Texte intégral
Entre 1954 et 1990, la part des services a presque doublé : deux tiers de l’emploi en dépendent
Accaparée par les formes, le rythme et les conséquences du développement industriel du début du siècle, l’attention ne s’est portée sur les services qu’à la fin des « Trente Glorieuses » ; au moment où la croissance de l’emploi industriel commençait à s’infléchir.
Si le phénomène de tertiarisation n’est pas nouveau (en près d’un siècle, la population active des services a été multipliée par trois), il s’est accéléré au sortir de la Seconde Guerre mondiale : en quarante ans (1954-1990), le poids de services dans l’économie française a presque doublé ! Aujourd’hui, les deux tiers de l’emploi et de la valeur ajoutée par « l’entreprise France » résultent de l’activité tertiaire, dont à nouveau les deux tiers relèvent du secteur marchand.
Pour remarquable qu’elle soit, cette évolution ne place la France qu’au milieu du peloton des « pays les plus industrialisés » ; ici comme ailleurs, à mi-chemin des modèles « anglo-saxon » (Amérique du Nord, Royaume-Uni) et rhénan (Allemagne, Japon).
La dématérialisation de l’économie ne résulte pas de la seule importance du secteur tertiaire dans le système productif. Elle repose sur l’accroissement des emplois de services dans l’ensemble des activités économiques, et en premier lieu dans l’industrie, ainsi que sur l’apport croissant des services dans la richesse nationale.
Si le premier point est trop connu pour que l’on s’y arrête, le second mérite d’être précisé. Le poids des consommations intermédiaires de services est passé de 26 à 36 % en 1980 et 1990. Là où, en 1980, il fallait incorporer 26 centimes de services pour créer un franc de valeur ajoutée, il fallait, en 1990, 36 centimes de services pour créer le même franc de richesse.
Quand s’ajoute le fait que ce sont les services qui consomment le plus de services, on touche au cœur de la production et de la répartition des richesses dans l’économie française actuelle.
Un secteur éclaté
Tout cela a pour effet de rendre caduque la frontière traditionnelle entre l’industrie et les services. Et si chacun en a conscience, on continue à opposer l’industrie aux services. Il en va ainsi de l’innovation, pour laquelle les aides publiques visent prioritairement l’industrie. L’innovation dans les services constitue un élément très important du développement économique général, par construction plus volatile et par là autrement plus difficile à maîtriser et à canaliser.
Cet ensemble de considérations fait que, malgré son caractère essentiel, le secteur des services échappe au sens commun comme il échappe à son expression taxinomique, les nomenclatures.
Les activités tertiaires forment un secteur hétéroclite, éclaté et divers. Les entreprises de services sont dispersées entre une multitude de très petites entreprises (TPE) et professions indépendantes ou libérales (environ 160 000 TPE de services aux entreprises et 220 000 TPE de services aux particuliers), un très petit club d’entreprises « multiservices » déjà internationales et, enfin, un nombre significatif d’entreprises moyennes, hautement spécialisées (80 000 entreprises, comme : sociétés d’informatique, publicité, conseil en management, cabinets juridiques ou comptables, locations d’équipements, propreté, etc.). Les prestataires de services ont également des relations très diverses avec les technologies et avec l’emploi. Certains services aux entreprises exploitent les nouvelles technologies de l’information et de la communication tandis que d’autres prestations reposent sur une main-d’œuvre à faible qualification initiale.
Le secteur des services comporte certains métiers hautement réglementés (audiovisuel, intérim, professions judiciaires, télécommunications, etc.), mais aussi des métiers d’accès libre et d’exercice non réglementé (logiciel, conseil en organisation, laveurs de vitres, etc.). Cette multiplicité d’approche de la réglementation contribue à l’émiettement des centres d’intérêt et à une dispersion des représentations professionnelles.
Normer la qualité
Or un certain nombre de thèmes apparaissent communs et spécifiques à ces activités : notamment la qualification des entreprises et des hommes, la nature et la portée des réglementations, la représentation des services dans la société civile et politique. Les entreprises françaises de services éprouvent spontanément le besoin de normer la qualité de leurs prestations. Qualification des activités mais aussi des personnels tant il est vrai que l’une va avec l’autre, notamment dans la relation avec la clientèle.
Une partie des métiers de services paraît aujourd’hui surréglementée. D’autres sont, au contraire, très libéralisés. L’internationalisation des marchés de services remet en question certaines barrières réglementaires (exemple : le monopole du droit). Les règlements alourdissent, dans certains cas, le coût des prestations (exemple : agences immobilières). Le trop libre exercice professionnel est parfois contrasté (exemple : services Internet) avec un appel pressant à de nouvelles réglementations, nationales ou communautaires.
Une évaluation des réglementations publiques et de leur impact sur la compétitivité des prestataires français s’avère souhaitable. Elle imposerait une étroite liaison avec les professions. Plusieurs groupements professionnels en ont exprimé le souhait (exemple : publicité, intérim, services à la personne).
Les entreprises de services aspirent à se voir reconnaître une représentativité économique, équivalente à celle que notre société accorde aux activités manufacturières.
C’est la raison pour laquelle il est fondamental de mieux apprécier l’importance économique et sociale de ce qui fera probablement l’essentiel du développement du troisième millénaire.