Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, sur le dépistage et la prise en charge des cancers du système digestif et de l'hépatite C, en liaison avec le décloisonnement entre l'hôpital et la ville, Paris le 23 mars 1998.

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Circonstance : Intervention de M. Kouchner au congrès des gastro-entérologues, dans le cadre des journées francophones de pathologie digestive, à Paris le 23 mars 1998

Texte intégral

La santé, les soins de l’an 2000 ne seront pas semblables à ceux qu’on nous a enseignés.

L’hépato-gastro-entérologie a toujours été une discipline qui s’est impliquée dans de multiples champs de la médecine, en se préoccupant des déterminants majeurs de l’équilibre nutritionnel et de la conservation du milieu intérieur chère à Claude BERNARD.

Elle s’est impliquée également dans l’investigation neuro–endocrinienne.

Elle s’est ouverte maintenant à l’infectiologie avec la belle victoire contre l’hélicobacter pylori, et la grande bataille en course contre les virus des hépatites.

Quel changement de mentalité, de conception même de la physiopathologie !

Elle s’appuie maintenant sur la biologie moléculaire, comme pour la poly adénomatose colique, familiale et le syndrome de Lynch.

Je voulais tout particulièrement féliciter les organisateurs de ces journées francophones de pathologie digestive et la qualité du programme scientifique que j’ai consulté.

I. – LES CANCERS

1.1. – Il convient de relancer la problématique du cancer de façon globale : prévention/dépistage/organisation des soins.

Rappeler que le problème des cancers est « devant nous » en raison :

– du vieillissement de la population française (augmentation de l’espérance de vie), ce qui impose des bouleversements à l’hôpital et impose la constitution des réseaux ;

– des comportements à risque dans le domaine alimentaire :
– alimentation : c’est un phénomène mondial (moins de fibres, plus de sucres) avec des conséquences directes sur l’incidence des cancers (en particulier digestifs) ou indirects (obésité), à un moment où le cancer de l’estomac a diminué quand la chaîne du froid a permis de conserver les aliments sans sel et sans additifs ;

– de l’apparition de nouvelles maladies : cancers du foie, secondaires à l’hépatite C.

1.2. – C’est pourquoi il nous faut mieux organiser l’offre et l’accès aux soins en matière de cancers. (Il s’agit d’une des dix priorités fixées par la Conférence nationale de santé en juillet 1997).

La démarche tant diagnostique que thérapeutique implique une multitude de professionnels :

– libéraux et hospitaliers ;
– médecins généralistes et spécialistes ;
– spécialistes d’organes ou spécialistes du cancer (chimiothérapeutes, radiothérapeutes, médecine nucléaire…) ;
– et les spécialistes de la douleur, ... (encore près de 65 % des cancéreux n’ont pas une prise en charge suffisante de la douleur).

Le cancer est un domaine de la médecine où le colloque singulier « médecin–malade », moment décisif où le système de soins doit être enclenché, mais risque aussi d’être une perte de chance pour le malade. La concertation entre les professionnels doit se faire en amont, et être accompagnée de l’information malade. La confrontation des dossiers, le double regard, doivent être la règle.

Malheureusement, il n’existe pas actuellement pour les patients d’organisation visible et facile d’accès en matière de cancer. Nous allons la construire. Nous le construisons.

1.3. – Je m’apprête à publier dans les prochaines semaines, une circulaire sur l’organisation en matière de cancer, à partir des principes suivants :

– une évaluation multidisciplinaire dès le diagnostic, avec constitution d’un dossier de  soins unique et d’un schéma thérapeutique ;

– à partir d’une concertation des professionnels, la création de réseaux agréés par les agences régionales de l’hospitalisation qui devront évoluer à terme vers des Agences de santé, qui comprendront :

– l’identification des niveaux de compétences des différents types d’établissements (prise en charge, recherche, soins de suite,…) ;

– l’implication des médecins libéraux généralistes ou spécialistes, qui sont la porte d’entrée naturelle du malade dans le réseau de soins. Oui, je le rappelle, le malade n’est pas le seul qui doit se déplacer. Les médecins doivent aussi bouger dans le réseau.

L’objectif est simple : harmoniser les conditions de prise en charge d’un patient atteint de cancer à partir de protocoles validés scientifiquement.

II. – LE DÉPISTAGE

La question du dépistage des cancers se doit d’être articulée avec la question de l’organisation des soins.

Les conflits et les polémiques sur la question du dépistage naissent de la confusion entre la dimension collective de santé publique des actions de dépistage volontariste de l’état et l’approche individuelle : perception par le médecin ou le consultant sur le « risque cancer » et des éventuelles complications ou des actes des investigations complémentaires.

Dans notre pays, la dimension santé publique n’est pas encore une façon habituelle de raisonner ni pour les professionnels ni pour le public.

L’approche individuelle renvoie aux angoisses individuelles de la mort. C’est souvent plus long d’expliquer « pourquoi un test de dépistage » que de prescrire un médicament. Il faudra en tenir compte.

La démarche de prévention, de dépistage ne rentre pas dans la logique actuelle, culturelle de notre système de soins, essentiellement curative. C’est après l’apparition de la maladie, hélas, que se déclenche tout le système.

Il faut souligner que les stratégies de dépistage vont naturellement évoluer en fonction :

– de l’amélioration des techniques (imagerie–biologie) ;
– de l’irruption de la médecine prédictive qui permettra, à terme, à mieux cibler les groupes et les individus « à risque » et donc de mieux cibler les personnes susceptibles de bénéficier de test de dépistage.

Mais faisons–nous correctement l’interrogation de nos patients sur leur famille ?

Enfin, une des difficultés majeures réside dans le fait d’appliquer les résultats d’études « pilotes » limitées à  l’ensemble d’un pays.

Il faut aussi s’interroger sur les comparaisons internationales : on compare souvent le Royaume–Uni et la France en matière de cancer du côlon, or l’incidence de ces cancers sont plus élevés Outre–Manche, et le recours aux colonoscopies est bien plus fréquent ici.

C’est dans ce contexte qu’il faut resituer le problème posé par le dépistage du cancer du côlon par le sang dans les selles.

Pour avancer, il me semble que l’on doit retenir deux critères incontournables :

– la mise en place d’une assurance de qualité tant pour la réalisation pratique que sur le plan technique, c’est au moins un point de consensus entre les experts quel que soit le type de dépistage (sein, col, colon…) ;
– la mise en place d’un système d’information (le réseau santé social offrira des opportunités importantes dans ce domaine) afin :
–d’évaluer les programmes ;
– d’orienter les stratégies collectives et individuelles afin d’atteindre les personnes qui ne bénéficient pas spontanément des actes de dépistages ;
– l’information du malade, qui doit être mis au courant de tout : les avantages et les inconvénients, voire les risques du dépistage (1 perforation pour 2 000 colonoscopie).

La formation continue des médecins, sur des concepts d’épidémiologie clinique, une nouvelle discipline, canadienne plus que française, était indispensable. Nous travaillerons avec tous les professionnels concernés, médecins de famine (terme à revivifier à l’ère de la génétique), médecins du travail, médecins spécialistes, pour que l’information du malade soit développée, en concertation avec la CNAM.

Des textes écrits seront préparés et diffusés pour que l’on cesse de limiter aux études et aux essais thérapeutiques les circonstances ou la personne humaine a le droit de savoir tout ce qui la concerne en matière de dépistage.

III. – L’HÉPATITE C

On estime actuellement à 1 % la prévalence de l’hépatite C dans la population française, dont un quart est dépistée.

Il faut souligner la fréquence chez les usagers de drogues (50 à 70 % selon les études) parfois associées à l’infection à VH.

Mais est difficile d’apprécier actuellement la dynamique de l’épidémie.

2 % n’ont pas d’étiologie reconnue (transfusés avant le dépistage systématique des dons de sang, toxicomanes,...).

Pour une part des contaminations ont pu être liées à des actes de soins dans des conditions diverses :

– hémodialyse ;
– matériels utilisés pour la glycémie chez des diabétiques (malgré le changement de la lancette) ;
– quelque cas après des endoscopies avec biopsie.

Pour les actes de soins le renforcement de la stérilisation des matériels a certainement amélioré la situation, encore faut–il l’évaluer. Reste le tatouage, le « piercing »...

Mes services. (DGS/DH/DSS) travaillent depuis plusieurs mois sur l’ensemble des questions posées par l’hépatite C, je tiens à saluer le travail conduit par le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, au cours de ces dernières semaines.

L’ensemble des questions sont étudiées :

– surveillance épidémiologique ;
– dépistage ;
– prévention ;
– recherche clinique ;
– prise en charge.

Au cours des derniers mois, des résultats de recherche clinique ont montré l’intérêt des bi–thérapie (INTERFERON–RIBAVIRINE) chez les personnes présentant une hépatite chronique C en cas de rechute 4 000 a 5 000 personnes pourraient être concernées cette année.

Des études préliminaires montrent l’intérêt des traitements chez des patients naïfs. Les efforts en matière de recherche clinique devront nous permettre de préciser les indications thérapeutiques.

Les recommandations de ces groupes de travail vont très prochainement être présentées début avril. Je prendrai mes décisions sur la base de ces recommandations.

Mais m’apparaît prioritaire que la montée en charge des traitements doit s’accompagner d’une évaluation et d’un minimum d’informations.

Par ailleurs l’hépatite C sera inscrite au titre de priorité pour le PHRC 98.

Enfin une coordination entre les différents organismes sera assurée :

– PHRC ;
– INSERM ;
– ANRS (une partie de l’expérience acquise en matière de sida doit pouvoir bénéficier à  l’hépatite C).

IV. – DÉCLOISONNEMENT ENTRE L’HÔPITAL ET LA VILLE

C’est l’un des axes prioritaires. J’ai déjà eu l’occasion de le dire : il ne faut pas appréhender de manière séparée une réforme de l’hôpital et une réforme de la médecine de ville.

Aujourd’hui, tout pourrait les opposer : le mode de rémunération, les modes de régulation et d’allocation des moyens, les conditions d’exercice. Mais, quelque chose d’essentiel les rapproche : le malade.

Le malade a besoin d’une prise en charge continue, coordonnée, dont la qualité est assurée en tous les points de son parcours au sein du système de santé.

Votre discipline est certainement, parmi toutes les disciplines médicales, l’une de celles pour lesquelles une meilleure articulation entre l’hôpital, la ville et l’hôpital, est le plus susceptible d’améliorer la prise en charge du malade.

Le gigantesque défi de l’hépatite C, en offre un exemple : nécessité de développer les réseaux ville–hôpital, de pouvoir bien définir un véritable cahier des charges qui permette d’élaborer une stratégie claire pour le dépistage comme pour le traitement, par lequel de nouvelles pistes s’ouvrent.

Je souhaite qu’avant l’été nous ayons défini un plan cohérent d’action. Il doit être défini avec vous. Il ne sera efficace que si vous en êtes partie prenante.

On parle beaucoup, depuis quelques années de réseaux et filières de soins. Je viens d’en donner deux exemples qui vous concernent directement, la cancérologie et l’hépatite C.

Le débat théorique sur la supériorité des uns sur les autres est sans grand intérêt. Je souhaite que nous nous intéressions plus à cerner les besoins et les attentes des malades pour y répondre le mieux possible. L’organisation, les structures, se déduiront alors aisément.

Pour moi cette organisation en réseau a un objectif simple pour faire une médecine de proximité tournée vers le malade.

Une médecine de proximité et de qualité organisée à partir de la connaissance scientifique et humaine. Chacun dans le réseau, doit tout savoir sur le malade dont il a la charge, son passé, son mode de vie, les examens pratiques, les traitements qu’il a reçus.

Une médecine proche du malade, tournée vers le malade, pris en charge par une équipe qui s’occupe de lui et pas seulement de sa maladie. Une équipe qui le connaît, une équipe proche de sa vie.

Cette organisation s’oppose à notre conception française de la médecine, qui affronte généraliste et spécialiste, libéraux et hospitaliers. Cet affrontement stérile n’a pas lieu d’être, n’a plus lieu d’être.

Cet affrontement trouve pour une part son origine dans la crainte de perdre son malade. Mais aussi dans l’humiliation ressentie en crainte par les uns, dans la supériorité auto–proclamée des autres.

Il faudra également corriger cela : il faut supprimer la sélection par l’échec des généralistes. Il faut que l’hôpital s’ouvre à tous et ne soit plus le champ clos de tous les mandarinats.

Enfin, quand nous disons que le malade a besoin autour de lui d’une approche coordonne de toutes les professions de santé, ne faudrait–il pas aussi dire que la politique de santé ne devrait plus séparer l’approche hospitalière et l’approche santé de la population ?

Pourquoi restreindre les Agences régionales à l’hospitalisation ?

Pourquoi ne pas en faire de vraies Agences régionales de santé, – des Agences plus « médicalisées » – qui, éclairées par les Conférences régionales de santé, mettraient en place une approche globale. Les acteurs sont déjà là et mobilisés : les services de l’Etat, les Unions régionales des caisses d’assurance maladie, les Unions régionales de médecins libéraux.

Le passage à l’hôpital public ou privé n’est qu’une étape dans la vie des personnes qui, opérées d’un cancer du côlon, auront plus de 50 % de chances de vivre plus de 5 ans, et bientôt beaucoup plus.

L’appui social doit être mieux articulé avec l’appui sanitaire et la coordination à l’échelon régional est indispensable.

Je vous propose une journée de travail au ministère, comme nous l’avons fait avec les spécialistes de l’urgence, et comme nous le ferons dans d’autres domaines, pour évoquer ces questions de manière approfondie.