Texte intégral
Q. : Quand on évoque devant les Français la politique de coopération, ils posent toujours la même question : combien cela coûte-t-il ?
R. : L'aide publique au développement atteint 45 milliards. Mais j'aimerais que la question que les Français se posent soit plutôt : cela vaut-il vraiment la peine de dépenser autant alors que nous avons des pauvres chez nous ? Ma réponse serait « oui » et j'ajouterais aussitôt : « nous devrions faire plus encore et entraîner davantage les autres pays développés ». Pourquoi ? Parce que si l'on fait le rapport de ce coût avec l'état de paix que suscite la bonne distribution des richesses, avec les ouvertures de marchés, avec tout simplement l'idée que la France répond à sa vocation de grand pays, on se dit que le maintien d'une politique d'aide au développement est plus que souhaitable.
Q. : Mais, encore une fois, combien cela coûte-t-il ?
R. : Mon ministère a un budget de 7 milliards environ.
Q. : Il y a beaucoup d'autres aides françaises au tiers-monde ?
R. : Oui. Plusieurs ministères contribuent à l'aide publique française. La moitié de cette aide relève du ministère des Finances sous forme de contributions multilatérales et d'annulation de dettes.
Q. : Cela fait maintenant plus de 30 ans que nous menons cette politique de coopération. Alors, même question : en trente ans, combien tout cela nous a-t-il coûté ?
R. : La vraie question est ailleurs. Il s'agit de savoir ce qui coûte le plus cher : la guerre ou la paix ? La politique de coopération assure d'abord la paix. Car tout le monde sait que les pays qui sombrent dans le désespoir sombrent dans la violence. Mis à part quelques drames très localisés, tous les pays avec lesquels nous coopérons vivent en paix. Aucun d'entre eux ne nous a jamais fait la guerre.
Q. : On imagine mal le Mali ou le Burkina-Faso déclarer la guerre à la France ?
R. : Aujourd'hui, les pays pauvres font la guerre par le terrorisme. Aucun des pays avec lesquels nous coopérons n'a provoqué de terrorisme chez nous.
Q. : Après trente ans de coopération quand on voit la situation catastrophique dans laquelle se trouvent aujourd'hui de nombreux pays d'Afrique, n'est-ce pas décourageant ?
R. : Ça, c'est de la provocation un peu facile. Contrairement à une idée reçue, l'Afrique avec laquelle nous coopérons se porte bien. Le taux de croissance des pays sub-sahariens oscille entre + 5 et 6 %. La Côte d'Ivoire a un taux de croissance de 8 %. De plus, l'Afrique a su démontrer sa capacité à se réformer elle-même. Un exemple parmi d'autres : l'Afrique francophone a accepté et supporté la dévaluation de 50 % du franc CFA.
Q. : Vous affirmez que la politique de coopération permet de lutter contre le chômage en France. À combien s'élèvent nos exportations dans ces pays africains avec lesquels nous coopérons ?
R. : Chaque année, le chiffre d'affaires des entreprises françaises installées en Afrique francophone atteint 40 milliards.
Q. : Pourquoi ces relations privilégiées avec l'Afrique ?
R. : Il y a, sur la planète, ce que j'appellerai deux « zones d'organisation » : d'une part, le Canada, les États-Unis et le Mexique ; d'autre part, l'Extrême-Orient, avec le Japon, la Chine, la Corée. Mais au milieu, il y a un vide d'organisation, c'est l'Europe et l'Afrique : là, nous devons mieux nous organiser.
Q. : Ce n'est pas la partie du monde la plus prometteuse !
R. : Il faut regarder au-delà de l'année qui vient et imaginer ce qui risque de se passer au XXIe siècle pour la vie de notre planète. Le principal problème qui se posera sera celui de l'alimentation mondiale. Depuis des années, l'Europe ne pense qu'à produire moins : elle préfère supprimer ses excédents par la jachère, alors que les Américains ont une politique offensive en matière de production agricole et d'exportation des excédents. On voit la fragilité de ce raisonnement quand il y a un accident dans la chaîne de production comme la vache folle ou le nuage de Tchernobyl. Or l'Afrique a un formidable potentiel de productions vivrières. L'eau, le soleil, des terres riches peuvent lui permettre demain d'avoir une politique agricole de première grandeur. Mais c'est aujourd'hui que cette organisation doit être pensée pour préparer l'avenir.
Q. : Est-ce en finançant des projets de prestige que nous allons transformer l'Afrique en grenier de la planète ?
R. : Tout a changé. Nous ne finançons plus de projets prestigieux. Notre politique de coopération aide maintenant à la réalisation de ce qu'on appelle « les petits projets de proximité », c'est-à-dire des puits, des dispensaires, l'aménagement de l'arrière-pays qui avait été longtemps abandonné.
Q. : Mais les Africains continuent à aller vers les villes !
R. : Non, là aussi, les choses changent. L'une des conséquences de la dévaluation du franc CFA a été la revalorisation des produits vivriers. Les Africains se sont rendu compte qu'il était plus rentable de retourner à la campagne que de s'agglutiner dans les villes. Les Africains retournent à la terre et nous les aidons à développer leurs véritables richesses dont nous pourrions bientôt avoir besoin.
Q. : Est-ce à nous de financer tout cela alors que nos propres campagnes connaissent des difficultés ?
R. : Je vous ferai remarquer que si la France ne s'occupe pas du développement de l'Afrique, d'autres puissances occidentales s'en occuperons : nous perdrions alors notre influence et nos marchés. Mais il y a aussi une autre concurrence, encore plus dangereuse. Quand nous retirons, pour des raisons d'économie, un instituteur d'un village africain, il y a un risque d'enseignement intégriste. On ne peut pas à la fois parler de la menace intégriste dans le monde et contester notre politique de coopération qui est sans doute la meilleure parade contre la montée du fanatisme intégriste.
Q. : L'afflux des immigrés africains n'est-il pas la preuve que notre politique de coopération a échoué ?
R. : Les immigrés qui viennent en France sont ceux qui ont dû quitter leurs terres. Nos projets de proximité vont leur permettre de rester chez eux.
Q. : Comment se fait-il qu'il y ait davantage de médecins béninois installés dans la région parisienne qu'au Bénin ?
R. : Parce qu'après ses longues études en France, le médecin africain ne trouve pas un poste correctement rémunéré dans son pays. À l'avenir, quand nous financerons en Afrique un hôpital ou un dispensaire, nous ferons en sorte que les gens ayant étudié en France soient associés à la réalisation de ces projets.
Q. : Nous allons envoyer des immigrés comme coopérants ?
R. : Oui, d'une certaine façon ! Et nous irons encore plus loin. Nous souhaitons que l'épargne des immigrés serve désormais au développement de leurs pays. Moi, je suis un élu de l'Aveyron. Longtemps l'Aveyron fut un département d'émigration. Et si l'Aveyron a pu se développer comme il l'a fait, c'est grâce à l'argent que les Aveyronnais « immigrés » à Paris renvoyait chez eux. Il faut que l'immigration africaine fasse la même chose. Cela augmentera les chances de développement et incitera les immigrés à rentrer chez eux, puisqu'ils auront investi dans leurs villages.
Q. : Vous partez pour le Mali où les autorités ne semblent pas avoir très bien compris l'attitude de la France à propos des clandestins. Qu'allez-vous leur dire ?
R. : Je crois, au contraire, que les autorités de Bamako ont bien compris notre attitude. Comme tous les gouvernements, le Gouvernement malien souhaite que ses ressortissants soient bien traités dans les pays où ils ont immigré légalement. Et ils le sont en France. Le problème se sont les illégaux qui vivent forcément dans la clandestinité et, qui, du fait d'un regrettable phénomène d'amalgame, nuisent à l'image de toute leur communauté. Je suis persuadé que les autorités maliennes sont les premières à souhaiter qu'on mette un terme à l'illégalité.
Q. : On ne va tout de même pas continuer indéfiniment à tenir à bout de bras les économies de tous ces pays ?
R. : La coopération ce n'est pas un qui donne et un qui reçoit. La coopération est un partenariat où chacun donne et chacun reçoit. Car l'Afrique nous donne.
Q. : Quoi ?
R. : Oui, l'Afrique nous donne quelque chose d'essentiel. Nos civilisations ont perdu cette valeur fondamentale qu'est la solidarité qui permet à une communauté de surmonter les épreuves. Les Africains l'ont gardée. Dans cette nouvelle coopération « à parité », ils peuvent nous réapprendre à vivre en communauté.
Q. : Vous parlez sérieusement ?
R. : Tout a fait. Ce qu'ils nous apportent pourra, peut-être, nous sauver de l'égoïsme et des violences.