Texte intégral
Question de Christian Jacob (député RPR de Seine-et-Marne) : « Monsieur le Premier ministre, vous n’avez pas répondu clairement hier à la question de Patrick Devedjian, je vous demande aujourd’hui d’être précis dans votre réponse. Premièrement, est-il vrai que vous occupiez un emploi au ministère des affaires étrangères de 1992 à 1997, sans jamais y avoir eu la moindre activité ? Deuxièmement, avez-vous demandé votre mise en disponibilité comme il est de droit dans la tradition en France, quand vous avez décidé d’être candidat à l’élection présidentielle de 1995 ? Troisièmement, avez-vous quitté votre emploi au ministère des affaires étrangères comme il est de droit et de tradition quand vous avez été élu premier secrétaire du PS d’octobre 1995 à juin 1997, renonçant ainsi à l’obligation de neutralité et au devoir de réserve des hauts fonctionnaires ? En d’autres termes, est-ce que le ministère des affaires étrangères, c’est-à-dire l’État, et donc les contribuables qui ont rémunéré le candidat socialiste à l’élection présidentielle et le chef du PS de 1995 à 1997 ? Merci d’être précis dans vos réponses, Monsieur le Premier ministre. »
Réponse de Lionel Jospin : « Hier, j’ai ressenti un peu d’émotion comme à chaque fois que je vois une mise en cause personnelle se faire. Et aujourd’hui, puisque vous avez cru nécessaire de revenir sur cette question, je m’exprimerai à nouveau, pour donner quelques éléments qui concernent cette imputation et qui concernent aussi peut-être une partie du climat qui tend à se développer ces derniers jours.
J’ai trouvé, et je trouve encore aujourd’hui que la mise en cause qui a été formulée est particulièrement infondée me concernant. D’abord, parce que comme je l’ai dit, dans ma vie publique, je n’ai jamais procédé à des mises en cause personnelles, y compris quand certains sur ces bancs ont eux-mêmes été critiqués et pour des faits qui n’étaient pas toujours réguliers. Jamais je ne l’ai fait avant le 1er juin et je ne l’ai pas fait depuis. La deuxième raison, qui me fait trouver cette imputation infondée, c’est que depuis que se développent des commentaires, un débat public, des admonestations, des critiques de la presse, des procédures judiciaires, à aucun moment celui qui vous parle ne s’est exprimé sur aucun de ces sujets concernant aucune des personnalités mises en cause, à tort ou à raison, et aucun des mouvements politiques auxquels ils appartiennent.
D’autre part, j’ai, dès le début de cette semaine, donné comme consignes aux membres du gouvernement de s’abstenir de tout commentaire, de tout jugement, non seulement sur des procédures judiciaires en cours, mais même aussi sur des personnes qui pourraient être concernées ou dont les noms sont prononcés. Ce matin, à l’issue du conseil des ministres, j’ai rappelé aux ministres membres de mon gouvernement les instructions que je leur donnais à cet égard. Je crois d’abord que le rôle des membres du gouvernement est de s’exprimer sur la politique du gouvernement et je crois que compte tenu de ce que nous sommes en train de faire dans ce pays, sur le terrain économique dans la lutte contre le chômage, sur le terrain social par la loi contre les exclusions, sur le terrain de la démocratie politique, il y a de quoi faire et il y a de quoi dire.
Pour ce qui me concerne, ma situation professionnelle entre 1993 et 1997 reste aujourd’hui parfaitement claire et ne peut en aucun cas être assimilée avec aucun emploi fictif. Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir s’il y a eu ou s’il y a des emplois fictifs dans telle ou telle collectivité ou dans telle ou telle institution, cela relève de la justice, si elle a à en connaître. Et je n’ai aucun commentaire à faire là-dessus. Mais pour ce qui me concerne, à ce moment-là, j’ai été placé comme haut fonctionnaire dans une situation statutaire et réglementaire parfaitement claire dans laquelle je me suis tenu à la disposition de mon administration. Le 6 avril 1993, soit huit jours à peine après le résultat des élections législatives dans lesquelles j’avais été, comme député, battu, j’ai écrit une lettre au ministre des affaires étrangères de l’époque, puisque j’étais revenu dans ce corps, comme cela était statutaire. Je lui écrivais ceci : « N’ayant pas été réélu à l’Assemblée nationale, le 28 mars dernier, je tiens à exercer pleinement mon activité professionnelle. Je suis donc à la disposition du département pour exercer les fonctions qu’il voudra bien me proposer. » À l’issue de cette lettre, j’ai été reçu le 23 avril par le ministre des affaires étrangères, le plus courtoisement, à qui j’ai réitéré ma demande d’exercer une fonction dans l’administration des affaires étrangères à la place qu’il voudrait bien me donner.
Il m’a dit qu’il regarderait ce qui était possible ; que concernant une personnalité comme moi qui avais été ministre, responsable politique, ça n’était pas forcément facile, qu’il n’était pas assuré de pouvoir l’obtenir de ses amis, mais que néanmoins il allait le faire et le regarder. Plusieurs mois après, voyant que rien ne se produisait, j’ai redemandé à voir le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, et celui-ci m’a reçu le 14 octobre, à ma demande. Il m’a annoncé que compte tenu de ma personnalité, il ne pouvait pas me proposer de poste, qu’il n’avait pas pu obtenir de ses amis qu’on choisisse une personnalité comme moi.
J’ai même un souvenir amusant de cette conversation que Monsieur Juppé, s’il vous plaît, ne pourra pas démentir. D’une part, parce qu’il en serait d’accord, je le pense, et d’autre part, parce que, pour la deuxième fois, il n’est pas là, alors qu’il est toujours là aux questions d’actualité. C’est que, il a dit : j’avais bien songé à un poste possible, ne pouvant pas vous mettre à l’administration centrale – c’est lui qui en a décidé –, ne pouvant pas vous nommer ambassadeur – je ne pourrais pas l’obtenir de mes amis –, j’avais pensé que vous pourriez peut-être vous occuper de la conférence de l’ONU sur les problèmes sociaux, mais même cela, je n’ai pas pu l’obtenir, nous l’avons confié à Monsieur Gattaz, l’ancien responsable du patronat français.
Alors, à cette époque, on m’a refusé une affectation sur un emploi statutaire alors que j’étais normalement dans les cadres de l’éducation nationale. On pouvait certes me refuser une affectation, un poste effectif, mais on ne pouvait pas me retirer mon salaire, car, comme tout fonctionnaire, j’avais droit au traitement, et je vous dis en plus, Mesdames et Messieurs, que je n’ai jamais vécu dans ma vie que d’un salaire, car je n’ai pas d’autres revenus pour vivre, je n’ai pas de propriétés de rapport, je n’ai pas d’immeubles, je n’ai pas de parents riches, je n’ai jamais pu vivre que de mon travail de salarié, et ça, vous ne pouviez pas me le retirer.
En outre, tous ces faits que vous faites semblant d’exhumer, Messieurs, et qui sont conformes à la règle pour tout fonctionnaire, et vous savez très bien qu’aujourd’hui, aussi bien dans la diplomatie que dans la préfecture, il y a plusieurs dizaines de hauts fonctionnaires à qui on n’a pas donné d’affectation, parfois parce qu’on ne le peut pas d’ailleurs, en raison de la démographie. En outre, tous ces faits étaient parfaitement publics. Moi-même, dans une interview de « Libération », je me suis exprimé à ce sujet, clairement, pour que l’opinion le sache.
Je voulais être au clair en ce qui concerne mon statut professionnel. « Cinq mois après que j’ai rejoint le quai d’Orsay, mon corps d’origine, on ne m’a fait aucune proposition de travail. Je n’en fais le reproche à personne – et je ne fais pas encore, pour le passé, aujourd’hui, de reproche à Monsieur Alain Juppé –, mais cela me permet de me considérer à nouveau comme libre. »
Alors, oui, j’étais, comme d’autres hauts fonctionnaires, potentiellement payé à ne rien faire. J’ai préféré agir et faire. Et qu’est-ce que j’ai fait ?
Oui, je me suis présenté dignement dans une élection présidentielle, et personne n’a reproché la nature de la campagne que j’ai faite. Oui, ensuite, réélu à la tête du Parti socialiste, j’ai mené une bataille d’idées, de convictions, douze heures, quatorze heures, seize heures par jour. J’ai reconstruit, avec mes amis, une force politique. Avec mes amis, j’ai contribué à constituer une majorité. Je vous appelle, dans la situation qui est la vôtre, aujourd’hui, Messieurs, à faire ce travail d’idées, de construction de force politique, plutôt que d’essayer de me mettre en cause comme vous le faites aujourd’hui.
Plus largement, et sur les questions qui sont débattues ces jours-ci, Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais dire les choses suivantes : les procédures judiciaires sont en cours. Il n’est ni dans mon pouvoir ni dans mon désir, ni dans ma volonté de m’en mêler en rien. Il ne s’agit pour personne, dans la vie politique française et notamment dans son hémicycle, de donner des leçons aux autres. Il s’agit pour chacun, quand la justice l’interroge, d’assumer ses propres responsabilités.
Nous avons évoqué, ce matin, ces questions, avec Monsieur le président de la République, dans l’entretien qui précède, chaque semaine, le conseil des ministres. Je vous renvoie à ce qu’en ont dit à cet égard nos collaborateurs dûment mandatés par nous : « nous ne sommes, en tant que président de la République française et en tant que Premier ministre, engagés dans aucune bataille l’un contre l’autre, même si nous avons, sur un certain nombre de sujets, des convictions différentes. »
Pour conclure, Mesdames et Messieurs les députés, ma vision des choses est la suivante : laissons les procédures judiciaires se poursuivre, quand elles existent. N’y mêlons pas nos commentaires politiques et réservons l’échange public à un débat de fond, à un débat d’idées, respectueux des personnes et digne de nos concitoyens, c’est ainsi que je continuerai à agir. »