Interview de M. Nicolas Sarkozy, député RPR et ancien ministre du budget, dans "Le Figaro" du 14 octobre 1996, sur sa place au sein du RPR, ses propositions en matière de fiscalité et de dépense de santé et le soutien de la majorité au gouvernement.

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Le figaro - 14 octobre 1996

Le Figaro : Dégel, réchauffement, rapprochement… Quel terme qualifie le mieux, selon vous, la situation dans laquelle se trouvent actuellement chiraquiens et balladuriens ?

Nicolas Sarkozy : Nous avons tout simplement appris à nous parler et à le faire dans un climat de confiance. Il y a, me semble-t-il, une commune conscience du besoin réciproque des uns et des autres. Cela ne peut que rassurer et réjouir notre électorat, qui n’attend pas de nous, en plus de toutes les crises que nous provoquions une crise politique.

Le Figaro : N’est-ce point surtout l’approche des élections qui a motivé cet armistice ?

Nicolas Sarkozy : Parfois, il n'est pas inutile de laisser du temps au temps. Aujourd'hui, le constat, fait de part et d'autre, est de bons sens, Edouard Balladur l'a rappelé au Havre : ce qui nous rapproche est plus important que ce qui nous divise, il y a eu des moments tendus, des choix différents ; mais, plus on s’approche d’une échéance importante, les législatives de 1998, plus, effectivement, l’union de la majorité apparaît comme l’une des conditions de son succès. À partir du moment où chacun en est conscient, les choses peuvent et doivent évoluer.

Le Figaro : Votre plus grande réintégration dans les instances du RPR signifie-t-elle la fin du courant balladurien ?

Nicolas Sarkozy : Réintégration ? N'employons pas de grand mot ! J'ai été élu membre du bureau politique du RPR, où je siège depuis un an. Aujourd'hui, les responsables du mouvement, à commencer par Alain Juppé, ont souhaité que je participe à des travaux de la direction du RPR. J'ai accepté d'autant plus volontiers qu'il n'y avait aucune raison pour que je refuse. J'appartiens à cette famille politique depuis vingt et un ans. Pourquoi devrais-je refuser d'y travailler et d'y prendre toute ma place ?

Le Figaro : Mais est-ce la fin du courant balladurien ?

Nicolas Sarkozy : Non ! Personne ne m'a demandé de gommer le message spécifique qui peut être le mien, ou encore moins celui des balladuriens. La majorité a et aura besoin d'Edouard Balladur. De la même façon, elle a et aura besoin du rassemblement de tous ceux qui sont porteurs d'une identité propre. À nous tous de faire en sorte que ces différences soient complémentaires, qu'elles s'additionnent plutôt qu'elles ne s'exacerbent. Il ne s'agit donc pas de rallier qui que ce soit, ou de faire disparaître sa spécificité. Il s'agit de conjuguer deux idées qui ne vont pas naturellement ensemble : la diversité et l'unité. Les balladuriens continueront à se battre pour leurs convictions. Mais avec le souci de ne pas entraver la marche d'un gouvernement qui n'a pas besoin de connaître de difficultés avec sa majorité en plus de toutes celles auxquelles il est confronté.

Le Figaro : Entre Edouard Balladur et vous-même, est-ce une division des tâches, ou vous retrouvez-vous, aujourd'hui, sur deux lignes stratégiques différentes ?

Nicolas Sarkozy : Nous sommes sur la même longueur d'onde, et sur la même ligne stratégique. Edouard Balladur a toujours considéré que la politique du pire était la pire des politiques.

Le Figaro : La division qui était apparue au RPR lors de la campagne visant à ratifier le traité de Maastricht peut-elle, selon vous, réapparaître ?

Nicolas Sarkozy : Mieux vaudrait qu’elle ne fasse pas un retour tonitruant ! Peut-être certains sont-ils tentés de faire revivre ce passé. Pour autant, Philippe Séguin lui-même a indiqué que le principe de la monnaie unique ayant été approuvé par référendum, il n’y avait pas lieu d’y revenir. Il a raison.

En fait, le véritable clivage doit être celui qui sépare la gauche de la majorité. Comment mieux expliquer la montée du Front national que par ce sentiment, diffus dans l’opinion, que la gauche ferait une politique de droite et que la droite ne mettrait pas en œuvre une politique suffisamment conforme à ses ambitions initiales ?

Le Figaro : Invitez-vous le gouvernement à aller plus loin sur la voie libérale ?

Nicolas Sarkozy : Il le faut ! Car nous devons exprimer les valeurs qui ont fondé notre engagement politique. Si nous réformons la fiscalité, c'est pour renouer avec la croissance et renforce, le dynamisme économique mais c'est également un message clair adressé à nos électeurs : nous croyons en nos idées, et nous mettons en place ce pour quoi nous avons été élus. Regardez les expériences étrangères qui réussissent. Toutes s'inspirent d'un modèle où une place plus grande est faite à la liberté, à l'initiative, à la souplesse, à la rapidité de décision. À l'inverse, le socialisme et la social-démocratie sont partout en situation d'échec. Nous n'avons pas à chercher l'inspiration de ce côté-ci de la pensée politique. Je mets ainsi en garde certains de mes amis qui pourraient être tentés de voir dans la réduction du temps de travail une solution face au chômage. Nous ne sommes pas socialistes, et nous n'avons pas l'intention de le devenir.

Le Figaro : Qu'est-ce qui explique, sinon le manque de lisibilité de la politique gouvernementale, la si basse côte de popularité d'Alain Juppé ?

Nicolas Sarkozy : La situation a rarement été aussi difficile pour un gouvernement. La croissance est quasiment en panne, et des réformes importantes doivent être engagées. La campagne présidentielle avait suscité des espérances, et donc préparé des déceptions. La majorité était sortie désunie de cette élection présidentielle. Autant d'événements qui devaient conduire à une situation explosive et qui nécessitent des réponses appropriées. L’unité de la majorité en est une. Sa capacité à proposer des solutions diverses en est une autre.

Le Figaro : Et pourquoi, selon vous, Alain Juppé n'arrive-t-il pas à tenir sa majorité ?

Nicolas Sarkozy : La majorité vote tous les textes présentés par le gouvernement, et c'est bien là l'essentiel. Cela posé, il est certain que les grandes difficultés auxquelles le pays et la majorité se trouvent confrontés ne sont pas de nature à susciter l'harmonie au sein de cette dernière. Les causes et les conséquences sont intimement liées. Il nous faut maintenant trouver les remèdes adéquats.

Le Figaro : Vous êtes donc un député qui a voté la confiance au gouvernement avec enthousiasme...

Nicolas Sarkozy : Je l'ai votée sans états d'âme. Et c'est parce que j'ai voté cette confiance sans aucune réserve que j’aborderai tout à fait sereinement les débats à venir, des débats dans lesquels j'entends bien peser de tout mon poids afin que l'orientation de la politique menée soit infléchie sur un certain nombre de points qui me semblent importants.

Le Figaro : Pensez-vous qu’il soit possible de critiquer le Premier ministre sans mettre directement en cause le Président de la République ?

Nicolas Sarkozy : À partir du moment où la Premier ministre a été nommé et est maintenu à son poste par le Président de la République, je ne vois pas comment on peut soutenir l'un sans soutenir l'autre !

Le Figaro : Comment considérez-vous la route choisie par Alain Madelin ou celle de Charles Pasqua ?

Nicolas Sarkozy : Chacun choisit sa propre stratégie. Je pense cependant être plus à l'àise qu'Alain Madelin pour critiquer le collectif de 1995... Je souhaite que chacun comprenne que pour 1998 notre destin est lié. Rien ne doit être fait qui puisse faciliter le retour des socialistes.

Le Figaro : Pensez-vous que la majorité puisse aborder les législatives de 1998 sans que soit constitué un gouvernement de combat réunissant tous les témors du RPR et de l’UDF ?

Nicolas Sarkozy : Tout ne se réduit pas à des questions de personnes ! Ce qui est important, c'est que la majorité donne une véritable image d'union.
Une union sincère et sans arrière-pensée. Le remaniement est une possibilité. Elle n’est pas la seule…

Le Figaro : Croyez-vous, à l’instar d’Alain Juppé, que les résultats économiques seront au rendez-vous en 1997, la majorité étant ainsi prête pour affronter les électeurs en 1998 ?

Nicolas Sarkozy : Je pense, comme l'Hôtel Matignon, qu'on ne peut pas changer de politique tous les quatre matins. Et je suis persuadé, comme Edouard Balladur, qu'il faut une inflexion sur un certain nombre de points.

Le Figaro : Justement, le débat budgétaire va s'engager. Au printemps, vous aviez exprimé un certain nombre de réserves, notamment sur la réforme fiscale. Sur quels points comptez-vous infléchir le politique du gouvernement ?

Nicolas Sarkozy : Je me réjouis de l'annonce de la baisse des impôts, pour laquelle j'avais plaidé pendent des mois. Compte tenu de l'état des finances publiques, une première étape de 25 milliards l'an prochain me paraît être raisonnable. En revanche, je suis plus réservé sur les 75 milliards d'allégements en fin d'exercice. L'ambition n'est pas assez forte. En tout état de cause, si la croissance ne retrouvait pas au début de l'année prochaine un rythme supérieur à 2,5 %, il faudrait sensiblement accélérer le processus. Je proposerais alors de resserrer la baisse des impôts prévue par Alain Juppé en 1998 et en 1999 sur la seule année 1998.

Le Figaro : C’est-à-dire de baisser l’impôt sur le revenu de 25 milliards deux années de suite ?

Nicolas Sarkozy : Je suis persuadé qu'en augmentant la baisse des impôts l'année prochaine, on suscitera un surcroît de dynamisme, de confiance, et un appétit pour consommer. Les recettes fiscales seront alors au rendez-vous. Il faut également ouvrir d'autres chantiers, et notamment celui de la baisse de la TVA, dont le taux moyen est de 5,6 points supérieur à celui qui est pratiqué chez nos amis allemands.
Il faut aussi revoir la question des droits de mutation, qui atteignent 7 % en France alors qu'ils sont de 1 % en Grande-Bretagne et de 2 % en Allemagne.

Le Figaro : Approuvez-vous l'architecture de la réforme de l'impôt sur le revenu ?

Nicolas Sarkozy : J'en approuve le principe, qui est bon. Je suis cependant inquiet du nombre de contribuables qui sortent du barème un million et demi, c'est trop. Je vous rappelle que, dans la réforme que nous avions faite en 1994, nous avions allégé l'impôt sur le revenu de 19 milliards en réintroduisant cinq cent mille contribuables dans le barème.

Ma conviction est qu'un impôt à assiette large est un impôt dont on peut baisser les taux. Pour le reste, je soutiens totalement la suppression des niches fiscales, quel que soit le prix à payer en termes d'impopularité momentanée.

Je ferai toutefois une exception : la déduction des intérêts d'emprunt dans l'immobilier. Le gouvernement a bien fait de repousser cette suppression du 30 septembre au 1er janvier. Je souhaite maintenant qu'on prolonge d'au moins un an cette déduction, car la crise de l'immobilier est bien réelle, et ce n'est pas le moment de revenir sur un tel avantage.

Le Figaro : Êtes-vous satisfait de l'effort de restriction des dépenses de l'État en 1997 ?

Nicolas Sarkozy : Je trouve que l'effort de maitrise des dépenses va dans le bon sens, mais je le mets en perspective avec la baisse des impôts. Il faut faire attention à ne pas provoquer une récession, dont la France n'a pas besoin, en cumulant une baisse sensible des dépenses avec une réduction d'impôt qui ne serait pas suffisante, 30 milliards de réduction de dépenses pour 25 milliards de baisse d'impôt, cela peut se révéler être un handicap pour le retour de la croissance que nous attendons avec impatience.

Le Figaro : Concernant la sécurité sociale, partagez-vous les craintes exprimées par Edouard Balladur, qui a récemment évoqué l’éventualité d’une baisse des remboursements ?

Nicolas Sarkozy : Edouard Balladur a clairement indiqué que, si le maîtrise des dépenses ne fonctionnait pas, alors il y aurait à envisager une éventuelle diminution des remboursements. Ce n'est pas de gaieté de cœur, mais qui peut contester que ce n'est pas la réalité ?

Pour ma part, je considère que, si la maîtrise des dépenses ne pouvait être assurée, nous n'échapperions pas, un jour ou l'autre, à la création d'une franchise annuelle que chaque assuré social devrait assumer, à l'image du forfait hospitalier. On pourrait décider que les 300 premiers francs par an de dépenses d'assurance maladie ne seraient pas remboursés, selon une grille de revenus à définir. Les non-imposables, par exemple, ne seraient pas soumis à cette franchise. C'est le même principe qui existe pour l'assurance automobile ou l'habitation. Ce système aurait l'avantage de responsabiliser les Français, avec une clause de rendez-vous.

Chaque année, au moment du débat parlementaire sur le financement de la sécurité sociale, on déciderait de diminuer ou d'augmenter la franchise, selon l'ampleur des déficits. Il faut choisir : la maîtrise des dépenses est la seule solution si l’on veut éviter la hausse des cotisations, qui pénalise l’emploi, ou le déremboursement, qui pénalise les assurés sociaux.