Texte intégral
France Inter le 16 mars 1998
J.-L. Hees : Ça n'est pas un effondrement pour l'opposition, je crois que tout le monde l'a reconnu, mais tout de même, certains de vos candidats n'ont pas passé une très bonne journée hier. Il y a un joli titre dans Le Parisien, de mon point de vue en tout cas : "la droite déboussolée." Est-ce que vous, vous vous sentez un petit peu déboussolé, ce matin, à 8h45 ?
N. Sarkozy : D'abord, on n'a pas tous les résultats puisqu'il y a quelques régions pour lesquelles c'est tellement indécis qu'on ne les connait pas. La vérité, c'est que pour l'opposition, ce n'est pas un bon résultat et dire le contraire serait refuser de voir la vérité en face. Pour autant, est-ce que la gauche peut triompher ? Il me semble que non. J'ai deux éléments pour me permettre de dire ça : le premier est que si vous comparez les voix obtenues par la gauche, il y a neuf mois, au premier tour des législatives, et celles obtenues hier, il y a trois points de moins. La droite, ce n'était pas brillant en juin dernier certes, mais elle reste stable. Donc ce n'est pas une victoire pour nous, loin de là, mais on ne peut pas parler d'un triomphe pour la gauche. Pour autant, il y a rééquilibrage. Alors finalement, qu'est-ce qui s'est passé ? Neuf mois, c'est trop tôt pour que le gouvernement socialiste ait un bilan et que les Français puissent se dire : "Dans le fond on s'est trompé en votant pour eux..."
J.-L. Hees : Enfin, ils ne l'ont pas sanctionné en tout cas.
N. Sarkozy : Bien sûr, oui, oui mais on sanctionne d'autant moins quelqu'un quand on ne connaît pas son bilan. Deuxièmement, neuf mois, c'était trop tôt pour que les Français soient déjugés puisqu'il n'y avait pas de bilan, et neuf mois, c'était certainement encore trop tôt pour que l'on puisse juger avec pertinence des efforts réels ou supposés de l'opposition pour se remettre d'aplomb. Donc c'était pour nous le scrutin de tous les dangers.
J.-L. Hees : Je voudrais quand même que l'on entre tout de suite - pardonnez-moi pour l'expression - dans la cuisine électorale ou même dans l'arrière-cuisine...
N. Sarkozy : Je ne me faisais guère d'illusion.
J.-L. Hees : Qu'est-ce qui va se passer vendredi ? Parce que si vous ne voulez pas que ça soit une défaite pour la droite, tout de même, il va y avoir certaines alliances contre nature, c'est arithmétique ?
N. Sarkozy : La droite avait deux problèmes : d'abord, ce qui est formidable, c'est que maintenant, on ose parler de la droite. C'est déjà un progrès formidable. Je vous rappelle que tout un tas de gens disaient qu'ils n'étaient ni du centre ni de la gauche ni de droite. Dans une démocratie, il faut pouvoir choisir. Si la droite et la gauche proposent la même chose, il ne faut pas s'étonner qu'il y ait du Front national. Le Front national s'est nourri pour une grande partie de l'absence idéologiquement forte de représentants de la droite républicaine. La droite avait deux problèmes : un problème d'identité - peut-être que nous y reviendrons - et un problème de crédibilité. Si vous me permettez, restons sur le problème de crédibilité : grosso modo, ça consiste à dire, pourquoi voter pour vous alors que si souvent, à tort ou à raison, vous nous avez donné le sentiment, disent une partie de nos électeurs, de ne pas tenir les engagements que vous avez pris devant nous. C'est un problème cela, tout le monde l'a entendu. Je ne dis pas que c'est la faute de tel ou tel, nous sommes tous responsables. Alors est-ce que l'on va guérir ce problème de crédibilité en faisant, au lendemain des régionales, le contraire de ce que l'on a dit avant ? Qu'est-ce que l'on a dit avant ? Pas d'alliance avec le Front national. Pourquoi pas d'alliance avec le Front national ? Parce que, sur un certain nombre de sujets, nous n'avons pas les mêmes valeurs que les dirigeants du Front national.
J.-L. Hees : Et ça, on pourra le vérifier vendredi ?
N. Sarkozy : Non mais attendez, est-ce que franchement la crédibilité de la droite républicaine sortira renforcée si après l'élection on fait le contraire de ce que l'on a dit avant ? Certes non. Moi, je suis pour un véritable discours de droite, je souhaite que, sans complexes, nous défendions nos idées. Mais simplement, je considère que la défaite, on s'en remet toujours, elle fait partie de la vie, la défaite. Et je dis aux électeurs de l'opposition qu'il faut d'ores et déjà préparer la reconquête. Mais l'indignité, c'est plus grave, et ça sera plus long.
P. Le Marc : Est-ce qu'il n'y a pas, dans ce résultat, peut-être pas un désaveu mais un manque d'intérêt à l'égard de la ligne libérale adoptée par l'opposition et notamment par le RPR ?
N. Sarkozy : Franchement, c'est difficile de répondre à ces questions-là dans le cadre d'une émission de radio très vive, le matin : on ne peut pas faire de longs développements. D'abord, je ne m'inscris pas dans une définition strictement libérale. Et plus ça va, plus je me méfie des mots qui à force de tout expliquer n'expliquent rien...
J.-L. Hees : C'est la crise d'identité aussi.
P. Le Marc : C'est celui qu'emploie E. Balladu ?
N. Sarkozy : Non mais écoutez, je suis libéral en matière économique, je dis simplement que je ne souhaite pas que le combat de l'ensemble de la formation gaulliste et de l'ensemble de l'opposition se résolve simplement à un concept libéral dont, par ailleurs, on aurait bien du mal à m'expliquer les tenants et les aboutissants. Il s'agit que sur un certain nombre de questions, nous n'avons pas dit suffisamment ce que nous pensions. Prenez l'affaire de la réduction du temps de travail, c'est un élément de clivage très fort entre la gauche et la droite. Moi, je suis de ceux qui pensent que c'est le travail qui émancipe et que c'est l'absence de travail qui aliène ; que le but de la vie, ce n'est pas de travailler moins, c'est de travailler mieux ; que la revendication des gens, ce n'est pas de travailler moins, c'est de gagner plus. Et qu'on ne fera pas de la France un grand pays en dénonçant ceux qui font des heures supplémentaires, ceux qui arrivent à l'heure au boulot ou ceux qui auraient l'idée baroque de vouloir y rester plus que de coutume. Pour moi, il n'y a pas une vraie vie en dehors du travail et le travail qui serait là, comme ça, comme par hasard. Je demande d'ailleurs ce que c'est qu'une vie de famille quand on n'a pas de boulot ? Qu'est-ce que c'est que la vie de loisir quand on n'a pas de quoi faire nourrir sa famille ? Donc je ne m'inscris pas dans une démarche exclusivement libérale, au sens anglo-saxon du terme, même si je crois, oui, que la France manque - ô combien - de libertés pour donner de l'initiative à tous ceux qui veulent créer des richesses. Deuxième élément, il y en a assez de complexer les gens parce qu'ils ont une famille, un travail, une maison, une voiture, des enfants. Si vous travaillez plus que les autres, il n'est pas absurde que vous gagnez plus que les autres. On ferait bien mieux de dire aux Français : c'est très bien si vous vous donnez du mal, vous gagnerez de l'argent et chacun d'entre vous, quelles que soient vos origines, vous pourrez le faire. Qu'est-ce que c'est que ce misérabilisme qui consiste à dire que tout le monde arrive en retard plutôt que quelques-uns arrive à l'heure ? La véritable politique sociale, ce n'est pas le nivellement socialiste par le bas : c'est la possibilité pour chacun de promouvoir, d'assurer la promotion sociale de sa famille.
J.-L. Hees : Vous êtes reparti en campagne ?
N. Sarkozy : Non, simplement, ce sont des idées dans lesquelles je crois et dont je regrette que trop souvent nous avons donné - moi le premier - l'impression de ne pas les défendre avec suffisamment de force, ce qui a créé beaucoup de confusion dans les esprits, ce qui a ouvert un boulevard au Front national. Prenez l'affaire de l'immigration, je suis pour une immigration très restrictive pour des raisons qui sont des raisons économiques, politiques, financières, sociales, en aucun cas pour des raisons raciales, racistes ou d'exclusion comme le martèlent les dirigeants du Front national. Mais si nous, nous ne tenons pas un discours de droite sans complexes, naturellement, il y a tout un tas d'électeurs qui ne considèrent pas que le Front national représente un espoir mais qui ont pu être désespérés par la faiblesse de notre discours.
S. Paoli : Dans ces résultats, n'y a-t-il pas aussi posée la question des hommes ? Quand le Président de la République J. Chirac laisse entendre ici et là qu'il a envie d'une droite qui se reconstruise un petit peu, mais quand on entend aussi, hier, messieurs Balladur et Séguin implicitement faire porter la responsabilité de cet échec des régionales à la droite à cause de la dissolution, qu'est-ce que vous dites, ce matin ?
N. Sarkozy : Non, je pense là encore qu'il faut essayer de rester précis : on n'a pas perdu à cause de la dissolution. Pardon...
S. Paoli : Même cause, même raison disait M. Balladur hier ?
N. Sarkozy : Non, mais nous sommes dans la suite logique...
S. Paoli : ...même résultat ?
N. Sarkozy : ...de la dissolution. Mais la dissolution, ce n'est pas elle qui a été, me semble-t-il, sanctionnée ; c'est la faiblesse de notre discours au moment de la dissolution. Pardon, ne confondons pas tout. On fait une dissolution mais on ne tient pas le discours qui va avec, en disant franchement : voilà ce que l'on veut faire, voilà la nouvelle étape, voilà ce qui va se passer. Et puis de toute façon, encore une fois, les Français avaient voté il y a neuf mois, ils ont considéré qu'il fallait donner sa chance à la majorité plurielle, que nous, nous n'avions pas fait un travail suffisant de rénovation, que certes il avait commencé ; donc ils ne voulaient pas nous décourager en donnant des résultats plus mauvais qu'ils ne le souhaitaient mais que tout ceci devait continuer, quoi de plus naturel ? Si j'avais pensé, si P. Séguin avait pensé, si E. Balladur avait pensé que ça serait une partie de plaisir, ces élections régionales, on n'aurait pas fait la campagne que l'on a faite. Le fait que l'on soit tous les jours sur la route à essayer de convaincre, c'est bien parce que l'on savait que le message de juin, c'était sérieux.
S. Paoli : Mais par exemple, parti unique de l'opposition ou pas, parce que les deux hommes ne sont évidemment pas d'accord sur ce sujet, E. Balladur appelle à un parti unique et P. Séguin dit non merci, ce n'est pas le problème ?
N. Sarkozy : Pour un certain nombre de raisons, il se trouve que je crois savoir ce que pense E. Balladur, je crois savoir ce qu'a aussi dans la tête P. Séguin ; je crois qu'on a exagéré les différences : le soir où on célébrait les succès de la majorité plurielle, j'aimerais que l'on m'explique au nom de quoi on devrait en tirer la conclusion qu'alors que la majorité gagne parce qu'elle est plurielle, l'opposition pourrait espérer des succès en étant uniforme ? Reconnaissez la question...
J.-L. Hees : Attendez, j'ai pas rêvé, j'ai bien entendu E. Balladur hier soir.
S. Paoli : Vous êtes plutôt séguiniste que balladurien ce matin !
N. Sarkozy : Mais non. Ecoutez, moi je ne réponds plus... Je suis très content d'être ici, en plus, il y a une très bonne ambiance. On vous appelle "chéri", etc. Je trouve cela formidable ! Mais si, quand on essaie d'expliquer des choses, vous nous ramenez à des considérations comme cela, allez-y ! Je vous laisse faire les questions et les réponses ! Qu'est-ce que veut E. Balladur ? Que l'intergroupe, à l'Assemblée nationale, fonctionne mieux. Il a raison. Qu'est-ce qu'il souhaite ? Qu'on développe le programme de l'opposition et de préférence ensemble, UDF et RPR. Il a raison puisqu'on a présenté des listes communes. Il n'y a pas opposition. Mais je crois qu'on se tromperait en considérant qu'on résoudra tous nos problèmes uniquement avec du Meccano. Je pense que le premier problème, c'est un problème d'identité. Est-ce que oui ou non la droite républicaine à de nouveau quelque chose à dire ? Est-ce qu'elle est prête à défendre les idées qui sont celles de ses électeurs ? Là est le problème, pour moi, essentiel. Et tout le reste, après, en découlera. D'ailleurs, après tout, se retrouver ensemble dans une même maison, pourquoi pas. Mais après qu'on ait défini le pourquoi : pour faire quoi ? Pour parler de quoi ? Pour proposer quoi ? Pour, enfin, qu'il y ait des clivages suffisamment explicites pour que nos compatriotes aient la liberté de choisir.
J.-L. Hees : Si vous le permettez, P. Le Marc a une question pour vous.
N. Sarkozy : Je ne voudrais pas être désagréable, dans une atmosphère si conviviale...
P. Le Marc : Quelle est la part du climat des affaires dans la perte de l'Ile-de-France, et est-ce que vous ne regrettez pas que le ménage ait été fait, que des décisions aient été prises pour rendre le système de la droite à Paris plus transparent ? A Paris et dans l'Ile-de-France, bien sûr.
N. Sarkozy : Il y a tellement de choses qu'on peut regretter. D'abord, n'attendez pas de moi que je fasse le petit jeu habituel, c'est-à-dire le bouc émissaire. Cela, j'ai compris...
P. Le Marc : Vous avez déjà donné !
N. Sarkozy : Non, je ne l'ai jamais fait, mais je déteste ce petit jeu, quel que soit le milieu. Allez, il y en a un qui est à terre, il faut que tout le monde lui tombe dessus. Formidable, allez ! Un joueur de football se dope, allez, et tout le monde de sa petite phrase ! Donc, je ne le ferai pas. Deuxièmement, il y a une justice. Que la justice fasse son chemin ! Je ne comprends pas qu'on ne se réjouisse pas, au contraire, que toutes ces affaires, maintenant, soient sur la place publique, que le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elles ne sont pas arrêtées, puisqu'elles sont en permanence amplifiées. Et il me semble que les journalistes, d'ailleurs, devraient dire, si vous le permettez : voilà un progrès. Au moins, maintenant, on est certain, plus rien...
P. Le Marc : Vous ne répondez pas à la question. Est-ce qu'il n'y a pas un rejet du système politique en Ile-de-France, dans ces résultats ?
N. Sarkozy : C'est-à-dire, c'est un tort, j'accepte volontiers, mais j'essaie de répondre avec un raisonnement plutôt que par un slogan. Parfois, le raisonnement pour un homme politique, n'est pas absurde plutôt que le slogan tout de suite, tout de suite, la petite phrase...
P. Le Marc : A condition que la réponse vienne !
N. Sarkozy : Oui. Mais elle vient d'autant mieux qu'on laisse répondre l'invité. Mais, enfin, peut-être que c'est une conception de droite démodée, P. Le Marc ! Regardez les résultats : là aussi, sur l'Ile-de-France, on raisonne de façon très hâtive, me semble-t-il. Les résultats, c'est 86 pour la gauche, 83 pour la droite, au point où on en est, enfin en tout cas les derniers chiffres. Trois, trois ! Je vous rappelle que les instituts de sondage - chacun cotise à grands frais....
P. Le Marc : Vous pensez au sondage CSA ?
N. Sarkozy : Oui, oui, ça c'était le pire, puisqu'il annonçait une déroute complète de la droite ; si on les entendait, alors, il n’y avait plus rien du tout. Quant à l'Ile-de-France, les résultats qui étaient donnés, c'était une droite républicaine qui était, grosso modo, vingt sièges derrière. C'est extraordinaire. D'ailleurs, ce matin, il faut encore une fois inviter les spécialistes. Ceux qui nous expliquaient, tous les petits-déjeuners qui sont organisés - les auditeurs ne le savent peut-être pas - pour un certain nombre de gens privilégiés. On vous expliquait, l'un c'était Ipsos - samedi matin - qui expliquait que si elle avait un peu de chance, la droite en garderait deux, deux des régions !
J. L. Hees : Elle a déjà perdu l'Ile-de-France tout de même.
N. Sarkozy : Oui, mais vous me dites "sanction" : 86 et 83, avec une quarantaine de sièges pour le FN, le moins qu'on puisse dire, c'est que le vote Front national n'est pas forcément une adhésion formidable à la politique de la gauche.
J.-L. Hees : Est-ce que ce sont vraiment les affaires qui ont connoté le vote des Franciliens ?
N. Sarkozy : Si vous disiez : "Est-ce que vous auriez été plus heureux sans affaires qu'avec ?", la réponse est : "Sans".
S. Paoli : Une autre petite phrase de M. Balladur, hier soir, sur laquelle on peut s'interroger ce matin. Quand il dit : "Il faut qu'on trouve de nouvelles idées", à quoi pense-t-il ?
N. Sarkozy : Par exemple la question de la famille. Là encore, bien souvent, quand nous tenions un discours sur la famille, c'était pour réclamer des droits et des allocations, toutes choses qu'il faut mais à aucun moment nous ne rappelons - et c'est, me semble-t-il, ce qu'il faut faire - que la famille nous l'aimons tellement que nous pensons que c'est tellement le cœur de l'organisation de notre société que c'est d'abord des devoirs : devoir pour les parents d'assurer l'éducation des enfants à qui ils ont choisi de donner la vie, et devoir, pour ces enfants, quand ils peuvent et quand ils sont devenus grands, de s'occuper des parents. On parle de solidarité a tout bout de champs et on oublie totalement le devoir de solidarité à l'intérieur de la famille. Prenez l'affaire de la sécurité : on démolit des bus. Qu'est-ce qu'on fait ? Cela ne choque personne. Cela fait une brève dans les journaux. On organise immédiatement un colloque avec des philosophes et des sociologues à 3,50 francs pour savoir pourquoi les bus ? Les taxis, ce serait normal ? Les cars de police, ce serait tout à fait normal, mais pourquoi les bus ? Et voilà quatre personnes qui se prennent la tête, cela sort de la fumée dans tous les sens pour savoir : pourquoi les bus ? Mais le fait de savoir pourquoi on démolit un bus, c'est déjà accepter l'idée. Mais vous, vous avez souvent croisé des bus dans votre vie, dans la rue : vous avez eu envie de lui casser la figure au bus ? Sur un certain nombre de sujets sur lesquels je ne dis pas que ce sont des idées très neuves, je dis simplement que la droite républicaine doit être porteuse d'idées de bon sens qui ont permis le progrès de notre société. C'est à nous de tenir ces idées parce que les gens sont excédés de voir que ces idées de bon sens qui conduisent la vie de leur famille, leur vie personnelle, ne sont plus assez défendues fortement par des hommes politiques fiers d'être de la droite républicaine.
RTL le lundi 16 mars 1998
Q : Dès hier soir les dirigeants de la droite ne tiraient pas les mêmes enseignements de ce nouvel échec à propos de l'avenir de l'opposition. P. Séguin utilisait le mot de "reconstitution" alors que M. Balladur exprimait le besoin d'unité, de parti unique. Est-ce que le RPR doit revoir sa stratégie ?
R : Non, pardon, on tirait les mêmes enseignements de ce qui s'est passé puisque tous nous disions que c'était la conséquence du message que nous avait adressé - message sévère - au mois de juin dernier les Français. Chacun peut comprendre que neuf mois c'est trop tôt pour que les Français puissent juger du bilan socialiste et que neuf mois c'est sans doute trop tôt pour que les Français puissent apprécier les efforts que nous avons faits les uns et les autres pour rénover l'opposition. Donc, il y avait finalement peu de raisons pour que les Français souhaitent se déjuger entre le mois de juin 1997. Et ce qui s'est passé hier.
Q : Ce qui veut dire que M. Balladur ne s'est pas exprimé trop rapidement ?
R : Non, vous me posez la question : est-ce que l'on fait la même analyse ? Premièrement question : oui. Deuxième question : comment s'en sortir ? Je ne voudrais pas faire les questions et les réponses.
Q : L'essentiel pour l'opposition, je dirais même l'immédiat, c'est quoi ?
R : Pour nous, l'essentiel, me semble-t-il, est tout entier dans ces deux problèmes : l'opposition doit résoudre la question de son identité. Dans une démocratie la droite et la gauche ce n'est pas la même chose. Si la droite ne propose rien, si la droite n'est pas suffisamment lisible il ne faut pas s'étonner que l'extrême droite en profite. Il y a un problème d'identité qui doit être résolu par notre programme par notre projet par nos discours par la force de nos convictions. Et puis il y a un deuxième problème : c'est un problème de crédibilité dans la parole politique. Est-ce que oui ou non - c'est ce que souhaitent savoir nos électeurs - si demain nous revenons aux responsabilités du gouvernement soit des régions, des départements ou de la France, nous tiendrons les engagements que nous avons pris devant eux ? Ce sont ces deux problèmes qu'il faut résoudre.
Q : Quand vous dites problème d'identité, c'est identité du RPR et identité de l'UDF ? Ou identité de l'opposition ?
R : Je crois, en vérité, que le problème n'est pas une question de meccano. Il ne s'agit pas de savoir si on se met tous dans la même pièce. Il s'agit de savoir qu'est-ce qu'on veut pour la France ? Quel est le discours que l'on souhaite tenir ? Moi, je suis un homme politique de droite, de la droite républicaine. Donc, je dois défendre des idées qui sont celles des électeurs nombreux qui sont partis au FN. Non pas parce que le FN représente un espoir, mais parce que parfois les représentants de la droite ont désespéré leurs propres électeurs en ne défendant pas leurs idées. Pardon de le dire aussi rapidement, mais c'est le jeu de la radio des questions-réponses qui me fait l'obligation d'avoir un minimum de synthèse, qui parfois je le reconnais, est caricatural.
Q : Revenons-en à la phrase hier d'E. Balladur, qui parlait d'une organisation, et exprimait le besoin d'unité et de cohérence.
R : Cela ne vous étonnera pas que je connaisse le point de vue d'E. Balladur qui aura l'occasion de préciser les choses encore ce soir. E. Balladur dit : il faut que nous travaillions davantage dans l'unité, notamment en faisant un intergroupe parlementaire, notamment en établissant UDF et RPR un projet commun. Ce qui ne veut nullement dire que nous devons habiter dans la même structure. Je persiste et je signe : je ne crois pas que les problèmes de structure soient prioritaires. D'ailleurs, il y aurait paradoxe à dire que le problème de l'opposition est celui d'habiter dans la même maison le lendemain même d'un succès d'une gauche dite plurielle. Si la gauche est plurielle, je ne vois pourquoi l'opposition devrait elle-même condamner l'uniformité.
Q : Donc, il faut une droite plurielle ?
R : Plurielle ou pas, il faut une droite tout court, car dans un pays où la droite n'existe pas, l'extrême droite progresse. C'est bien cela le problème aujourd'hui auquel chacun d'entre nous est confronté.
Q : Est-ce que le Président de la République doit prendre sa part de responsabilité dans la reconstruction de la droite ?
R : le Président de la République est le Président de tous les Français. Vous observerez certainement que ces idées sont les mêmes que les nôtres ou que nous avons les mêmes idées que lui. Naturellement sa place est à la tête de tous ceux qui pensent qu'il faut une alternative au socialisme.
Q : Pourquoi l'opposition ne souhaite pas aujourd'hui évoquer l'éventualité d'un leader ?
R : Parce que je ne considère pas que le premier problème de l'opposition soit un problème de personne. Quand je dis que nous avons une question d'identité. Prenez l'exemple : j'étais très intéressé, ce matin, car on décrivait avec force de détails ce train de banlieue qui avait été démoli. C'était d'ailleurs une grande chance puisque pour une fois on en parlait. Non pas que cela choquait, mais il était démoli. Et chacun de réfléchir pourquoi. Vous savez quand un autobus est cassé, on réunit trois philosophes à trois francs cinquante dans une salle, avec de la fumée qui sort de tous les côtés, et ils réfléchissent doctement pour savoir : pourquoi un autobus ? Parce que sans doute un taxi ce serait plus acceptable ! Il faut mettre un terme à tous cela et que nous parlions sérieusement des problèmes de sécurité, de tranquillité publique, d'autorité publique.
Q : Un discours de droite ?
R : Moi, je suis un politique engagé à droite. Il n'y a aucune honte à cela. Je ne vois pas au nom de quoi être de gauche serait prestigieux et être de droite serait condamnable. Je pense qu'aujourd'hui le problème de 15 % de nos compatriotes qui votent pour le FN c'est un problème qui concerne au premier chef la droite. On ne résoudra pas ce problème par des oukases par des manifestations roses, rouges, vertes, mais tout simplement en disant à tous ces électeurs qui votaient pour nous auparavant et qui nous ont quittés : la droite républicaine est de retour sans outrance, sans excès, sans copier qui que ce soit, tout simplement en étant les mêmes. Il y a un moment où nos électeurs peuvent être légitimement exaspérés quand vous avez le sentiment que vous ne défendez pas les idées que vous avez demandé de mettre en pratique.
Q : Quand vous avez entendu J. Valade, l'ancien président du Conseil régional d'Aquitaine, dire qu'il voit des points de convergence entre son programme et celui du Front national ?
R : Honnêtement, j'ai été assez choqué de cette déclaration. En même temps, quand j'ai entendu le détail de ce qu'a dit J. Valade, j'ai compris que le titre de votre journal était un singulier raccourci. Il a voulu dire que ce n'est pas parce que le Front national dit qu'il préfère qu'il soit en vacances quand il fait beau que quand il pleut, que je dois m'interdire de dire que j'aime les vacances quand il fait beau ! Je voudrais quand même dire aussi que je n'ai quand même pas l'intention de céder à un terrorisme. Moi, ma position sur le Front national a parfaitement été claire ; depuis que je me suis lancé dans la vie politique, j'ai toujours eu un candidat du Front national contre moi ; je n'ai pas l'intention non plus de ne pas défendre mes idées sous prétexte qu'un jour M. J.-M. Le Pen ou M. Mégret ou ses séides se seraient prononcés contre moi.
Q : C'est votre problème direct...
R : J'en ai plus qu'assez d'un débat politique totalement aseptisé qui ne fait susciter que l'ennui parce que personne, par convenance, n'ose dire les choses comme elles sont !
Q : Oui, mais B. Mégret déclarait ce matin que la balle est dans le camp du RPR et de l'UDF. Qu'allez-vous en faire ? Le FN dit qu'il n'est pas demandeur et qu'il n'a rien à perdre.
R : B. Mégret n'est pas l'alpha et l'oméga de la vie politique. Ils ont fait 15 %. Nous, nous en avons fait 36. En ce qui concerne B. Mégret et les dirigeants du Front national, avec constance, ils ont toujours fait le jeu de la gauche ! Je vous rappelle que M. Le Pen a déclaré à d'innombrables reprises qu'il préférait M. Jospin à J. Chirac. Je vous rappelle qu'il y a 70 députés socialistes qui ont été directement élus parce qu'il y eu des triangulaires avec le Front national. Nous n'avons aucune leçon à recevoir de ce côté-là. J'ai toujours dit que nous n'aurions pas d'alliance avec le Front national. Vous savez, le problème de crédibilité, cela consiste à faire qu'au lendemain de l'élection ce qu'on a dit qu'on ferait avant. Nous avons dit qu'il n'y aurait pas d'alliance avec le Front national.
Q : Oui, mais on peut dire cela tout en acceptant les voix de tous ceux qui pourraient se porter sur mon nom.
R : Je vais préciser : il n'y aura alliance ni avec le Front national, ni prise d'otages des différents présidents de région de l'opposition républicaine avec le Front national. Pour le reste, souffrez quand même qu'on regarde un peu les résultats ! Très honnêtement, on annonçait notre débâcle avant même qu'il y ait des élections - tous, les sondeurs, à l'exception notable de la Sofres, annonçaient que dans le meilleur des cas on ne garderait que deux régions ; un grand journal du soir qui est associé bien souvent à votre radio titrait même "Débâcle pour la droite", avant même qu'on ait pu voir le résultat de tas de régions... La région Rhône-Alpes, c'est 60-60 : il n'est quand même pas anormal que C. Millon, président sortant qui a un bon bilan, souhaite pouvoir être reconduit, alors qu'il y a égalité parfaite ! Je souhaite regarder les choses calmement. Nous aurons des réunions encore demain pour réfléchir à la situation et voir les initiatives qu'il conviendrait de prendre.
Q : Etes-vous favorable à une modification du mode de scrutin des régionales dans la mesure où le scrutin actuel ne permet pas de dégager une majorité ?
R : La réponse est oui. J'y suis favorable, parce que démonstration est faite que la proportionnelle ne permet pas de dégager une majorité, et surtout qu'elle éparpille les voix dans tout un sens. Ici, il y a des listes de femmes - je n'ai rien contre les femmes ! -, là, une liste de chasseurs, de pêcheurs, régionalistes. Mais je ne suis pas persuadé qu'en soi, ce soit suffisant pour définir l'avenir des grandes régions françaises.
TF1 le vendredi 20 mars 1998
Q : P. Séguin parlait tout à l'heure de convulsion. C'est vrai qu'on a le sentiment que les appareils sont, ce soir, menacés dans leur autorité ?
R : Pardon de vous dire que ce n'est pas de ça dont il s'agit. Quel spectacle ! Quel spectacle pour ceux qui regardent, interloqués ! Le son de la démocratie c'est quoi ? On se présente à des élections avec des convictions. On se bat pour convaincre et pour gagner. Si on gagne dans la transparence et dans la clarté, on exerce les responsabilités que les Français ont voulu nous confier. Si on perd, on est triste d'avoir perdu, même si on s'est battu très fortement pour cela mais on ne triche pas. C'est cela qu'a voulu dire. P. Séguin. C'est pour cela que nous nous battons. Il ne s'agit pas d'appareils, d'autorité de discipline.
Q : L'UDF a quand même demandé la suspension de cinq de ses membres, et non des moindres !
R : Permettez-moi de vous dire qu'en tant que secrétaire général du RPR je suis assez fier ce soir de voir le comportement d'hommes comme J. Valade, comme A. Juppé, comme P. Séguin et comme tant d'autres qui se sont comportés conformément aux règles minimums de la morale publique, de l'honnêteté et de la démocratie. Il y a quelque chose qui change. Dans toute cette campagne, devant tous ces Français que nous avons vus souvent, on nous a dit : "mais enfin demain, si on vous redonne la responsabilité du pouvoir, est-ce que vous tiendrez vos engagements ? Nous avons été déçus par le passé - je le sais." Eh bien chacun doit savoir, qui nous regarde ce soir, que nous ferons ce que nous avons dit. Nous avons dit aux électeurs, avant de nous présenter, que s'ils nous donnaient la majorité, nous gouvernerions les régions, que s'ils ne nous la donnaient pas, nous n'essaierions pas de gagner ces régions par des petites méthodes et par des petits moyens. Il y a quelque chose de pathétique, pour sauver un bureau, une voiture, une responsabilité, de voir les comportements auxquels on assiste. Le RPR, aujourd'hui, est président de trois régions mais ce sont trois présidences gagnées proprement. Et je voudrais dire à tous les électeurs de l'opposition républicaine qui, aujourd'hui se posent des questions, que cette honnêteté et cette propreté, cette clarté et cette transparence, c'est là-dessus qu'on va reconquérir la confiance des Français.
Q : Même si certains conseillers régionaux RPR ont voté, notamment en Languedoc, tous pour J. Blanc ?
R : On ne peut pas reprocher à un conseiller lors d'un vote solennel de voter pour un président UDF. Mais je peux vous indiquer, ce soir, qu'il n'y aura aucun élu RPR du Languedoc-Roussillon qui acceptera des fonctions dans l'exécutif. Nous considérons que dans une région que nous avions perdue nous n'avons pas à revendiquer de postes dans l'exécutif. Nous n'avons que trois régions aujourd'hui au RPR mais trois régions gagnées dans la transparence. Si vous me permettez juste un mot : vous savez, ces derniers jours ont été un peu bousculés pour nous. Il a fallu se battre, il a fallu convaincre mais je suis quand même plus à l'aise dans mon costume que quand je vois Monsieur Jospin, Monsieur Hollande, quand ils ont lancé des appels absolument grotesques, comme l'appel du Premier ministre sur le perron de Matignon pour essayer de racler quelques voix, pour jeter un peu d'huile sur le feu, pour mettre un peu de sel sur la plaie. Si ce sont ça des comportements démocratiques et républicains du Parti socialiste oui, décidément, je comprends pourquoi mon chemin n'a jamais rencontré le leur.
Q : Est-ce qu'E. Balladur ira ou non ? P. Séguin peut-il encore le lui demander ?
R : La stratégie pour l'Ile-de-France sera strictement la même que pour toutes les autres régions. Quant à E. Balladur, c'est un homme de clarté, d'honneur et de parole. Nous avons pu le voir à bien des aspects et bien des occasions, donc ne doutez pas que quelle que soit la solution tactique qui sera retenue, lundi pour l'Ile-de-France, la stratégie, qui est une stratégie de clarté - on ne gouverne que lorsqu'on a la majorité -, sera tenue. Je veux d'ailleurs dire très simplement que si le Front national, pour le temps d'une élection de président se fait patelin - il ne réclame plus rien, ils sont d'accord avec nous sur tout - eh bien permettez-moi de dire à ceux qui ont été élus avec des compromissions avec les dirigeants du Front national qu'il y a le jour de l'élection et qu'il y a le lendemain de l'élection. Et le lendemain de l'élection, vous verrez alors que le Front national se réveillera et qu'on verra revenir l'inégalité des races, le détail et tout autre baliverne.