Texte intégral
Say is alive…
But still not living in Paris… Cela fait près de deux siècles que Jean-Baptiste Say a formulé, dans son Traité d’économie politique (1803), la loi des débouchés. Pourtant, tout se passe en France comme si on ne la connaissait pas. Quelle simplicité : « Toute offre crée sa propre demande ».
Nombreux dans notre pays sont ceux qui croient que les marchés - qu’il s’agisse de celui des biens et services ou de celui du travail - ne parviennent jamais à s’égaliser de manière spontanée. Il conviendrait dès lors, pour lutter contre un déséquilibre intrinsèque, de mener une politique active de gestion de la demande, rôle dévolu aux pouvoirs publics. Une défiance systématique dans le fonctionnement des marchés, conjuguée à une confiance aveugle dans l’action éclairée de la puissance publique, a conduit aux politique macroéconomiques menées au cours de ces trente dernières années, qui ont mêlé politique budgétaire « active » et politique monétaire « accommodatrice ». Lorsque la politique monétaire s’est faite rigoureuse, construction européenne oblige, on a laissé filer le déficit pour le réduire in extremis au seuil fatidique des 3 %.
Dans la perspective d’une gestion active de la demande, le déficit public est paré de la vertu suprême : il permet, comme on le dit dans les manuels poussiéreux présentant le modèle IS-LM, de retrouver magiquement croissance et plein emploi. Corrélativement la dépense publique est valorisée pour elle-même au détriment de la dépense marchande. Et le secteur privé se trouve dévalorisé, accusé d’être à l’origine du chômage que la politique subtile de réglage macroéconomique va bien évidemment résoudre. D’ailleurs pour les hérauts de l’interventionnisme, le secteur privé est peuplé d’« esprit animaux » - les investisseurs - ou d’« agents myopes » - les consommateurs - qui ne parviennent pas à comprendre que les déficits d’aujourd’hui sont les impôts de demain. Tous ces arguments surannés ont justifié les politiques de relance de la consommation par un creusement des déficits, puis ont légitimé l’accroissement de la dépense publique, puis ont conduit, lorsqu’il a fallu se résoudre à réduire les déficits dans les années 90, à le faire en augmentant massivement impôts et cotisations.
En fait, les gouvernements se sont servis de ce keynésianisme primaire pour justifier leurs incessantes interventions : le chômage est posé en terme macroéconomique - le déficit et la dépense publique - ou macrosociaux - les 35 heures. En réalité, l’intervention de l’État est perturbatrice : elle crée de nouveaux déséquilibres qui ont comme effet pervers de pousser l’État à intervenir davantage plutôt qu’à se désengager. L’important est de faire croire à l’opinion publique que les marchés ont toujours tort quand l’État a toujours raison. Ainsi peuvent se multiplier les projets pour encadrer et limiter le fonctionnement des marchés : 35 heures, taxation et contingentement des CDD, cotisation sur la valeur ajoutée, emplois-jeunes publics…
Pourtant la preuve du caractère infondé de cette démarche est apportée par l’examen de l’histoire récente de notre pays. La France a connu une croissance très ralentie au cours des années 90 : + 1,3 % du PIB marchand depuis 1991. Dans le même temps, les prélèvements courants et la dette publique ont augmenté trois fois plus rapidement que le PIB marchand ! L’accroissement de l’activité non marchande a étouffé la croissance de l’activité marchande. A la place du multiplicateur des manuels, nous sommes en présence d’un diviseur : pour 3 francs de dépenses non marchandes gagées par des impôts, des cotisations ou des déficits, on n’« obtient » que 1 franc de croissance réelle… et la perpétuation du chômage. De tous les pays européens, il faut souligner que la France a eu, au cours des années 90, le « diviseur » le plus élevé.
On peut transformer ce diviseur en un multiplicateur, à l’instar de ce qu’on fait les États-Unis, l’Irlande ou les Pays-Bas… La suppression du déficit, puis la réduction des prélèvements obligatoires par réduction active de la dépense collective, est la seule voie pour retrouver une croissance durable. Il est temps, après un quart de siècle d’extension de la partie non marchande de notre économie, d’afficher la priorité inverse : que prospère désormais la sphère marchande, que l’on fasse confiance aux entrepreneurs et aux ménages. Et l’on retrouvera les enseignements de Jean-Baptiste Say : place à l’offre ; elle créera sa propre demande ; elle alimentera naturellement la croissance - et non pas artificiellement comme le fait le déficit.
Car ce n’est pas un hasard si, en France, la décennie qui s’achève a été caractérisée par une stagnation des investissements productifs, un développement technologique insuffisant, de trop peu nombreuses créations d’entreprises. La priorité à l’offre, le basculement de la macroéconomie stimulante, l’encouragement au bouillonnement entrepreneurial sont d’autant plus nécessaires que l’hypothèse d’entrée dans un nouveau cycle de Kondratiev paraît chaque jour davantage se vérifier. Ce sont les secteurs technologiquement avancés qui, partout, tirent la croissance. Ils engendrent une demande nouvelle, qui pousse à son tour l’offre vers des productions innovantes. C’est parce que l’on a soutenu longtemps, trop longtemps une demande ancienne déclinante - essentiellement composée de biens et services publics - qu’en France on a pris du retard dans le cycle économique. Mais il n’est jamais trop tard, à condition de mettre les bouches doubles et de relire Say plutôt que Keynes et ses disciples, pour faire confiance aux entrepreneurs et consommateurs du secteur marchand plutôt que de s’en remettre à un Léviathan public devenu impotent à force de vouloir être omnipuissant ; il n’est jamais trop tard pour s’inspirer des expériences réussies de par le monde plutôt que de justifier une exception française qui n’a, avouons-le, rien d’admirable.