Article de M. Bruno Gollnisch, secrétaire général du Front national, dans "Le Figaro" du 21 juin 1996, sur la notion d'extrême-droite, intitulé "Le Front national et la sémantique".

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Circonstance : Ordonnance de référé du tribunal de Nanterre le 7 juin 1996 obligeant "Le Monde" à publier un droit de réponse du Front national relatif à un article paru dans "Le Monde" du 12 mai

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Texte intégral

Les droits de réponse publiés dans le journal Le Monde par le Front national et son président ont suscité chez leurs adversaires politiques et médiatiques une émotion artificielle.

« Le Front national prétend interdire à la presse de la qualifier d’extrême droite », clament certains. C’est juridiquement inexact. Le Front national entend seulement faire connaître son point de vue en réponse lorsqu’il est ainsi qualifié. Ce droit est reconnu à chacun par la loi sur la presse de 1881, constamment appliquée, qui protège toutes les libertés : celle du journaliste, mais aussi celle de la personne physique ou morale qu’il met en cause, et donc finalement celle du lecteur. Qui peut prétendre que le débat public en sera amoindri ? Étrange conception de la démocratie que celle qui voudrait pouvoir dire n’importe quoi d’une formation représentant des millions de Français, sans lui laisser la possibilité de se présenter autrement que d’une façon altérée par ses adversaires !

Réflexe conditionné

Si le débat est aussi passionné, c’est que l’enjeu est d’importance. Les luttes politiques sont des luttes sémantiques. Celui qui impose à l’autres son vocabulaire lui impose ses valeurs, sa dialectique et l’amène, sur son terrain, à livrer un combat inégal. Or, comme d’autres vocables, celui d’extrême droite est depuis longtemps le piège dans lequel la gauche veut enfermer ses adversaires, dès lors du moins qu’ils combattent le magistère moral abusif qu’elle s’est arrogé depuis des décennies.

Simplissime, le procédé consiste à attribuer d’emblée à l’« extrême droite » tous les maux de la planète. L’attentat de la synagogue de la rue Copernic ? L’extrême droite ! (En fait, des terroristes arabes.) L’attentat d’Oklahoma City qui détruisit un immeuble et en tua les habitants ? L’extrême droite ! (En fait, des marginaux en lutte contre l’État fédéral américain). La profanation du cimetière juif de Carpentras ? L’extrême droite ! (En fait, on attend toujours les coupables.)

Dès lors, le tour est joué : ainsi chargée de pulsions émotives, l’épithète d’extrême droite sera accolée aux adversaires de l’établissement politique. Ceci fera l’affaire des partis conservateurs autant que de la gauche. Une gauche que ses alliances communistes ou ses infiltrations trotskiste ses échecs, ses turpitudes, devraient rendre plus modeste.

Dans l’opinion publique, des réflexes conditionnés, semblables à ceux que le savant Pavlov avait réussi à inculquer à son chien, feront leur œuvre, suscitant dans le conscient ou le subconscient des réactions de peur ou d’hostilité.

Il existe, certes, une culture de droite et une culture de gauche. Sur le plan philosophique et si l’on veut bien dépasser les manichéismes habituels, l’une et l’autre se définissent sans doute autour de l’acceptation (par la droite) ou du refus (par la gauche), d’un ordre donné dans la société, et de valeurs extérieures à l’homme, dont il ne serait pas lui-même le créateur, et ne dépendraient pas de son seul jugement.

Retour du balancier

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la gauche réussit à confisquer moralement le domaine du social, dans lequel pourtant les réalisations de la droite n'avaient pas été minces. Sous ce rapport, et à juste titre, beaucoup de bons esprits, notamment parmi les jeunes du Front national, considèrent le clivage dépassé. « Ni droit ni gauche, Français ! » Un slogan, réducteur comme tous les slogans, mais qui traduit bien l’idée selon laquelle la question de la défense de l’identité est aujourd’hui le nœud gordien de la politique, et pas seulement en France d’ailleurs.

Durant les années 50, 60, 70, presque personne – s’en souvient-on ? – n’osait se dire de droite. Quand M. Chirac lance le RPR, il le définit comme « un travaillisme aux couleurs de la France ». Or le mot travaillisme a un sens : c’est le socialisme anglo-saxon. Quant à M. Lecanuet, définissant l’UDF, qu’il présidait, comme une formation de centre gauche, il lui assignait comme but de « vider le Programme commun (de la gauche) de sa substance » - en d’autres termes d’en assurer la réalisation. On connaît la suite : en 1981, la gauche accédait à un pouvoir auquel les esprits étaient depuis longtemps préparés et qu’elle avait déjà conquis de fait dans les écoles, les médias, le syndicalisme, l’université, la recherche, la culture, la fonction publique, etc.

Durant ces années difficiles, Le Pen a ramassé l’épithète de droite, jusque-là considérée comme infamants, dans le ruisseau où les uns et les autres l’avaient laissée tomber. Dans un de ses livres, il s’est expliqué sur ce que ce mot de droite connotait pour lui : droiture, rectitude, efficacité (la ligne droite n’est-elle pas le plus court chemin d’un point à un autre ?). Quand gauche connotait maladresse ou gauchi, donc faussé.

Renversant les idoles et brisant les tabous, il a osé s’attaquer au conformisme ambiant de ce que l’on appelle aujourd’hui – par antiphrase – le « politiquement correct ». Immigration, dénatalité, sida, drogue, Maastricht, omniprésence de l’État. Il est peu de domaines où ses positions n’aient été violemment combattues et travesties, avant que d’être vérifiées par les faits.

Aujourd’hui, le balancier revient de l’autre côté, et les échecs de la gauche font qu’il n’est pas mal vu pour un homme politique RPR ou UDF de laisser croire qu’il est de droite, à défaut d’être capable de mener la politique qu’attendent ses électeurs. Il y a, certes, un train de retard, mais c’est après tout le jeu normal de la concurrence politique.

En revanche, cela ne justifie pas de rejeter dans les « extrêmes » ou dans l’« extrémisme », ni le Front national ni son président, qui n’ont jamais rien fait d’autre que de se présenter au suffrage des électeurs. Des électeurs qui ont le droit d’être mieux informés sur ce que pense et dit d’elle-même une grande formation politique française.