Interviews de M. Guy Drut, ministre de la jeunesse et des sports, dans "Les Echos", "Le Parisien" et à France-Inter le 5 août 1996, sur le bilan des Jeux olympiques d'Atlanta pour le sport français et le statut des cadres techniques.

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Média : Energies News - Les Echos - France Inter - Le Parisien - Les Echos

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Les Échos : 5 août 1996

Les Échos : Le bilan sportif des JO vous satisfait-il ?

Guy Drut : Tout à fait, nous avons dépassé le record des médailles d'or obtenues aux Jeux de 1924 à Paris. Cela dit, il ne faut pas sombrer dans une euphorie aveuglante. Nous avons encore des faiblesses dans les deux grandes disciplines que sont l'athlétisme – pas du côté féminin – et la natation. Par contre, le cyclisme, l'escrime, le judo et le tir ont été exceptionnels. La gymnastique a confirmé tous nos espoirs. Il y a eu quelques ratés, tels l'hippisme et la voile ; mais ce sont les aléas du sport.

D'une manière générale, je suis satisfait de l'excellent esprit qui a prévalu.

Les Échos : Ces médailles coûtent cher au budget de l'État ?

Guy Drut : Un peu plus de 5,8 millions de francs, mais il y a des factures que l'on a plaisir à honorer. Le budget de l'État peut supporter quelques médailles, même si nous avons dépassé la provision arrêtée par le ministère.

Les Échos : Les JO ont-ils permis aux PME de vendre leur savoir-faire ?

Guy Drut : C'est, en effet, la première fois que l'on organisait une « vitrine » de notre savoir-faire. Je sais que certaines sociétés étaient déjà présentes ; Doublet et Mermet par exemple. On a fait en sorte de favoriser les échanges économiques au niveau du « club France ». Il faudra aller encore plus loin. C'est une première. Le fait qu'il y ait eu de bons résultats sportifs nous a aidés. On doit comprendre au niveau français que le sport est un vecteur économique à prendre en considération. Un petit essai a été marqué, il faut maintenant le transformer.

Les Échos : Que pensez-vous de l'organisation des Jeux ?

Guy Drut : Objectivement, il y a eu beaucoup de ratés, même si je dois tirer un coup de chapeau au Comité d'organisation pour l'utilisation du français. Il y a eu, en particulier, une carence sur le plan de l'informatique et des transports. C'était un peu pagailleux. Bref, j'ai eu le sentiment que le « produit » JO était beaucoup trop important pour le cahier des charges prévu. Il faut certainement avoir une réflexion sur le dimensionnement futur des Jeux ; peut-être limiter le nombre de disciplines. En tant que membre du Comité international olympique (CIO), j'aurai l'occasion de faire valoir mon point de vue.

Les Échos : Vous souhaitez un changement de cap pour Sydney ?

Guy Drut : J'ai eu des contacts avec mon homologue australien, cela m'étonnerait fort que Sydney copie Atlanta. Nous allons d'ailleurs nouer des relations fortes avec les organisateurs australiens, pour examiner ensemble les problèmes de sécurité et l'organisation de ces grandes manifestations.

Les Échos : La sécurité vous préoccupe pour le Mondial de 1998 ?

Guy Drut : le gouvernement et le comité d'organisation de la Coupe du monde de football n'ont pas attendu les JO d'Atlanta pour se préoccuper de cet aspect du dossier. Je sais que les deux coprésidents, Michel Platini et Fernand Sastre, ont demandé en septembre une réunion avec les autorités compétentes sur ce problème. J'appuie leur demande. On n'a plus le droit de dire qu'il faut limiter les risques ; je dis : il faut les supprimer. C'est vrai qu'il est plus facile de gérer des enceintes closes que des sites ouverts. Il faudra peut-être revoir l'aspect festif du Mondial. L'étude nous le dira.

Les Échos : La candidature de Lille n'est pas remise en cause ?

Guy Drut : J'étais au côté de Pierre Mauroy pour présenter cette candidature au Comité international olympique, le 12 juillet à Atlanta. J'attends maintenant les résultats de la visite de la Commission d'évaluation du Comité international olympique qui ira à Lille à la fin du mois de septembre prochain.

C'est le dossier de la France, et je le supporte de toutes mes forces.

Les Échos : Votre ministère envisage-t-il de supprimer des postes de cadres techniques ?

Guy Drut : Il n'en a jamais été question. Le ministère du budget avait souhaité régulariser le statut des cadres techniques qui sont des fonctionnaires mis à disposition des fédérations. C'est un statut illégal… depuis quarante ans. Le Président de la République vient d'écrire au Premier ministre pour qu'il écarte la proposition du ministère du budget. Cette décision coupe court à toute inquiétude du mouvement sportif.

Les Échos : Vous avez des inquiétudes pour le budget 1997 ?

Guy Drut : Ce ne sera pas le budget du siècle, loin s'en faut (NDLR ; 2,93 milliards de francs en 1996). De toutes les façons je continue sur mes priorités : les rythmes scolaires, le soutien aux fédérations.

On ne sera pas en année olympique, ce qui permettra de faire des économies, notamment sur l'organisation de certaines manifestations.


Le Parisien : 5 août 1996

Le Parisien : La France revient d'Atlanta avec 37 médailles. Vous attendez-vous à un tel bilan ?

Guy Drut (ministre délégué à la jeunesse et aux sports) : Nous n'avons pas voulu être trop ambitieux dans nos prévisions. Nous nous étions fondés sur le résultat de Barcelone, soit vingt-neuf médailles, ce qui était déjà bien. Ce qui est arrivé à Atlanta dépasse toutes nos espérances. Tous les athlètes sont à féliciter. La pression était sur eux.

Le Parisien : Quels sont ceux qui vous ont le plus enthousiasmé ?

Guy Drut : Le titre de David Douillet, le premier jour, a mis l'équipe de France sur les rails. Marie-Jo Pérec a été formidable, la première médaille d'or de Jeannie Longo a été un grand moment et le coup d'éclat de Jean Galfione une divine surprise. Le sport féminin a été de très haut niveau, nos filles ont donné une extraordinaire image de la femme française, avec l'épéiste Laura Flessel, la judokate Marie-Claire Restoux, et puis j'ai envie de dire un grand bravo à Patricia Girard pour sa médaille de bronze sur 11 mètres haies.

Le Parisien : Comment analysez-vous ces bons résultats ?

Guy Drut : L'état d'esprit des Français commence à changer. Jusqu'à maintenant, quand ils étaient favoris, ils craquaient. Maintenant, ils assument grâce à une meilleure préparation. Ils ont la rage de vaincre.

Le Parisien : Si Marie-José Pérec n'était pas parti s'entraîner aux États-Unis, aurait-elle pu réaliser les mêmes exploits ?

Guy Drut : Elle a bien fait de partir. Je le sais d'expérience. Entre ma médaille d'argent des Jeux de Munich en 1972 et celle d'or à Montréal, en 1976, les sollicitations avaient été difficiles à supporter. C'est dur d'être une vedette en France. À Los Angeles, Marie-Jo peut faire du roller-skate le long de l'océan, personne ne se retourne sur elle.

Le Parisien : Dans ce bilan français, il n'y a pas que des satisfactions…

Guy Drut : Non, il y a même de réelles inquiétudes, avec l'athlétisme masculin et la natation. La natation, c'est un plouf total. Seuls les anciens, comme Franck Esposito ou Christian Kalfayan, ont nagé à leur niveau. Je ne sais pas si c'est à cause d'un manque de moyens ou de motivation… Quant à l'athlétisme, il y avait trop de gens ici qui n'avaient pas leur place. Quand on fait du sport de haut niveau, c'est pour gagner. Les Jeux, ce n'est pas le challenge du nombre.

Le Parisien : La sélection a-t-elle été trop laxiste ?

Guy Drut : J'ai assumé des critères de sélection qui n'étaient pas les miens. La prochaine fois, on sera plus rigoureux. La haute compétition, ce n'est pas de la rigolade. Il faut y prendre du plaisir mais d'abord être efficace.

Le Parisien : Qu'allez-vous proposer pour améliorer les performances françaises dans ces deux disciplines ?

Guy Drut : On va tirer les enseignements de fout ce qui s'est passé ici et je ferai bientôt connaître mes décisions. Mais, par exemple, l'an dernier, j'avais proposé au président de la Fédération d'athlétisme, Jean Poczobut, de lancer un programme « Génération 2000 » avec les juniors qui avaient brillé aux Championnats du monde encadré par des valeurs sûres comme Stéphane Diagana ou Marie-José Pérec… Mais je ne suis pas président de cette Fédération.

Le Parisien : Pour la natation, certains proposent la formation immédiate d'un commando de trente nageurs pour préparer les Jeux de Sydney.

Guy Drut : Pourquoi pas ? Je vais prendre contact avec de grands anciens comme Michel Rousseau, Stephan Caron ou Sophie Kamoun pour qu'on trouve rapidement des solutions.

Le Parisien : Avant les Jeux, vous aviez parlé de sanctions financières à l'encontre des fédérations qui n'atteindraient pas leurs objectifs…

Guy Drut : Les résultats aux JO compteront dans le calcul des futures subventions. Il y aura des primes à la réussite. Mais, il est avant tout urgent de définir une stratégie, une véritable politique du haut niveau. On va aux Jeux pour gagner des médailles. C'est devenu un métier.

Le Parisien : Entre sport d'élite et sport de masse, vous choisissez l'élite ?

Guy Drut : L'un ne va pas sans l'autre. Mon objectif est plus que jamais, avec l'appui du Président Jacques Chirac, de développer le sport à l'école, c'est un enjeu capital.

Le Parisien : Plus généralement, qu'avez-vous pensé de ces Jeux du centenaire ?

Guy Drut : Tout n'a pas été réussi. Ce côté « fête à Neu-Neu » permanente était insupportable. Le moindre mètre carré était commercialement exploité. Le gigantisme des Jeux devient vraiment difficile de gérer. Le CIO, qui est très conscient de ce problème, a été un peu abusé par les organisateurs d'Atlanta. On a vu ici les limites du « tout privé » et de l'ultra-libéralisme. Pour organiser un événement de cette ampleur, il faut une plus grande implication des pouvoirs publics, un contrôle plus fort de l'État.


France Inter : lundi 5 août 1996

A. Ardisson : Avant les Jeux, personne – pas même vous – n'espérait une telle moisson de médailles françaises ?

G. Drut : C'est vrai que cela a dépassé toutes les espérances. Moi, j'avais dit que le tout était de faire pratiquement aussi bien qu'à Barcelone, c'est-à-dire aux environ de 29 médailles. Si on avait eu 25 médailles, j'aurai été satisfait, là on en a un peu plus de 10 en plus ; c'est fantastique, avec quatre médailles d'or en plus. Je dois reconnaître que, même avant de penser à Sydney, on va quand même jouir de l'instant présent et profiter de ces moments fantastiques que la délégation française nous a fait vivre.

A. Ardisson : Génération exceptionnelle, méthodes d'entraînement, dynamique de groupe, qu'est-ce qui a été déterminant, selon vous ?

G. Drut : Je crois que c'est un peu un mélange de tous ces paramètres. Et c'est aussi, j'en suis sûr, la France qui gagne, la France des jeunes, celle qui ne veut plus être assistée, qui veut prouver sa compétence, sa force de volonté, ça c'est une chose. Il y a une dynamique de groupe qui s'est instaurée tout de suite et dont on a pu voir les effets bénéfiques tout au long du déroulement des Jeux olympiques. Il y a certaines disciplines où il y a une stratégie de victoire, de formation, d'encadrement qui est très efficace. Je pense que cyclisme, je pense au judo, je pense à l'escrime. Tout cela fait que nous avons eu d'excellents résultats parce qu'aussi – c'est peut-être ce qui change par rapport à d'habitude – les Français sont, pour la plupart d'entre eux, exacts au rendez-vous. Avant, on disait « ils sont bons, mais on verra bien… », c'est le syndrome du Français qui perd ses moyens au moment voulu. Là, ce n'est plus le cas, il se prépare pour une compétition avec la volonté de gagner.

A. Ardisson : Une nouvelle culture sportive ?

G. Drut : Je crois.

A. Ardisson : Il y a aussi des zones d'ombre. À la natation on ne voit rien venir…

G. Drut : « Tout à fait.

A. Ardisson : Quelles dispositions envisagez-vous ?

G. Drut : D'abord le temps de la réflexion, de la sérénité. On ne va pas prendre des décisions à chaud parce que ce sont souvent les plus mauvaises. Il y a des disciplines où on est en droit d'être tout à fait satisfait, il y en a d'autres qui méritent encore beaucoup de travail : la natation – vous en avez parlé –, il y a aussi l'athlétisme. Il y a peut-être une façon aussi de sélectionner les athlètes. Je crois qu'il faut avoir une étude approfondie sereine. Il est peut-être temps aussi de tout remettre à plat, de repartir sur des bases saines et de profiter des quatre années qui nous séparent de l'an 2000 pour vraiment donner au sport français, au sport de compétition, qui nous a fait vivre ces moments d'exception dans les quinze derniers jours, des bases pour que cette moisson de médailles ne soit plus quelque chose d'exceptionnel, mais – je ne dirais pas non plus courant – mais qui nous étonne un peu moins. »

A. Ardisson : En athlétisme, on est ébloui par Pérec, mais derrière, on se dit qu'il n'y a pas grand monde. Vous voyez la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide ?

G. Drut : Moi, j'essaye, pour le moment, de la voir complètement vide et on va faire en sorte de la remplir d'un liquide d'excellence. J'en ai déjà discuté avec le président de l'athlétisme l'an dernier à Göteborg aux championnats du monde. Il y a une nouvelle génération qui se met en place, qui a eu d'excellents résultats l'an dernier aux championnats d'Europe junior. Je crois que c'est sur eux qu'il faut investir pour les prochaines années en demandant à des athlètes comme M.-J. Pérec, comme J. Galfione, comme P. Girar, comme S. Diagana et comme quelques autres de les encadrer. Bangué a fait un truc fantastique en longueur aussi. Il y a quelques individualités, il faut se servir d'eux pour qu'ils entraînent les plus jeunes et puis surtout pour qu'ils aient cette volonté de la victoire. Quand on fait du sport de compétition, ce n'est pas pour simplement être présent, c'est pour gagner par rapport à soi dans un premier temps, par rapport aux autres dans un second temps. Sinon, on fait autre chose, on fait du cyclotourisme ou de la randonnée pédestre, mais on n'essaye pas de venir aux Jeux Olympiques, ce n'est pas la même chose.

A. Ardisson : Zone d'ombre encore, au plan mondial, avec les rumeurs persistantes de dopage caché, qui expliqueraient des performances inexplicables. Comment restaurer la confiance ?

G. Drut : Par l'amélioration des contrôles, des recherches, une prévention plus importante, des sanctions qui soient les mêmes pour tous les athlètes au monde. Nous y travaillons. Je vais me rapprocher encore des instances internationales qui luttent contre dopage. Nous en avons beaucoup parlé ici à Atlanta, nous en parlerons encore beaucoup dans les temps qui viennent. Je vais profiter de la complémentarité qui m'est offerte pour porter au plan législatif français, à titre d'exemple, des intentions et des décisions du mouvement olympique international, pour essayer, justement, que les règles et les sanctions soient les mêmes pour tous. C'est ce qu'il y a de plus important. Je ne suis pas assez spécialiste mais je fais confiance à la science et à nos chercheurs pour faire en sorte que les possibilités de dissimulation soient les plus infimes, pour ne pas dire disparaissent totalement.

A. Ardisson : Pour ce qui concerne l'organisation des Jeux, à part l'attentat, il semble que les organisateurs aient surestimé leurs capacités. Beaucoup disent qu'il faut arrêter avec le gigantisme, l'inflation commerciale, le « toujours plus ». Est-ce dans ce sens que vous allez plaider au CIO ?

G. Drut : Oui, tout ça est un peu vrai. Il faut arrêter avec le gigantisme, l'inflation commerciale, le « toujours plus ». Mais je crois qu'on a assez de moyens maintenant pour pouvoir maîtriser des organisations très importantes. Ce qui s'est passé à Atlanta c'est que, d'abord au plan informatique, ça été un bide total. Au plan de l'organisation, il y a eu des bonnes choses et des plus mauvaises. Pour les transports, c'était un peu limite, l'organisation générale était un peu cafouilleuse. La presse a eu beaucoup de mal à travailler, c'est vrai. Le problème d'Atlanta est que le cahier des charges ne correspondait pas à l'importance de l'événement. Le CIO a les moyens pour surveiller ce genre de choses. Je ne me fais pas trop de souci pour l'avenir, sachant que maintenant c'est vrai qu'il faut s'arrêter avec le gigantisme et le « toujours plus ».

A. Ardisson : S'agissant de la sécurité, quels enseignements pour la Coupe du monde 1998 ?

G. Drut : M. Platini était là pendant une bonne partie des JO. Il a regardé comment ça se passait. Nous allons, dès fin août début septembre, travailler sur le dossier sécurité qui sera le point le plus critique, le plus difficile à gérer pour la Coupe du monde. Il y a déjà beaucoup de travail de fait mais il faut s'y atteler encore plus. Car il ne faut pas limiter les risques, il faut les supprimer. J'ai eu aussi l'occasion de rencontrer mon homologue australien et nous avons décidé de monter une cellule commune de réflexion pour les organisations de la coupe du monde et des JO de Sydney.

A. Ardisson : Les bons résultats français ont permis un arbitrage budgétaire en faveur des cadres sportifs. Cela veut-il dire que vous allez avoir une rallonge, un meilleur budget ?

G. Drut : Je ne parle pas de mon budget. C'est toujours facile de faire des économies dans le budget des autres. Les athlètes ont eu un comportement d'excellence, ils ont gagné ; ceux qui ont les médailles avaient les primes qui étaient promises, ce qui est normal. Elles sont bien entendu non seulement assurées mais en plus nettes d'impôts, ce qui intéresse nos athlètes. La mesure qui était proposée sur les cadres techniques n'était pas d'ordre économique ou budgétaire mais plutôt d'ordre légal. Ça posait un certain nombre de problèmes. Et le Président de la République et le Premier ministre ont décidé de reculer, d'annuler, cette décision, ce qui nous permettra de travailler beaucoup plus sereinement avec le mouvement sportif. Pour le reste, la France est dans une situation difficile et il est normal que le secteur sportif participe au redressement général.