Texte intégral
Q. Est-ce que ce matin, comme le mouvement des chômeurs, vous êtes déçu de l'intervention du Premier ministre hier à la télévision ?
R. « Non, je ne suis pas déçu. Le Premier ministre a fixé des perspectives qui sont logiques et qui sont dans la ligne de ce qu'il avait déjà annoncé. Cela étant dit, je regrette qu'il n'ait pas été au bout de sa logique en ayant reconnu qu'il y avait eu un retard sur l'évolution des minima sociaux, reconnaissant qu'il fallait rattraper et même rattraper ce qui n'a pas été versé depuis un an ou deux. Ma foi, il ne restait plus qu'à reconnaître qu'en le faisant aussitôt, au moins partiellement, au moins une décision immédiate, ça aurait été mieux compris par des gens qui vivent avec peu d'argent, peu de moyens et qui ne trouvent pas de boulot. »
Q. Je n'ai pas très bien compris ce que vous vouliez dire, vous auriez préféré quoi ?
R. « J'aurais préféré qu'il annonce à la fois la perspective qu'il a fixée mais aussi qu'il prenne une décision immédiate pour revaloriser l'allocation minimale. »
Q. Le Gouvernement avait les moyens de valoriser immédiatement les minima sociaux ?
R. « Je n'ai pas oublié G. Pompidou disant en 1968, mieux vaut une mauvaise dévaluation qu'une bonne révolution. Je crois qu'il y a des moments où l'on tient compte des réalités. Budgétairement, on n'a pas plus les moyens de financer le Crédit Lyonnais et autres grosses pertes financières. Cela étant dit, on a là un vrai problème. En recevant les groupes de chômeurs avec tapis rouge à Matignon, je pense que M. Jospin s'engageait à donner des réponses concrètes à ce que vivent les gens dans ces situations-là. Et il y a eu bien sûr le fond pour les mesures d'urgence, et c'est bien - on verra comment ça fonctionne. Mais il me semble que pour les minima, il aurait pu aussi faire un geste immédiat. »
Q. Vous pensez que c'était une erreur pour le Premier ministre de recevoir les mouvements de chômeurs, vous avez regretté son geste ?
R. « Oui, parce qu'évidemment les chômeurs doivent être reconnus, écoutés, entendus, présents mais dans ce contexte-là, ces mouvements-là, avec leurs options politiques connues - elles sont bien identifiées -, il me semble qu'on aurait pu faire autrement. Il y avait d'autres manières de montrer aux 6 000 associations de chômeurs qui travaillent tous les jours au service des gens qu'on les reconnaissait, que d'en recevoir trois ou quatre qui occupaient les lieux publics. »
Q. Un mot sur ce que vous avez dit tout à l’heure, vous avez rappelé le mot de Pompidou qui parlait de révolution. Vous pensez qu'en ce moment, la situation sociale est explosive ?
R. « Elle est dangereuse. Si je devais prendre un pari, je dirais que sans doute ce mouvement finira par se tasser, comme l'on dit, mais dans cette formule, on voit bien ce que ça signifie, ça ne veut pas dire que les choses seront arrangées. Mais on ne peut pas en être certain et nous sommes sur une poudrière, on est prudent sur une poudrière, on ne prend pas de risque. Et donc non seulement le Gouvernement mais également le patronat et les syndicats doivent être suffisamment actifs pour que les gens qui n'ont plus de solution se rendent compte que quelque chose change dans la manière de conduire les affaires. »
Q. Est-ce que les syndicats que vous êtes - représentatifs -, avez regretté tous ensemble que finalement les chômeurs soient reçus par le Premier ministre ? Et donc vous qui voulez représenter les chômeurs, qu'est-ce que vous dites aux chômeurs ce matin qui ne sont pas contents ?
R. « Ce que je leur dis, c'est que l'action des syndicats là-dessus doit se développer ; j'ai proposé il y a une semaine à mes partenaires syndicaux, au moins les réformistes - c'est-à-dire ceux qui s'engagent dans la gestion des régimes sociaux - que nous prenions ensemble une initiative auprès du Gouvernement pour que les choses bougent vraiment pour les chômeurs. Je crois que l'on peut faire des choses, et d'ailleurs déjà, j'ai vu dans les réponses de M. Jospin qu'il y avait un début de réponse à une proposition forte de la CFTC qui est de dire : attention, quand on est en situation d'indemnisation de fin de droits, le retour à l'emploi n'est pas évident compte tenu du système d'aide par rapport au salaire qui est versé. Souvent au Smic dans ce cas-là. Et j'avais suggéré à M. Jospin que l'on ait un meilleur lissage des indemnités par rapport au retour à l'emploi. Et sa réponse dans ce sens est positive. On pourrait ensemble, les confédérations syndicales, pousser davantage pour qu'effectivement les chômeurs sentent que les syndicats sont réellement avec eux. »
Q. L. Jospin a affirmé hier avec force que son choix était de faire le maximum pour que l'emploi revienne en France. Est-ce que vous considérez que l'application des 35 heures sera pour les Français la promesse de 300 à 600 000 emplois ?
R. « Les 35 heures sont un moyen ou plutôt le temps de travail est un moyen de mener cette bataille pour l'emploi. Pour la CFTC, il faut jouer aussi de la palette, si j'ose dire, temps de travail. Ce n'est pas le seul moyen, c'en est un. Simplement, c'est très compliqué parce que l'esprit simple se dit : travailler moins pour travailler plus, comment ça fonctionne ? Autrement dit, il faut réussir une opération délicate qui est à la fois créer de l'emploi, maintenir autant qu'il est possible le niveau des salaires - car pour beaucoup de gens, la question ne se pose pas de baisser les salaires pour baisser le temps de travail, car ils sont déjà à un niveau de salaire trop bas - et tout cela en maintenant la santé de l'entreprise. »
Q. C'est possible ?
R. « C'est possible mais ça demande que l'employeur, les syndicats, les salariés de l'entreprise le veuillent ensemble pour l'emploi. Il faut qu'ils se disent ensemble - les patrons, les salariés et les syndicats : on va ensemble agir pour l'emploi et faire en sorte qu'on embauche, qu'on maintienne les emplois et qu'au bout du compte, on ait quand même maintenu une productivité suffisante. C'est de la négociation. Le problème, c'est : est-ce que l'on pourra réussir une opération qui crée de l'emploi si, au bout du compte dans deux ans, dans quatre ans pour certains, tout le monde soit à 35 heures. »
Q. Mais avec l'expérience que vous avez - ça fait des années que vous êtes syndicaliste -, vous pensez que les patrons sont prêts ?
R. « Des patrons sont prêts. D'autres ne le sont pas. Des salariés sont prêts, d'autres ne le sont pas. Voilà la réalité. Et c'est logique. Donc nous, ce que nous disons, c'est que la loi doit permettre à ceux qui y sont prêts, de s'engager dans l'action pour l'emploi par le temps de travail - c'est une chose. Et au fond, sur ce point, le système qui est mis en place est satisfaisant - enfin on peut discuter mais grosso modo, c'est la bonne ligne. En revanche, pour ceux qui aujourd'hui ne sont pas en mesure de le faire - de fait parce que psychologiquement, techniquement, matériellement ils ne sont pas prêts -, pour ceux-là, nous suggérons qu'il fait une participation à l'effort par une cotisation à l'Unedic, par exemple, pour l'emploi, qui soit positive, sans que ça ne casse l'économie d'entreprise. Autrement dit, nous pensons qu'il doit être possible de participer autrement à l'effort pour l'emploi comme étant impérativement tous à 35 heures dans deux ans. »
Q. Un mot pour finir, un grand responsable de Force ouvrière quitte le syndicat, c'est une crise à FO ?
R. « Oui, c'est une crise à FO. Je ne vais pas commenter ce qui se passe chez mes collègues mais je crois que les syndicats français sont plus ou moins tous dans une situation difficile. Et les positions des uns et des autres, les mouvements de gauche et de droite, les allers et venues font que les gens ne comprennent pas et moi, je suis inquiet pour cette présence syndicale Force ouvrière après les zig-zag qu'on fait mes amis, je comprends cette crise interne. »