Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Europe 1 le 2 mai 1998 et à La Chaîne info le 4, sur la création de l'euro, la présidence de la Banque centrale européenne et l'enquête parlementaire sur le génocide au Rwanda.

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Média : Europe 1 - La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

« EUROPE 1 » (Paris, 2 mai 1998)


Q - Dans quelques minutes, vous allez assister, à Bruxelles, avec MM. Chirac, Jospin, Kohl, Prodi, Blair à la naissance du beau bébé euro. Y a-t-il, chez vous, une certaine émotion ?

R - Oui, parce que c'est un projet français à l'origine, qui a grandi pendant deux décennies au moins. Des décisions clefs ont été prises à la fin des années 1980 mais, cela montre que cette volonté européenne peut, dans des domaines absolument essentiels comme celui-là, finalement se concrétiser.

Q - Et traverser toutes les tendances françaises ?

R - Et être endossée tour à tour, portée tour à tour et réalisée tour à tour par des majorités de toutes sortes, dans tous les pays d'Europe concernés.

C'est une leçon formidable pour l'Europe, pour sa confiance en elle.

Q - Les peuples se fichent de la bataille qui a lieu en ce moment pour la présidence de la banque de Francfort. Peut-être ont-ils tort ? Y aura-t-il un compromis ?

R - Non, ils n'ont pas tort parce qu'il y aura un résultat.

Q - Y aura-t-il un compromis ?

R - L'obligation juridique est de trouver une solution avant le 1er juillet. L'opportunité politique serait de trouver une bonne solution ce week-end et je pense qu'il y a une chance raisonnable qu'elle soit finalisée dans la journée par les chefs d'Etats et du gouvernement.

Q - Mais la France ne claquera pas la porte ?

R - Chacun défend des positions, comme c'est bien légitime. Nous avions notamment une position de principe dans cette affaire, concernant le fonctionnement des institutions européennes où il n'était pas tolérable que les gouverneurs se cooptent seuls entre eux. C'est le Conseil européen qui est le patron dans le système de la décision politique en Europe. Mais cela dit, je pense qu'il y a de bonnes chances de trouver une solution heureuse aujourd'hui.

Q - Nous le saurons lors de la rencontre de M. Chirac avec les chefs de gouvernement et chefs d'Etat ?

R - Nous le saurons dans la journée.

Q - Avez-vous le sentiment de créer de l'irréversible en faisant naître l'euro ?

R - Oui, mais au sens positif du terme. Cela pourrait avoir un côté un peu fatidique, mais ce n'est pas du tout le cas. Cette volonté européenne que chemine cahin-caha et dont, parfois, on a le sentiment qu'elle piétine sans savoir où vont ces Conseils européens dont personne ne comprend le sujet, là, c'est exactement l'inverse. L'Europe se dote de la force dont elle a besoin pour ne pas être un objet passif dans la mondialisation d'aujourd'hui, ballotée par des forces extérieures qu'elle ne domine pas, mais au contraire, un sujet de décisions politiques.

Q - L'Europe, c'est formidable et je le dis d'une manière plus positive. Mais, l'Europe a donc eu une ambition pour ce qui concernait les monnaies, la monnaie. Aura-t-elle les moyens politiques de progresser ? Autrement dit, la bataille s'engage-t-elle maintenant pour une Europe politique ?

R - Je dirais deux choses : la décision de la monnaie est une décision typiquement politique. Il ne faut pas opposer la politique et la monnaie. La décision de faire une monnaie unique est la quintessence de la décision politique. Il faut se rappeler le cheminement depuis le plan Werner, Giscard-Schmidt, Mitterrand-Kohl et la suite. C'est fondamental. D'autre part, je crois que cela aura des effets fédérateurs, des énergies et une obligation de cohésion et de cohérence allant au-delà de la monnaie, sur tout champ économique, fiscal, budgétaire, social. De plus, cela donne à l'Europe des responsabilités mondiales et aujourd'hui, nous entrons dans cette phase. Il faut que l'Europe soit là. Autour de cela, elle aura des charges, des responsabilités politiques mais aussi des moyens, un potentiel d'actions. Mais que veut l'Europe depuis le début ? Elle veut être maîtresse de son destin. C'est une grande étape par rapport à cela et en effet, il faut aller sur ce champ politique au sens large.

Q - Cela veut-il dire, par exemple, pour ce qui vous concernerait, une politique étrangère, non pas unique mais commune ?

R - C'est l'ambition du Traité de Maastricht. Mais, naturellement, lorsque cela a été mis dans le Traité, cela ne voulait pas dire que cela se ferait du jour au lendemain. C'est encore plus compliqué de faire de la politique étrangère communie ou unique, comme vous dites, à partir de 15 ou 20 pays, qui ont des traditions tellement différentes, que de faire la monnaie. Cela paraît bizarre de dire cela aujourd'hui, mais c'est encore plus difficile. Il faut y aller avec des actions communes de plus en plus convergentes. C'est un travail de tous les jours. Il faut usiner de cela. Mais, les politiques nationales sont des métaux résistants, donc, il faut une usine à haute température pour créer une politique étrangère encore plus performante. Il y a beaucoup de domaines où c'est déjà le cas. Il y a beaucoup de sujets où l'Europe parle d'une seule voix et quand elle le fait, croyez-moi, elle a du poids.

Q - Oui, par exemple, le Proche-Orient ?

R - Par exemple, l'opposition des Européens aux lois unilatérales américaines, type loi d'Amato. Par exemple, les positions sur le Proche-Orient. Vous me direz que cela ne permet pas encore de relancer le processus de paix, mais comme personne n'y arrive… en tout cas, les Européens sont convergents dans les analyses. La façon par exemple dont il faut se comporter avec la Russie, la façon dont il faut prendre un tournant prudent avec l'Iran, les Accords de Lomé, dans les relations avec l'Afrique jusqu'à maintenant. Ce n'est pas négligeable, c'est un processus en formation.

Q - Pour ce qui concerne MM. Arafat et Netanyahou, c'est-à-dire la position à l'égard du Proche-Orient, il y a quelques temps, vous craigniez les conséquences de la politique actuelle du gouvernement d'Israël. Avez-vous changé d'avis ?

R - Je craignais l'asphyxie croissante du processus de paix.

Q - Maintenant, il est asphyxié.

R - Et donc, je souhaite ardemment que ce soit l'inverse qui se produise pour que les uns et les autres retrouvent l'espoir. Aujourd'hui, il n'y a plus d'espoir véritable dans la région du Proche-Orient. Il y a une situation de force et de sécurité relative du côté israélien, mais il n'y a pas d'espoir politique pour les uns et les autres. Il n'y a pas de dynamique. Je souhaite beaucoup que, quel que soit le procédé, le « facilitateur » du déblocage, nous puissions l'obtenir. Si les rencontres de Londres peuvent y contribuer, tant mieux.

Q - Gardez-vous la même inquiétude ?

R - Oui, puisqu'aujourd'hui, il n'y a aucun élément nouveau qui soit intervenu depuis plusieurs mois. Sur les engagements d'Oslo qui ne sont pas tenus, on discute d'un redéploiement, de toute façon minime, il n'y a même pas d'accord entre 9 % et 13 %, ce qui est de toute façon extrêmement loin des engagements qui avaient été pris. Il faut continuer inlassablement à débloquer cette affaire, bien sûr.

Q - J'en reviens à l'Europe : croyez-vous possible, monsieur le ministre, de faire vivre chez les gens, une souveraineté, une conscience européenne mais qui respecterait les identités nationales ?

R - Bien entendu.

Q - Et qui affaiblirait aussi ce mal pernicieux qui ronge, le nationalisme ?

R - Tous ces mots découlent du sentiment de découragement, face à une sorte de mondialisation qui biodégrade tout et par rapport auquel on a le sentiment de ne plus avoir de prise sur rien. Nous ne savons plus où sont les leviers, les manettes. On ne sait plus à quoi sert de faire semblant de participer à la décision. C'est cela qui est corrosif.

Q - Les réponses… Vous avez entendu hier Jean-Marie Le Pen !

R - Non, je ne l'ai pas entendu mais je devine ces réponses. Pour ma part, je pense qu'il faut contribuer à l'élaboration d'une Europe, je le disais à l'instant, qui est maîtresse de son destin. La monnaie est un élément clef : avoir une politique budgétaire et sociale de plus en plus convergente, avec comme axe principal, l'action pour l'emploi, avoir une politique étrangère que nous construisons petit à petit. J'espère et j'ai la conviction que cela redonnera à chaque Européen, où qu'il soit, le sentiment qu'il participe à un système global de décision qui fait qu'il définit son destin, qu'il n'est pas le jouet de forces obscures auxquelles il ne peut rien. C'est un travail de tous les jours, la politique étrangère est un morceau de cela.

Q - Et la France cohabitante veut et joue la construction européenne. Le confirmez-vous ?

R - Oui, vous le voyez bien.
Q - Cela veut dire aussi que plus la France et l'Europe vont aller vers des responsabilités mondiales, plus les tensions possibles avec les Etats-Unis vont être grandes ? Aujourd'hui, on parle de signe de froid entre nous et les Américains…

R - Je ne ressens pas du tout les choses comme cela. Quand vous parliez de tensions possibles, c'est entre l'Europe qui se fortifie, notamment avec l'euro, et les Etats-Unis. Ce n'est pas spécialement avec la France. Ou bien alors, il s'agit des lois unilatérales des sénateurs américains que l'Europe récuse. Dans ce cas, ce sont tous les Européens qui récusent. Pour le reste, il y a toujours, dans les rapports franco-américains, des sujets sur lesquels nous nous entendons merveilleusement bien, des domaines d'amitiés anciennes et enracinées et des sujets sur lesquels nous n'avons pas la même vision des choses.

C'est ainsi depuis des décennies.

Q - Cela ne veut pas dire que l'on va vers une grande fâcherie ?

R - Bien sûr que non. N'importe quel jour où l'on parlera de fâcherie, je pourrais vous citer cinq exemples de domaines sur lesquels nous coopérons parfaitement. Nous venons de signer, après trois ans de négociations, un accord aéronautique franco-américain excellent. Au même moment, nous avons des différences ou des nuances sur un autre problème. On ne peut pas colorer l'ensemble des relations à partir d'une ou deux sujets.

Q - Permettez-moi de profiter de vous dire que, le 5 mai, vous irez témoigner devant la commission Quilès sur le Rwanda. C'est important. La France est souvent rendue en partie coupable ou complice du génocide. Qu'allez-vous dire ?

R - Je vais dire ce que j'ai su de ce qui s'est fait, ce que j'ai compris de la politique qui a été suivie. Je n'ai jamais eu de responsabilités directes sur la question africaine mais j'ai quand même mon idée sur ce que la France a cherché à faire et cela m'amène à penser qu'il y a un énorme contre sens par rapport à cela, par rapport à ce que la France a cherché à faire au Rwanda, comme elle l'a fait dans d'autres pays d'Afrique pendant plusieurs dizaines d'années : sécuriser les pays par rapport  à des agressions, soit de guerre civile, soit étrangères, tout en las faisant évoluer politiquement après le sommet de La Baule.

Q - Nous n'avons pas favorisé les génocidaires ?

R - Je ne comprends même pas comment on peut dire cela, ou même se poser la question. On peut discuter d'une politique africaine X ou Y, c'est bien naturel. De toute façon, je trouve excellent qu'il y ait cette mission, le Premier ministre a dit tout de suite que le Gouvernement coopérerait pleinement et nous le faisons. Nous les aidons à s'informer, nous facilitons la venue des personnes qui peuvent éclairer la compréhension et donc, c'est un progrès pour la démocratie, pour le Parlement, pour le Gouvernement, pour les institutions politiques, pour la politique africaine. Je trouve le travail de cette mission très bénéfiques, très utile.

Q - Dernière remarque, toute à l'heure, au moment de la photo du sommet, d'un mot, à quoi penserez-vous ou à qui ?

R - Je penserai à tous les Européens qui ont fait cette chaîne. Je penserai évidemment à François Mitterrand et Helmut Kohl mais je n'oublierai personne, tous les autres, Valéry Giscard d'Estaing, Helmut Schmidt, Jacques Delors, le président Chirac aujourd'hui, Lionel Jospin, les autres pays, bien sût. Je penserai à toutes les batailles, à toutes les fois où l'on a dit, « cela ne se fera jamais ».

Je pense que c'est une leçon de volonté formidable.


« LCI » (Paris, 4 mai 1998)

Q - Ce week-end a été marqué par l'arrivée de onze pays dans l'euro ou l'arrivée de l'euro dans onze pays européens, un sommet historique à Bruxelles, que s'est déroulé avec quelques émotions, avec quelque suspens. Merci beaucoup Hubert Védrine d'être sur ce plateau en tant que ministre des affaires étrangères. Vous avez été extrêmement présent, vous être resté jusqu'à 3 heures du matin à cette négociation difficile de samedi, sur la désignation du président de la Banque centrale européenne, et ce soir lundi donc, 38 heures après, un certain nombre de commentaires ont été formulés, exprimés, dans tous les pays européens. J'ai d'abord envie de vous demander si vous vous sentez vraiment dans la peau d'un trouble-fête : j'ai lu notamment dans les journaux belges par exemple ou allemands, on va y revenir, que les Français avaient gâché la fête de l'euro en voulant imposer à tout prix un candidat français et avec la rupture du mandat du président de la Banque centrale européenne en deux mandats : le néerlandais Wim Duisenberg d'abord, puis Jean-Claude Trichet.

R - Je ne crois que pas que nous ayons gâché la fête. Je crois que ce sont des commentaires qui passeront, qui sont des réactions aux péripéties et qui masquent l'essentiel, qui est la décision de l'euro pour les onze pays. Cela fait des années qu'on en parlait. Il y a eu beaucoup de scepticisme. Vous avez eu des témoignages empreints de scepticisme, voire d'hostilité. Pourtant, la volonté politique de donner à l'Europe les moyens dont elle a besoin dans le monde d'aujourd'hui, l'a emporté sur toutes les manoeuvres de toutes sortes. Il y a eu une discussion sur la nomination du président, c'est bien légitime, cela n'a rien d'anormal, il y avait de bons arguments de part et d'autres. Cela s'est conclu par une très bonne solution puisqu'elle donne douze ans de stabilité annoncée à la président de cette institution. Donc, je crois que, très vite, c'est l'euro qui l'emporte sur les péripéties de la nomination du président.

Q - Vous dites « péripéties », vous dites « discussion ». Néanmoins, c'est resté dans l'esprit d'un certain nombre de personnes, y compris les Français, comme un « maquignonnage », un « marchandage », et aussi peut-être un peu de chauvinisme de la part du président de la République, des représentants français dans leur ensemble, pour absolument avoir un candidat français. Pourquoi était-ce aussi important ? cela n'a t-il pas donné quand même une image un petit peu nationaliste à l'intérieur d'un sommet qui se voulait européen et que voulait dépasser les nationalismes ?

R - Précisément tout cela fait partie d'une partie de commentaire qui, je crois, sera rapidement dépassée par l'évidence et l'effet.

Q - Néanmoins, il faut encore y répondre aujourd'hui si vous le voulez bien.

R - Si vous voulez, bien sûr. C'était tout à fait logique que la France présente un candidat, d'abord pour une raison de principe tenant au fonctionnement des institutions européennes : la France estimait que les gouverneurs de banques centrales n'avaient pas à coopter le futur président. Le Traité est clair et c'est un problème de fonctionnement légitime et démocratique des institutions, c'est au Conseil européen composé des chefs d'Etat et de gouvernement, c'est-à-dire des responsables élus démocratiquement, élus dans chacun des pays de décider. Ensuite, c'est un argument fondamental : nous nous battons pour le contenu démocratique et politique de l'Europe de demain.

Q - C'est l'argument politique. Il prévalait et puis on est arrivé à la discussion et aux commentaires. François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste – donc le parti qui à la majorité et qui est représenté par le gouvernement dans lequel vous êtes – dit : Jacques Chirac a chanté le cocorico et c'est la meilleure manière de briser le coeur européen ; les Belges disent : le président Chirac a fait preuve de chauvinisme, a fait preuve d'arrogance.

C'est plutôt le ton. C'est peut-être la manière de commenter cette victoire d'avoir imposer un candidat français.

R - Je vais essayer de ne pas commenter des commentaires mais de rester sur l'essentiel. Vous pourriez citer ce qu'a dit le président Clinton sur la naissance de l'euro, ce qu'ont dit les Japonais…

Q - Alors le président Clinton a dit : il faut que les Européens montrent qu'il est temps de s'ouvrir encore plus.

R - C'est autre chose. Sur le plan de la monnaie, il est totalement positif. La réaction des Japonais aussi, la plupart des déclarations dans le monde, prennent acte de la naissance de cette grande monnaie européenne et donc, ipso facto, mondiale. Les bourses ont réagi de façon extrêmement positive partout. Donc, je crois qu'il y a des commentaires à chaud parce que lorsqu'on nomme quelqu'un – dans tous les postes d'ailleurs, ce n'est pas lié à cette affaire de monnaie -, quand on traite de la présidence de la Commission, de la nomination des commissaires, chaque fois qu'il y a un poste en Europe – étant donné qu'il y a quinze pays, demain il y en aura plus -, et quinze pays c'est une longue discussions qui parfois se conclut juste avant, qui parfois se termine au finish – chaque fois, il y a des discussions jusqu'au milieu de la nuit. Donc, ma tendance est de relativiser cela. Je ne dis pas que c'est négligeable, mais on est en train de relativiser les péripéties de la nomination, étant donné que finalement il y avait deux bons candidats, dont les qualités sont éminentes. Cela représente douze ans de stabilité prévisible dès maintenant pour la banque centrale. C'est un démarrage formidable. Très vite, le démarrage de l'euro, cette fusion puissante que nous avons mise à feu samedi, tout cela va effacer tous les commentaires du moment.

Q - Cela n'augure-t-il pas un peu mal de la cohabitation des Onze dans l'euro ? Cela ne veut-il pas dire que chaque fois qu'il y aura une décision, maintenant qu'on est dans l'euro, on va peut-être encore discuter des heures et des heures et…

R - Non, il faut distinguer la discussion avant la nomination et la façon dont la personnalité est désignée pour telle et telle fonction, que ce soit le président de la banque ou le directeur de n'importe quel autre organisme européen, ce qu'il fait des pouvoirs une fois qu'il est désigné. C'est comme un peu comme dans une campagne électorale, je ne compare pas, mais dans une campagne électorale, tous les arguments fusent et puis à un moment donné, c'est quelqu'un plutôt qu'un autre qui est désigné. Il a les pouvoirs qu'il a.

Q - C'est fini on ne se retrouvera plus dans cette situation.

R - Si peut-être, au terme des mandats des douze quand il faudra rediscuter du successeur de M.  Trichet, on rediscutera. Je ne sais pas combien on sera dans l'euro à ce moment-là, mais on rediscutera et entre temps, il y aura d'autres discussions pour d'autres nominations. Cette discussion est légitime, démocratique. Je ne comprends pas même qu'on s'effarouche du fait qu'on discute. Il y avait un raisonnement de principe pour la France, la France avait un excellent candidat qui n'a été attaqué nulle part, même pas dans la presse belge…

Q - Qui ressemblait totalement au candidat néerlandais dans le profil, on se demandait pourquoi…

R - Non, c'est autre chose. Simplement, tous les gouverneurs aujourd'hui sont des gens sérieux. Donc, ils gèrent tous la monnaie avec sa sagesse parce que dans l'économie mondiale ouverte quand vous gérez votre économie de façon irresponsable et dispendieuse et que vous avez des déficits élevés, vous le payez d'une façon rapidement, y compris sur le plan social. Donc, cela forme un tout, c'est logique. Les gouverneurs sont à la fois des gens sérieux et responsables. Mais, il faut aussi voir l'essentiel.

Q - Mais, tout de même, autre problème : on est dans une construction européenne qui repose sur le couple franco-allemand, et cela depuis des décennies. Aujourd'hui la presse allemande, on peut y revenir mais pas seulement, remarque qu'Helmut Kohl a été affaibli par ce sommet, qu'apparemment il a été mis en défaut, que son candidat n'a gagné qu'à moitié. Vous avez vu les commentaires de la presse française qui a dit avec un peu d'ironie, que Jacques Chirac a tout fait pour faire élire un gouvernement social-démocrate en Allemagne…

R - Il faut être prudent, les élections en Allemagne ont lieu fon septembre. D'autre part, la solution est bonne, puisque le chancelier Kohl lui aussi l'a acceptée, la France l'a acceptée, les Néerlandais l'ont acceptée. Tout le monde l'a acceptée, les Quinze l'ont acceptée. Donc, si au bout du compte, même à minuit, ils avaient trouvé que la solution n'était pas bonne, ils l'auraient refusée. Le somme aurait duré jusqu'à dimanche soir, ou il aurait été reporté. Finalement, s'ils l'ont acceptée, c'est qu'ils acceptaient cette solution. Ils ont discuté, il y avait des arguments de toutes sortes sur le principe et sur le mécanisme de désignation, et sur les personnes etc. et finalement, le compromis a été trouvé. Cela veut dire que tout le monde, y compris le chancelier Kohl, s'y retrouve. D'ailleurs, le chancelier est rentré et il a défendu la solution retenue. Vous me citez la presse allemande et toutes sortes de commentaires mais qui ont été écrits souvent des heures avant qu'on ne les lise sous le coup de certaines impressions fortes du moment. Moi, je suis confiant, en fait.

Q - A propos d'Helmut Kohl et de François Mitterrand, y a-t-il eu un accord, une promesse de la part d'Helmut Kohl à François Mitterrand pour la nomination du président de la Banque centrale ?

R - Pour ce que j'en sais, je ne crois pas.

Q - Vous étiez proche de François Mitterrand en tant que secrétaire général de l'Elysée.

R - Il a pu y avoir quelque chose qui se soit fait en tête à tête par un autre canal, c'est toujours possible, mais je ne crois pas. Je crois que François Mitterrand considérait qu'en acceptant l'euro – à l'époque, on ne l'appelait pas encore l'euro – en acceptant la monnaie unique, le moment crucial ayant été décembre 1989 au début du processus de la réunification, le chancelier Kohl avait pris une décision considérable, lourde de conséquences et s'était comporté comme un grand homme d'Etat européen. Par conséquent, par rapport à cet engagement qu'il avait pris et cette décision, il n'était pas illogique d'accepter que le siège soit en Allemagne, et que les Allemands pourraient choisir Francfort. Il estimait qu'il n'y avait pas ç refaire, par rapport à ce compromis historique, porteur d'avenir, un deuxième compromis, en le faisant payer deux fois.

Q - Mais en matière de président de la Banque…

R - D'ailleurs, le chancelier Kohl a toujours dit qu'il n'y avait pas eu de lien.

Q - Comment va se passer le Sommet franco-allemand à Avignon, on a dit qu'on prévoyait un peu de vaisselle cassée pour la fin de la semaine, c'est mercredi à Avignon…

R - Pourquoi ? Non. C'est mercredi, jeudi à Avignon. Les sommets franco-allemands ont lieu tous les six mois. Il y en a deux fois par an…

Q - M. Kohl pourrait dire : « voilà j'ai l'impression d'avoir… j'ai l'air d'avoir beaucoup moins d'influence sur les Européens »…

R - Mais non, parce que si le chancelier Kohl n'avait pas accepté la décision finale, elle n'aurait pas eu lieu, s'il avait estimé, au bout du compte, que cela était contraire aux intérêts de son pays, contraire à l'idée qu'il se fait de l'Europe, au bon lancement de l'euro, le chancelier Kohl n'aurait pas accepté. Le chancelier de l'Allemagne il a le pouvoir de dire non, donc s'il n'avait pas été convaincu au bout du compte, cela ne se serait pas fait. L'affaire est tranchée maintenant. D'autre part, la candidature de Jean-Claude Trichet a été présentée par le président de la République et par le gouvernement il y a plusieurs semaines. Donc, ce n'est pas du tout quelque chose qui était préparé dans une sorte de…

Q - Il y a eu un climat particulier pendant ce Sommet et notamment lorsque…

R - Chez les commentateurs surtout.

Q - Oui, mais les commentateurs ne commentent pas seulement, ils analysent et ils perçoivent je crois…

R - Ils créent ce qu'ils voudraient commenter.

Q - Tout de même, il y a eu un moment un peu cocasse lorsque le président a dit que M. DUISENBERG a décidé de lui-même qu'il s'arrêterait au bout de quatre ans. C'était un peu cocasse et les journalistes ont ri, vous le savez. C'était étrange, comme cérémonie préparée…

R - Attendez, le président a lu ce qu'avait dit M. Duisenberg dans la séance solennelle du Conseil, quand il a dit : « je veux insister sur le fait que c'est une décision personnelle, prise entièrement et totalement de mon plein gré sans pression de quiconque, qui m'a amené à décider de ne pas mener mon mandat à son terme ».

Q - Qui peut croire cela ? Est-ce le résultat d'une campagne des Français ?

R - Non, je vous le cite. Ce n'est pas le président de la République qui a inventé cette formule. C'est ce qua dit M. Duisenberg devant les représentants des quinze pays, des chefs d'Etat et de gouvernement, les ministres des affaires étrangères, les ministres des finances.

Q - Mais cela avait l'air un petit peu d'une déclaration forcée.

R - C'est une interprétation ! Le fait est que l'accord s'est fait, qu'il y a eu des discussions longues, une longue journée, plus longue que prévu. Ce n'est pas la première fois dans l'histoire des décisions européennes.

Q - Helmut Kohl a dit que c'était une des négociations européennes les plus dures qu'il n'ait jamais eue… Pour vous aussi ?

R - Oui, une des plus dures. Je ne vais pas me comparer au chancelier mais j'ai des souvenirs, par exemple à Fontainebleau en 1984, quand Helmut Kohl et François Mitterrand avaient travaillé pour essayer de convaincre Mme Thatcher d'arrêter de bloquer l'Europe, ce qu'elle faisait depuis 1979, cela a duré des heures. D'autre part, tous les spécialistes des marathons agricoles connaissent très bien les longues négociations qui durent jusqu'à 5 ou 6 heures du matin. A mon avis, il y en aura d'autres. Nous avons devant nous en Europe les négociations sur ce qu'on appelle l'Agenda 2000. Cela veut dire qu'on doit se mettre d'accord sur la façon de financer l'Europe avant même l'élargissement, ce qui est un autre problème, de 2000 à 2005.

Q - Et là, cela va être encore un marathon ?

R - Cela va être comme cela. Je vous préviens, il faudra essayer d'économiser les commentaires alarmistes ou pathétiques ou désespérés, parce que cela se bloquera, on en sortira et on redémarrera.

Q - Après ce week-end chargé consacré à l'euro, on va parler dans un instant du Rwanda. Vous êtes, demain matin, devant la mission d'information du Parlement, présidée par Paul Quilès et vous allez donner votre version du drame rwandais.

Je voudrais aborder une dernière question quand même sur l'Europe, car nous avons fait le point sur les critiques. Maintenant, quelles garanties nous donnez-vous que cette Banque centrale européenne ne va pas être totalement isolée, déconnectée de la réalité ? On a ce Conseil de l'euro qui doit se réunir pour la première fois en juin, mais en un mot, quelles garanties donnez-vous aux citoyens de l'Europe et aux Français, qu'il y ait un lien entre la politique et la politique monétaire ?

R - Les gouverneurs ne sont pas des gens absurdes et d'autre part, la préoccupation d'avoir une monnaie forte et en tout cas stable, ce qui est l'essentiel, est un élément qui garantit tout fonctionnement de la machine économique par ailleurs…

Q - On disait cela du franc fort. ON disait : ce n'est pas le franc fort, c'est le franc stable. Vous dites la même chose sur l'euro ?

R - Non, je dis que l'essentiel, c'est une monnaie stable. Forte, cela dépend d'une relation qui va s'établir, et dont on ne connaît pas encore les contours exacts, avec les autres grandes monnaies importantes. Ensuite, il y a un processus qui, progressivement, de façon prévisible, transformera l'euro en une monnaie de réserve. Ce qui veut dire que l'ensemble du réseau de l'euro sortira des turbulences que nous avons connues depuis des dizaines d'années, parce que nous subissions, sans pouvoir rien faire du tout, les contre coups des évolutions du dollar qui, lui était géré d'une façon assez politique d'ailleurs : le dollar montant et descendant en fonction des besoins de l'économie américaine…

Q - Mais là quelle garantie nous donnez-vous ? Ce Conseil n'est-il pas seulement symbolique ?

R - … Non, mais il ne faut pas opposer les deux, il ne faut pas simplement penser que les gouverneurs ne devront avoir qu'une obsession. Ce sont des gens qui veulent aussi que l'économie marche, qui veulent que les taux d'intérêts soient bas. A l'heure actuelle, compte tenu de la gestion du franc « à la Trichet », nous avons les taux d'intérêts les plus bas qu'on ait eu depuis longtemps, donc tout cela est tout à fait fondamental pour la respiration de l'économie. Donc, il ne faut pas opposer les deux. IL ne faut pas entrer non plus dans cette propagande, comme quoi il y a des gouverneurs qui vont étrangler l'économie nationale, - on se demande pourquoi d'ailleurs – par rapport à des hommes politiques qui seraient animés de bonnes intentions sociales. Il faut une combinaison et il faut en effet des institutions qui représentent l'ensemble des approches. Nous avons obtenu, ce gouvernement d'ailleurs, vous vous rappelez de Lionel Jospin au Sommet franco-allemand de Poitiers, à Amsterdam, a obtenu qu'on réintroduise un certain nombre d'éléments qui n'étaient pas assez présents, dans le pacte de stabilité sur la gestion de l'euro, devenu Pacte de stabilité et de croissance. Et, d'autre part, le Conseil de l'euro, dont on ne sait pas encore exactement quels sont ses pouvoirs exacts – ils se détermineront en avançant, mais ils existent -, est la chose fondamentale. Les ministres des Finances des pays de l'euro se réunissent pour traiter, entre eux, de la façon dont il faut, sur un plan politique, fixer les grandes orientations, ce qui ne s'arrête pas à la monnaie d'ailleurs.

Q - Donc, vous dites : on va voir comment cela se passe, mais il n'y a pas de garantie, on va voir comment cela fonctionne…

R - Comment cela, pas de garantie ? Il y a tout ce que l'on peut avoir comme garantie à l'avance, étant donné que dans la vie humaine, rien n'est jamais garantie à 100 %, y compris dans la vie des sociétés. Simplement, on a fait les choses le mieux possible. L'euro est un acte fondamentalement positif. C'est une idée française ancienne, devenue, à partir d'un accord franco-allemand et européen, une réalité. Je parlais de « fusée » tout à l'heure… Ces onze pays, ce poids monétaire qui équivaut à celui du dollar, vous vous rendez compte de ce que cela va représenter… ! Nous avons réussi à introduire une instance politique qui faisait défaut – c'est vrai -, qui est le Conseil de l'euro. A partir de là, je pense que nous disposons de tous les éléments qui nous permettent d'avoir une grande monnaie stable, qui sera un élément fondamental, pour l'économie, pour la croissance et donc, pour l'ensemble des sujets qui en découlent, y compris la vie sociale. Cela forme un tout…

France-Rwanda

Q - Donc, on va voir, ensemble, comment cela fonctionne. Revenons au Rwanda, parce que demain matin, vous serez entendu par la mission d'information et ce sera une audition que sera retransmise sur LCI, comme à chaque audition importante de cette mission. Je rappelle que vous étiez porte-parole de l'Elysée, de 1988 à 1991, puis secrétaire général de l'Elysée de 1991 à 1995. Quel était votre degré d'information sur les affaires africaines ? Est-ce que c'était totalement transparent ? Etiez-vous au courant de tout ? Qui était au courant ? On parle de cette cellule africaine qui a été longtemps dirigée par Jean-Christophe Mitterrand, le fils du président. Que saviez-vous tout simplement ?

R - D'abord, je voudrais vous dire que je suis très content que le Parlement ait pris l'initiative de créer cette mission. Il s'agit de Paul Quilès qui, en tant que président de la défense de l'Assemblée nationale, a pris une bonne initiative et d'ailleurs, dès l'origine, le gouvernement l'a salué et le Premier ministre a dit très clairement que le gouvernement (c'est-à-dire le ministère de la Défense, le ministère des Affaires étrangères et l'ancien ministère de la Coopération qui est maintenant regroupé avec le ministère des Affaires étrangères) coopérerait naturellement, pleinement, en application des directive du Premier ministre. C'est une très bonne chose, après cette polémique qui dure depuis des années et des années. La présentation de la politique française en Afrique, en général et au Rwanda en particulier, me paraît inexacte. Il faut y aller. Mettons tout sur la table pour comprendre ce qui s'est passé, comprendre ce qu'on a cherché à faire, sur ce point. D'ailleurs, ils ont d'ailleurs des mois de travail devant eux, puisqu'ils écoutent tous les responsables de toutes sortes.

Q - Y avait-il une politique africaine secrète, uniquement dans les mains de François Mitterrand et de son fils, qui décidaient ensemble… ? Quel était exactement le fonctionnement ?

R - C'est une présentation rocambolesque cela ?

Q - C'est une présentation qui existe.

R - Oui, l'un n'empêche pas l'autre. C'est rocambolesque, je crois qu'on cherche midi à quatorze heures sur le sujet. C'était très simple : il y avait une politique africaine, dont on peut penser qu'elle appartient au passé, qu'il faut la changer. D'ailleurs, de fait, ce gouvernement est en train de faire évoluer beaucoup la politique africaine. Mais, elle n'était pas liée par des intentions si terribles que celles qu'on voit dans ces articles. Il y avait l'idée – c'était vrai de de Gaulle à Mitterrand -, qu'il y avait un certain nombre de pays africains liés à la France, historiquement par des accords, - parfois il n'y avait même pas d'accords, mais cela revenait au même – et que la France avait un engagement, par rapport à ces pays sur le plan de la sécurité et sur le plan de l'aide au développement. C'est pour cela que la France a toujours maintenu, sur ce point, une implication sur le continent africain très forte, alors que la plupart des anciennes puissances coloniales avaient, en gros, laissé tomber l'Afrique.

Q - Concrètement, sur le Rwanda on reproche à la France d'avoir soutenu…

R - Je sais bien ce qu'on reproche, je lis tous les jours les mêmes articles, répétés tous les jours quels que soient les sujets… Ce qu'on reprochait c'est que la France, François Mitterrand à l'époque…

Q - Personnellement à l'époque…

R - François Mitterrand a raisonné en tant que président de la République, comme Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing…

Q - Je vais vous lire une phrase de Jean-Pierre Cot, qui était ministre de la Coopération…

R - Laissez moi finir tout de même : je veux dire que François Mitterrand a raisonné par rapport au Rwanda, comme par rapport à d'autres pays. Il a dû penser en 1990, qu'il n'y avait aucune raison que la France laisse le gouvernement en place être renversé par une toute petite minorité armée, venue d'un pays étranger, soutenue par l'armée d'un pays étranger, parce que si on laissait faire cela dans la zone d'influence française, ce serait le cas partout étant donné le potentiel d'instabilité dans cette zone. Alors il a raisonné comme cela au début des années 80 au Tchad, où le problème se posait. On peut critiquer, tout est discutable et c'est légitime qu'il y ait un débat démocratique. C'est même très utile, mais le point de départ est aussi simple que cela.

Q - Vous voulez dédramatiser, néanmoins je vais vous citer...

R - Non, je ne veux pas dédramatiser. Je vous donne ce qui me semble avoir été la ligne de l'époque.

Q - Ce qu'on reproche concrètement à François Mitterrand, c'est d'avoir aidé le président Habyarimana, de façon un peu aveugle, sans vraiment de discernement ou, en tout cas, ou avec complicité. Cette aide a abouti à un génocide concrètement…

R - Attendez, la dernière phrase est monstrueuse ! Même pour répéter des citations, on ne peut pas dire cela, « cette aide qui a abouti à »… Non, le rapport de cause à effets, non…

Q - Non, il n'est pas direct évidemment…

R - Je ne vais pas vous dire cela à vous, mais ce n'est pas possible de présenter les choses ainsi, même si on est ignorant, même si on veut faire des effets de manchettes, ce n'est pas possible. De toute façon, je ne vais pas entrer dans le détail, puisque si je vais devant la mission d'information demain, c'est pour, naturellement, répondre aux parlementaires et les donner les éléments d'explication, que j'ai pu connaître moi, ou que j'ai pu reconstituer depuis, parce que j'ai travaillé dessus pour écrire mon livre et donc de mieux comprendre ce qui s'était passé. En gros, la France a essayé d'empêcher que ce gouvernement soit renversé par une attaque armée venue de l'étranger…

Q - Par le FPR, donc par les…

R - On peut dire que c'est critiquable, qu'il ne fallait pas s'en mêler, in peut dire tout ce qu'on veut. Les motivations sont aussi simple que cela de 1990 à 1993, la France n'a cessé d'agir pour transformer le régime politique en disant : on vous aide à vous défendre militairement. C'est vous qui vous détendez, on vous aide, mais vous devez changer. D'ailleurs, la mission parlementaire est en train de découvrir, d'après ce que je comprends, que ce régime a été profondément modifié à cause de la pression de la France, pour aboutir à un accord démocratique entre les Hutus et les…

Q - Qui n'a pas abouti…

R - On peut critiquer encore une fois, en disant : il ne fallait pas s'en mêler… mais je ne crois pas qu'on puisse raconter…

Q - Je vais prendre une déclaration de l'ancien chef de la coopération à Kigali…

R - Qui était en conflit permanent avec l'ambassadeur, donc il règle un peu les comptes maintenant en effet…

Q - Mais qui a dit que la France a fait preuve de manque de clairvoyance… je cite : « nous avons agi par ignorance et avec suffisance ; nous savions qu'Habyarimana était un dictateur faible et cruel et nous avions confié aux militaires un rôle qui n'aurait dû appartenir qu'aux politiques et aux parlementaires ». Donc, sans contrôle démocratique finalement, juste avec une aide a priori et qui peut avoir conduit à des situations dramatiques…

R - Et au Tchad tout le monde a trouvé cela très bien. AU Tchad, les mécanismes de décision étaient les même et la façon dont la France a réussi à sécuriser le régime, à faire en sorte que des factions tchadiennes, appuyées sur l'armée libyenne, n'arrivent pas à le renverser tous les quatre matins, a été considéré comme un remarquable succès, les mécanismes étaient les mêmes.

Q - Mais les suites, hélas pour le Rwanda, n'ont pas été…

R - Les suites, ce ne sont pas forcément les suites de la politique française. Je dois réserver mes réponses aux parlementaires, c'est plus logique. Je crois simplement que la politique française a eu comme objectif d'empêcher les retours des massacres qui avaient marqué, malheureusement, l'indépendance du Rwanda et la vie du Rwanda et du Burundi. Donc, le but était d'empêcher les massacres, malheureusement cela n'a pas réussi.

Q - J'ai une dernière question et je comprends que vous réserviez vos réponses évidemment à la mission. Puisqu'on le suivra sur LCI, nous sommes satisfaits, mais justement l'ambassadeur de France à Kigali a dit, devant cette mission, avoir reçu des ordres contradictoires entre Matignon et l'Elysée, pendant la cohabitation, dont entre mi 93 et fin 94. Est-ce que c'est possible ?

R - Je ne peux pas répondre comme cela… Oui bien sûr, c'est possible. Tous les jours, dans tous les pays du monde, à propos de tous les sujets, il peut y avoir, pour la gestion d'une crise chaude, un ajustement parce que les choses, je ne sais même pas sur quoi cela porte… vous non plus d'ailleurs je crois…

Q - Non, puisqu'il n'a pas donné l'exemple. En tout cas, cela n'était pas public… mais est-ce que la cohabitation a été un moment où cela a été plus difficile pour gérer cette crise ? Y a-t-il eu deux visions de la politique africaine ?

R - Ce n'est pas le souvenir que j'ai, parce que, dans mes fonctions auparavant, je n'étais pas en prise directe sur les décisions. Je savais les objectifs, mais je n'étais pas en prise directe au jour le jour. Au contraire, autant dans la cohabitation, quand j'étais secrétaire général je participais à la préparation du conseil restreint où on débattait de ces questions. Il me semble que la façon de réagir aux massacres et la façon dont on essayait d'avoir un mandat de l'ONU, de faire venir les forces de l'ONU, la façon dont on a finalement, au bout de plusieurs semaines, décidé d'envoyer l'Opération « Turquoise », parce que personne n'y allait et qu'il fallait bien faire quelque chose, a été menée en parfaite coordination. C'est d'ailleurs ce qu'ont dit, il y a quelques jours devant cette mission, le Premier ministre de l'époque, Edouard Balladur et Alain Juppé, François Léotard et Michel Roussin qui étaient au gouvernement à l'époque. Dans mon souvenir, tout cela s'est décidé au conseil restreint et il y a eu des nuances d'appréciation, comme il y a toujours entre des ministères différents, mais pas très nombreuses.

Q - La cohabitation a permis plus de transparence de la politique africaine finalement, parce qu'il y avait une nécessité de communiquer…

R - Je ne sais pas ce que vous appelez transparence là-dessus, parce que je ne vois toujours pas ce qui est caché dans tout cela. Les objectifs sont clairs : on peut les discuter. Encore une fois, on peut dire : ce n'est pas notre « job » d'aller sécuriser les pays d'Afrique, même menacés. Tout le monde dit : les obscurités, les choses cachées, mais je ne sais pas très bien, en tout cas moi, cela ne me gêne pas du tout de…

Q - On parlera des ventes d'armes. Enfin, ils vous parleront des ventes d'armes sur lesquelles, même M. Balladur n'avait pas l'air d'être tout à fait sûr qu'il y en avait eu…

R - Attendez, l'Afrique grouille de marchands d'armes partout. Donc, il s'agit de savoir si on parle des décisions officielles de tel pays, de la mise en oeuvre des décisions antérieures, ou si, au contraire, ce sont des trafics qui, par définition, ne sont pas connus, il faut quand même clarifier les choses. En tout cas, Paul Quilès m'a invité au nom de la mission. Je m'y rends avec plaisir, pas avec plaisir parce que le sujet est tragique, en tout cas je m'y rends volontiers et je suis heureux de pouvoir contribuer, pour ce que j'ai pu connaître et comprendre avec le recul, à leur effort et je pense que ce sera utile à tout point de vue.