Texte intégral
Entretien accordé au quotidien qatarien « Al Watan », à Paris, le 4 juillet 1996
Q. : Quels sont les objectifs de la visite de Jacques Chirac au Qatar ?
R. : La France et le Qatar entretiennent des relations d’amitié étroite et ancienne ; le président Chirac tenait, à l’occasion de son premier déplacement dans la région du Golfe persique, à le marquer en se rendant personnellement à Doba.
Le président de la République qui a exposé lors de sa visite au Caire en mars 1996 sa conception de la politique arabe de la France, souhaite pouvoir s’en entretenir avec l’Émir du Qatar. Il s’agit, vous le savez, d’une vision politique rénovée prenant en compte les évolutions régionales. La France, comme le Qatar, soutient le processus de paix et souhaite son plein succès. M. Chirac souhaite également recueillir le sentiment des dirigeants qatariens sur les grandes questions liées à la sécurité collective dans la région du Golfe. Enfin, bien évidemment les deux chefs d’État passeront en revue les principaux chapitres de la coopération bilatérale.
Q. : Quelle est votre évaluation des relations entre le Qatar et la France, et quelles sont leurs perspectives dans les domaines économique, culturel et militaire ?
R. : Il s’agit d’une relation privilégiée qui embrasse tous les domaines de la coopération, qu’il s’agisse du secteur civil ou de la défense. Les entreprises françaises, connaissent bien le Qatar. Elles souhaitent participer activement à son développement, a quel la mise en œuvre de grands projets liés aux importantes ressources en gaz de ce pays vont donner un nouveau souffle. Cela concerne les sociétés pétrolières, mais aussi tous les industriels de la chimie, du gaz et du pétrole.
Dans le domaine de la défense, où nos relations sont à la fois très denses et très suivies, le Qatar sait pouvoir compter sur la solidarité de la France, s’il venait à être menacé. Un accord de coopération en matière de défense, dont la négociation a commencé peu de temps après la « guerre du Golfe », lie d’ailleurs les deux pays depuis le 1er août 1994. La formation d’officiers et de techniciens qatariens en France est une tradition ; des formules nouvelles et complémentaires de formation sont à l’étude, de manière à renforcer la coopération militaire au Qatar même.
Par ailleurs, une coopération culturelle, scientifique et technique se met en place dans différents domaines de formation universitaire, sans oublier la diffusion de la langue française au Qatar et de la langue arabe en France, en particulier par le canal de l’Institut du monde arabe, dont le rôle pour la diffusion de la culture arabe est sans équivalent dans le monde. Enfin, un accord devrait être signé prochainement dans le domaine de la jeunesse et des sports.
Q. : Grâce aux initiatives du président Jacques Chirac, la France commence à jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale. À quoi est due cette évolution de la politique étrangère française ?
R. : Cette évolution que vous avez très justement relevée puise ses inspirations et sa force dans une tradition déjà ancienne, la politique arabe définie, il y a trente ans déjà, par le Général de Gaulle. Voilà pour ce qui concerne la région du Golfe persique, région qui constitue à elle seule, pour la France, un continent politique et culturel. Pour ce qui est du reste du monde, notre ambition est, là aussi, de redonner à la France toute sa dimension internationale conformément à sa vocation de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Je vous rappelle que M. Jacques Chirac a déjà eu l’occasion de présenter à l’opinion mondiale les grandes lignes de sa conception des relations internationales à Washington (1er février 1996) d’abord, où il s’est exprimé sur le dialogue transatlantique, puis à Singapour (29 février) sur les relations avec l’Asie et lors de sa visite en Égypte (8 avril), sur les relations de la France et de l’Europe avec le Monde arabe, qui constitue en quelque sorte le jalon entre l’Asie et l’Occident.
Q. : Comment voyez-vous l’avenir du processus de paix au Moyen-Orient avec le nouveau Premier ministre israélien. Et quel sera le rôle de l’Europe et de la France particulièrement dans les jours à venir ?
R. : S’agissant du processus de paix, nous avons noté les toutes récentes déclarations du nouveau Premier ministre israélien. Nous ne souhaitons pas faire dès maintenant une interprétation de tout ce qui a été dit pendant la campagne électorale israélienne et après le résultat des élections. Cela étant, nous avons fait savoir, notamment lors du sommet européen de Florence, que nous restions attachés à un certain nombre de principes, notamment celui de l’échange des territoires contre la paix. Ce principe a été agréé à Madrid et à Oslo. Il a déjà prouvé son efficacité. Il convient de le préserver.
La France a toujours accordé une grande attention aux évolutions politiques au Moyen-Orient. Comme le Qatar, elle a toujours souhaité l’établissement d’une paix juste et durable préservant les droits de toutes les parties. À ce titre, elle a encouragé tous les efforts entrepris et appelé de ses vœux le succès de la conférence de Madrid comme de la dynamique de négociation qui s’en est suivie. Elle a suivi attentivement les négociations entre Israël et ses voisins arabes. Elle contribue dans des proportions importantes au financement de la mise en œuvre de l’autonomie palestinienne. Elle le fait à titre bilatéral et au travers de l’Union européenne.
Comme vous le savez, la France a joué un rôle clef dans la solution de la crise israélo-libanaise d’avril dernier. Au-delà de cette crise, la France entend désormais participer aux efforts de paix à venir. Elle a activement contribué à faire adopter au sommet européen de Florence une « déclaration de principes » qui rappelle les positions européennes sur la manière de résoudre le conflit israélo-arabe et, notamment, sur la nécessité de respecter les engagements pris à Madrid en 1991 et à Oslo en 1993. Elle l’a fait avec le souci de rappeler que tous les États, Israël comme les Pays arabes, ont droit à la sécurité. En définitive, seule ou avec ses partenaires européens, la France participera activement à toute initiative de nature à favoriser la paix. Personne ne doit douter de notre détermination.
Q. : Les États-Unis d’Amérique exercent des pressions sur leurs alliés européens pour montrer plus de fermeté contre l’Iran. Pouvez-vous nous définir la position européenne sur cette affaire ?
R. : La politique européenne vis-à-vis de l’Iran a été définie lors du sommet d’Édimbourg (12 décembre 1992), date à laquelle une forme de relation politique, le « dialogue critique », a été proposée à la partie iranienne, fournissant un cadre collectif aux relations de chacun des quinze membres de l’Union européenne avec Téhéran. Dans ce cadre sont abordés de manière ouverte, franche et sans complaisance toutes les questions sensibles qui existent ou qui sont susceptibles d’exister dans les relations entre l’Union européenne et la République islamique d’Iran. C’est assez dire que comme ses partenaires européens, la France n’estime pas que la politique d’isolement de l’Iran soit le meilleur moyen d’amener ce pays à normaliser ses relations avec la communauté internationale. Cela ne veut pas dire que l’Union européenne ne partage pas certaines inquiétudes qui lui sont communes avec les États-Unis. C’est précisément ce que nous exprimons lors des réunions des pays les plus industrialisés. Mais, dans le monde contemporain, ce n’est pas la confrontation qu’il faut faciliter mais la normalisation, ce n’est pas l’isolement mais le dialogue. Je saisis à nouveau l’occasion que vous voulez bien fournir pour redire, comme je l’avais fait le 10 juin dernier, lors de ma dernière visite à Doba, que nous appelons l’Iran à contribuer effectivement à la paix et à la sécurité internationale.
Entretien accordé au Quotidien saoudien « Okaz », à Paris, le 4 juillet 1996
Q. : Quelle importance accordez-vous à la visite du président Chirac dans le Royaume et quels sont les sujets qui seront abordés avec les responsables saoudiens ?
R. Le président de la République a toujours accordé une importance particulière aux relations entre la France et le Royaume. C’est pourquoi il avait envisagé d’y effectuer son premier déplacement au Moyen-Orient. L’esprit dans lequel se déroulera sa visite des 6 et 7 juillet n’est donc pas différent de celui de ses visites au Liban et en Égypte.
Il s’agit pour M. Jacques Chirac de renforcer les liens entre la France et l’Arabie saoudite et de présenter sa vision rénovée de la politique arabe de la France.
L’Arabie saoudite est pour la France un partenaire majeur dans cette partie du monde, un partenaire avec lequel il existe une concertation, non seulement sur les questions régionales, notamment politiques et de sécurité, mais aussi sur tous les grands problèmes contemporains. C’est ainsi que le Gouvernement français a consulté le Gouvernement saoudien avant la réunion du G 7 de Lyon sur les différents points qui devaient y être abordés.
Q. : La ville d’Al-Khobar vient d’être la cible d’un acte terroriste. Comment la France juge-t-elle le recours à de telles méthodes ? La France est-elle favorable à la coordination de la lutte anti-terroriste ?
R. S’agissant de l’attentat perpétré à Al-Khobar, nous avons aussitôt exprimé bien entendu l’indignation que nous inspire cet acte barbare et manifesté notre solidarité avec les Gouvernements saoudien et américain.
Le terrorisme est aujourd’hui un phénomène de caractère mondial. Il ne peut être considéré comme marginal et localisé dans une région du monde. Il constitue assurément un défi majeur pour l’ensemble de nos sociétés et des États. La France accorde une vigilance particulière à cette question que le président Chirac, vous le savez, a inscrite au premier rang des points de l’ordre du jour du récent sommet de Lyon.
Q. : Les relations franco-saoudiennes sont en évolution permanente. Que pensez-vous de l’avenir de ces relations et quels sont les domaines dans lesquels elles devraient être développées et approfondies ?
R. : Une amitié étroite et ancienne nous lie à l’Arabie saoudite. Des événements solennels comme la rencontre, en juin 1967, entre le général de Gaulle et le Roi Abdulaziz sont là pour en témoigner. Aujourd’hui, les relations franco-saoudiennes sont effectivement, comme vous le faites justement remarquer, en évolution permanente. C’est la raison pour laquelle les visites de hauts responsables français y sont fréquentes. C’est également le motif pour lequel rien ne permet de penser – comme certains ont pu l’écrire – qu’elles manquent de densité.
Je ne doute pas, au contraire, que le caractère privilégié du dialogue politique qui existe entre les dirigeants des deux pays ne se traduise tôt ou tard par un renouveau des échanges dans tous les domaines où la spécificité des entreprises françaises – notamment celles qui ont acquis une réputation internationale dans les domaines de la haute technologie – leur permet de participer activement au développement du Royaume selon les besoins qui sont les siens.
Q. : La politique étrangère de la France a récemment enregistré plusieurs succès diplomatiques. Comment la France envisage-t-elle de renforcer son rôle au Moyen-Orient et de participer activement à l’instauration de la paix dans cette région ?
R. : La France a toujours accordé une grande attention aux évolutions politiques au Moyen-Orient. Comme l’Arabie saoudite, la France a toujours souhaité l’établissement d’une paix juste et durable préservant les droits de toutes les parties.
À ce titre, la France a encouragé tous les efforts entrepris et appelé de ses vœux le succès de la conférence de Madrid comme de la dynamique de négociation qui s’en est suivie. Elle participe à ce titre très activement aux négociations de caractère multilatéral tout en suivant attentivement les négociations directes entre Israël et ses voisins arabes.
Comme vous le savez, la France a joué un rôle clef dans la solution de la crise israélo-libanaise d’avril dernier. Elle l’a fait parce qu’il s’agissait de la paix entre Israël et le Liban, et parce qu’il s’agissait du Liban avec lequel nous avons une relation spécifique. Il était donc naturel que nous proposions notre contribution.
Au-delà de cette crise, la France entend désormais participer aux efforts de paix des uns et des autres. Elle a activement contribué à faire adopter au Sommet européen de Florence une « déclaration de principes » qui rappelle les positions européennes sur la manière de résoudre le conflit israélo-arabe et, notamment, sur la nécessité de respecter les engagements pris à Madrid en 1991 et à Oslo en 1993. Elle l’a fait avec le souci de rappeler que tous les États, Israël comme les pays arabes, ont droit à la sécurité.
Nous comptons beaucoup sur les relations de confiance entre l’Arabie saoudite et la France pour renforcer le camp de la paix et pour que nous agissions de façon concertée dans les semaines et les mois à venir.
Entretien accordé à la chaine de télévision arabe « MBC », à Paris, le 5 juillet 1996
Q. : Monsieur le ministre, merci de nous recevoir chez vous au ministère des affaires étrangères, et à un moment où la France a marqué des points importants pour faire renaitre la politique arabe. Les sommets de Florence et du G 7 ont insisté sur la poursuite du processus de paix selon les termes de « la terre contre la paix ».
Avez-vous eu avec les Américains, au G 7, une divergence sur ce point-là ?
R. : C’est vrai que dans les discussions préalables que nous avons eues, les dirigeants américains avaient le souhait, mais ils n’étaient pas les seuls d’ailleurs, que l’on parle le moins possible de ce sujet parce que la situation actuelle est en effet une situation complexe. Nous pensons que, bien au contraire, la France et l’Europe doivent exprimer de façon très claire la permanence, la continuité de notre ligne, qui est une ligne en faveur du processus de paix, cette paix à laquelle, je crois, tous les peuples du Moyen-Orient aspirent profondément.
Q. : Êtes-vous inquiet pour le processus de paix ?
R. : Je ne dirai pas encore aujourd’hui « inquiet ». Je sais qu’il y a dans le monde arabe beaucoup d’inquiétude et de préoccupation. C’est un fait que tout le monde attend ce que seront les positions du nouveau Gouvernement israélien. Je comprends que cela suscite des inquiétudes. Nous-mêmes n’exprimons pas ces inquiétudes, mais nous exprimons en tout cas ce qui est notre conviction. Il n’y a pas d’alternative à la paix. Le processus de paix doit être poursuivi à la fois sur des bases déjà convenues et dans la ligne qui a été fixée de longue date qui est la seule voie qui permette de trouver une issue positive sur les sujets qui restent, c’est-à-dire : la poursuite de la négociation entre Israéliens et Palestiniens, et la reprise de celles qui avaient à peine commencé avec les Syriens et qui devront exister avec les Libanais, mais celles-ci n’ont pas commencé.
Q. : Avec votre homologue américain, le groupe de surveillance du cessez-le-feu au sud-Liban est-il resté un point de divergence ?
R. : Je crois que la mise en place de tous les éléments de l’accord du 26 avril dernier auquel vous faites allusion et, en particulier, la mise en place de ce groupe de surveillance auquel participent 5 pays, Israël, la Syrie, le Liban, les États-Unis et la France, est très importante. Je crois qu’avec l’ensemble des partenaires, nous sommes maintenant dans la phase où, pour autant qu’on le veuille, une issue positive est possible. Les Français, les Américains aussi, partagent l’idée qu’il faut maintenant faire vite.
Q. : Les Américains vous demandent en fait, à vous Européens ou Français, d’attendre pour voir quelle va être l’attitude du nouveau Gouvernement. Iraient-ils jusqu’à vous proposer une deuxième conférence à Madrid pour la paix au Proche-Orient, à laquelle cette fois-ci les Européens participeraient ?
R. : Nous avons eu une très longue conversation avec W. Christopher, en marge du sommet de Lyon. Nous sommes convenus, je vous le dis au passage, d’ouvrir de véritables consultations franco-américaines approfondies sur toute une série de sujets, dont, en effet, le Moyen-Orient. Il a été entendu que j’irai à Washington pour tirer le bilan de ces conversations approfondies, probablement au mois de septembre. La position française et la position européenne ne changeront pas. Ce qu’il y a de nouveau et qui est très important, c’est qu’en effet, la France est décidée aujourd’hui à faire en sorte que notre pays soit présent au Moyen-Orient et avec lui, d’ailleurs, l’ensemble des pays européens qui partagent notre démarche. D’autre part, il y a quelque chose qui m’a toujours un peu choqué dans les situations passées, c’était que l’on demandait aux Européens de participer aux efforts économiques de mise en œuvre du développement après la paix. Pour la discussion de la paix, nous n’étions pas autour de la table. Autrement dit, les uns décident, les autres paient. C’est évidemment quelque chose que nous ne sommes pas prêts à accepter. Nous pensons que nous avons un grand rôle à jouer, parce que nous connaissons et nous aimons le Moyen-Orient. Nous connaissons et nous aimons l’ensemble des pays qui s’y trouvent. Nous avons des relations très anciennes qui font que l’on se comprend, l’on s’entend, l’on s’apprécie, et nous pensons que, du même coup, nous avons quelque chose d’utile à apporter. Après tout, il ne s’agit pas d’être assis autour de la table pour être assis autour de la table. Il s’agit d’être présent si l’on peut être utile, et je crois franchement que la France peut être utile.
Q. : Vous avez été utiles avant les élections israéliennes pour faire la navette entre Tel Aviv, Damas, le Liban…
R. : Oui, je crois que nous avons joué un rôle très important parce que nous avions une position qui s’efforçait de prendre en considération les besoins des uns et des autres. Il y a un besoin de sécurité pour Israël que nous pouvons en effet considérer comme une donnée forte. Mais d’un autre côté, les Libanais ont le même problème de sécurité et voudraient bien être en paix chez eux. Les Syriens désirent récupérer une partie de leur territoire actuellement en dehors de leur autorité : donc, chacun a ses problèmes, et on ne peut arriver à une paix juste, durable, réelle, que si chacun retrouve ses préoccupations.
Q. : Cette navette vous a fait rencontrer à plusieurs reprises S. Peres. À votre avis, en quoi M. Netanyahou peut-il être mieux ou pire que M. Peres ?
R. : Vous me permettrez de ne pas porter de jugement. Chaque Gouvernement doit être respecté tel qu’il est avec ses choix et ses engagements. Ensuite, chacun d’entre nous doit prendre en considération le fait qu’il y a eu des élections en Israël, et je respecte naturellement les choix du peuple israélien. Je ne porterai pas de jugement sur M. Netanyahou. Je connais très bien M. Peres, j’avais des liens d’amitié avec lui, je ne connais pas encore M. Netanyahou, et j’espère que nous pourrons établir avec le nouveau Gouvernement israélien des relations de travail et des relations cordiales. C’est nécessaire pour la paix, c’est l’intérêt de tous. Je le répète, il n’y a pas de solution pacifique, dans cette région très difficile du monde, si on s’échappe des objectifs, des règles, des engagements qui ont été fixés dans les années passées.
Q. : Aujourd’hui, vos relations avec la Syrie vont-elles mieux ?
R. : Elles vont bien, nous avons des relations très cordiales, très sérieuses, très concrètes, et très chaleureuses avec la Syrie.
Q. : Monsieur le ministre, vous allez accompagner le président de la République. Quels sont les principaux sujets que vous allez évoquer ? Allez-vous évoquer le terrorisme ?
R. : Nous allons certainement parler de beaucoup de sujets importants. Je dirai que, pour résumer les choses, l’objectif essentiel de cette visite du président de la République en Arabie saoudite, est de caractère politique. Il s’agit pour nous, au début d’un nouveau septennat, d’établir des relations fortes d’amitié, de concertation, de dialogue entre nos deux pays. La France considère que l’Arabie saoudite est un des pays majeurs de la région, un pays très important, qui a une très grande influence et qui connaît une très longue et très remarquable stabilité politique, avec lequel nous avons toujours eu de très bonnes relations. Nous voudrions leur donner une nouvelle impulsion, un nouvel élan, un nouveau dynamisme. Je connais bien le Prince Saoud, ministre des affaires étrangères. Nous avons, au cours de ces derniers mois, beaucoup parlé ensemble. C’est le bon moment pour donner cette nouvelle impulsion vers le haut dans les relations franco-saoudiennes.
Q. : Sur le dossier des relations bilatérales, le royaume saoudien a choisi la France pour équiper ses forces navales. Aujourd’hui, avec la présence américaine, y a-t-il encore une place pour la France pour des marchés ?
R. : Oui, bien sûr. Ce ne sera pas le cœur des objectifs du président de la République, ni même probablement le cœur des discussions que nous aurons. Bien entendu, la France a le souci d’être présente au Moyen-Orient, non seulement au nom de l’amitié entre les peuples et des relations cordiales et chaleureuses entre les gouvernements, mais aussi bien s0r, d’être présente sur le plan économique. Très souvent, c’est à nous-mêmes de faire nos preuves et de montrer que nous sommes les meilleurs.
Q. : Trois pays arabes aujourd’hui sont sous embargo, l’Iraq, la Libye et le Soudan. Le président de la République avait déclaré récemment qu’il était contre le principe d’embargo parce que cela affaiblissait surtout les peuples. Peut-on penser que la France et l’Union européenne pourraient avoir une attitude un peu différente pour alléger les souffrances des peuples ?
R. : Ce sont des situations très différentes les unes des autres. Il ne faut pas les assimiler. Je ne suis même pas sûr que le mot embargo soit d’application générale pour ces pays.
Prenons le cas de l’Iran. C’est vrai qu’il y a une différence d’appréciation et de comportement de la France et d’ailleurs de l’ensemble des Européens par rapport à l’attitude américaine. Nous n’avons pas la même vue. Ce n’est pas que nous n’exprimions pas les mêmes préoccupations. Nous souhaitons évidemment que l’Iran contribue au processus de paix, au caractère harmonieux des relations dans la région, et nous disons à cet égard des choses avec franchise aux dirigeants iraniens. Mais, nous pensons en effet que mieux vaut continuer à se parler même si de temps en temps, nous avons des choses à nous dire, mieux vaut cette franchise-là que le silence, que couper les ponts. Nous pensons que c’est plus utile, c’est ce que nous avons appelé le dialogue critique. C’est une position européenne que la France a soutenue et défendue, et je constate d’ailleurs qu’elle a obtenu certains effets. Par exemple, les Américains et les Israéliens étaient très contre, et bien heureusement que nous avons eu quelques contacts avec les Iraniens au moment de la crise israélo-libanaise.
Avec l’lraq, c’est différent ; il y a des résolutions du Conseil de sécurité. Naturellement, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, nous demandons aux autorités iraquiennes de les respecter. Mais nous ne voulons pas que l’on utilise ces résolutions pour tout bloquer. Par exemple, nous avons soutenu qu’il fallait absolument que la résolution 986, qui est de caractère humanitaire, qui va permettre aux Iraquiens de vendre des petites quantités de pétrole pour, et exclusivement pour cela, acheter des denrées alimentaires et des biens de premier secours pour la population, soit appliquée. Nous avions encore des difficultés, j’espère que nous y parviendrons. Voyez que c’est assez différent. C’est vrai que nous disons très clairement aux Iraquiens, comme l’ensemble de la communauté internationale, que leur devoir est de mettre en application intégralement et sincèrement les résolutions du Conseil de sécurité.
Q. : Devant l’entêtement des Iraquiens et l’obstination américaine au Conseil de sécurité, craignez-vous pour le peuple iraquien et pour l’intégrité territoriale de l’Iraq ?
R. : Non, je ne crains pas pour l’intégrité territoriale de l’lraq. D’ailleurs, ce serait une idée saugrenue que de vouloir menacer cette intégrité territoriale. Par contre, je répète que les suites de la guerre du Golfe ont été tragiques, que cette guerre a créé des tensions très vives et aussi une impression de menace contre la sécurité des voisins de l’Iraq. Il faut donc que l’Iraq applique ces résolutions et cela pourra, je l’espère rassurer ses voisins. Aujourd’hui, ce n’est pas encore complètement le cas, c’est vrai en Arabie saoudite, au Koweït, c’est vrai dans la région.
Q. : Quel est le seuil à partir duquel l’Europe peut arrêter le dialogue critique avec l’Iran ?
R. : Le dialogue critique est une bonne méthode diplomatique : garder le contact, se parler et se dire les choses, les bonnes, les mauvaises, qu’elles soient agréables ou non. Nous n’avons pas l’intention d’en changer.
Q. : L’Égypte demande aujourd’hui d’ouvrir le dossier des missiles balistiques. Allez-vous l’appuyer dans la demande ?
R. : Je crois qu’il faut bien sûr avoir dans l’idée que nous voulons faire du Moyen-Orient un espace de paix, un espace de développement et, j’espère, un espace de prospérité pour les peuples. Pour y parvenir, l’objectif n’est pas d’augmenter le nombre des armes dans 18 régions, c’est de le diminuer. Ce n’est pas de s’armer jusqu’aux dents, c’est plutôt de créer des rapports pacifiques, de régler les différends, et de créer des relations économiques humaines. C’est cet objectif qu’a eu la conférence de Barcelone, réunie à l’initiative des Européens, et particulièrement de la France et de l’Espagne, et qui a permis de réunir tous les pays du pourtour méditerranéen. Notre idée, lorsque la paix sera venue, le plus tôt possible, même si nous avons aujourd’hui une période d’atermoiement, est d’organiser entre nous, pays riverains de la Méditerranée, cet espace de paix et de prospérité. C’est pour cela que la France prône à la fois les initiatives financières de soutien, le programme MEDA, c’est-à-dire un grand projet de soutien et d’investissements financiers européens à destination des pays du sud de la Méditerranée et, d’autre part, que la France a proposé aux uns et aux autres de passer ensemble un pacte de stabilité en Méditerranée, qui permettrait justement, par des mesures de confiance, par des décisions prises en commun, de régler les différends et de créer cette atmosphère propre au développement plutôt qu’à l’affrontement.