Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, dans "L'Union de Reims" du 26 février, "Sud Ouest" du 4, "L'Est républicain" et à France 2 le 5 mars 1998, sur les élections régionales.

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Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Journal de l'Union interparlementaire - L'Est républicain - L'Union - Sud Ouest - Télévision

Texte intégral

L'Union de Reims - 28 février 1998

Q - La classe politique fait un enjeu national de ces élections régionales, comme si les régions devaient nécessairement s'affirmer soit comme le relais de Paris, soit comme un présumé contre-pouvoir. Ne trouvez-vous pas que cette approche, dans le principe, s'éloigne d'une vraie décentralisation ?

Vous avez raison. Une élection régionale doit d'abord servir à choisir des hommes et des femmes pour gérer une région, et les arguments doivent se placer à ce niveau, en ce sens qu'il ne faut pas se tromper d'enjeu. Ce qui est en cause au mois de mars, c'est le bilan des vingt régions (sur vingt-deux au total) gérées aujourd'hui par la droite, et c'est également de savoir si la gauche dite « plurielle » a un projet alternatif à présenter et a des solutions en matière d'emploi.

Nous pensons que ce bilan n'est pas bon, et nous nous efforçons de convaincre que priorité doit être donnée à l'emploi.

Q - Liez-vous le résultat de ce scrutin à la politique que mène « la gauche plurielle » ?

Comme les Français vont s'exprimer le même jour dans toutes les régions, il y aura nécessairement une interprétation politique nationale du scrutin. Nous ne la recherchons pas, en même temps, nous ne la refusons pas et nous ne la craignons pas. Si le soir du 15 mars on relève un succès des listes de la gauche plurielle, nous pourrons dire sans nous tromper que le Gouvernement n'en sort pas affaibli.

Si la droite se retrouve sanctionnée dans un certain nombre de régions, cela signifiera que sa rénovation, que les leçons qu'elle a tirées de son échec du 1er juin n'ont pas été pour l'instant comprises par les Français.

Q - Gagner trois régions de plus vous semble toujours exceptionnel.

Oui, nous ne voulons pas laisser penser que c'est facile pour la gauche, compte-tenu du mode de scrutin et du poids des notables qui sont souvent à droite, de gagner une dizaine de régions même si cela ne ferait que la placer au niveau de son influence nationale. Car on peut penser que la gauche plurielle représente 50 % de l'opinion publique hors des extrêmes, or nous n'avons la responsabilité que de 10 % des régions et 20 % des départements.

La meilleure preuve que ça n'est pas facile est que depuis l'existence de ce scrutin en 1986, nous n'avons jamais géré que deux régions sur vingt-deux.

Q - Le PS dirige le Limousin et co-gère le Nord-Pas-de-Calais. Deux régions situées en queue de peloton du classement de l'Expansion pour leur gestion. N'est-ce pas du pain bénit pour vos adversaires ?

Méfions-nous des comparaisons, chaque région a ses spécificités. Je sais que Philippe Séguin utilise cet argument. Il ne doit pas oublier que la région la plus mal classée est Provence-Côte d'Azur. Philippe Séguin devrait donc demander aux électeurs de cette région qu'ils changent de majorité. De plus, les régions qui prélèvent le plus d'impôts sont la Haute-Normandie, puis la Basse-Normandie et la Picardie. La Champagne-Ardenne suit de près avec, je le reconnais, le Limousin qui est la plus petite région de France avec un très faible potentiel fiscal mais qui est aussi la moins endettée. Quant au Nord - Pas-de-Calais, c'est une des régions les plus pauvres. 40 % de la population ont de moins de 30 ans : cela suppose des équipements scolaires et universitaires qui ont alourdi les frais de cette région.

Q - On évoque avec insistance une prochaine réforme de la vignette automobile. Le faible coût de celle-ci incite des sociétés de location à immatriculer des dizaines de milliers de véhicules neufs par an dans la Marne. Ce qui permet à la région Champagne-Ardenne d'empocher une manne importante grâce aux cartes grises. Quel changement souhaitez-vous apporter ?

Il s'agit d'un impôt départemental, ce qui explique que certains conseils généraux ont le souci d'afficher une fiscalité basse pour attirer des entreprises de location de voitures. Ce principe n'est pas choquant. La fiscalité est un élément de la compétition entre collectivités.

Ce qu'il faut pour la vignette automobile comme pour tout autre impôt, c'est éviter des abus qui correspondent à une forme d'évasion fiscale contraire à l'esprit de la loi. Il ne faudrait pas que des sociétés utilisent cet avantage pour ne rien créer dans le département en question et obtenir une vignette moins chère.

C'est vers cela que doit tendre une éventuelle réforme, pour que les entreprises fassent la démonstration qu'elles ont bien dans ces départements sinon le centre de leurs intérêts, au moins une grande partie. Ce qui serait d'ailleurs favorable au département de la Marne puisque cela inciterait certaines sociétés à y installer leur siège, et donc à créer des emplois.

Q - Revenons à la « gauche plurielle ». En Picardie, les Verts font partout des listes séparées ainsi que dans les Ardennes. Considérez-vous cela plutôt comme un handicap ou finalement, comme une bonne occasion pour les Verts de se compter ?

Nous avons recherché partout où c'était possible l'union de toute la gauche plurielle. Les propositions de places faites aux Verts n'ont pas convenu. Il était aussi difficile parfois de trouver sur le fond un contrat commun.

L'union s'est faite entre socialistes, communistes, radicaux, quelquefois avec le mouvement des citoyens. Les Verts partent en listes séparées : ce sera une occasion de mesurer l'influence des uns et des autres. Je souhaite qu'on comprenne bien qu'il y a des forces politiques qui rassemblent davantage que d'autres.

Q - Le PS a pour l'instant désigné des porte-parole dans les régions. Jean-Pierre Bouquet sera-t-il le candidat de la gauche pour la présidence champenoise ?

Jean-Pierre Bouquet est notre porte-parole. Mais nos statuts prévoient, et j'en suis le garant, qu'il faut attendre le jour de l'élection pour que le groupe socialiste du conseil régional se réunisse. C'est lui qui désignera le candidat à la présidence.

Là où il y aura de très bons résultats, cela donnera quelques droits à celui ou à celle qui voudra concourir. Mais il y aura un vote des élus, c'est un principe démocratique. Je connais Jean-Pierre Bouquet : il pourrait faire un excellent président. Il n'est peut-être pas le seul.

Q - En Picardie, en cas de victoire de la gauche au soir du 15 mars, les communistes n'excluent pas de jouer un rôle pour la présidence. Le PS est-il prêt à laisser cette région au PC ?

Nous veillons à ne pas parler des présidences avant que les régions soient véritablement conquises. Ce serait indécent de pré-affecter des régions entre forces politiques, alors même que les électeurs ne nous ont donnés aucun droit à le faire.

Nous verrons au soir du 15 mars le nombre de régions où la gauche plurielle est en mesure de revendiquer la présidence. Si nous ne gagnons que trois ou quatre régions en plus de celles que nous avons déjà, il ne sera pas possible d'en laisser à nos partenaires. En revanche, si nous en gagnons beaucoup plus, il sera tout à fait normal de partager ces responsabilités.

Q - A partir de combien de régions ?

Pour l'instant cette question est prématurée, gagnons d'abord le plus grand nombre de régions possible.


Sud-ouest - 4 mars 1998

« Sud-ouest ». - A partir de combien de régions gagnées estimez-vous que ce sera un succès pour la gauche ?

François Hollande. - Nous ne nous fixons pas de seuil. Pour nous, le rééquilibrage est nécessaire. Il n'est pas normal que la droite gère 20 régions sur 22. Toute région gagnée sera donc la bienvenue. Pas d'ambition exagérée, mais un seul message : tout pour l'emploi.

« Sud-ouest ». – Dans les régions où la gauche n'aura pas la majorité relative, quelle sera l'attitude de ses élus ?

François Hollande. – Chaque fois que nous ne serons pas en situation de revendiquer une présidence de région, nous ne la revendiquerons pas. Ce qui permettra la constitution d'une majorité, de droite certes, mais sans le Front national. Nous ne voulons pas jouer avec le feu, ou laisser le feu prendre sous la table de l'opposition. Nous veillerons à ce que le FN ne puisse pas être un arbitre du débat entre la droite et la gauche. J'espère que la droite aura partout la même attitude. Je n'en suis pas sûr.

« Sud-ouest ». – Vous comptiez mettre à profit cette campagne pour engager un débat national sur les 35 heures et sur le cumul des mandats. Or, on ne parle guère ni des unes ni de l'autre. Ne vous heurtez-vous pas au mur du scepticisme ?

François Hollande. – Les régions peuvent participer à la mobilisation pour les 35 heures. Rien ne leur interdit d'amplifier les exonérations de charges prévues par l'Etat pour les entreprises, de manière à ce que la réduction du temps de travail crée le plus d'emplois possible. Elles peuvent ainsi débloquer un certain nombre de négociations.

Quant au cumul des mandats, je vois encore trop d'élus dans cette campagne qui briguent des mandats de conseillers régionaux ou généraux alors qu'ils savent pertinemment que la nouvelle législation le leur interdira. En même temps, il faudra accompagner cette réforme d'un statut de l'élu et d'une clarification des compétences entre les divers échelons d'administration locale.

« Sud-ouest ». – Justement, n'y a-t-il pas un échelon de trop ? Ne faudrait-il pas choisir entre région et département ?

François Hollande. – Je ne crois pas. Ce qui pose problème, c'est que tous les échelons se mêlent trop souvent des mêmes questions. Il faudrait que les régions s'occupent de l'action économique et de l'éducation, les départements de l'action sociale et de la solidarité. Ainsi, les citoyens sauraient qui est responsable de quoi. Il est également souhaitable que l'on échange le mode de scrutin, afin que les conseils régionaux soient élus comme les conseils municipaux. Je souhaite que l'on fasse ces réformes pendant la législature actuelle. Je suis persuadé qu'il peut y avoir un consensus là-dessus au lendemain des élections.

« Sud-ouest ». – Le rapport Sueur sur la politique de la ville préconise l'élection des communautés urbaines au suffrage universel. Vous êtes d'accord ?

François Hollande. – Je n'en suis partisan que lorsqu'on aura procédé à cette répartition de compétence dont je parlais plus haut. Il faut d'abord conforter ce qui existe, avant de créer un nouvel échelon. Méfions-nous des mille-feuilles, surtout sans crème !

« Sud-ouest ». – La croissance revient, semble-t-il. A qui doit-elle profiter en priorité ?

François Hollande. – Il faut d'abord conforter cette croissance. Tout faire pour qu'elle soit durable, donc ne pas pénaliser la consommation par quelque mesure fiscale que ce soit. Il faut aussi que les entreprises se soucient de créer des emplois, car c'est de là que viendra la reprise de la confiance et de la consommation.

Lorsque se posera, dans un second temps, la répartition des fruits de la croissance, il conviendra de donner la priorité à la lutte contre le chômage et l'exclusion, soutenir la consommation par des baisses d'impôts (la TVA notamment).

Je crois plus généralement qu'il faut revoir notre système fiscal. Il n'est pas normal que chaque fois qu'un chef d'entreprise embauche (ou augmente les salaires), il paye davantage de cotisations sociales, alors qu'il en paiera moins chaque fois qu'il aura recours aux machines. Nous souhaitons donc une réforme du système de cotisations patronales, dès cette année, pour application en 1999.

« Sud-ouest ». – C'est votre première campagne comme premier secrétaire du PS. C'est difficile ?

François Hollande. – Ce n'est pas le plus mauvais contexte pour qu'un premier secrétaire du Parti socialiste mène campagne. Contrairement à ce qui se dit, je trouve que les Français s'intéressent aux élections. Pas à la manière d'antan : il y a moins de tumulte, moins de polémiques, mais une attention. Regardez la campagne des législatives en mai 1997. Chacun pensait qu'il ne se passait rien. En fait, les Français étaient en train de changer de majorité. Ils ne le disaient pas, mais ils allaient le faire peu après. Depuis, je n'en ai pas trouvé un seul qui ait la nostalgie du gouvernement Juppé.


Jeudi 5 mars 1998

Q - Lionel Jospin a dit que les élections étaient l'affaire des partis. Quel est votre rôle dans cette campagne qui ne passionne pas beaucoup les Français ?

- Ces élections intéressent les Français bien plus que certains ne le laissent entendre. J'ai été frappé, ces trois dernières semaines, par le nombre de personnes présentes lors de nos réunions publiques. La conscience de l'enjeu de ce scrutin est bien plus forte qu'on ne le croit. Il s'agit, en définitive, de décider d'une grande part de notre avenir, puisque avec la décentralisation, les départements et les régions disposent de moyens très importants en matière de développement économique, d'action sociale, de construction scolaire et, plus généralement, d'investissements collectifs.

Q - Quels sont les enjeux du scrutin et a-t-il, selon vous, une valeur nationale ?

- Le débat doit d'abord porter sur les régions et les départements, et sur le bilan des majorités sortantes, notamment de la droite qui gère depuis douze ans vingt régions sur vingt-deux et plus des trois quarts des départements. Tout n'est plus décidé au niveau de l'Etat. Et le gouvernement pourrait être freiné dans son action si les collectivités locales ne s'engageaient pas résolument dans la lutte contre le chômage. C'est particulièrement vrai pour les emplois jeunes.

Ces élections doivent donc être l'occasion d'un rééquilibrage, pour que les régions participent pleinement aux changements engagés par le Gouvernement et mettent l'emploi au premier rang de leurs priorités. Mais ce scrutin aura nécessairement une portée nationale. Il permettra de mesurer l'importance des nostalgiques des gouvernements Juppé et Balladur. J'ai peut-être la naïveté de penser que la comparaison n'est pas en notre défaveur.

Q - Où situez-vous la barre du succès pour la majorité actuelle ? A cinq régions conquises ou à plus ?

- Un scrutin démocratique n'est pas un concours de pronostics. La gauche gouverne aujourd'hui deux régions sur vingt-deux, ce qui est loin de représenter son influence actuelle. Notre objectif est de convaincre les Français qu'il est possible de mobiliser les énergies locales pour mettre en mouvement nos régions. Leur budget représente, à l'échelle de la France, l'équivalent des dépenses d'investissement civil de l'Etat, soit 80 milliards de francs. C'est un levier décisif. Bref, chaque région gagnée par la gauche plurielle sera une bonne nouvelle pour l'emploi.

Q - Si les résultats répondent à vos espérances, la distribution des présidences risque d'aiguiser certains appétits chez les alliés du Parti socialiste ? Comment répartir les fruits de la victoire, si victoire il y a ?

- Gagnons d'abord avant de partager. C'est le moindre des respects que nous devons aux électeurs. Mais je vous confirme que la discussion s'ouvrira en temps utile et dans la transparence. J'indique tout de même que les élections cantonales, à la différence des régionales, permettent de mesurer l'influence de chacune des familles de la gauche plurielle. Ce sera une indication précieuse.

Q - La constitution des listes est parfois un moment assez lamentable de la vie politique. On a eu quelques exemples de ce type dans le Doubs où vous êtes aujourd'hui et dans les Bouches-du-Rhône. Que vous inspirent ces comportements et comment avez-vous tranché ?

- La gauche se présente sur des listes communes dans la quasi-totalité des départements et des régions. C'est l'union qui a primé, car cette démarche a montré sa pertinence et son succès lors des dernières élections législatives. Pierre Moscovici, notre porte-parole dans cette région, a fait tous les efforts nécessaires pour assurer le rassemblement le plus large. Il a fallu faire des sacrifices et donner des places à nos partenaires. C'est un exercice très difficile, mais c'est la loi du genre.

Q - Le Front national est susceptible de se trouver en position d'arbitre dans plusieurs régions. Dans ces cas précis, êtes-vous partisan d'un pacte républicain avec la droite parlementaire ?

- Notre position a toujours été d'une extrême clarté, et nous n'en avons pas varié. Nous ne présenterons des candidats à la présidence d'une région que si nous disposons de la majorité relative. A droite, j'entends certains dirigeants nationaux tenir un discours à peu près identique. Mais ce n'est pas le cas de l'ensemble des responsables locaux du RPR et de l'UDF. Je souhaite que la droite sorte de l'ambiguïté et je demande solennellement que chaque candidat RPR-UDF à une présidence de région s'engage à n'être candidat que si sa liste obtient la majorité relative.

Q - Quel oeil portez-vous sur la politique du gouvernement ? D'après vous, tient-il ses engagements d'avant les législatives ou estimez-vous qu'il pourrait faire davantage et plus vite ?

- D'abord, je note que les Français n'éprouvent guère de regrets à l'égard du Gouvernement d'Alain Juppé et d'Edouard Balladur. Depuis neuf mois, les choses bougent et le pays avance dans bonne direction. Nous avons relancé la consommation et la croissance en redonnant du pouvoir d'achat aux Français, nous avons engagé une politique volontariste pour l'emploi, au travers de la réduction du temps de travail et des emplois jeunes, nous avons ouvert des chantiers importants sur le cumul des mandats, sur la citoyenneté, sur la réforme de la justice et sur les exclusions. Nous devons donc amplifier le mouvement qui s'engage, car il nous reste encore beaucoup à faire, notamment contre le chômage et les exclusion de toute nature.


France 2  – jeudi 5 mars 1998

Vous étiez hier soir en meeting, vous l'êtes ce soir à nouveau. Combien la gauche peut-elle gagner de régions : on parle de sept qui pourraient basculer : Ile-de-France, PACA, Bretagne, Aquitaine, Picardie, Haute-Normandie, Midi-Pyrénées. C'est l'objectif, ces sept-là ?

- « Pour l'instant, la gauche ne gouverne que deux régions sur vingt-deux, c'est trop peu, c'est déséquilibré, ce n'est pas bon non plus pour l'équilibre de la démocratie. Donc il vaut mieux que nous en gagnions le plus possible. Et nous nous battons non plus pour les places ni pour les titres dans cette nouvelle campagne. Nous voulons surtout que l'emploi soit au coeur de la dynamique des régions. Ce n'est pas le cas pour le moment, les régions étaient trop frileuses. Il faut maintenant aller dans le sens qui est engagé par le Gouvernement, c'est ce que nous proposons aux Français à l'occasion de cette campagne. »

On a l'impression qu'on a plutôt des débats sur qui va occuper la présidence de la région, comment vont se faire les alliances ? Mais sur le fond ?

- « Si l'on ne parle que de présidences qui pourraient basculer, que d'alliances entre les uns et les autres, c'est vrai que ça ne passionne pas. En revanche, si l'on dit : est-ce que l'on peut mettre les régions et les départements – car nous avons aussi des élections cantonales – dans le mouvement de la lutte contre le chômage, on éveille un peu l'intérêt. Si l'on dit : regardez ce que peuvent investir chaque année les régions – c'est presque autant que ce que fait l'Etat dans ses dépenses d'investissement civil – ça commence aussi à éveiller l'attention. Si l'on dit : les régions peuvent aider à la formation des jeunes, participer à une lutte contre l'exclusion, c'est d'actualité. Si l'on dit que les départements peuvent également jouer un rôle dans la solidarité, ça commence aussi à susciter l'intérêt. Donc il faut parler des problèmes quotidiens des Français, ils sont nombreux, encore trop nombreux mais il faut aussi parler des solutions. Le pouvoir, c'est vrai que c'est l'Etat, le Gouvernement qui l'exerce principalement, mais aussi, avec la décentralisation, les régions et les départements. J'ai envie de dire que c'est presque aussi important que les élections législatives quant aux effets que ça peut avoir dans la vie quotidienne des Français. »

Si vous insistez tellement sur l'aspect concret des régionales, n'est-ce pas aussi parce que vous craignez un taux d'abstention sur ces élections ?

- « On disait ça aussi l'année dernière. Je me souviens, on disait : les élections législatives, ça n'intéresse pas beaucoup les Français, personne ne comprend cette dissolution. C'est vrai que personne n'a compris. Mais en même temps, je crois que c'était un rite qui est devenu commun. C'est-à-dire qu'on laisse supposer que ça n'intéresse pas mais je suis convaincu que les Français regardent, écoutent, font leur choix,  ne le manifestent plus comme avant mais savent quand même ce qu'il convient de faire. J'espère qu'ils le feront. »

L'arbitrage du FN – les voix du Front national – va peser dans ces élections ?

- « Ça ne dépend que de nous. Le FN ne peut gagner aucune région. En revanche, il peut polluer le jeu, s'allier avec la droite. Jusqu'à présent, j'entends les responsables nationaux de la droite, dire qu'il n'est pas question d'alliance. Dans une certaine mesure, je m'en félicite. En revanche, je fais beaucoup de réunions publiques dans beaucoup de régions, et chaque fois j'entends que des responsables locaux de la droite – à Lille, c'est M. Vasseur qui est allé jusque-là – dire qu'ils ne refuseront pas les voix du FN – je ne parle pas des voix des électeurs mais des voix des élus du FN pour l'élection des présidents de région – et cela, c'est inadmissible, c'est inacceptable et je demande donc par votre intermédiaire à ce que tous les responsables nationaux de droite ne disent pas simplement que eux ne l'admettent pas, je leur demande de dire très fortement à leurs responsables locaux et régionaux qu'il ne faut pas aller dans cette direction. »

Et vous pensez, comme l'évoquait Laurent Fabius, qu'il pourrait y avoir des alliances cachées qui se révéleraient à la faveur des élections des présidents de région ?

- « Certaines cachées, d'autres plus à découvert. Je vous citais M. Vasseur qui a dit qu'il ne refuserait aucun suffrage d'élus du FN pour devenir président. Je crois que c'est ce type de comportement qu'il faut absolument écarter. »

Les sondages sont extraordinairement favorables au Premier ministre et au Président de la République : + 12 points pour Lionel Jospin, + 7 points pour Jacques Chirac. A qui profite la cohabitation ?

- « J'espère que ça va profiter aux Français. Je crois que c'est très important qu'en ce moment il y ait le sentiment, qui n'est pas d'ailleurs qu'un sentiment, que le pays bouge ; que sur des questions aussi essentielles que l'emploi, la solidarité, la lutte contre l'exclusion, enfin des réformes ne soient pas simplement annoncées, proclamées mais entrent en application. Ce sont les emplois-jeunes, c'est la réduction du temps de travail ; ce sont bientôt des mesures d'aide au logement des plus démunis, de leur insertion dans la société, de leur remise dans l'activité. Je crois que les Français voient cela, ont le sentiment que la confiance revient, que le pays s'en sort. Ce n'est pas encore fait, ça reste pour certains encore trop longtemps, trop timide, et j'en conviens, mais ça vient, ça arrive. Et je pense que c'est ce mouvement-là qui est perceptible dans les sondages. Je me moque bien de savoir à qui ça va profiter au plan des popularités ; ce qui compte, c'est ce que fait le Gouvernement, ce que fait cette majorité arrive, en définitive, à ceux qui en sont les destinataires, c'est-à-dire les Français. »

Certains disent que cette loi sur l'exclusion a été un peu précipitée pour sortir avant les régionales et que ça soit porteur ?

- « On ne peut pas faire ce genre de calcul. Il faut que cette loi passe. Elle va être discutée au mois d'avril, votée, je l'espère, avant l'été, appliquée à l'automne. C'est l'essentiel. L'année dernière, une loi qui ne prévoyait d'ailleurs que des objectifs et aucun moyen financier était en discussion à l'Assemblée nationale et le Président de la République a préféré dissoudre cette même Assemblée ; je crois qu'on ne peut plus attendre, il faut des textes et des actes. Et c'est encore l'enjeu des élections cantonales et régionales parce que ce n'est pas simplement une loi où l'Etat s'engage, il faut aussi des collectivités locales qui accompagnent l'Etat dans cet effort. »

On dit que les impôts rentrent plus que prévu. Pourtant il y a une extrême prudence là-dessus. Pourquoi ? On ne veut pas lancer le débat sur le partage de la croissance ?

- « Parce que la croissance repart, c'est incontestable. Parce que notre objectif, c'est que cette croissance crée des emplois. Rien ne serait pire, alors que la croissance n'a pas encore donné tous ses fruits, de les distribuer. Ce ne serait pas la meilleure manière de procéder. Mais en revanche, il faudra mieux répartir parce que la redistribution crée la production. Produisons beaucoup, c'est l'enjeu de cette reprise de la croissance, distribuons et d'abord en faveur de l'emploi. »