Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à France-Inter le 9 mars 1998, à France 2 le 10, à RTL le 11 et dans "Le Parisien" du 12, notamment sur l'enjeu des élections régionales, sa proposition d'un moratoire gelant tous les licenciements dans les entreprises et sur le mouvement des chômeurs et des sans-papiers (occupation de la cathédrale d'Evry).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - France Inter - Le Parisien - RTL - Télévision

Texte intégral

France Inter le lundi 9 mars 1998

Cette dernière semaine avant les régionales réussira-t-elle à  éclairer la question de l'intérêt que les Français portent ou non  à ces élections ? A défaut de sondages politiques - qui sont désormais interdits à huit jours du scrutin - les sondages portant sur l'implication des citoyens indiquent que plus on approche du vote et plus le désintérêt augmente. Serait-ce qu'ils considèrent que les jeux sont faits ? Des signes existent pourtant que ces élections sont l'occasion d'un débat autour d'un projet de société - régional bien sûr, mais aussi national, et que les responsables des partis politiques ont fort à faire avec les militants ou les adhérents.

Stéphane Paoli : En studio, le secrétaire national du Parti communiste, R. Hue. Il paraît que ça a été chaud l'autre soir à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, et que les militants du Parti communiste vous ont dit : qu'est-ce que c'est que cette gauche plurielle qui n'est pas assez à gauche ?

Robert Hue : "Non, ce n'est pas ce qui était dit, mais en tout cas il y a des attentes importantes. Je crois que, d'une façon générale, dans l'opinion - dans l'opinion communiste, dans l'électorat communiste -, il y a de la satisfaction après ces neuf premiers mois de gouvernement de la gauche plurielle. Parce que des choses concrètes ont été engagées ; mais incontestablement, on voit bien qu'il y a neuf mois qui viennent de s'écouler, et qu'il faut aller plus loin maintenant ; qu'il faut passer à l'étape de réformes structurelles sur lesquelles, d'ailleurs, la gauche s'est engagée elle-même en juin dernier ; et je pense qu'avec les régionales, ils sentent la possibilité, si la gauche plurielle a le résultat qu'on pense qu'elle aura - c'est-à-dire un résultat positif dans ces élections, plus de régions -, eh bien là, d'avoir un formidable point d'appui pour aller plus loin dans la mise en œuvre de la politique nouvelle."

Stéphane Paoli : Mais l'attente des militants est-elle à ce point fort que vous ayez tenté de les dissuader de ce que vous appelez, vous, un vote de diversion ? Y a-t-il vraiment une forte demande qui s'exprime maintenant au sein du Parti communiste ?

Robert Hue : "Non, il n'y a pas un vote de diversion qui est imaginé. Mais on voit bien que, dans toute une série de régions, où la gauche plurielle est à un niveau, y compris qu'elle n'espérait pas il y a un mois, un mois et demi même... Eh bien, il ne faudrait pas que la majorité absolue, qui est possible - et qui permettra d'empêcher que le Front national soit arbitre dans la situation de l'élection de présidents -, par un vote qui soit moins utile, moins efficace, on prive la gauche plurielle de cette efficacité face au Front national. Et c'est un appel effectivement à un vote utile contre le Front national pour qu'il ne soit pas l'arbitre dans toute une série de régions de la situation et de l'élection des présidents."
 
Stéphane Paoli : Après ces neuf mois parcourus, comment envisagez-vous les choses pour que, justement, cette gauche plurielle soit - décidément, vous le souhaitez quand même - un peu plus à gauche ? Notamment, tenez : il y a un débat qui est en train de s'instruire, y compris dans les colonnes ce matin de La Tribune, entre M. Aubry et vous, sur la question du moratoire, des licenciements ?

Robert Hue : "Je pense qu'à propos des mesures à prendre, la question de l'emploi qui est la question essentielle, doit vraiment faire l'objet d'un effort constant et tous azimuts. C'est-à-dire que, d'un côté je dis : il faut vraiment faire beaucoup, beaucoup d'efforts pour créer des emplois avec le plan emplois-jeunes ; faire que la réduction du temps de travail permette la création de milliers et de milliers d'emplois. Mais alors que cette politique s'engage - et nous, nous y contribuons... Pourquoi nous y contribuons ? Parce que, je vais le dire : la politique qui est menée par le Gouvernement, elle est plurielle. Je sens dans toute une série de dispositions prises, y compris cette politique de l'emploi, naturellement l'empreinte du Parti communiste. Il y a l'apport communiste à cette majorité plurielle. Mais ce que je veux dire à propos du moratoire..."

Stéphane Paoli : Le moratoire, pour ceux qui ne sauraient pas ce que vous demandez, c'est, vous dites, au fond : maintenant, plutôt que le licenciement, trouvons des alternatives possibles, voyons tout ce que l'on peut envisager avant d'en arriver au licenciement.

Robert Hue : "Voilà. Je pense qu'au moment où l'on fait tant d'efforts pour créer des milliers d'emplois, il ne faut pas qu'on laisse par ailleurs des plans sociaux se mettre en place, avec l'annonce de milliers de licenciements ou de suppressions de postes - comme chez Renault, Michelin ou dans d'autres secteurs. Il faut donc mettre à plat, immédiatement, ces plans sociaux, en discuter, voir si avait qu'il y ait des solutions ultimes, qu'on ne peut pas - avec les 35 heures, avec toute une série de dispositions, en regardant bien la situation financière de l'entreprise -, voir si ces entreprises n'ont pas fait dans l'année de grands profits qu'elles ne mettraient pas ensuite dans l'entreprise à l'investissement, à l'emploi. Il y a donc la nécessité, à mon avis, de ne pas laisser fuir, s'annuler toute une série de choses qui marquent l'effort dans le domaine de l'emploi par ailleurs."

Stéphane Paoli : Mais alors quand M. Aubry dit "non, pas de moratoire", qu'est-ce que c'est ? C'est ce qu'on a appelé "du réalisme de gauche", une petite concession au patronat, c'est quoi ?

Robert Hue : "M. Aubry, je ne pense pas qu'elle dise non."

Stéphane Paoli : J'ai La Tribune sous les yeux, il n'y a pas de moratoire, c'est clair...
 
Robert Hue : "Eh bien, j'en discuterai avec elle. Parce que d'abord, je crois qu'il y a des engagements qui avaient été pris avant les élections, pour que l'on ait ce type de démarche ; c'est-à-dire qu'il n'y ait pas ces plans sociaux d'engagés sans qu'il y ait un contrôle, une démarche de l’État."

Stéphane Paoli : Des engagements pris par les socialistes au moment de la campagne en juin ?

Robert Hue : "Je pense qu'il y a un certain nombre d'engagements qui ont été pris à cette époque, visant à ce que l'on stoppe cette hémorragie majeure en matière d'emploi. Mais je pense que M. Aubry peut être d'accord avec moi pour dire : avant d'en arriver à la solution ultime - je répète -, regardons si dans l'entreprise tout a été examiné pour faire face à ces suppressions d'emplois. J'ajoute, surtout quand ce sont des entreprises qui 1/ feront des profits et  2/ reçoivent des financements publics ; ou des entreprises où l’État a son mot à dire, parce qu'il est actionnaire, parfois principal, en tous les cas largement majoritaire."

Stéphane Paoli : La réforme fiscale, vous continuez de l'attendre ?

Robert Hue : "Je pense que la réforme fiscale est un des éléments-clés d'une nouvelle orientation de l'argent dans la société française. Il y a, à mon avis, très rapidement à prendre des mesures, à la fois pour ne pas continuer les hausses d'impôts qu'on connaît, et qui frappent les ménages - mais ça, je crois qu'on est bien d'accord là-dessus -, mais même pour faire baisser certains impôts indirects."

Stéphane Paoli : La TVA ?

Robert Hue : "Je pense à la TVA. Il y a notamment, un engagement qui a :: été pris là aussi, que l'on pourrait baisser la TVA; je pense qu'on pourrait baisser au moins de deux points la TVA. Alors on me dit parfois : mais ça représente tant de milliards de recettes en moins ! Mais il faut voir ce que ça génère de possibilités en plus. C'est-à-dire, s'il y a du pouvoir d'achat en plus ou en tous les cas moins d'amputation du pouvoir d'achat sur les ménages, eh bien c'est davantage qui va être consommé. C'est comme ce que je propose à propos de l'augmentation des salaires : s'il y a une augmentation des salaires, des minima sociaux, cet argent ne va pas partir en fumée ; il ne va pas aller se placer dans les paradis fiscaux ; les gens vont le mettre dans la consommation, et ça fera marcher la machine économique, ça contribuera à relancer la croissance."

Stéphane Paoli : Deux mots du vocabulaire utilisé à propos de ces régionales : raz-de-marée, tremblement de terre. Il  a une dimension "tectonique." Vous ne trouvez pas que c'est un peu exagéré ?

Robert Hue : "Je crois qu'il faut être très prudent: on sent un bon climat. On sent une bonne dynamique. On sent que les Françaises et les Français ont envie de donner un coup de pouce supplémentaire à leur geste de juin dernier à propos des législatives. Incontestablement. Je vais de meeting en meeting, je rencontre beaucoup de gens et il y a cette dynamique. Maintenant, attendons parce que je crois qu'il y a quand même - je l'entendais tout à l'heure sur votre antenne, je crois - cette abstention qui peut être encore trop massive. Cela va un peu mieux mais cela ne progresse pas suffisamment. Les Français ne sont pas, à mon avis, au niveau de mobilisation qu'il faudrait sur ces élections qui sont des élections très importantes. Certes ce sont les régions mais on voit bien qu'avec ces régions, il y a un enjeu extraordinaire. La droite veut en fait faire de ces régions des sortes de bases arrières d'une véritable guérilla contre la politique nouvelle du Gouvernement."

Stéphane Paoli : Guérilla : vous aussi ! Là, décidément, le vocabulaire devient...

Robert Hue : "C'est la réalité. Quand j'entends les propos tenus par la droite dans les régions : on va combattre les 35 heures, on va combattre le plan emplois-jeunes. Ce n'est pas moi qui tiens ce langage-là, c'est la droite. Eh bien, moi, je dis qu'il faut inverser les choses, il faut au contraire que les régions soient des points d'appui pour dynamiser la politique nouvelle."

Stéphane Paoli : Vous ne trouvez pas qu'au Kosovo le terme de guerre est plus approprié que celui de guérilla ?

Robert Hue : "C'est une situation extrêmement inquiétante et dangereuse. Il faut faire toute la pression sur Milosevic et je dois dire que, de ce point de vue, on vient de faire la démonstration avec la crise de l'Irak que la diplomatie peut jouer un grand rôle. La diplomatie française est engagée dans cette affaire, l'Union européenne doit s'engager également. Je pense qu'il faut trouver une solution politique. C'est gravissime."


France 2 le mardi 10 mars 1998

La violence urbaine : vous êtes vous-même premier magistrat, maire d'une ville de la région parisienne ; êtes-vous confronté avec le problème ? Est-ce que le parti communiste a une solution dans un délai assez rapproché pour traiter ce type de problème ?

Robert Hue : "Écoutez, la violence - pas au niveau naturellement de ce  qui s'est passé hier et avant-hier - mais il est bien évident que la violence existe partout. Ce qui vient de se passer, la violence en général, a toujours un caractère insupportable mais là, quand il s'agit de jeunes, d'un jeune qui a... il y a quelque chose d'assez terrifiant. Et je crois que dans ce domaine, nous avons... Qui peut dire qu'il a une solution miracle ? Il y a la violence de ce jeune, mais il y a la violence qui est faite à la jeunesse : il y a cette crise sociale qui pèse terriblement. Mais en même temps, je crois qu'il y a dans la réaction des jeunes eux-mêmes, de leurs parents, des responsables sur le terrain, des potentiels. Nous avons vu la réaction de ces jeunes - tout à l'heure je les entendais sur votre antenne -, et je crois qu'il faut s'appuyer sur ces potentiels. Il y a naturellement des moyens à mettre en oeuvre. Je crois qu'on ne peut pas accepter- il faut prendre toutes les dispositions de sécurité nécessaires - on ne peut pas accepter cette circulation des armes qui vient, et qui est parallèle, parfois, à la circulation de la drogue. Il faut vraiment prendre des dispositions. Et je crois que, de ce point de vue, il y a des moyens à dégager, il y a aussi ce travail très important de solidarité à tisser sur le terrain. Je crois beaucoup à cette intervention et à ces relations humaines à retisser."
 
Là, vous êtes entièrement d'accord avec la politique que mène actuellement le Gouvernement, notamment Monsieur Chevènement. Sur d'autres sujets pendant cette campagne, vous avez poussé les feux sur des sujets de désaccord comme l'euro, le mouvement des chômeurs. Vous avez même lancé l'idée d'un moratoire pour geler tous les licenciements dans les entreprises, et le Gouvernement n'est pas du tout d'accord. Ça fait quand même beaucoup de sujets de désaccord pour une majorité plurielle. On est dans la majorité plurielle ou on est déjà dans la division ?

Robert Hue : "Absolument pas. Je suis satisfait des neuf mois du Gouvernement conduit par L. Jospin, des mesures qui ont été prises. D'ailleurs, les communistes participent aux mesures prises, que ce soit le plan emplois-jeunes, les 35 heures, toute une série de dispositions. Il reste que, d'être dans la majorité plurielle, ne gomme pas des différences. Je crois que c'est important qu'il y ait des choix exprimés. Par exemple, vous évoquiez le mouvement des chômeurs. C'est vrai que le PC a été au cœur de ce mouvement. Mais son rapport avec l'action gouvernementale est davantage celui d'un trait d'union entre ce mouvement social important qu'il faut prendre en compte et le Gouvernement lui-même. Vous évoquiez le moratoire que j'ai proposé. Il ne s'agit pas du tout d'un sujet de désaccord. Au contraire d'ailleurs, le Gouvernement n'a pas pris position sur cette proposition. Qu'est-ce que je dis ? ..."

M. Aubry a quand même dit que ce n'était pas envisageable.

Robert Hue : "Oui, mais j'en parlerai avec M. Aubry."

Après dimanche.

Robert Hue : "Peut-être avant, mais elle n'est pas là ce soir, sinon je lui en aurais parlé ! Le fond c'est quoi ? C'est que nous faisons beaucoup d'efforts pour créer des emplois, des emplois-jeunes, et pas seulement en direction des jeunes, pour que vraiment l'emploi soit la clef de notre démarche. Et en même temps, qu'est-ce que je vois, qu'il y a des plans sociaux avec des milliers de licenciements annoncés chez Renault, chez Peugeot. Je dis - avant que ces licenciements éventuels annulent en quelque sorte l'effort qui est fait par le Gouvernement - : il convient de prendre des décisions, un moratoire visant à regarder si partout les efforts sont faits pour pouvoir effectivement intégrer l'idée des 35 heures, développer les dispositions qui sont prises. Est-ce qu'il n'y a pas les charges financières dans l'entreprise à regarder ? Autant d'éléments qui éviteraient qu'il y ait des suppressions de postes supplémentaires. Ça va tout à fait dans le sens de l'effort qui est fait par le Gouvernement en faveur de l'emploi."


RTL le mercredi 11 mars 1998

Olivier Mazerolle : Les chômeurs et les sans-papiers chahutent les meetings de la gauche : quels enseignements en tirez-vous ?

Robert Hue : "Ce n'est pas toujours le chahut. Il y a des sans-papiers, des chômeurs qui s'expriment, parfois un peu vigoureusement. Quand c'est excessif, ce n'est pas bien, quand c'est vouloir s'exprimer, il faut parfois écouter. D'ailleurs dans les meetings, ils donnent leurs sentiments et puis après dans le débat, avec les différents orateurs, ils ont des réponses."

Olivier Mazerolle : Vous êtes aux côtés des sans-papiers qui occupent la cathédrale d’Évry ?

Robert Hue : "J'ai toujours dit que par rapport au mouvement social, au mouvement des sans-papiers, au mouvement des chômeurs, j'étais extrêmement sensible à ce qu'est cette souffrance sociale, cette urgence sociale. Il reste que pour les uns et pour les autres, il y a des réponses qui ont été apportées par le Gouvernement, pour les chômeurs..."

Olivier Mazerolle : Attendez, les sans-papiers et ensuite on reviendra aux chômeurs.

Robert Hue : "Les sans-papiers, c'est pareil. Chacun connaît mon point de vue, je n'ai pas apporté mon vote à la loi qui a été présentée par J.-P. Chevènement. J'ai été pour l'abrogation des lois Pasqua-Debré. Je pensais qu'il fallait aller plus loin."

Olivier Mazerolle : Quand ils occupent la cathédrale d’Évry ?

Robert Hue : "Cela c'est l'affaire des propriétaires de la cathédrale."

Olivier Mazerolle : Ce ne sont pas les communistes qui possèdent la cathédrale, c'est clair!

Robert Hue : "Je suis sensible à ce qu'ils expriment. Je crois que partout où ils ont une expression à donner il faut qu'ils la donnent. Cela dit, il ne faut pas que cela se fasse dans la violence comme cela a pu se faire un peu, hier, à Marseille."

Olivier Mazerolle : La présence des chômeurs, cela donne raison autre convictions du PC ?

Robert Hue : "La présence des chômeurs est l'expression d'un mouvement social qui est en attente, qui a eu des réponses importantes avec la gauche plurielle. Je suis tout à fait sensible aux réponses qui ont été apportées depuis neuf mois à des questions posées, y compris à celles de début de réponse qui ont été apportées par L. Jospin après le mouvement des chômeurs. Ce n'est pas rien."

Olivier Mazerolle : Oui, mais plus, plus, plus.

Robert Hue : "Non, je ne suis pas "monsieur Plus", je ne suis pas quelqu'un d'excessif. Je dis qu'il y a simplement à prendre en compte l'urgence sociale, l'attente qui est forte et on peut aller : plus loin. C'est la réalité. Pourquoi je dis cela ? Tout simplement parce que voilà, si on augmente par exemple les minima sociaux, il est évident, d'abord c'est une nécessité pour des gens qui sont dans la souffrance réelle. Quand on a 2 500 francs par mois, même si on a 200 ou 300 francs de plus chaque mois, c'est encore très très peu. Il faut donc prendre en compte cela. Et par ailleurs, on sait très bien que ces moyens supplémentaires qui peuvent être apportés aux gens les plus pauvres, ils n'iront pas les placer dans des paradis fiscaux, ils vont les remettre dans l'économie et donc cela doit faire fonctionner l'économie également. Je suis pour qu'on prenne en compte à la fois ces besoins, donc l'augmentation des minima sociaux, mais je suis aussi pour une augmentation du pouvoir d'achat, des salaires, des retraites. Cela me semble aussi un élément de nature à stimuler le début de retour de la croissance."

Olivier Mazerolle : Votre proposition de moratoire sur les plans de licenciements, vous espérez convaincre L. Jospin ? Il ne veut pas en entendre parler pour l'instant.
 
Robert Hue : "Ce n'est pas ce qu'il m'a dit. Je l'ai rencontré L. Jospin. Ce moratoire... pourquoi ce moratoire ?"

Olivier Mazerolle : Est-ce que vous pensez convaincre le Gouvernement ? M. Aubry fait les gros yeux.

Robert Hue : "Non, M. Aubry ne fait pas les gros yeux. Et puis je pense qu'elle doit regarder la proposition qui est faite avec attention. D'ailleurs elle le fait. Elle dit : il faut être attentif aux plans sociaux. Permettez-moi de m'exprimer et de donner mon opinion sur ce moratoire. Qu'est-ce que c'est tout d'abord ? Pour que nos auditeurs sachent de quoi il s'agit : il y a un effort considérable qui est fait par le Gouvernement pour créer des emplois, notamment avec des emplois-jeunes, avec toute une série de propositions qui sont faites en matière d'emploi, y compris ce qui va être fait avec les 35 heures. Donc, il y a cet effort et les communistes dans la majorité plurielle sont pour cet effort, cette véritable croisade de l'emploi. Mais en même temps qu'il y a cet effort, ces emplois créés, je vois par ailleurs annoncer des milliers de suppressions d'emplois, je dis : attention, avant qu'il y ait ces plans sociaux de mise en œuvre de nouvelles suppressions d'emplois, en quelque sorte une sorte de puits sans fond, on crée des emplois d'un côté et ils échappent de l'autre. Je dis : il faut absolument qu'il y ait un regard de portée sur les plans sociaux, qu'on examine s'il y a eu effectivement la disposition des 35 heures qui est regardée, s'il y a les charges financières des entreprises regardées, s'il y a des profits réalisés en entreprise, quels sont les usages des fonds publics ? Voilà des éléments concrets."

Olivier Mazerolle : Le cas échéant, vous ne les accepteriez pas si les réponses étaient vraiment positives ?
 
Robert Hue : "Si dans la transparence, on voit qu'on peut éviter ces licenciements, naturellement qu'il faut les éviter. Et je crois qu'on peut effectivement éviter ces suppressions d'emplois."

Olivier Mazerolle : L. Schweitzer qui est le PDG de Renault s'exprime aujourd'hui dans les colonnes de l'Humanité. Il dit : il faut bien faire des efforts de compétitivité car quand on ne les fait pas, les voitures sont vendues plus chères et les clients achètent d'autres marques et cela fait du chômage au total.

Robert Hue : "L'idée qu'il faut diminuer les effectifs pour faire des efforts de compétitivité et de productivité, c'est une très vieille idée et cela n'a pas fonctionné jusqu'à maintenant. Je crois que les résultats qui sont obtenus ne sont pas de nature à montrer que c'est par la diminution des effectifs qu'on obtient ces avancées, cette relance de notre économie. Par contre, je vois que Renault a fait cinq milliards de profits et de bénéfices cette année. Je crois qu'il faut, avant d'imaginer de nouvelles suppressions d'emplois, regarder comment on utilise ces profits, comment on travaille sur les charges financières, comment, je répète, 35 heures peuvent être appliquées."

Olivier Mazerolle : Vous êtes d'accord avec les membres du Gouvernement lorsqu'ils disent que la première tâche à accomplir, c'est la réduction des déficits ?

Robert Hue : "Je crois que la première chose à faire pour, y compris faire baisser les déficits, c'est de relancer la machine. Moi, je pense qu'il faut davantage se tourner vers une augmentation du pouvoir d'achat qui relancerait la machine économique. Je dis, je persiste et je signe : il faut augmenter plus sensiblement les bas salaires et les moyens salaires. Il faut augmenter les minima sociaux pour relancer la consommation et relancer la machine. Et cela aussi ce sera un facteur de diminution des déficits."

Olivier Mazerolle : C'est de cette façon-là que vous croyez que le Gouvernement pourra atteindre son objectif de réduction des déficits ?

Robert Hue : "Oui, je le pense. Je pense que cela passe par là."

Olivier Mazerolle : L. Jospin attend des régionales un appui apporté au Gouvernement. Et vous au PC, qu'est-ce que vous attendez de ces régionales ? Un appui au Gouvernement aussi ?

Robert Hue : "Le résultat des régionales, qui s'annonce positif pour la gauche plurielle, va être un stimulant pour aller plus loin dans la mise en œuvre de la politique de la gauche plurielle."

Olivier Mazerolle : Mais ce que vous proposez vous c'est le "à gauche toute", c'est précisément ce que P. Séguin dit être le plus grand danger pour la France.

Robert Hue : "Si P. Séguin dit que ce n'est pas bon ce que je propose, il faut surtout le faire. Je crois que c'est un bel engagement, un bel encouragement. Donc de ce point de vue, il n'y a pas de problème. Je suis tout à fait pour la réussite du Gouvernement et je crois que là, il y a un signe qui va être donné par les Françaises et les Français en votant pour la gauche plurielle. C'est un signe d'encouragement au Gouvernement à poursuivre et à aller plus loin dans le sens de la réforme. Et à gauche, bien à gauche, il ne faut pas attendre de moi à ce que je propose autre chose qu'aller à gauche."

Olivier Mazerolle : Aller plus loin, suivre le PC ?

Robert Hue : "Suivre le PC dans le cadre de la gauche plurielle. Il doit peser dans cette gauche plurielle, il pèse et je crois que cela va dans le bon sens."

Olivier Mazerolle : L'affaire R. Dumas : est-ce que vous croyez comme le président du Conseil constitutionnel que c'est une mise en cause de l'héritage de F. Mitterrand ?

Robert Hue : "En tous les cas, je pense que tout ce qui se dit sur cette affaire devrait prendre en compte davantage ce qu'est la présomption d'innocence d'abord. Moi, je vois des choses avec cette affaire révélée, puisque c'est dans la presse, qui me choquent. Ce que je vois apparaître en matière de pots de vin, de commissions tout à fait énormes."

Olivier Mazerolle : C'est l'héritage de F. Mitterrand ?

Robert Hue : "En tout cas c'était une politique qui était menée. Je pense que c'est F. Mitterrand naturellement mais c'est une politique qui est menée par les différents pouvoirs depuis des décennies. Cette idée des commissions qui conduisaient à une certaine corruption incontestablement, tout cela existe depuis des décennies. Il faut y mettre un terme, il faut que les contrats qui sont passés dans ce domaine soient transparents. Il faut que les élus de la nation puissent les voir. Voilà l'esprit en tous les cas qui m'anime."


LE PARISIEN le 12 mars 1998

REGIONALES - Robert Hue refuse toute pause » dans les réformes

« Dans les beaux quartiers la droite panique... »

Le patron du PC souligne, à l'attention de Lionel Jospin,  qu'il reste en France des «attentes fortes et, parfois, des impatiences ».
 
Le Parisien : Comment expliquez-vous, à en croire les sondages, le basculement à gauche de tant de régions ? Est-ce le signe que les électeurs sont satisfaits de la politique de Lionel Jospin, et qu'ils n'en demandent pas plus ?

Robert Hue : Les sondages sont favorables à la gauche plurielle, et j'en suis évidemment satisfait. Des sondages ne font cependant pas une élection : il y a encore beaucoup à faire d'ici à dimanche pour obtenir le très bon résultat que nous pouvons attendre. Cette situation témoigne d'une confiance certaine des Français dans l'action du gouvernement et de la majorité à laquelle nous participons. Les 35 heures, les emplois jeunes, le projet de loi contre l'exclusion : tout cela est apprécié comme allant dans le bon sens. Mais il reste des attentes fortes, des impatiences parfois, à propos de la lutte contre le chômage et du pouvoir d'achat. Voilà pourquoi un bon résultat de la gauche ne sera sûrement pas une invitation à la pause. Au contraire, il devra inciter à passer à la vitesse supérieure dans l'engage ment des grandes réformes.

Le Parisien : Quelles sont les ambitions du PC on termes de présidences de régions ?

Robert Hue : Ce n'est qu'à partir du 16 mars que les partenaires de la gauche plurielle en discuteront. Aujourd'hui, je dirais simplement qu'il faudra prolonger dans les exécutifs régionaux gagnés par la gauche l'union et la diversité qui lui auront permis de l'emporter. Cela vaut pour toutes les responsabilités, y compris les présidences. L'inverse ne serait pas conforme au choix exprimé par les électeurs.

Le Parisien : Nicolas Sarkozy a mis en garde les électeurs contre les risque de voir appliquer une politique d'ultra-gauche » dans les régions...

Robert Hue : Nicolas Sarkozy joue à se faire peur et, surtout, à essayer de faire peur. Tout cela n'est pas très digne et traduit une très grande fébrilité de la droite. La politique qui s'appliquera sera celle de la majorité plurielle, celle pour laquelle les électeurs ont voté en juin dernier et qu'ils auront confirmée le 15 mars. Du côté du triangle « Neuilly-Auteuil-Passy » et des beaux quartiers, la droite panique rien qu'à l'idée qu'on puisse faire œuvre de justice sociale, en faisant contribuer davantage les revenus financiers et les grandes for tunes ou en exigeant la transparence dans l'utilisation des fonds publics.

Le Parisien : Les sondages promettent un bon score en Seine-Saint-Denis à Arlette Laguiller, le leader de lutte ouvrière...

Robert Hue : J'appelle les gens à réfléchir sur des déclarations qui me choquent beaucoup. Arlette Laguiller dit que, si elle est élue, elle ne choisira pas entre la droite et la gauche. J'ai relu trois fois ses propos pour voir si je ne me trompais pas. On ne peut pas sérieusement prétendre que la majorité de gauche fait la même politique que celle d'Alain Juppé. Mais déjà, en 1992, elle avait appelé à l'abstention lors du référendum sur Maastricht, empêchant alors le « non » de l'emporter. Il faut s'en souvenir.

Le Parisien : Martine Aubry a rejeté votre proposition de « moratoire » sur les licenciements...

Robert Hue : Si Martine Aubry n'a pas retenu, pour le moment, ma proposition, elle a tout de même indiqué qu'il faudrait examiner avec attention tous les plans sociaux. Cette proposition d'un moratoire n'est pas du tout excessive : elle est responsable. Il est insupportable de voir chez Renault, Peugeot ou Michelin des plans sociaux supprimant des milliers d'emplois qui, en quelque sorte, annulent les efforts faits, par ailleurs, pour l'emploi. Le moratoire, cela veut dire que nous voulons la transparence sur les plans sociaux, sur l'utilisation des profits, sur les charges financières, sur la mise en œuvre des 35 heures. Appelons cela comme on voudra: En tout cas, tel est l'esprit constructif de ma proposition.

Le Parisien : Mais le PDG de Renault dit qu'il est obligé de licencier parce que tes voitures sont trop chères...

Robert Hue : Je réfute complètement cette thèse où, sous prétexte de compétitivité, il faudrait diminuer les coûts par des suppressions d'emplois. C'est une thèse qui est serinée (et mise en œuvre) par les patrons et les élites depuis vingt ans. Le résultat s'est traduit par des milliers et des milliers de licenciements et de suppressions d'emplois, sans pour autant améliorer notre économie. S'il y a une petite reprise de croissance actuellement, on ne la doit pas à cette détestable habitude patronale mais, pour beaucoup, à l'amorce de relance par la consommation liée aux premières mesures du gouvernement, de la gauche plurielle et de Lionel Jospin.

Le Parisien : Comment réagissez-vous en apprenant par Roland Dumas que la vente de frégates françaises à Taïwan a été accompagnée de versements de commissions d'un total de 2,5 milliards de francs ?

Robert Hue : Je ne joue pas les naïfs mais, comme beaucoup de vos lecteurs, je suis assez effaré de l'ampleur de ces commissions. Les élus du suffrage universel devraient être informés réellement des transactions impliquant l'Etat, notamment pour tout ce qui concerne le commerce des armes. Transparence et morale sont au coeur de la démocratie : dans ce domaine, on en est loin.

Le Parisien : Avez-vous l'impression d'avoir retrouvé la fraction de l'électorat populaire du PC qui s'était laissé séduire par Le Pen ?
 
Robert Hue : C'est un défi que nous avons décidé de relever. Les élus et les militants s'y emploient sur le terrain, quotidiennement, en aidant à créer de nouvelles solidarités, en s’efforçant de répondre à l'exigence de dignité, de nouveaux rapports humains dans les quartiers populaires. En même temps, il faut que les décisions gouvernementales de s'attaquer au chômage et à l'exclusion soient mieux connues, mieux perçues. Quand je propose de faire baisser la TVA, c'est concret car la TVA, tout le monde la paye... Oui, je pense que le PC est en train de regagner des positions dans l'électorat populaire, et qu'il est possible de faire baisser sensiblement l'influence du FN. C'est une belle mission pour le PC et la République n'a qu'à y gagner.