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Libération : Notre enquête révèle que de nombreux convois de combustible irradié sont contaminés « en surface ». Cette situation est-elle acceptable ?
Dominique Voynet : Bien sûr que non, c’est inacceptable. Il y a effectivement une contamination des conteneurs et des wagons de transport des combustibles usés. En provenance des centrales nucléaires d’EDF, mais aussi de centrales suisses et allemandes. Et à destination de l’usine de La Hague via la gare de Valognes. Nous n’avons pas aujourd’hui tous les éléments pour trancher sur le niveau de gravité de cet incident. Mais les premiers rapports de la sûreté nucléaire indiquent que cette contamination concerne un nombre important de colis, à des niveaux de contamination qui dépassent de très loin les normes. Dans un cas, la contamination atteignait 2 000 becquerels par centimètre carré.
Libération : Pourquoi l’opinion publique n’est-elle pas informée ?
Dominique Voynet : Ce qui me choque au-delà du niveau de contamination, c’est que, dès que l’on pose quelques questions simples aux exploitants, on se rend compte que cela dure depuis des années. Que les trois sociétés en cause (EDF, Transnucléaire et Cogema, ndlr) étaient parfaitement au courant et qu’elles n’ont rien dit. Et qu’à Valognes il y avait un site de décontamination sauvage et clandestin des wagons et des colis. Tous s’adaptaient à la situation sans modifier les procédures et les conditions de transport. Lorsqu’en juin, avec Christian Pierret, nous avons demandé à l’Autorité de sûreté nucléaire d’exercer un contrôle sur les transports, on avait bien le pressentiment que c’était un point faible du dispositif.
Libération : Votre collègue de l’Industrie a pourtant qualifié lundi de « non-incident » cette affaire des conteneurs ?
Dominique Voynet : Ce n’est pas mon avis. Que ce soit un problème de propreté, c’est évident. Mais il ne faut pas banaliser cet événement. Je ne suis pas en mesure d’affirmer qu’il y a eu des conséquences sanitaires, parce qu’on ne connaît pas encore les conditions dans lesquelles le public a pu être exposé. Quant à l’exposition des travailleurs, on l’appréhende à la louche. Ce qui est sûr, c’est que le scénario maximum d’inhalation dans le local de décontamination « non classé » de Valognes aboutit, en deux heures, à une exposition de plus du vingtième de l’exposition annuelle admise pour les travailleurs. Ce n’est pas négligeable. Dans le nucléaire, la culture de sureté impose de signaler toute anomalie pour en prévenir l’aggravation. Le fait que les exploitants se soient accordés pour se taire est un incident en soi et un vrai dysfonctionnement du système. Cela exige de refaire le point sur les procédures. On ne peut pas imaginer que la réglementation en vigueur ne soit pas respectée par tout le monde dans le futur.
Libération : Depuis plus d’un an, l’usine de retraitement de La Hague se retrouve au centre de nombreuses polémiques…
Dominique Voynet : Cet incident s’ajoute au problème rendu public concernant la plage du Moulinet, l’enfouissement d’un bout d’une ancienne canalisation (de rejet des effluents radioactifs, ndlr). Il montre que la Cogema n’a pas fait sa révolution de la transparence et du dialogue avec le public. C’est ça aussi l’enjeu.
Libération : La Cogema traîne-t-elle des pieds pour revoir à la baisse ses rejets radioactifs en mer ?
Dominique Voynet : Je suis bien consciente du fait que notre demande d’une étude technique et économique sur l’objectif de « rejet zéro » n’est pas simple. Un délai supplémentaire ne me paraissait pas scandaleux. J’insiste fortement auprès de la Cogema pour que le dossier soit prêt avant la fin du trimestre afin que l’enquête publique puisse avoir lieu dès septembre 1998. Elle avait été promise pour septembre 1997. On veut faire les choses sérieusement, je souhaite que le public ait à sa disposition des documents compréhensibles où des considérations techniques ne soient pas utilisées pour masquer des enjeux.
Libération : Partagez-vous l’avis de votre prédécesseur, Corinne Lepage, qui affirme dans un livre qu’on ne peut rien faire contre le lobby nucléaire ?
Dominique Voynet : Je ne mésestime ni les lourdeurs ni les lenteurs de l’administration. Mais elles ne doivent pas servir de prétexte pour ne pas agir ou pour justifier ses propres faiblesses. Je pense en tout cas disposer d’atouts que Corinne Lepage n’avait pas : un mouvement politique, et une certaine écoute au sein d’un gouvernement progressiste. En revanche, je confirme ce qu’elle dit sur le poids du lobby nucléaire.