Interview de M. Laurent Fabius, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, à RTL le 25 juin 1996, sur le chômage, la déréglementation et le projet de texte du PS concernant notamment l'officialisation de couples homosexuels (contrat d'union sociale).

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Laurent Fabius - Président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RTL : L’INSEE vient de publier ses statistiques sur le chômage en mai dernier. Il atteint aujourd’hui son niveau record : 3 145 000 chômeurs. Pourtant, des licenciements sont annoncés. Est-ce que tout cela est compatible ?

L. Fabius : L’étude INSEE malheureusement est mauvaise. Elle traduit les mauvais résultats qui sont ceux du pays depuis maintenant un an. Les chiffres officiels avaient laissé croire qu’il y avait une certaine embellie. Et l’étude montre qu’il n’en est rien. Ca montre à la fois que la précarité se développe, ce que nous pressentions. Mais là, c’est prouvé noir sur blanc, que le temps partiel est souvent subi et que dans toute une série de catégories, notamment ouvrière et employée, il y a une détérioration de la situation considérable. Je crois que c’est lié essentiellement à une faiblesse de la consommation, et on nous annonce de nouveaux plans de licenciements, ce qui fait que, vraiment, il y a malheureusement, toutes raisons d’être morose.

RTL : Le chômage, dit ce matin R. Barre, est dû en partie aux mécanismes d’aide au chômage qui perpétuent l’inactivité au lieu de favoriser le retour à l’activité. Qu’en pensez-vous ?

L. Fabius : Je crois que la raison principale du chômage – il y a des raisons structurelles en France évidemment, mais il y a des raisons conjoncturelles – c’est la faiblesse de la consommation due à la masse des prélèvements qui ont été opérés sur les ménages, à la fois par la hausse des impôts et la hausse des cotisations. Il se peut qu’ici ou là, il y ait des mécanismes pervers.

RTL : Vous pensez que ça n’est pas la raison essentielle ?

L. Fabius : Je ne pense pas que ce soit la raison essentielle. Ce qui demeure, c’est qu’à chaque fois que c’est possible, c’est vraiment souhaitable dans la plupart des cas et même dans la quasi-totalité des cas, il faut que les revenus d’activités soient supérieurs à tel ou tel revenu d’inactivité. Mais le fond du problème, c’est tout de même, à la fois la faiblesse de la consommation en France, et puis toute une série de dysfonctionnements de notre marché de l’emploi.

RTL : Face aux licenciements annoncés, le PS propose de rétablir l’autorisation administrative de licenciement. Est-ce la solution quand on sait que cela risque de dissuader les embauches ?

L. Fabius : Je crois que les choses sont un peu plus compliquées. L’essentiel, c’est un soutien de l’activité économique. Si les entreprises licencient, c’est qu’il n’y a pas de marché en face.

RTL : Justement, est-ce que l’autorisation de licenciement change quelque chose ?

L. Fabius : Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut pas laisser se développer toute une série de processus de cet ordre sans qu’il y ait, d’une manière ou d’une autre, un regard des pouvoirs publics. Sinon, on va finir avec une économie française complètement exsangue. Déjà elle est en difficulté. Les modalités, on peut en discuter, mais un droit de regard des pouvoirs publics pour que les choses ne se fassent pas n’importe comment, je crois que c’est très important.

RTL : Le Gouvernement ne donne pas le coup de pouce au SMIC. F. Hollande trouve que c’est un mauvais choix sociale et économique.

L. Fabius : Il a raison, c’est une erreur économique et c’est une injustice sociale.

RTL : Vous ne craignez pas que le SMIC augmente le coût du travail ?

L. Fabius : Le SMIC, c’est 5 000 francs nets. Donc, il y a du point de vue social, quelque chose d’inacceptable à ne pas augmenter le SMIC, sauf de 0,34 %, et en plus, économiquement, c’est absurde. Je voudrais mettre bout à bout deux mesures qui sont prises : d’une part, pas d’augmentation du SMIC et au même moment on nous fait voter, à l’Assemblée nationale, un texte qui permet de déduire sans aucun frais de son revenu imposable, 500 000 francs, par personne, investis dans les parts de navires, même si ces navires ne sont pas construits en France. Alors, rapprochez les deux choses, c’est vraiment une politique d’inégalité. Socialement et économiquement, ça ne va pas.

RTL : Pour le statut des services publics, vous allez vous mobiliser ? Vous croyez que la mobilisation est possible après les grèves de décembre dernier ?

L. Fabius : Oui, nous faisons notre rôle, d’abord au Parlement et puis, plus généralement, parce que le service public, qui doit être modernisé – c’est une évidence – est aussi une des traditions de la France, quelque chose qui permet d’être efficace sur le plan économique et qui assure une égalité d’accès. Quand vous ajoutez successivement le démantèlement de France Télécom, les atteintes au statut d’EDF, les difficultés à la SNCF et ce qui point en matière de SNCF, je crois que ces deux projets s’opposent.

RTL : Est-ce qu’on peut moderniser sans changer ?

L. Fabius : Mais bien sûr qu’il faut changer, mais ça ne veut pas dire tout mettre en l’air. Or, prenez l’exemple d’EDF, les décisions qui ont été prises la semaine dernière, on ne va pas en voir les conséquences tout de suite, mais à terme, ça va vouloir dire que dans le centre de la France, vous paierez votre électricité deux ou trois fois plus cher que dans d’autres régions de France. A la fois du point de vue économique et du point de vue social, c’est quelque chose qui sera un recul. Alors, on va se mobiliser.

RTL : Est-ce que vous ne justifiez pas l’accusation d’immobilisme ?

L. Fabius : Pas du tout, il y a des modernisations à opérer. Il y a la satisfaction du client, de plus en plus grande, à rechercher. Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il faille mettre tout le service public à l’encan, or c’est ce qu’on est en train d’opérer. Et je pense que ce sera une des grandes questions qui sera posée lors des prochaines élections. Le Gouvernement ne peut pas aller aussi loin qu’il veut parce qu’il est bloqué par les élections, mais s’il y avait un succès de la droite en 1998, il est certain que tout ce qui n’a pas pu encore être privatisé, le serait.

RTL : Justement, un succès de la droite ou de la gauche en 1998, est-ce que vous affûtez déjà vos armes pour être dans une cohabitation après 1998, et de quelle sorte ?

L. Fabius : Si nous gagnons, évidemment, il y aura une cohabitation. Je ne la qualifie pas par un adjectif – certains ont dit de combat, pas de combat ! Une cohabitation existe lorsqu’on veut changer la majorité. Par rapport à un Gouvernement qui est en train, malheureusement pour le pays, d’échouer, je pense qu’il y aura une volonté de changement qui s’exprimera en 1998. Et nous sommes là pour la traduire.

RTL : Vous avez, paraît-il, l’intention de déposer un texte sur le contrat d’union sociale entre homosexuels désirant vivre ensemble.

L. Fabius : Pas seulement homosexuels, ce sont tous les couples qui, sans être mariés, veulent avoir un projet commun de vie, et effectivement je travaille sur ce texte et je vais le déposer très prochainement. Là encore, c’est le contraire de l’immobilisme. Nous sommes là pour accompagner notre siècle.