Article de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, dans "Le Monde" du 24 octobre 1996, sur la lutte contre la stratégie du Front national visant à entretenir la haine, intitulé "La culture contre la haine".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Fonds de commerce du Front national, le marketing de la haine prospère, et Jean-Marie Le Pen avec lui. Il en a encore fourni la plus limpide des démonstrations. Sa technique repose sur les quatre règles suivantes : rester dans le général, en ne formulant jamais des propositions politiques précises (si le FN peut fabriquer de la haine, il est incapable de produire un programme réaliste de propositions) ; asséner des idées simples et provocatrices, au besoin à coups de sous-entendus racistes pour profiter de l'impact qu'offrent les médias et susciter des réactions; recourir - comme à Toulon - à toutes les procédures, pour jeter la confusion en prétendant se placer sur le terrain du droit ; enfin, entretenir la polémique ensuite dans tous les médias.

Cette stratégie se révèle redoutablement efficace. Elle permet à M. Le Pen d’exister, de trouver caméras et micros, de dissimuler l’absence de solutions dont il est porteur pour le pays et d’entretenir le climat d’exclusion et de haine dont il a besoin pour prospérer. Pour y répondre efficacement, que faire ?

D’abord renoncer à l’espoir d’éteindre l’incendie raciste en aussi peu de temps qu’il en faut à Jean-Marie Le Pen pour l’allumer. Seule la démagogie, à coups de formules à l’emporte-pièce. Dans le passé, on a pu se réjouir de ce type de riposte au FN. Mais la satisfaction aura été bien illusoire, on le constate aujourd’hui.

Attiser la haine est chose simple, en particulier quand la situation économique est délicate. Apaiser la société en protégeant et en renouant les liens qui unissent celles et ceux qui la composent est autrement plus long et difficile. Raison de plus pour commencer sans attendre.

D’abord en disant aux producteurs de haine qu’ils nous trouveront sur leur route. Prolongeant les déclarations de Jacques Chirac à Auschwitz, la dénonciation par le Premier ministre du caractère « profondément, presque viscéralement raciste, antisémite et xénophobe » de Jean-Marie Le Pen a marqué la volonté de l'ensemble du gouvernement de tracer une ligne jaune et de ne plus tolérer qu'elle soit franchie.

Mais la volonté politique et la détermination de l'exécutif ne peuvent suffire si elles ne s'accompagnent pas d'un travail en profondeur, qui s'attaque au terreau d'ignorance, d'illusions, de peurs et d'oublis sur lequel prospère l’idéologie du FN. Ce travail concerne chacun de nous.

Combattre l’ignorance, c’est expliquer inlassablement à quel point de race n’existe pas et qu’elle n’est avancée que pour cautionner des idéologies prônant la supériorité de certaines sur d’autres. Ce qui est vrai, c’est qu’il existe entre certains groupes de populations des liens culturels ou des facteurs communs plus forts. Différent, chacun de nous l’est, mais c’est pour mieux souligner que nous sommes tous égaux en droit. C’est même l’article premier de la Déclaration des droits de l’Homme, creuset de la République.

Combattre les illusions, c’est examiner derrière les provocations bruyantes de Jean-Marie Le Pen la réalité de ses propositions. On s’apercevra alors que, derrière les coups de menton mâtinés d’imparfaits du subjonctif, le FN n’a aucune proposition concrète et réaliste à formuler. Sauf à tomber dans une dictature dont son chef s’accommoderait sans doute fort bien, mais qui ne serait plus la démocratie et qui ne serait plus la France.

Combattre les peurs, c’est s’engager, avec tous les élus et les militants de la majorité, sur le terrain. C'est-à-dire là même où s'expriment les inquiétudes des Français, auxquelles il faut répondre à la fois par plus de présence, et sans doute plus d'efforts d'imagination, de solidarité, de reconstitution du lien social, d'animation culturelle.

Combattre l'oubli, c'est enfin revendiquer fièrement l'héritage de ce qu'est la nation française. C'est ce sentiment que le chef de l'État a incarné, en allant accueillir Jean-Paul II pour lui présenter l'hommage de la France laïque et républicaine. Comme il a su trouver l'an dernier les mots que tant de nos compatriotes attendaient à l'occasion des cérémonies commémorant la rafle du Vel d’Hiv.

Cet effort engage chacun d'entre nous, dans notre vie professionnelle, dans nos comportements à l'égard d'autrui, et notamment dans les valeurs que nous choisissons de transmettre à nos enfants.

Il m'apparaît qu'il engage de ma part une responsabilité supplémentaire. D'abord en tant que médecin, pour lutter contre la vulgate raciste à connotation pseudo-scientifique que tente de propager l'extrême-droite ; en tant que maire et responsable politique, ensuite, pour ne pas laisser la place à la démagogie du FN sur le terrain et mieux mettre en lumière l'absence de solution politique qu'il incarne ; enfin, en tant que ministre de la culture : c'est par la culture que l'on amène chaque individu à exprimer le meilleur de lui-même, que l'on cultive la tolérance et le débat démocratique, et que l'on conserve la mémoire d'une grande nation.

En ce sens, l'enjeu culturel est au cœur de l'affrontement politique avec le FN. L'exemple du combat poursuivi par le maire de Toulon pour littéralement détruire le Théâtre national de la danse et de l'image de Châteauvallon est l'illustration de cette stratégie. C'est pourquoi, afin de garantir à Châteauvallon les conditions de son fonctionnement tant financier qu'administratif, j'ai proposé au président Jean-Jacques Bonnaud, ainsi qu'à toute l'équipe de Châteauvallon, de faire de ce lieu un nouveau centre culturel de rencontre à dominante chorégraphique mais ouvert aussi aux autres formes de spectacle vivant.

Je souhaite confirmer ainsi que Châteauvallon se place sous le signe des rencontres nécessaires entre toutes les cultures, entre les artistes de tous horizons et les publics.

Au total, pour barrer la route au Front national, c'est une politique culturelle résolue qui s'impose.