pas les savoirs fondamentaux, les actions courantes de formation dépassent tout juste 40 heures/an en moyenne et le congé individuel ne concerne que 33 000 salariés par an.

L'accès à la formation demeure inégalement distribué, plus difficile pour les salariés des petites et moyennes entreprises, pour les salariés des plus bas niveaux de qualification et pour ceux sous contrat précaire. Si l'on cumule les deux facteurs, de taille de l'entreprise et de catégorie socio professionnelle, l'écart d'accès est de 1 à 30. De fait, un peu plus de la moitié des actifs n'accèdent toujours pas à la formation continue.

Dans ces conditions, la formation initiale est naturellement perçue par les jeunes et leurs familles comme la seule occasion d'acquérir une formation générale et même professionnelle, la seule vraie chance, qui se joue avant 25 ans, souvent plus tôt.

De ce fait, des dérives redoutables se produisent : pour certains jeunes, la formation initiale, moment privilégié d'ouverture sur le monde, devient un objectif en soi, dans la mesure où la qualification d'un individu reste fondée sur la durée des études : bac plus 2, plus 3, plus 4, etc... Voilà une des raisons pour lesquelles nos jeunes ont, par rapport à ceux d'autres pays de l'Union européenne par exemple, un taux atypique de scolarisation au-delà de l'adolescence : 47 % d'entre eux, contre 20 % il y a seulement dix ans, et 30 % dans des nations comparables, sont encore scolarisés à 21 ans.

Pour beaucoup d'autres l'entrée dans la vie active est plus souvent subie que choisie : elle résulte davantage de l'impossibilité de poursuivre des études que d'un projet activement conduit. Et, dans ce cas, l'arrivée sur le marché du travail, quand elle se produit, s'accompagne d'un cortège de désillusions, voire de rancœurs.

6. Au besoin de corriger les diverses insuffisances que je viens d'évoquer, s'ajoute une volonté d'anticipation du futur.

Il s'agit en effet de répondre à de nouveaux défis, à des transformations durables, face auxquelles nous avons besoin de solutions dont une formation professionnelle rénovée détient, au moins en partie, les clefs.

Ces défis sont connus :

a. D'abord la rapidité des mutations technologiques et économiques. Le raccourcissement des temps de mise au point d'un produit, d'un process, la réactivité commerciale de plus en plus rapide et sophistiquée, l'importance de la démarche qualité, le renouvellement constant des métiers, la mondialisation et l'informatisation de l'appareil de production et des échanges, tout cela fait qu'une formation initiale, aussi performante soit elle, ne pourra plus valoir brevet d'emploi à vie. À contrario, cela fait de la formation professionnelle un élément clef de l'évolution et de l'adaptation à l'emploi.

b. Ensuite, la nécessité d'un meilleur accueil des jeunes sur le marché du travail.

Le niveau de formation initiale des jeunes s'est globalement et sans doute durablement élevé, (« le savoir rare est derrière nous » dit mon ami François BAYROU). Parallèlement, la qualification des emplois s'est nettement élevée. Pourtant une part importante de notre jeunesse s'insère difficilement sur le marché du travail. Il faut à tout prix améliorer les conditions de cette insertion. Cela constitue une urgence nationale, perçue comme telle pour les partenaires sociaux et par les régions, notamment au travers de la mise en œuvre des programmes régionaux pour l'emploi des jeunes. Donner leur chance aux jeunes, c'est établir la confiance pour toutes les familles.

c. Ensuite, encore, l'importance des problèmes de cohésion et d'insertion sociale et professionnelle.

Cela concerne les demandeurs d'emploi dont la durée du chômage est trop souvent liée à un déficit d'adaptation préventive aux mutations du travail. Mais aussi, les exclus, qu'ils soient handicapés, Rmistes, ou illettrés, pour lesquels un soutien déterminé et des outils adaptés sont nécessaires. C'est notre devoir que d'assurer la dignité et les capacités d'insertion de ces personnes. C'est aussi un moyen de préserver la cohésion sociale de notre pays.

d. Enfin, le besoin d'une construction de compétences adaptée à notre temps, c'est-à-dire à la fois lisible, transférable, rigoureuse :

Alors que le contenu et les conditions du travail évoluent sans cesse, chacun comprend qu'un diplôme acquis dans la jeunesse est une référence importante, mais trop limitée, et bientôt datée, qu'il faut enrichir, compléter, diversifier. La nécessité s'impose de valider les acquis en cours de vie et d'assurer leur reconnaissance quel que soit le parcours de la personne.

7. À l'évidence, de simples aménagements du dispositif actuel, comparables à ceux qui lui ont été apportés jusqu'à présent, ne sauraient donc répondre aux attentes et aux besoins que je viens de vous décrire.

C'est pourquoi je propose de créer les conditions d'un nouvel essor de la formation professionnelle et, à cette fin, d'engager un processus de refonte du système, pour en parfaire l'efficacité, tout en consolidant ses acquis.

En novembre dernier, j'avais demandé, à M. Michel de VIRVILLE, secrétaire général du groupe Renault, de réfléchir, avec les meilleurs experts et dans une large concertation, aux contours et aux grandes lignes de cette réforme. Les conclusions de cette réflexion m'ont été communiquées au fur et à mesure de l'avancement des travaux de la mission. Le rapport doit m'être remis très prochainement dans sa forme définitive.

Il sera alors rendu public. Je souhaite qu'ensuite les acteurs de la formation s'en emparent : les formateurs, bien sûr, publics et privés mais aussi les partenaires sociaux, les chambres consulaires et les régions.

Un dialogue approfondi a déjà eu lieu autour des travaux de la mission confiée à Michel de VIRVILLE.

Je crois qu'un accord assez large semble s'esquisser sur l'analyse de la situation, sur les objectifs généraux d'une réforme et même sur une partie des instruments qui permettront de les atteindre. J'ai compris aussi que certaines des solutions mises en débat, qui d'ailleurs n'ont pas, à ce stade, le statut de propositions, étaient très discutées. Souhaitées par les uns, elles sont dénoncées par d'autres. Il est vrai que dans un domaine aussi complexe, l'unanimité est probablement hors de portée. Je souhaite cependant fixer un cap et, pour pouvoir l'atteindre, favoriser le rapprochement des points de vue.

Cette démarche exclut toute solution qui n'ait pas été précédée d'une concertation étroite, débouchant, si possible, sur un accord. À titre d'exemple, sur un sujet aussi difficile que l'organisation des collectes de l'apprentissage et de l'alternance, il va de soi que je ne souhaite pas, dans la précipitation, mettre en péril ce qui marche ni fragiliser ce qui se construit. Cela n'interdit pas pour autant de mettre les problèmes sur la table ni de les traiter. On peut vouloir préserver et consolider les acquis sans renoncer à explorer des voies nouvelles, à faire preuve d'imagination, à innover !

La réflexion est, à ce stade, suffisamment avancée pour que je vous présente aujourd'hui, ce que pour ma part je retiens comme les grandes lignes de la réforme à laquelle j'entends convier les partenaires de la formation. Bien entendu, il y aura débat, je viens de le dire. Il y aura aussi concertation et négociation. Encore faut-il poser les termes de l'équation, indiquer clairement le chemin.

8. La réforme gue je compte engager s'inscrit dans la durée.

Il ne s'agit pas de « réparer » mais de « préparer ». Pour aller à l'essentiel, je dirais qu'il nous faut trois outils complémentaires entre eux :
    – un dispositif puissant de formation des jeunes sous contrat de travail ;
    – un accès équitable et large aux formations qualifiantes en cours de vie ;
    – un système de validation des acquis de la formation continue et de l'expérience professionnelle.

Ces outils ne vont pas l'un sans les autres car ils concourent tous trois aux mêmes objectifs : éviter que tout soit loué et que tout soit figé avant même la vie active, assurer la mobilité des compétences qui constitue le vrai passeport pour l'emploi de demain, permettre à la personne d'être vraiment responsable de ses choix de formation et d'évolution professionnelles.

Les réalités les plus aveuglantes, les réformes les plus nécessaires sont bien souvent celles qui ont le plus de mal à s'imposer. Or, je le répète : on ne pourra inverser la propension aux études toujours plus longues qu'en établissant un équilibre entre la formation initiale et le développement professionnel en cours de vie. On ne pourra assurer une vraie mobilité et une forte réactivité de la main d'œuvre, qu'en apportant aux formations en alternance, à la formation continue et à la validation des acquis une « valeur convertible » équivalente et complémentaire de celle reconnue aux études initiales. C'est la voie qu'il faut dégager pour développer vraiment une adaptabilité dans l'emploi qui soit le gage de notre capacité collective à gérer les mutations technologiques et économiques.

Désormais, on ne restera plus toute sa vie dans une même entreprise. La sécurité de l'emploi n'aura plus le sens qu'elle avait pour les générations précédentes. C'est pourquoi nous devons absolument construire pour les nouvelles générations la confiance face à l'emploi. Ce n'est pas l'assurance d'un emploi à vie. Ce n'est pas non plus la garantie de ne jamais connaître de périodes d'inactivité. Mais c'est la certitude de pouvoir retrouver du travail, plus facilement et plus vite qu'à l'heure actuelle. Cette confiance-là n'existe pas aujourd'hui. Il suffit pour s'en convaincre d'observer la durée moyenne du chômage - plus d'un an !

La confiance face à l'emploi est encore un privilège. Elle est l'apanage de ceux qui bénéficient de qualifications recherchées, sur des créneaux porteurs. L'objectif fondamental de la réforme que je prépare est que cette sécurité face à l'emploi soit rendue accessible au plus grand nombre. Il y faudra du temps, sans doute, mais la direction doit être clairement prise. La France ne pourra demeurer une véritable communauté, solidaire et accueillante pour tous ses membres, que si elle s'organise pour que chacun puisse prendre dans l'économie et dans la société la place qui lui revient. Ce serait un grand progrès et un remarquable vecteur de mobilité sociale.

9. Concernant les jeunes, l'heure est venue de mettre en expansion, à côté de l'enseignement général et de l'enseignement technologique et professionnel, l'enseignement d'alternance, avec l'entreprise. Condorcet lui-même l'avait envisagé. Dans le rapport déjà cité du 20 avril 1792, il déclarait : « Nos écoles ne dispensent point d'aller dans les ateliers. Le métier doit être enseigné par son expérience même. L'école apprend à connaître les principes de ce que l'atelier apprend à exécuter ».

Cet enseignement spécifique existe déjà sous la forme de l'apprentissage, complétée depuis une décennie par les contrats d'alternance, gérés par les partenaires sociaux.

Ces deux systèmes doivent se développer vigoureusement et en complémentarité, chacun gardant sa spécificité. Si l'on veut éviter la dérive d'une insatiable « soif d'études » et offrir aux jeunes une véritable chance d'insertion, il faut en effet que l'alternance et l'apprentissage atteignent une masse critique et une crédibilité suffisante.

Cela demande un engagement fort de tous les partenaires de la formation.

L'entreprise d'abord. Donnons-lui envie de prendre davantage de jeunes en formation sous contrat de travail ! Et pour cela, faisons-lui confiance quand elle est prête à jouer la carte des jeunes ! Donnons-lui la possibilité de choisir elle-même le contenu des formations et des organismes dispensateurs, en s'appuyant sur les différents réseaux ! Instaurons une relation contractuelle avec les établissements de formation permettant à l'entreprise d'influencer leurs programmes par une relation directe ! Garantissons à l'entreprise un accès facile aux financements collectifs, en faisant en sorte qu'il n'y ait pas d'argent qui dorme dans la formation ! Multiplions les ponts entre apprentissage et alternance, pour orienter les ressources en fonction des besoins ! Et demandons aux entreprises moyennes et grandes de s'investir pleinement dans ce grand projet !

Si l'entreprise s'engage dans la formation des jeunes, il faut que les règles du jeu soient aménagées en sa faveur. Pourquoi ne pas envisager par exemple, c'est une hypothèse, que l'employeur puisse s'exonérer de tout ou partie de ses obligations financières en rémunérant directement les organismes de formation auxquels il envoie des jeunes ?

Ou encore : pourquoi ne pas envisager que le choix de l'entreprise soit automatiquement suivi par le collecteur, pourvu que l'établissement de formation respecte certaines normes de qualité ?

Voilà qui serait de nature à encourager puissamment les entreprises à faire le pari de l'alternance !

Les organismes paritaires et consulaires ensuite. Ils sont en contact avec l'entreprise. Ils la conseillent dans sa politique de formation et s'agissant des PME ils sont indispensables pour assurer à travers la mutualisation l'efficacité des dispositifs. Ils doivent continuer à participer au financement des formations, en s'appuyant sur l'expérience acquise. Bien entendu, la mission des collecteurs est appelée à évoluer notamment pour renforcer l'information sur les professions, compte tenu du rôle nouveau qui devra être donné à l'entreprise elle-même.

Je dirai aussi un mot des régions, avant de parler des établissements de formation eux-mêmes. Elles jouent déjà un rôle très important en ce qui concerne l'apprentissage proprement dit. Leur capacité à impulser une véritable politique régionale de la formation professionnelle des jeunes peut encore être améliorée. Il est temps d'examiner comment renforcer cette capacité d'animation au plus près du terrain.

Quant aux structures de formation, centres de formation des apprentis, établissements privés de formation professionnelle, mais aussi établissements de l'éducation nationale, appelés à jouer un rôle accru, la réforme sera pour eux un formidable pari : celui d'un développement rapide de leur activité et d'une véritable pédagogie de l'alternance pour une meilleure insertion professionnelle des jeunes. Cette pédagogie repose sur un lien très intime entre l'acquisition théorique et la situation de travail elle suppose un renforcement très fort des liens entre les formateurs et les entreprises.

Ainsi l'on pourra parvenir à doubler le nombre de jeunes en formation sous contrat de travail en quelques années et à faire combattre efficacement la « sélection par l'échec ». L'alternance doit être un choix guidé par une motivation professionnelle et non par un choix contraint. Elle ne saurait se réduire à tel ou tel niveau de formation. Elle doit constituer une filière en soi, du CAP au diplôme d'ingénieur.

Pour cela, il faut non seulement persuader les jeunes et leurs familles que les formations en alternance leur apporteront une véritable prime pour l'emploi - ce qui est déjà la réalité -, mais aussi faire la démonstration que le choix de l'alternance ne les privera ensuite d'aucune chance d'évolution et de promotion professionnelles.

C'est dire que l'essor des formations sous contrat de travail est tributaire du renouveau de la formation continue et de la mise en place d'un système crédible de validation des acquis professionnels.

10. La formation tout au long de la vie appelle une nouvelle approche de la gestion des compétences et de la gestion du temps.

La loi de 1971 a créé une obligation forte à l'entreprise de consacrer un effort financier à la formation. Aujourd'hui, cet effort financier doit être mis au service du droit personnalisé de chacun à entretenir et développer les savoirs et savoir-faire tout au long de la vie. C'est un droit qui doit bien sûr rencontrer l'intérêt de l'entreprise mais qui ne s'y réduit pas.

Cela signifie qu'il faudra permettre aux salariés, même quand ils changent d'entreprise, de capitaliser année par année des droits à la formation sous forme d'une réserve de temps rémunérée dans laquelle chacun pourra puiser.

La mise en œuvre de ce droit concernera un champ où la formation est d'intérêt conjoint, qu'elle résulte d'une décision de l'employeur, dès lors que le salarié a donné son accord, ou qu'elle trouve sa source dans une demande du salarié, dès lors qu'il a recueilli l'assentiment de son employeur.

L'entreprise qui ne peut pas offrir l'emploi à vie se doit de faciliter les changements sans drame car ainsi elle rend humainement possible la flexibilité. Il s'agit donc d'aller plus loin dans la direction qui a conduit les partenaires sociaux à mettre en œuvre en 1994 le capital temps formation. Il s'agit aussi de reprendre pour partie l'inspiration du Congé Individuel de Formation (CIF) en ce qu'il suppose une demande du salarié et intervient pour la prise en charge de formations qualifiantes.

Il faudra bien entendu ménager les transitions nécessaires, c'est à dire organiser cette épargne pour la formation en utilisant certains outils existants : congé individuel de formation, capital temps formation, plan de formation, tous concernés.

En tout état de cause, les principes sont assez simples :
    – pour la rémunération, divers outils financiers dont l'épargne temps seraient sollicités, dans des proportions sans doute variables en fonction de l'intérêt respectif de l'entreprise et du salarié pour la formation en cause ;
    – pour la prise en charge de la formation elle-même, il est bon d'observer que les fonds du congé individuel de formation servent actuellement à financer tant la formation que la rémunération du salarié absent. S'ils étaient consacrés uniquement au seul financement des formations, ils pourraient approximativement couvrir trois fois plus de formations qu'actuellement. Bien sûr, un changement aussi radical ne peut être que progressif et il importe qu'une partie des actions actuellement financées par le CIF continuent de l'être. Il y a sûrement intérêt à distinguer le temps financement du temps rémunéré et le financement des formations.

De telles propositions supposent de toute évidence une réforme en profondeur, s’inscrivant dans la durée. Du moins peut-on affirmer que l'objectif est accessible, qui consiste à offrir à un nombre plus grand de salariés une vraie chance de promotion et de réorientation en cours de carrière. Dès les prochaines années, il faudra veiller à donner une véritable consistance aux actions qui ouvriront la route.

Cet objectif serait d'autant plus vite atteint que l'on permettra la constitution rapide et opérationnelle d'une ou plusieurs « banques du temps ». Or, cela dépendra, largement de la capacité de la négociation sociale à dégager les accords nécessaires par exemple, dans le cadre des discussions en cours sur l’aménagement et la réduction du temps de travail.

10.2. Après la gestion du temps, j'en viens à la gestion des compétences, qui doit garantir leur validation tout au long de la vie.

Il n'y a pas de formation professionnelle efficace sans une méthode souple et adaptable de reconnaissance des compétences.

Dans le cadre professionnel, seul un système de reconnaissance et de validation efficace peut permettre à l'entreprise d'assurer avec souplesse la valorisation effective du savoir-faire de ses collaborateurs et au salarié d'utiliser cette reconnaissance de façon autonome pour maîtriser son évolution professionnelle, faire fructifier son expérience.

Un système de validation des acquis, quel que soit son mode d'acquisition, formation initiale et continue, expérience professionnelle et même personnelle, doit constituer une sorte de portefeuille des acquis reconnus. Un passeport de compétences est donc indispensable à l'efficacité de la formation tout au long de la vie. La mise en place complète d'un tel dispositif peut constituer, à première vue, une œuvre de longue haleine. Cependant, elle doit s'appuyer sur l'existant : des branches professionnelles ont engagé la construction de dispositifs de reconnaissance des qualifications ; de longue date, l'éducation nationale a développé des outils techniques reliant les diplômes aux acquis en cours de vie et elle s'oriente vers des diplômes « en pièces détachées » ; enfin des répertoires structurés des métiers, des spécialités, des aptitudes requises par type d'emploi, sont disponibles.

Il s'agit de mettre en place des indicateurs simples et capitalisables, correspondant aux compétences professionnelles identifiables, qu'elles soient ou non spécifiques à un domaine professionnel.

Toutes les formes d'acquisitions y seraient intégrées, de la formation initialement reçue à l'expérience professionnelle, en passant par les formations continues. C'est bien cela, la formation tout au long de la vie : la reconnaissance du savoir-faire toujours perfectible de l'individu.

Le rôle de l'État sera de favoriser l'émergence du dispositif, d'en fixer les principes de fonctionnement et les mètres étalon. Les opérateurs devront naturellement offrir des garanties d'indépendance, à l'égard des formateurs comme des utilisateurs, tout en répondant à leurs besoins. Ils devront aussi être très « réactifs » par rapport à l'évolution des compétences et à celle de l'organisation du travail.

La validation des compétences, l'organisation de la formation professionnelle tout au long de la vie, doivent permettre le développement d'une pédagogie adaptée à cette formation, c'est-à-dire construite en référence aux diverses situations professionnelles, se déroulant en modules de courte durée, visant à l'acquisition successive d'éléments de savoir-faire.

À titre complémentaire, il faut aussi donner plus de consistance au pilotage des projets individuels et à l'auto-évaluation, aller au-delà de l'actuel bilan de compétences pour mieux valoriser celles-ci. C'est là un corollaire du développement de la formation tout au long de la vie.

11. Pour réussir cet aménagement de la formation sur le cycle de vie, pour mieux gérer le temps professionnel de formation et organiser la reconnaissance des acquis, il faut associer les efforts de tous les acteurs, en particulier de l'État, des partenaires sociaux et des régions.

Les fondements ont déjà été posés par la loi du 20 décembre 1993 et par l'accord interprofessionnel du 5 juillet 1994.

Le gouvernement entend maintenant mettre en œuvre ce grand projet. C'est pourquoi une loi sur le développement de la formation tout au long de la vie et de l'enseignement par alternance sera débattue au Parlement au début de l'année prochaine.

Une part, capitale, revient aussi à la négociation interprofessionnelle entre les partenaires sociaux. C'est pourquoi je les invite dès à présent à y réfléchir et, s'ils en sont d'accord, à ouvrir à cette fin des discussions qui devront associer également, dans des formes appropriées, les autres partenaires concernés.

12. La formation professionnelle continue est parvenue à un tournant. Vingt-cinq ans après son institution, elle doit trouver un nouveau souffle, pour l'insertion des jeunes, pour la formation des demandeurs d'emploi, pour le développement de la formation tout au long de la vie.

Cela signifie qu'au travers d'une approche plus dynamique du temps d'activité, chacun pourra disposer à tous moments de moyens d'accéder à des dispositifs d'insertion par l'emploi et la formation ainsi qu'à une mise à jour permanente de ces compétences. C'est à ce grand dessein, avec votre énergie et votre enthousiasme, que je vous convie.