Texte intégral
Français d’abord / 1re quinzaine de mars 1998
Contre-pouvoir
Le pré-gouvernement du Front National
Le 2 mars dernier, Jean-Marie Le Pen et Jean-Claude Martinez ont présenté à la presse, depuis l’hôtel Crillon qui fait face à l’Assemblée Nationale, le pré-gouvernement du Front National, dont la création avait été annoncée à l’occasion de la fête des Bleu-Blanc-Rouge.
Gouverner, c’est prévoir. Si les partis de l’établissement font mine de l’ignorer, le Front National le sait, lui qui, depuis plus de vingt ans, a su le premier discerner les périls majeurs qui menaçaient l’existence même de notre peuple, son avenir, son identité, son patrimoine physique, intellectuel, moral et spirituel.
Gouverner, c’est prévoir. Depuis plus de trente ans, les partis de l’établissement qui se sont succédé au pouvoir, se sont bornés à gérer la décadence au jour le jour, le nez collé à l’échéance des prochaines élections. Aujourd’hui comme hier, ils n’ont aucune vision à long terme, car une seule chose les préoccupe, garder leurs prébendes et leurs privilèges. En vérité, entre eux et nous, il n’y a plus rien. Eux portent le poids de leurs erreurs et de leurs compromissions, fruits de la corruption, des rancoeurs, des aveuglements. Nous, nous incarnons l’espoir. Nous sommes les seuls à répondre aux préoccupations des Français, à leur tenir un langage de vérité. La politique est l’art de conduire les affaires d’un pays et de prendre soin de la chose publique. Dans l’acception noble du terme, elle exige de la part de ceux qui ont en charge les destinées de la nation, non seulement une appréhension correcte et lucide de la réalité, mais encore du courage et de la ténacité, toutes qualités qui font défaut à une classe politique corrompue et incapable qui mène depuis trente ans notre partie sur la voie de la décadence.
Gouverner, c’est prévoir. Les évènements nous ont longtemps contraints à être dans l’opposition, et donc à privilégier la critique. Aujourd’hui, il nous faut passer à la vitesse supérieure. C’est parce que notre victoire est inéluctable que j’ai demandé au professeur Jean-Claude Martinez, député européen du Front National, de jeter les bases techniques d’un pré-gouvernement. Ce travail pédagogique est aussi un travail à long terme. Il s’agira pour les spécialistes qui oeuvreront sous sa houlette de suivre l’actualité, d’explorer des voies de recherche, d’élaborer techniquement des solutions qui répondent à notre volonté d’alternative nationale. Ces femmes et ces hommes devront, dans l’ombre, travailler les dossiers comme on le fait dans les cabinets ministériels. Ils devront être en mesure d’apporter des solutions techniques et pratiques qui compléteront les 300 mesures pour la Renaissance de la France, les actualisant, les améliorant, les peaufinant au fur et à mesure que l’actualité l’exige. Nous savons que les victoires de demain seront à la mesure de nos efforts d’aujourd’hui. Partout le Front National progresse. Partout la volonté de rupture avec la décadence se manifeste. Partout l’aurore de l’espérance se lève.
TF1 – lundi 2 mars 1998
Aujourd’hui, vous avez décidé d’annoncer ce que pourrait être votre pré-gouvernement. Vous ne pensez pas que vous vendez la peau de l’ours avant de l’avoir tué ? Parce qu’il ne s’agit quand même que de régionales ?
- « Pas du tout, c’est une coïncidence. En l’occurrence, tous les mouvements politiques à l’étranger, quand ils sont dans l’opposition, ont ce que l’on appelle un Gouvernement fantôme, c’est-à-dire ont des hommes ou femmes qui éventuellement, pourraient devenir ministres, et qui sont chargés de suivre l’action des ministres en place, de les marquer, en quelque sorte, comme l’on dit au football, et d’étudier plus particulièrement la culture de Gouvernement. Nous avons toujours été dans l’opposition jusqu’à présent. Nous pensons que notre temps va venir, qu’un jour viendra – j’espère avant que la décadence de la France ne soit irrémédiable – et que le Front National devra à ce moment-là présenter des gens qui auront été préparés et armés pour assumer des responsabilités de gouvernement. »
Vous avez des gens qui vous ont aidés, qui ont été dans des cabinets ministériels, et qui vous servent en quelque sorte d’espions ?
- « Oui. Je ne vous cache pas que beaucoup de hauts fonctionnaires ou même de hautes personnalités de l’activité civile exigent quelquefois que l’on garde leur nom secret, de peur d’être victimes de persécutions de la part soit de leur administration, soit s’ils sont dans le privé, de l’administration fiscale. »
Vous évoquiez tout à l’heure ces Gouvernements de l’ombre, c’est-à-dire les shadow cabinets, comme font les Anglais, mais la seule différence avec les Anglais, c’est qu’ils donnent le nom du Premier ministre. On savait que c’était Tony Blair, si jamais il gagnait les élections. Là, il n’y a pas de nom de Premier ministre ; c’est la question à laquelle vous n’avez pas répondu.
- « Il y a un bipartisme en Angleterre. Par conséquent, il y a une alternance et on doit savoir quel est le Premier ministre. Nous n’en sommes pas encore là, mais nous préparons nos cadres à assumer ces responsabilités. Mais le jour venu, nous annoncerons quel serait éventuellement le Premier ministre du Front National, ou simplement des ministres, si nous n’avions pas le Premier ministre, dans une coalition. »
Mais J.-C. Martinez a devancé l’appel, puisque tout à l’heure, il a dit à Reuters que ce serait vous qui cumuleriez la double casquette de Premier ministre et de chef de parti.
- « Il a un petit peu anticipé sur mes responsabilités. C’est peut-être le souhait qu’il forme, mais je ne l’ai pas encore pour l’instant accepté. »
Dans votre pré-gouvernement, vous avez des départements, et non plus simplement des ministères. Il y a beaucoup de départements : Souveraineté, Identité, Prospérité, Solidarité – là, il n’y a un seul ministre pour la Solidarité – Liberté, Grands équilibres… Et puis je vois aussi que vous avez votre gendre et une de vos filles ; cela veut dire que vous préférez être en famille ?
- « Et pourquoi pas ? Ce sont des militants d’élite, l’un et l’autre. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi on se priverait de gens de qualité, parce qu’ils sont nos enfants ou éventuellement alliés à nos enfants. Il semble que dans la politique française, les hommes politiques n’aient pas de leçons à donner dans ce domaine-là. »
Là, vous vous rapprocher du népotisme ?
- « Le népotisme, c’est de faire nommer des gens, cela n’est pas de les faire élire. Quand on les fait élire, c’est le peuple qui choisit. Et moi, j’ai confiance dans le choix du peuple. »
Là, je ne trouve pas ni les noms de Bruno Gollnisch ni de Bruno Mégret. Ils sont en réserve de la République ?
- « Pas du tout : ils sont chargés de la gestion du mouvement. Ne mélangeons pas les choses. Il faut partager le travail. Bruno Gollnisch, Bruno Mégret et beaucoup d’autres travaillent à l’intérieur de la structure du mouvement et ont d’autres responsabilités. Ils seraient bien évidemment appelés dans un Gouvernement du Front national si celui-ci se formait. »
Dans un livre de M. Darmon et de R. Rosso, on parle de l’après-Le Pen. Que se passera-t-il le jour où vous déciderez d’abandonner le Front et de jeter l’éponge ?
- « Et l’après-Poivre d’Arvor ? Ça se fera un jour ! Nous sommes tous obligés d’envisager notre départ, et je n’ai pas ce genre de vanité absurde de penser que je suis éternel. Je me félicite que le Front national soit capable de survivre à son fondateur ; et de continuer à défendre son programme, “Les Français d’abord“, ce qu’il espère faire en particulier aux prochaines élections avec beaucoup d’efficacité, parce qu’il est le seul mouvement politique à n’avoir pas participé aux responsabilités des affaires depuis 25 ans ; et que par conséquent, il n’a jamais cessé d’analyser de façon pertinente les faiblesses de nos Gouvernements. Il présente des solutions différentes. Il espère que son mot d’ordre “Les Français d’abord“ sera approuvé par une grande majorité de Français, en particulier par ceux qui pourraient être tentés, par dégoût, par l’abstention. C’est le moment ou jamais de manifester leur opinion ! S’ils veulent dire qu’ils ne sont pas d’accord avec les Gouvernements qui se sont succédés depuis 20 ans, à mon avis, ils n’ont qu’une méthode efficace : voter pour le Front national. »
On voit que les deux hommes forts qui gravitent autour de vous, Gollnisch et Mégret, n’ont pas tout à fait la même idée de la stratégie, ne serait-ce que pour les régionales, sur le fait de pactiser ou non avec la droite entre les deux tours.
- « Tout le monde est sur la même ligne au Front national, et Bruno Mégret et Bruno Gollnisch l’ont rappelé. On dirait que c’est une espèce de fantasme de la profession que de vouloir absolument qu’il y ait au Front national des luttes de courants ou de tendances ! »
Les déclarations sont claires maintenant ! Avec 15 % des voix, on voudrait savoir si vous avez envie de les négocier.
- « Non. Nous ne négocions pas nos voix. Nous avons bien dit qu’il n’était pas question de faire un accord sur le plan national avec des partis dont nous condamnons les responsabilités qu’ils ont eues dans la situation actuelle de la France, à tous les niveaux, l’insécurité en particulier, qui est un de nos thèmes de campagne électorale, le chômage, la fiscalité, l’hyper-fiscalité et la corruption. Par conséquent, il ne faut pas s’étonner de voir que le Front national mette tous ses espoirs dans cette consultation. Si au deuxième tour nous devons prendre des résolutions, nous le ferons d’abord en considérant ce que les Français ont voulu dire le jour du premier tour ; et puis, n’importe comment, à égalité avec les gens qui nous demanderaient éventuellement un retrait ou un soutien ; évidemment, nous ne le donnerions qu’en échange d’un retrait ou d’un soutien pour un de nos candidats. Cela, ça s’appelle la discipline nationale pour la droite, la discipline républicaine pour la gauche. Mais je sais qu’aujourd’hui, le Front National, on s’efforce de le diaboliser. Moi et mes amis, nous luttons pour que nous soyons considérés comme ce que nous sommes : à savoir un parti national, mais républicain et démocratique. »