Déclaration de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, sur l'observation par satellite de l'environnement, Paris le 22 janvier 1996.

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Circonstance : Entretiens de Ségur sur l'observation par satellite et l'environnement, début janvier 1996

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je vous dois des excuses, et ce, à double titre : tout d'abord, pour n'avoir pas pu faire mon allocution d'ouverture en raison d'une réunion du conseil des ministres qui se tenait à la même heure ; ensuite, parce que je vais être obligée de partir de manière anticipée. N'y voyez pourtant pas de désinvolture de ma part à l'égard des sujets que vous traitez et aux entretiens de Ségur qui ont tous deux une grande importance à mes yeux.

Je suis vraiment très heureuse de vous accueillir aujourd'hui dans cette maison pour le premier entretien de Ségur 1996 consacré à l'observation par satellite de l'environnement. Vous savez que les entretiens de Ségur ont une certaine histoire dans cette maison et je tiens beaucoup à ce qu'ils gardent leur qualité et continuent à aborder des sujets novateurs comme celui d'aujourd'hui. Dans le courant de l'année, nous aurons à traiter des autoroutes de l'information et de l'environnement, sujet que je trouve passionnant, et de l'évaluation environnementale par exemple. Tous ces sujets s'intègrent du reste dans la réflexion générale menée cette année par le ministère de l'environnement sur le thème du développement durable qui sert de fil conducteur à notre action.

Je crois que le sujet qui nous occupe aujourd'hui est très important. Le développement des technologies spatiales a incontestablement ouvert des perspectives nouvelles pour l'environnement et beaucoup de domaines sont concernés. L'intérêt des travaux que vous menez aujourd'hui est justement de réaliser un inventaire de ces différents domaines et d'apprécier dans quelle direction les applications doivent encore se développer, comment elles peuvent s'améliorer et se renouveler.

Vous avez déjà examiné les apports de l'observation satellitaire au niveau global et vous travaillez actuellement sur l'aide aux politiques environnementales des acteurs de terrain.

En ce qui concerne les relations internationales, je crois que la maîtrise d'une gestion harmonieuse de la planète est devenue un véritable enjeu de la compétition internationale, et même un véritable enjeu géostratégique : j'entendais avec beaucoup d'intérêt Charles Millon voici trois jours quand nous inaugurions le Parc des Vosges dans la région dont il est président, prendre la parole et dire : « En fait, je ne sais pas très bien si j'interviens aujourd'hui en tant que ministre des armées ou en tant que président du conseil régional parce que l'environnement est devenu aujourd'hui plus que jamais un enjeu géostratégique. Et je viens de finir, disait-il, un rapport consacré à l'importance de l'eau au Moyen-Orient. »

Ceci est un exemple, à l'appui duquel d'autres pourraient être donnés, qui montre combien l'environnement et sa connaissance sont devenus des questions de politique générale. On peut me rétorquer que beaucoup de guerres ont déjà été faites, comme dans le cas du Tigre et de l'Euphrate, pour conquérir des fleuves. Cela est exact, à ceci près qu'aujourd'hui la dimension écologique, les multiples utilisations de l'eau, en dehors même de l'alimentation des populations, revêtent peut-être une importance plus grande que par le passé, et que la question n'est plus abordée sous le même aspect.

Il apparaît en tout cas nécessaire que les acteurs environnementaux soient .au rendez-vous des changements d'objectifs des industries concernées pour répondre aux besoins immenses de connaissance qui sont apparus. Cette situation nouvelle devrait peut-être nous faire réfléchir à une inflexion de notre politique spatiale qui doit être tournée davantage vers la Terre et son environnement, notamment tout ce qui découle de l'action de l'homme et ce qui affecte les ressources naturelles. Aujourd'hui, en effet, la majorité des programmes spatiaux civils est tournée vers le lointain alors qu'il est peut-être plus important de considérer d'abord ce qui se passe chez nous.

Le ministère de l'environnement a perçu très tôt l'intérêt et l'objectivité des informations issues de la télédétection sur l'environnement et les ressources naturelles. Il a contribué à l'opération pilote interministérielle de télédétection menée de 1976 à 1980 et a été sollicité pour le financement de Spot puis il a fait connaître et évaluer l'utilisation de la télédétection pour l'étude de l'occupation de l'espace et des milieux sous ses aspects statistiques, techniques et juridiques avec des applications nouvelles pour l'environnement en réalisant des actions pilotes de caractère préopérationnel ; il a inspiré l'opération européenne CORINE Land Cover. Il participe enfin chaque année au programme national de télédétection spatiale et au programme de télédétection nouvellement mis en place au département des sciences de l'homme et de la société du CNRS.

Monsieur Lebeau vous a présenté un panorama des techniques spatiales aujourd'hui disponibles au service de l'environnement. J'avais récemment, lors d'un déjeuner avec les responsables du CNES, longuement abordé cette question, et avais été passionnée par les possibilités qui m'avaient été montrées notamment au niveau local et régional. Il y a là une mine d'informations et peut-être la source de quelques critères objectifs parce qu'en matière d'occupation des sols, il se révèle souvent difficile d'avoir une vision objective de ce qui est et de ce qui doit être. Or la lecture d'une bonne cartographie comme celle dont nous pouvons disposer permettrait probablement d'opérer bien souvent des choix meilleurs que ceux qui sont aujourd'hui arrêtés. J'attends beaucoup de l'extension de ces systèmes aux schémas directeurs, voire aux plans d'occupation des sols dans la mesure où les collectivités locales pourraient le supporter.

Parmi les questions qui se posent à nous, la première a trait à la pertinence du choix des technologies spatiales en comparaison d'autres techniques, qu'elles soient fixes ou mobiles, au sol ou aéroportées. Si certains sujets d'environnement majeurs comme l'ozone stratosphérique, la climatologie, la désertification ou la déforestation trouvent dans les technologies spatiales leurs outils de prédilection, d'autres comme la biodiversité ou la qualité des milieux (qualité de l'air, de l'eau ou des sols) nécessitent, encore aujourd'hui, pour l'essentiel, des mesures au sol. Je souhaite que nous réfléchissions ensemble au meilleur équilibre, dans les investissements publics, dont on sait la relative stagnation, entre données spatiales et réseaux de mesure au sol.

Dans les nombreux cas qui intéressent le gestionnaire de l'environnement de manière courante, l'observation par satellite peut intervenir, mais il est nécessaire de bien discriminer la méthode la plus pertinente non seulement au plan scientifique et technique mais aussi au plan économique, par une analyse coût-bénéfice qui, il faut le reconnaitre n'est pas facile.

Le second ensemble de questions concerne l'accès à l'information. Il est essentiel et on voit bien dans les débats qui agitent notre société aujourd'hui que le dialogue et la concertation ne peuvent réellement s'instaurer que s'ils sont suivis en aval d'une bonne information. L'information est donc essentielle au lien social comme à l'exercice du pouvoir. Selon que l'information est équitablement distribuée, accessible à tous, ou au contraire confisquée par telle ou telle partie, elle peut être facteur de développement social ou de blocage, voire de crise. Or l'une des caractéristiques de l'information sur l'environnement aujourd'hui, notamment celle qui concerne la nature, les habitats, les écosystèmes et les pollutions, est qu'elle est distribuée. Certes, elle ne l'est ni parfaitement ni équitablement mais elle est partagée. Les associations, les petites entreprises et le citoyen peuvent accéder à cette information.

Les technologies spatiales en revanche, par leur haut degré de sophistication, leur centralisme, posent des problèmes de nature différente et nouvelle d'accès à l'information. Il s'agit de questions pratiques mais aussi de questions économiques : comment rendre ces informations spatiales environnementales équitablement accessibles au plus grand nombre ?

Les questions qui découlent des précédentes portent sur les arbitrages, au sein des politiques publiques pour les applications spatiales, entre les outils d'acquisition de données (les lanceurs et les satellites) et les outils de traitement et de diffusion de l'information. Les investissements publics ont privilégié le premier domaine. Mais il est nécessaire, pour une bonne politique de l'environnement, que nous ne disposions pas seulement de données numériques stockées en grand nombre, mais que nous ayons accès à des produits qui soient utiles pour le débat et la prise de décision.

À cet égard, il n'est pas évident que les décisions qui ont pu être prises (financement sur fonds publics de l'acquisition des données, commercialisation des traitements et des applications) soient favorables au développement même des applications spatiales pour l'environnement. Peut-être faut-il revoir les allocations de ressources, au sein des politiques spatiales, en accordant plus de moyens de recherche-développement aux technologies ce traitement et de diffusion de l'information, avec pour objectif d'abaisser le prix de l'information spatiale. Je crois que ce problème est difficile mais crucial parce qu'aujourd'hui, il n'y a pas de progrès de la démocratie, pas de gestion de la société sans que soit fourni un très gros effort dans le domaine de l'information, mais nous nous heurtons là à une très grosse difficulté technique qu'il ne faut pas nous dissimuler.

Je crois qu'il serait intéressant que cet entretien de Ségur contribue à dégager des propositions en matière de développement de nouveaux outils pour l'observation de l'environnement. Les actions à privilégier portent très certainement sur les moyens de traitement et l'intégration des données issues des satellites avec les autres informations issues de l'observation de l'environnement au sol, et des données socio-économiques, qu'elles soient statistiques ou cartographiques. Il faut aboutir à la construction d'outils d'aide à la décision et d'indicateurs d'évaluation et de suivi.

En outre, il y a encore des progrès à faire, du côté des systèmes d'observation, pour gagner en efficacité. Je pense par exemple aux questions des conditions météorologiques. J'ai constaté que dans certaines régions - je pense à la Guyane où je viens de passer quelques jours - les images Spot sont souvent inexploitables du fait de la couverture nuageuse. Les satellites à infrarouge et radar permettent de se libérer de cette contrainte mais n'offrent pas encore les services qu'en attendent les politiques de l'environnement.

Il serait également intéressant de développer des outils de prévision des niveaux de pollution de l'air urbain en couplant en temps réel les informations sur les émissions, les mesures de pollution et les données chimiques et météorologiques, car la demande sociale est très forte. Il est urgent de développer ce type d'application, compte tenu de la difficulté scientifique que recouvre la prévision de la pollution de l'air. Or, pour le citoyen de base, des recettes de « bonne femme » semblent permettre de prévoir ces évolutions !

Enfin, je suis convaincue que des progrès peuvent encore être accomplis par des approches d'intégration en temps réel de données spatiales et au sol en matière de prévision des catastrophes naturelles, qu'il s'agisse des crues, des incendies ou des éruptions volcaniques, à l'instar de ce qui fonctionne déjà pour les cyclones. Le ministère de l'environnement, comme vous le savez, est en charge des risques. S'agissant des risques naturels, force est de constater malheureusement qu'en matière de crues et d'inondations, nous assistons à une accélération de l'histoire. Quoi qu'il en soit, plus nous pourrons avoir une approche en amont en matière de prévision, mieux nous pourrons essayer de réduire les effets. J'attends à ce titre beaucoup de la cartographie par satellite pour améliorer certains mécanismes de prévention, notamment en matière d'interdiction de construction dans des zones risquées.

Voilà quelques axes de réflexion. Je suis très frustrée de n'avoir pu participer de fait à vos débats dans ces matières qui m'intéressent personnellement. J'espère en tout cas que ces entretiens auront fait progresser nos connaissances au profit d'une meilleure prise en compte de l'environnement dans nos politiques.

Je ne voudrais pas conclure sans un remerciement personnel à Monsieur Lebeau, en lui disant combien j'ai apprécié l'intérêt qu'il a toujours porté, dans ses fonctions antérieures comme directeur général de Météo France, aux questions d'environnement. C'est grâce à lui qu'un certain nombre de choses ont pu se faire. J'ai donc une grande confiance dans les implications futures du CNES dans tous les domaines qui nous intéressent, qu'il s'agisse des questions concernant l'environnement global ou local.

Pour finir, je voudrais citer l'action remarquable du CNES et de Spotimage en Roumanie pour aider à la connaissance du patrimoine naturel du delta du Danube. Ce n'est qu'un exemple. Je souhaiterais qu'en France nous progressions ainsi dans la connaissance des terrains, tant en terme d'aménagement du territoire, de gestion des sols, que de prévision des risques à venir. Nous disposons dans tous ces domaines d'instruments privilégiés. À nous d'en tirer les conséquences en terme de politique publique. En vous priant encore de m'excuser pour l'interruption des travaux car j'ai horreur de cela, je vous remercie de votre attention.