Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi, tout d'abord, de remercier Serge Vinçon de m'avoir invité à clôturer ce colloque qu'il organise et dont chacun a pu apprécier la grande qualité. Vous avez choisi, pour aborder la réforme de notre défense, l'expression de « nouveau départ pour la France ». Elle me semble bien choisie pour une réforme sans équivalent qui poursuit une ambition politique, stratégique, économique et civique.
Cette réforme marque, avant tout, un nouveau départ politique.
D'abord, elle replace la volonté au coeur de l'action politique.
En donnant, peu après sa prise de fonctions et dans les circonstances les plus difficiles, l'ordre de résistance et de reconquête du pont de Verbanja, le Président de la République a d'un même geste rendu leur honneur à des soldats humiliés, mis un terme à trois ans d'ambiguïtés de la communauté internationale en Bosnie et démontré l'efficacité de la volonté politique. Cette manifestation de la volonté politique constitue, dans un monde dominé par un matérialisme consumériste, le sursaut de l'exception française : la France pour qui les droits de l'homme, la dignité de la personne humaine, le sens de l'honneur sont des valeurs qui méritent qu'on risque sa vie.
En décidant la reprise d'une ultime série d'essais nucléaires, le Président de la République a affirmé le primat de la défense des intérêts vitaux de la nation sur toute autre considération. En la menant à terme contre vents et marées, il a illustré la façon dont une décision justifiée peut l'emporter sur le tumulte et l'indignation à courte vue. Cette expression de courage politique représente, dans un monde guetté par l'empire de l'opinion, la revanche de la démocratie d'élection.
Ces deux actes politiques forts ont servi de prémices à la réforme de la défense engagée par le chef de l'État, chef des armées. S'il fallait résumer d'un mot la philosophie de la réforme, je dirais qu'elle donne à la politique sa pleine dimension en restaurant la hiérarchie des fins par rapport aux moyens.
Comment ? Par la remise en cause des habitudes et des institutions au profit des nouveaux besoins de notre défense. Par la distinction entre le service national et la conscription militaire, entre le pacte républicain et la nécessité stratégique. Par la priorité donnée aux aspects opérationnels sur l'aménagement du territoire ou la politique de l'emploi.
C'est pourquoi le projet de loi de programmation militaire 1997-2002 propose le passage à la professionnalisation. C'est pourquoi il prend le risque d'une triple révolution des armées françaises, révolution opérationnelle, révolution structurelle, révolution culturelle.
Politique, la réforme de notre défense constitue évidemment un nouveau départ stratégique.
Le XXIe siècle a commencé le jour de la chute du mur de Berlin. La prise de conscience de ce séisme géopolitique a été, cependant, beaucoup plus lente. Très peu d'acteurs et d'observateurs ont immédiatement compris qu'il reléguait dans le passé les réflexes et les références de la guerre froide ; très peu ont pressenti qu'il imposait, à tous les niveaux, dans le cadre national ou dans celui des alliances, une remise en cause des missions et une remise à jour des structures. J'ai le sentiment aujourd'hui, à lire certains commentaires, que certains esprits ont toujours du mal à saisir l'intensité et la globalité des bouleversements que nous traversons.
Il est vrai qu'en France, le contexte institutionnel de la cohabitation a retardé l'indispensable aggiornamento stratégique, pourtant entamé par les analyses du Livre blanc de 1994. Aujourd'hui, la loi de programmation militaire tire toutes les conséquences de l'apparition du nouveau paysage de la sécurité européenne. Surmontant les inerties et les conservatismes, elle rejoint une double démarche, européenne et atlantique, qui vient de s'illustrer au sommet franco-allemand de Dijon et à la dernière réunion atlantique de Berlin.
À Dijon, un nouveau pas a été franchi sur la voie de la coopération privilégiée de la France et de l'Allemagne et sur le chemin de l'identité européenne de défense.
Ainsi a-t-il été décidé d'élaborer, d'ici l'automne, un concept stratégique commun.
L'autre grande avancée est historique. À Berlin a été affirmé le rôle central de l'identité européenne de défense dans la nécessaire rénovation de l'Alliance atlantique. Pour la première fois apparaît la possibilité d'un meilleur partage des responsabilités entre les Américains et les Européens. Si cet accord de principe aboutit, d'ici la fin de l'année, aux résultats concrets que nous souhaitons, la France pourra alors envisager de participer, sur un pied d'égalité, à cette Alliance profondément rénovée.
Il s'agirait alors, pour notre pays, d'un nouveau départ qui lui donnerait une place centrale au sein d'une Europe politiquement et militairement majeure et au sein d'une Alliance à laquelle nous restons fondamentalement attachés. Il était temps, je crois, d'en finir avec le mélange d'idéalisme, de perfectionnisme et surtout d'irréalisme qui a longtemps fait suspecter l'ambition européenne de la France.
Au-delà de sa nature stratégique, la réforme de notre défense amorce un nouveau départ économique.
Face à la menace que représente, pour notre pays, la dégradation de ses comptes publics, la loi de programmation militaire 1997-2002 répond à une triple ambition :
La première ambition, c'est de faire en sorte que l'effort que la Nation consacre à sa défense soit compatible avec les moyens dont elle dispose. N'oublions jamais que la maîtrise des dépenses publiques sert avant tout la croissance économique et la création d'emplois ; n'oublions jamais que l'unité nationale et la cohésion sociale sont le socle indispensable de l'esprit de défense. Aujourd'hui plus hier, la défense est véritablement devenue un concept global.
La deuxième ambition de cette programmation, c'est de se situer à l'avant-garde de la réforme de l'Etat en optimisant l'efficacité de la dépense publique. Chacun le sait : c'est en période de facilité budgétaire que l'on peut se payer le luxe de gaspillages et de structures inutiles. La contrainte financière oblige, au contraire, à la rigueur ; elle constitue l'auxiliaire le plus précieux de la remise en cause des habitudes et des structures, et par conséquent le meilleur instrument de la réforme.
La troisième ambition de cette programmation, c'est de résister à l'épreuve du temps. C'est indispensable pour la crédibilité de l'État, la sécurité des industriels, la satisfaction des armées. Avec 185 milliards de francs 1995, la programmation est en retrait de près de 20 milliards sur la précédente. Mais pour la première fois, la programmation des ressources couvre la totalité des dépenses militaires. Mais ces ressources sont garanties par un engagement personnel du Président de la République.
Si la réforme de notre défense constitue un nouveau départ, c'est également parce qu'elle engage la restructuration d'un pan entier de notre économie, je veux parler de l'industrie de défense.
Pour maintenir, dans ce domaine, notre capital industriel, technologique et humain, il faut des structures viables du point de vue de la concurrence et fiables du point de vue du marché.
Est-il possible d'assister sans réagir à la situation difficile de GIAT industries ? Si le gouvernement engage sa réorganisation, c'est pour permettre à cette entreprise capable de construire le meilleur char du monde, le Leclerc, de retrouver la rentabilité.
Est-il possible de ne pas préparer l'avenir du fleuron de la construction militaire, la DCN ? Si le gouvernement engage la rationalisation de ses structures et l'adaptation de ses effectifs, c'est pour lui permettre de nouer les alliances indispensables.
Car afin de réagir efficacement à l'offensive commerciale américaine, nous aurons besoin d'ensembles industriels européens puissants.
La privatisation de Thomson, le rapprochement entre Dassault et Aérospatiale favoriseront les alliances qui feront émerger des pôles d'excellence européens en matière de défense.
La démarche suivie pour l'ATF, qui vise l'organisation de l'offre avec la constitution d'un consortium européen, et celle de la demande avec l'harmonisation des commandes des États européens d'armement, s'inscrit également dans cette logique qui n'est pas seulement industrielle, mais politique et stratégique. L'impératif d'indépendance se conçoit désormais à l'échelle de l'Europe.
Enfin, la réforme de la défense ouvre la perspective d'un nouveau départ civique.
« Le lien multiséculaire entre la France et son armée » ne sera pas rompu par la fin de la conscription militaire. Il sera redéfini et régénéré par de nouvelles formes que sont les volontariats, le rôle accru des réserves, le développement des carrières courtes. Deux phénomènes se conjuguent en effet pour remodeler un civisme moderne : la quasi-disparition de l'antimilitarisme, qui se double d'un attachement croissant des Français pour ceux qui garantissent leur sécurité, et la préférence de notre société, en particulier des jeunes, pour les démarches personnelles, avec un fort contenu d'engagement, de dévouement, de générosité.
Je suis profondément convaincu que ce sentiment de solidarité et d'appartenance façonne une nation et qu'il constitue la condition même de l'esprit de défense. Les propositions du Président de la République associant le maintien d'une courte période obligatoire, le rendez-vous citoyen, à différentes formes de volontariats, civiles et militaires, ont pour ambition de renforcer le lien nécessaire entre la nation et sa jeunesse.
Pourquoi ne pas le dire ? J'étais, au départ, plutôt favorable au maintien d'un service obligatoire, autour des notions de sécurité, de solidarité et de coopération. Le débat sans précédent qui a mobilisé les Français dans tout le pays, et celui qui s'est déroulé parallèlement à l'Assemblée nationale et au Sénat m'ont fait évoluer. Je tiens ici à saluer la contribution remarquable de M. Vinçon, rapporteur de la commission du Sénat sur le service national, présidée par M. de Villepin.
Comme toutes les grandes valeurs, le civisme n'est pas une notion figée. Gardons-nous de confondre l'esprit et la lettre ! II doit, à chaque époque, trouver ses propres moyens d'expression. Je crois que le civisme du XXIe siècle délaissera les formes contraignantes pour privilégier le choix, le sens de la responsabilité personnelle et de la solidarité collective.
Je ne saurais conclure sans faire remarquer la qualité des travaux de l'Association « Diplomatie et Défense », ni sans souligner les apports de ce colloque. Ils participent, me semble-t-il, d'un « nouveau départ » pour l'indispensable débat stratégique en France.
Date : 14 juillet 1996
Source : Défense nationale (numéro spécial)
En 1962, le général de Gaulle engageait la réforme qui fit passer notre défense de l'âge de la guerre classique, de l'Europe centre du monde et des empires coloniaux à l'ère de la dissuasion nucléaire, de la confrontation est-ouest et des indépendances.
En 1996, sept ans après la chute du mur de Berlin, le Président de la République engage une révolution de notre modèle d'armée qui fait entrer notre défense dans le XXIe siècle.
Pourquoi avoir tant attendu pour jeter les bases d'une défense nouvelle ? Pourquoi tirer aujourd'hui seulement les conséquences d'un changement d'époque ?
Certes, dès 1994, le Livre blanc sur la défense énonçait les enseignements de la dislocation de l'empire soviétique, proposait une analyse pertinente du nouveau paysage stratégique et inscrivait notre politique de défense dans une orientation résolument européenne.
Pourtant, le contexte politique de la cohabitation empêchait de mener cette démarche à son terme. Des questions essentielles demeuraient en suspens, comme le choix de nos futures composantes nucléaires, l'avenir du service national et celui de nos industries de défense…
L'élection présidentielle a sonné l'heure des choix. Les orientations qui ont été annoncées accomplissent la démarche engagée en 1994. Elles se situent d'autre part, à l'avant-garde de la réforme de l'État voulue par le Président de la République et le Premier ministre : l'efficacité doit justifier la dépense publique ; la maîtrise des déficits doit renforcer la cohésion sociale en donnant une impulsion forte à la croissance de notre économie et à la création d'emplois.
La loi de programmation 1997-2002, qui s'inscrit pour la première fois dans une planification à l'horizon d'une vingtaine d'années, exprime à la fois une fidélité à l'esprit de notre défense et une rupture avec les habitudes du passé.
La réforme exprime une prof onde fidélité à « une certaine idée de la France ».
En effet, la transformation du rapport de forces international et l'évolution des alliances n'altèrent en rien la détermination de notre pays de jouer son rôle. La France ne cède ni à la « volonté d'impuissance », ni à la tentation de rentrer dans le rang.
Si le Président de la République a mené jusqu'à son terme, contre vents et marées, une ultime campagne d'essais nucléaires, c'est d'abord parce qu'il était inconcevable que la France s'en remît à d'autres pour assurer, en toutes circonstances, la protection des intérêts vitaux de la nation.
Si le nouveau modèle d'armée dessine un nouvel équilibre des fonctions opérationnelles, c'est afin de continuer à offrir au chef de l'État l'éventail des options militaires qui garantissent notre souveraineté, assurent notre liberté de jugement et confèrent à de notre diplomatie sa crédibilité.
Cette fidélité à l'enseignement du Général de Gaulle est incompatible avec le statu quo. Trop longtemps, les formes et les institutions ont été sacralisées aux dépens de leur fin ultime. Trop longtemps, on a confondu la dimension politique et le besoin militaire, le pacte républicain et la nécessité stratégique. Trop longtemps, on a fait assumer à la Défense des responsabilités étrangères aux stricts impératifs de notre sécurité.
Il faut, aujourd'hui, renverser la perspective et rompre avec les habitudes pour redonner une pleine priorité aux nouveaux besoins de notre défense. C'est pourquoi la loi de programmation militaire pour les années 1997-2002 consacre le passage à un nouveau système d'hommes, à une nouvelle génération d'équipements, à une nouvelle logique industrielle et à une nouvelle ambition européenne.
La loi de programmation consacre le passage à un nouveau système d'hommes.
Contrairement à une idée couramment répandue, la conscription militaire, qui a joué un si grand rôle dans l'attachement à la République, n'a jamais été une donnée intangible de notre défense. Les soldats de l'an II n'étaient pas des conscrits, mais des volontaires de la République. Si la loi Jourdan du 19 Fructidor an VI énonçait que « tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie », la conscription universelle ne fut instaurée pour la première fois qu'en 1905, pour des raisons militaires : compenser, après le désastre de la guerre de 1870, la puissance démographique et la supériorité technique de nos adversaires.
En optant pour la professionnalisation des armées, la loi de programmation 1997-2002 achève une réflexion engagée en 1934 avec la publication, par le colonel de Gaulle, de « Vers l'armée de métier ». À Crécy, les « armes naïves de la chevalerie » avaient éprouvé leur impuissance « en face des archers et des canons anglais ». Dans l'entre-deux guerres, la révolution mécanique du char et de l'aviation remettait en cause le principe de la conscription militaire. Aujourd'hui, c'est la révolution de l'information et de l'électronique, couplée à la disparition d'une menace militaire directe, qui rend la loi du nombre caduque.
À ce rendez-vous technologique et stratégique correspond donc un changement de système d'hommes. Augmenter le nombre des engagés, réduire celui des appelés, réviser les formats des armées : voilà le pari de la professionnalisation. Il privilégie le métier, l'entraînement et le savoir-faire des hommes ; il donne la priorité à la cohérence, à la disponibilité, à l'interopérabilité des forces ; il vise l'adaptation permanente des moyens aux besoins.
La loi de programmation autorise aussi le passage à une nouvelle génération d'équipements.
C'est, dans le domaine classique, l'association de nouveaux systèmes d'armes à des armements intelligents.
S'inscrivent dans la première catégorie le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, dont l'entrée en service, en 1999, renouvellera la capacité de projection de puissance de la marine ; les chars Leclerc qui donneront à notre force blindée, pour la première fois, une avance indiscutable ; la première flottille de Rafale-marine, le développement du Rafale-air et de l'hélicoptère Tigre, qui garantiront à nos armées l'indispensable maîtrise de la troisième dimension.
À ces systèmes de nouvelle génération seront couplées des armes intelligentes comme les antichars longue portée de troisième génération, les missiles de croisière de précision de la famille APACHE et SCALP, les armements guidés laser. Elles offriront la plus grande efficacité militaire tout en renforçant la sécurité des hommes qui les servent et en limitant les effets collatéraux.
C'est, dans le domaine de la dissuasion, l'arrivée d'une nouvelle génération de sous-marins et de missiles. Le deuxième SNLE-NG, le Téméraire, sera admis au service actif en 1999, le troisième, le Vigilant, fin 2002, tandis que le quatrième sera commandé en 2000. En outre, notre dissuasion conservera, grâce au missile balistique M51 et au missile aérobie ASMP amélioré, toute la souplesse et la diversité qui lui permettront de rester pertinente et crédible en toutes circonstances.
C'est, dans le domaine de la prévention des crises, le lancement du deuxième satellite Helios I B, celui d'HELIOS II qui disposera d'une résolution optique améliorée et d'une capacité infrarouge. La génération des satellites-radars tout temps HORUS sera développée pour un lancement en 2005.
La loi de programmation marque également le passage à une nouvelle logique industrielle.
Le temps n'est plus où l'autorité politique donnait à l'industrie de défense, comme unique objectif, de concevoir et de produire l'arme la plus sophistiquée. Aujourd'hui, ambition technologique et impératif de gestion doivent être conciliés. Dans un domaine où les coûts de développement croissent sans cesse, les entreprises florissantes seront celles qui auront su réaliser des programmes au plus juste prix. L'approche originale suivie par la France et l'Allemagne en ce qui concerne l'ATF illustre cette nécessité. La rationalisation des structures et l'adaptation des effectifs de la DCN, la réorganisation de GIAT industries sont également une façon de préparer l'avenir.
Le temps n'est plus où l'industrie d'armement pouvait se contenter du seul marché national. L'exportation sur le marché mondial est la condition même du maintien de notre capital industriel, technologique et humain. Elle va constituer la pierre de touche de la viabilité de nos structures industrielles du point de vue de la concurrence et de leur fiabilité du point de vue du marché.
Le temps n'est plus où l'impératif d'autonomie stratégique justifiait que l'industrie nationale fournisse la quasi-totalité de l'équipement des armées. La constitution d'un grand marché européen de l'armement est d'abord la garantie de l'indépendance et de la dimension politique de l'Europe ; elle représente également l'assurance de résister, grâce à la constitution de grands groupes européens, à !'offensive d'une industrie américaine restructurée. La privatisation de Thomson, le rapprochement entre Aerospatiale et Dassault favoriseront les alliances qui feront émerger des pôles d'excellence européens en matière de défense.
Cette programmation consacre enfin l'avènement d'une nouvelle ambition européenne.
Défense nouvelle, renouveau de l'Europe politique et militaire, nouvelle Alliance : chacun perçoit désormais la cohérence et la complémentarité entre la réforme de notre défense et nos initiatives européennes et atlantiques. Il s'agit, à tous les niveaux et au sein de toutes les institutions, de mener à son terme le travail d'adaptation au bouleversement du paysage stratégique européen.
En définissant un nouveau modèle d'armée, la loi de programmation militaire vient à l'appui de nos solidarités et de nos engagements pour la sécurité de l'Europe. En témoignent l'accent mis sur des capacités de projection de puissance disponibles pour assurer le respect de nos engagements européens et atlantiques, la priorité donnée au renseignement et à la prévention avec les programmes spatiaux au service d'une capacité européenne nouvelle, la réalisation de moyens de commandement et d'action de nouvelle génération, interopérables avec nos alliés, et bien entendu notre volonté de concertation dans le domaine nucléaire.
La décision de la France et de l'Allemagne, prise au dernier sommet de Dijon, d'élaborer, d'ici l'automne, un concept stratégique commun, le succès de la réunion atlantique de Berlin qui a affirmé l'identité européenne de défense comme l'un des éléments majeurs de la rénovation de l'OTAN sont autant de jalons sur le chemin qui mène à la maturité de l'Europe politique et de l'Europe de la défense.
Mais la clé de la réforme résidera dans l'attention portée aux hommes.
L'attention portée aux personnels militaires et civils pour qui la réduction du format des armées provoquera des bouleversements dans la carrière et la vie personnelle.
L'attention portée aux ouvriers et aux cadres des industries de défense pour qui les restructurations entraîneront des reconversions, des reclassements, des efforts de formation.
L'attention portée aux familles qui prendront leur part, notamment par une mobilité accrue, de cette gigantesque adaptation.
C'est pourquoi le gouvernement a décidé d'accompagner toutes les conséquences individuelles de la réforme. Les financements du fonds de professionnalisation et du fonds d'adaptation industrielle destiné à la DCN et à la direction des applications militaires du CEA, y contribueront directement.
Cependant, l'immense défi humain que représente cette réforme va bien au-delà des personnes : il touche, à travers les forces vives de nos régions et de nos villes, la géographie, la sociologie et l'équilibre du pays tout entier.
Citadelles de Vauban, arsenaux, régiments, bases, usines : la défense est au coeur de l'histoire de notre pays. Il n'est pas jusqu'aux arbres des forêts plantées par Colbert qui n'aient à la fois servi la défense et marqué le paysage de la France.
C'est pourquoi les restructurations militaires et industrielles sont l'affaire de tous :
Elles sont l'affaire de l'État, qui consacrera 2,2 milliards de francs, dont la moitié au titre du Fonds pour les restructurations de la défense, à la prise en charge des conséquences sur l'emploi et l'aménagement du territoire ; elles relèvent du délégué interministériel aux restructurations, des délégués régionaux et des chargés de mission dans chaque bassin d'emploi ; elles reposent sur le dynamisme des régions, qui peuvent conclure des conventions avec le ministère de la défense ; elles dépendent de l'esprit de partenariat et d'innovation de tous les élus concernés.
Mais la réussite de cette réforme sans équivalent est liée avant tout à l'adhésion des personnels militaires et civils de la défense, car ce sont eux qui vont la mettre en oeuvre. Il n'est pas beaucoup de corps sociaux qui aient porté, depuis 30 ans, deux réformes fondamentales. Il n'est pas beaucoup de corps sociaux qui soient capables d'une telle capacité d'adaptation, d'une telle abnégation, d'un tel sens de l'intérêt national. Hommage doit leur en être rendu.
Cette immense réforme ouvre un champ nouveau à l'expression du civisme et de l'esprit de défense.
Parce qu'elle redéfinit les termes du contrat qui unit l'armée et la nation, cette réforme n'est pas uniquement stratégique, budgétaire, économique et sociale : c'est une réforme politique, une réforme de société. La professionnalisation ne constitue en effet, pour l'armée et la nation, ni une rupture, ni un divorce : grâce au volontariat, au rôle accru des réserves, au développement des carrières courtes, l'échange sera constant entre la vie militaire et la vie civile. Cette symbiose sera d'autant plus profonde qu'aujourd'hui, les Français manifestent une reconnaissance et un attachement croissants à ceux qui garantissent leur sécurité et sont prêts à mettre leur vie en jeu pour défendre la paix et les valeurs autour desquelles se rassemble notre communauté nationale.
Car le meilleur garant de l'esprit de défense, c'est la force d'une communauté nationale unie autour du sentiment d'un destin partagé. Renforcer ce sentiment de solidarité et d'appartenance, c'est toute l'ambition des propositions du Président de la République pour un nouveau service national maintenant une courte période obligatoire, le rendez-vous citoyen et développant différentes formes de volontariats, militaires et civiles. Ce sera au Parlement, qui a été associé, parallèlement à la grande consultation nationale, à la conception de la réf orme, de décider, à l'automne, de la nature, du contenu et de la durée de ce nouveau rendez-vous entre la nation et sa jeunesse et des nouveaux modes d'expression de la générosité et du dévouement des jeunes Français.