Déclaration de M. Charles Millon, ministre de la défense, sur l'identité européenne de défense et la rénovation de l'Alliance atlantique, Paris le 27 juin 1996.

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Circonstance : Colloque organisé par le Comité français pour l'Union Paneuropéenne : "Quelle défense pour l'Europe ?" à Paris le 27 juin 1996

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs,

Contrairement au rêve des pères fondateurs, l'Europe n'est toujours pas ce continent tranquille avec un horizon indépassable de paix, de prospérité, de valeurs humanistes. Le réveil des peuples d'Europe, ce n'est pas seulement la démocratie, l'économie de marché, la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes ; c'est aussi le renouveau nationaliste, la désagrégation des États, la purification ethnique…

Contrairement au rêve des bâtisseurs de l'Organisation des nations unies, le monde n'est toujours pas régi par les principes de la charte. Si aucun adversaire identifié ne se dresse plus contre l'Europe, trop d'incertitudes demeurent sur l'avenir de certains grands pays, trop de zones auxquelles nous lient la géographie et l'histoire connaissent l'instabilité et la violence. L'existence d'arsenaux surdimensionnés ou la prolifération d'armes de destruction massive nous obligent également à la vigilance.

Rendue nécessaire par la communauté de plus en plus forte des intérêts vitaux et stratégiques de nos nations, la défense européenne est aussi une condition essentielle de l'union politique de l'Europe. Dès lors qu'il n'y a plus d'obligation de se situer dans un système de confrontation des blocs, les Européens peuvent redevenir maîtres de leur destin.

Comment la France, qui a été l'inspiratrice du projet européen, qui demeure un élément moteur de la construction européenne, pourrait-elle être en retrait en ce qui concerne la défense de l'Europe ?

Réforme de l'outil national, relance de l'Europe de défense et réforme de l'OTAN sont donc les chantiers prioritaires de notre politique de sécurité, comme en témoignent la nouvelle loi de programmation militaire, et les résultats du sommet franco-allemand de Dijon et du sommet atlantique de Berlin.

I. Pourquoi l'identité européenne de défense fait-elle partie de l'ambition de la France ?

Parce que l'identité européenne de défense conférera à l'Union européenne sa pleine capacité politique.

Parce que l'identité européenne de défense permettra la rénovation de l'Alliance atlantique.

Enfin et surtout, parce que l'identité européenne de défense contribuera de façon essentielle à assurer la protection des intérêts de la France.

Ainsi, le Premier ministre a proposé à nos partenaires l'idée de dissuasion concertée.

Ainsi, l'ensemble de nos forces de projection de puissance sera disponible pour assurer le respect de nos engagements européens et atlantiques.

Ainsi, les coopérations européennes en matière de prévention, de renseignement et d'observation spatiale doivent s'intensifier.

Ainsi, la protection de notre territoire doit s'inscrire dans une dimension européenne.

Pourtant, certains font mine d'opposer l'affirmation de l'identité européenne de défense et la rénovation de l'alliance. Je tiens à revenir rapidement sur ce point.

II. Pourquoi la rénovation de l'alliance est-elle au coeur de notre projet ?
Parce que la réussite du projet politique, du projet de défense de l'Europe passe par une démarche qui tienne compte des données fondamentales que sont l'Alliance atlantique et le lien de sécurité euro-américain.

Parce que l'indispensable adaptation de l'alliance aux nouvelles réalités stratégiques constitue l'occasion historique d'instaurer, entre Européens et Américains, le partage des responsabilités que le général de Gaulle souhaitait en son temps.

L'accord obtenu en juin, à Berlin puis à Bruxelles montre qu'une telle entreprise est à notre portée. Fondé sur un consensus des 16 pays membres, il affirme le rôle central de l'identité européenne de défense dans la nécessaire rénovation de l'Alliance atlantique et définit quatre principes :

- le contrôle politique et la direction stratégique par l'UEO des opérations que les Européens mèneraient ;
- l'identification rapide des moyens de l'OTAN qui seraient mis à la disposition des Européens en cas d'engagement d'une opération conduite par l'UEO ;
- la définition des arrangements nécessaires pour actionner des capacités de commandement européen indispensables à la conduite des opérations dirigées par l'UEO ;
- la planification et l'entraînement dès le temps de paix des éléments ainsi identifiés dans l'OTAN.

Si cet accord de principe aboutit, d'ici la fin de l'année, aux résultats concrets que nous souhaitons, la France pourra alors envisager de participer, sur un pied d'égalité, à cette alliance profondément rénovée. Il s'agira alors, pour notre pays, d'un nouveau départ qui lui donnerait une place centrale au sein d'une Europe politiquement et militairement majeure et au sein d'une alliance à laquelle nous restons fondamentalement attachés.

Vous le voyez, Mesdames et Messieurs : en matière de défense, jamais l'ambition nationale, l'ambition européenne et l'ambition atlantique n'ont été aussi liées. La raison en est simple, puisqu'il s'agit, à tous les niveaux, dans le cadre des États comme dans celui des alliances, de répondre aux nouveaux besoins d'une sécurité européenne dont les paramètres ont été bouleversés par la fin de la guerre froide.

Dans cette période si riche en réformes, en redéfinitions, en évolutions, l'apport d'une réflexion comme la vôtre est extrêmement utile. Je remercie, en particulier, le président Bourges d'avoir donné à ces travaux le grand souffle européen nécessaire, en réunissant des personnalités d'expérience et de talent venues d'Autriche, de Grande-Bretagne, de Belgique, de Russie… Je ne peux les citer tous. Je vous souhaite, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, un plein succès pour cette journée.