Interviews de MM. Pierre Zarka, membre du secrétariat du comité national du PCF et directeur de l'Humanité, et Robert Hue, secrétaire national du PCF, à RTL les 12 et 26 septembre 1996, sur les propositions du PCF pour lutter contre le Front national (création du comité de vigilance contre l'extrême droite), la fête de l'Humanité, et la construction à gauche d'une "alternative progressiste".

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Pierre Zarka - Membre du secrétariat du comité national du PCF et directeur de l'Humanité ;
  • Robert Hue - Secrétaire national du PCF

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RTL - jeudi 12 septembre 1996

RTL : Une nouvelle loi pour réprimer le racisme ou la xénophobie, mais pas de poursuites contre Jean-Marie Le Pen ?

P. Zarka : Je suis un petit peu effaré parce qu’il existe des lois, et j’avais cru comprendre que la responsabilité de l’État était de garantir la cohésion de la communauté nationale, d’éviter et de combattre les appels à la haine, à la discrimination et de faire en sorte que les règles de la République soient respectées. Et voilà que le ministère de la Justice se défausse. C’est quand même grave.

RTL : Richard Artz a expliqué qu’après une étude juridique, le ministère de la Justice a estimé qu’il n’y avait pas de poursuites possibles.

P. Zarka : C’est aberrant parce qu’on assiste à des appels à la haine, à la violence, à la discrimination raciale. Quand on dit qu’une race est inférieure à une autre, ça s’appelle une discrimination raciale et on entre dans une espèce d’explication de texte de bon ton, de salon, comme si on parlait d’autre chose et on laisse tomber le fait que c’est un délit et une atteinte à la personnalité de tout le monde. C’est une atteinte à ceux qui sont visés directement et c’est une atteinte à l’esprit de grandeur et de tolérance qui ont caractérisé les Français depuis longtemps.

RTL : La Fête de l’Humanité n’est peut-être pas tout à fait comme les autres avec la préparation du XXIXe congrès. Elle sera peut-être plus politique ?

P. Zarka : Plus politique dans la mesure où cela correspond à une attente d’une grande part de la population. J’ai été frappé récemment par un sondage qui a donné deux chiffres : plus de 80 % des gens de ce pays considèrent qu’il faut changer de politique et 77 % des gens considèrent que c’est possible. Voilà les données d’un immense débat. Allons-y ! Comment faire pour ne pas continuer à ressasser les mêmes recettes qui font qu’on va de chômage en chômage, d’inégalités en inégalités, et d’affaissement de l’économie française et de sa société en affaissement de l’économie française et de sa société. Nous ne sommes pas sans idées de ce point de vue. Nous ne disons pas aux gens : « nous vous proposons de venir débattre », nous leur disons : « venez débattre, nous avons des idées, nous pensons qu’il y a de l’argent qui ne va pas au travail, il y a 10 000 milliards qui se promènent en France dans la spéculation, au lieu d’aller au travail, au lieu d’aller à la santé, à la consommation, à la formation, à la culture. Là, il y a quelque chose à faire ».

RTL : Vous souhaitez l’alternative plus que l’alternance en 1998 ?

P. Zarka : L’alternance, ça fait une belle jambe aux gens de savoir qu’un jour ils ont la CSG ou le RDS, une fois parce que c’est un gouvernement socialiste, une fois parce que c’est Juppé, ce n’est pas leur problème. Ce qu’ils veulent, c’est que ça change. Ils ont le sentiment que ça ne peut plus durer pour eux, et pour le pays qui s’enfonce de plus en plus dangereusement. Et donc, ce qu’il faut, c’est réussir à faire un diagnostic exact pour savoir de quoi ce pays est malade, où est le mal. Est-ce qu’il est normal que ce soit toujours les marchés financiers qui fassent la loi, comme on dit, est-ce qu’à chaque fois qu’il y a un problème on nous dise « oui, mais les marchés financiers… », ou est-ce qu’on considère que l’économie, c’est fait pour répondre aux besoins des hommes.

RTL : Pas de nouvelle union de la gauche ?

P. Zarka : Le problème est de réussir à ce que, avec les gens, avec les citoyens, quelle que soit la manière dont ils se positionnent sur l’échiquier politique, nous réussissions justement à faire émerger des idées neuves, des solutions neuves qui soient humaines et porteuses de développement économique pour le pays en même temps, et que, sur cette base-là, les partis de gauche, les partis qui se réclament du changement et du progrès prennent en compte les aspirations des gens, les entendent, et fassent en sorte qu’elles deviennent réalité. C’est une conception démocratique de la politique.

RTL : Édith Cresson, Danièle Mitterrand, Régis Debray, Maxime Leforestier, Jimmy Cliff… Ils seront à la Fête de l’Humanité.

P. Zarka : Bien sûr, et bien d’autres. Cette fête n’est pas le rassemblement ou le rendez-vous des communistes, ni de ceux qui décident de suivre les communistes aveuglément, c’est le rendez-vous de toutes celles ou de tous ceux qui soit éprouvent le besoin de faire un peu la fête – à notre époque ça fait du bien – et puis aussi le besoin justement de se faire entendre. Être 400 000 ou 500 000 rassemblés, justement parce qu’on est d’avis différent, mais réussir à faire émerger un grand cri en disant : « ça suffit ! ça doit changer » et réussir à dégager des solutions tout à fait nouvelles, faire en sorte que l’argent soit au service des hommes et non plus le contraire, faire ça à 400 000 ou 500 000, cela fait du bruit.

 

RTL - jeudi 26 septembre 1996

RTL : Avant de revenir sur l’actualité politique française, un mot de la situation en Israël dans les territoires palestiniens.

R. Hue : Je pense que cette situation est vraiment tragique et qu’une logique de guerre prévaut de plus en plus sur le processus de paix. Le Premier ministre, soutenu par l’extrême droite, multiplie les obstacles à la paix et je dis que cette politique conduit tout droit à la destruction du fragile espoir de paix issu des accords conclus en 1993. Je veux dire aussi notre solidarité au président de l’autorité palestinienne, Yasser Arafat, au peuple palestinien, mais aussi aux forces de paix israéliennes, au peuple israélien. Je veux dire qu’il faut là aussi se mobiliser, en France dans le monde et je peux vous indiquer un fait tout à fait récent. Le Parti communiste vient de prendre l’initiative d’un rassemblement, à Paris, sur le parvis des Droits de l’homme, demain soir, vendredi, à 18 heures. Et nous souhaitons qu’il y ait des initiatives de ce type dans tout le pays. Et déjà, puisque nous sommes ouverts à nos partenaires de gauche, aux formations de gauche, eh bien le Parti radical-socialiste, le Mouvement des citoyens, les Verts, la Ligue communiste, l’ACAP participent à cette initiative.

RTL : Venons-en à la politique française. Avec vos partenaires de gauche, vous vous êtes retrouvés, ce matin, au siège du Parti radical-socialiste et donc il y a création d’un Comité national de vigilance contre l’extrême droite.

R. Hue : L’objet de cette rencontre était précisément de chercher les moyens, ensemble, de lutter le mieux possible contre l’extrême droite pour faire reculer l’extrême droite. Et à l’issue d’une longue discussion où nous avons abordé sur le fond la question de l’extrême droite, à savoir que la lutte contre l’extrême droite, le racisme constitue avant tout un combat politique, et le premier moyen est de s’attaquer à la crise, de réduire le chômage, la précarité, de défendre les valeurs de la République et aussi de tirer tous les enseignements de la période précédente où des engagements ont été pris et n’ont pas été tenus et cela a entraîné beaucoup de désillusions et beaucoup d’inquiétudes chez des gens qui sont enclins à entendre, parfois, Le Pen. Donc, il est sorti de cette rencontre l’idée d’un comité national de vigilance contre l’extrême droite. Il a été d’ailleurs décidé sa constitution. Nous allons maintenant œuvrer. D’ailleurs, je peux vous dire que les formations qui étaient là ont fait une série de propositions.

Le Parti communiste a proposé par exemple – cela n’a pas été retenu dans l’immédiat puisque le comité de vigilance prendra peut-être cette idée à son compte – que l’ensemble des forces de gauche poursuivent en justice Le Pen avec les lois existantes puisque le gouvernement ne l’a pas fait, s’est défaussé en quelque sorte de ce qu’il devait faire en la matière. Nous avons proposé cette initiative, de même que nous avons proposé une manifestation importante, à Paris, contre le racisme. Autant d’idées qui vont pouvoir être discutées dans le cadre de ce comité national de vigilance contre l’extrême droite. Notre souhait est, et là-dessus nous étions tous d’accord, qu’il convient, au-delà des formations qui étaient là ce matin, d’élargir ce comité de vigilance à d’autres forces politiques, syndicales, associatives.

RTL : Vous prônez, dans le cadre de la préparation des élections de 1998, une nouvelle union à gauche. Quelle alliance et comment éviter pour vous la reproduction des échecs des années 80 ?

R. Hue : Je crois qu’il est évident en tout état de cause, dans la situation que connaît le pays aujourd’hui, que la gauche a des responsabilités pour créer rapidement les conditions d’une alternative progressiste. C’est bien la société française elle-même que l’on veut plier actuellement aux marchés financiers. Il faut résister à cette politique et en proposer une autre. Nous, nous ne voulons pas renouveler ce qui a échoué. Je l’ai encore répété, hier, à l’occasion des journées parlementaires communistes. Donc, pas question de refaire un programme commun réalisé au niveau des états-majors. Nous voulons dans l’action, avec les citoyens eux-mêmes, dépasser un certain nombre d’obstacles qui existent, à gauche, entre nous. Nous voyons bien, par exemple, que sur l’Europe, même s’il y a des choses qui bougent en ce moment au Parti socialiste, le Parti socialiste reste attaché à la monnaie unique que nous nous pensons complètement incompatible avec des mesures sociales audacieuses telles que la gauche devrait les prendre. Ces questions-là, ce n’est pas au niveau des états-majors politiques que l’on va régler le problème comme ce fut le cas au moment du programme commun avec ce qui a suivi ensuite et l’échec. Donc, il faut que les citoyens interviennent dans ce débat et c’est ce que nous proposons : un débat citoyen qui permette d’avancer à la construction politique nouvelle nécessaire à la gauche.