Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à "Deutschlandfunk" le 20 avril 1998, sur le choix de l'euro, son importance pour la compétitivité de l'Europe, le choix de Francfort comme siège de la Banque centrale européenne et la candidature de M. Trichet à la présidence.

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Média : Deutschlandfunk - Presse étrangère

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DEUTSCHLANDFUNK : Avant le Conseil européen du 2 mai à Bruxelles, le président Chirac a cherché à dissiper les craintes des Français sur le principe de la participation de la France à l’Union économique et monétaire. Les mêmes craintes existent en Allemagne. Quels sont les avantages et les inconvénients de l’euro ?

HUBERT VEDRINE : Le projet de monnaie unique pour l’Europe a été examiné depuis des années et des années. Cela fait presque vingt ans que l’Allemagne et la France, notamment, ont réfléchi à ce grand projet pour l’Europe, et cela fait une huitaine d’années que, sur un plan technique très précis, tous les avantages et tous les inconvénients ont été passés en revue. La conclusion des dirigeants de l’Allemagne et de la France a été que la monnaie unique apporterait un énorme plus, un énorme avantage, un surcroît de puissance, d’influence et de stabilité à tous les pays d’Europe. Toutes les questions ont été mûrement réfléchies, jusqu’à un choix qui s’appuie sur beaucoup de rapports, beaucoup d’analyses, beaucoup de Conseils européens. Le moment clé a été pendant l’hiver 1989-1990. Nous en sommes maintenant à la concrétisation de ce choix.
Je crois qu’il faut résister à une sorte d’inquiétude au dernier moment, avant de franchir le saut. C’est un choix que l’Europe a fait en connaissance de cause et qui est un vrai choix historique. C’est un adjectif qui est en général galvaudé, utilisé à tort et à travers, mais là, il est vraiment adapté. Donc, regardons l’avenir avec confiance. Il faut maintenant nous organiser pour voir comment nous allons gérer ce statut nouveau par rapport au monde.

DEUTSCHLANDFUNK : L’euro créera-t-il des emplois ou le taux de chômage augmentera-t-il après la mise en place de l’union monétaire ?

HUBERT VEDRINE : Je pense qu’il n’y a pas de rapport automatique, mécanique, entre les deux. Il n’y a aucune raison de semer l’inquiétude en ce qui concerne l’emploi par rapport à l’euro. Mais, il ne faut pas non plus faire des promesses qui pourraient ne pas être confirmées tout de suite.
Globalement, l’euro va donner à l’Europe, dans la compétition économique mondiale, plus de poids, plus de capacité à défendre son influence et à remporter des marchés. Nous verrons bientôt que, pour les autres pays du monde, pour les autres grands pôles dans la concurrence économique mondiale, il sera évident qu’il faut tenir de plus en plus compte de l’Europe, à partir du moment où elle se sera dotée de cette grande monnaie qui va être, ipso facto, une des deux grandes monnaies du monde.
Il y a donc un rapport positif entre l’euro et le dynamisme économique général de l’Europe, donc la croissance, donc l’emploi. Mais il ne faut pas être mensonger et faire croire à des conséquences arithmétiques dans les trois semaines qui suivent. C’est un processus sur le moyen terme. Mais, c’est un processus positif, j’en suis absolument convaincu

DEUTSCHLANDFUNK : Le président Chirac a souligné que la France continue à soutenir la candidature du gouverneur de la Banque de France, M. Trichet, pour la présidence de la Banque centrale européenne. Les Pays-Bas ont annoncé leur Veto. La Haye, comme Bonn, sont en faveur de M. Duisenberg. Il semble que côté français, on est contre M. Duisenberg ?

HUBERT VEDRINE : Nous ne sommes pas contre M. Duisenberg. Comme le président Chirac l’a rappelé, nous sommes pour M. Trichet. C’est tout à fait normal que la France ait un candidat. Depuis le début de ces discussions, la France a rappelé que cette désignation ne pouvait pas se faire par une simple cooptation entre gouverneurs des banques centrales. C’est un point qui est fondamental en ce qui concerne le fonctionnement des institutions européennes, leur légitimité. Donc, c’est au Conseil européen d’en décider. La France n’est contre personne, simplement elle a mis en avant un candidat, dont, d’une façon générale, on reconnaît les très grands mérites, l’extrême compétence et l’extrême adaptation au poste.
Voilà où nous en sommes. La conversation et la concertation se poursuivent. Elles finiront par une conclusion qui sera faite au sommet, ne vous inquiétez pas, tout cela sera conclu en temps utile.

DEUTSCHLANDFUNK : Un accord existe-t-il entre Paris et Bonn selon lequel le siège de la Banque centrale européenne serait à Francfort et la France aurait la présidence de la BCE ?

HUBERT VEDRINE : On ne peut pas dire qu’il y ait eu un accord au sens formel du terme. Ce qu’il faut avoir à l’esprit par rapport à cette question, c’est l’esprit général de la dynamique de la relation franco-allemande et, d’autre part, de la construction européenne
Quand la décision a été prise de faire la monnaie unique, il y a eu un raisonnement de part et d’autre, et un compromis dynamique pour que l’Europe progresse. A propos de la localisation de la Banque centrale, c’est bien dans cet esprit, dans une logique de dynamique et d’avenir, que les discussions ont eu lieu et on s’est finalement mis d’accord sur le siège à Francfort. Nous pensons aujourd’hui que, à propos de la présidence de la Banque, non pas en raison de tel ou tel engagement passé, mais en raison de la vision commune que nous avons de l’avenir, donc à nouveau dans un esprit de dynamique et de compromis constructeur, il faut trouver une solution. Nous sommes convaincus que nous trouverons une solution, que les chefs d’État et de gouvernement trouveront une solution et, à cet égard, il n’est pas du tout illogique, il n’est pas du tout surprenant que la France présente un candidat, surtout quand c’est un candidat qui a toutes les qualités que chacun lui reconnaît, je parle de M. Trichet.
Il faut trouver la solution et j’ai bon espoir.

DEUTSCHLANDFUNK : Le strict respect des critères de Maastricht pourrait bloquer la participation de l’Italie et de la Belgique. Quelle est votre analyse ?

HUBERT VEDRINE : Je pense que lorsque les critères de Maastricht ont été mis au point – cinq critères ont été définis et non un seul – il y a eu, avec beaucoup de sagesse politique, l’idée qu’il fallait les interpréter en tendance, ce qui supposait que les dirigeants politiques avaient une petite marge d’appréciation. Et ils ont utilisé cette petite marge d’appréciation dans à peu près chacun des pays candidats et chacun des pays retenus pour l’euro. Il n’y avait aucune raison de discriminer en particulier un pays comme l’Italie. Il faut avoir une vision d’avenir sur la cohérence et le dynamisme de cette monnaie. Depuis le début, en tout cas depuis que cette controverse existe, la France a exprimé sa pleine confiance dans la capacité de l’Italie à remplir les conditions. C’est finalement l’objectif qui a été atteint. D’autre part, en ce qui concerne la force de la monnaie pour demain, par rapport au reste du monde, nous avons intérêt à ce que l’euro ait cette assise large.
Donc, la France est heureuse de la solution qui a été retenue et a confiance pour la suite.

DEUTSCHLANDFUNK : S’agissant des élections en Allemagne, attendez-vous un changement en septembre et quelles en seraient les conséquences pour la coopération franco-allemande ?

HUBERT VEDRINE : Ce serait tout à fait déplacé de la part d’un ministre français de faire des commentaires sur la campagne électorale qui s’est engagée en Allemagne et tout à fait déplacé de faire des pronostics et de commencer à tirer des leçons de tel ou tel résultat. Ce serait des commentaires abusifs sur de pures spéculations, pour le moment. Nous devons dans cette période, qui est très importante pour la vie politique intérieure de l’Allemagne, respecter nos alliés allemands, respecter leur débat, respecter leur choix. J’ajouterai deux commentaires : le rôle historique du chancelier Kohl dans cette affaire de l’euro est absolument évident, éclatant. Je rappelle que le moment-clé en réalité de la décision de l’euro, même si le processus de gestation s’est étalé sur une dizaine d’années, c’était en décembre 1989, au Conseil européen à Strasbourg : un accord au plus haut niveau entre le chancelier Kohl et le président Mitterrand. Tout le monde est conscient du très grand rôle du chancelier Kohl. Par ailleurs, j’ajouterais que l’amitié entre la France et l’Allemagne n’est pas une option, c’est un élément fondamental pour la France, comme pour l’Allemagne, comme pour l’Europe. C’est pour cela que depuis maintenant longtemps, heureusement, on a vu divers présidents en France, divers chanceliers en Allemagne, chacun avec leur style propre, naturellement, endosser ce choix historique. Je crois pouvoir dire que, aussi bien en Allemagne qu’en France, ce choix historique n’est pas à la merci de modifications électorales ou politiques.