Déclarations de M. Charles Millon, ministre de la défense, en réponse à des questions sur les restructurations de la Direction des constructions navales (DCN), à l'Assemblée nationale les 11 et 26 juin 1996.

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Texte intégral

Assemblée nationale - 11 juin 1996

Réponse du ministre de la défense à une question orale de M. Jean-Marc Ayrault, député de la Loire-Atlantique

Q : Le projet de loi de programmation militaire qui a été voté en première lecture par l'Assemblée nationale va avoir à très court terme des conséquences économiques et sociales très graves, notamment sur le plan de charge des arsenaux de la marine et tout particulièrement sur l'établissement de la Direction de la construction navale d'Indret, en Loire-Atlantique.

Cherbourg La programmation retardée du quatrième sous-marin nucléaire et le renvoi à une date indéterminée de la construction d'un nouveau porte-avions vont confronter l'arsenal d'Indret à une grave rupture de son plan de charge en 1998. Pour l'heure, et en s'en tenant à la lettre de la loi de programmation, le décalage béant entre la livraison des programmes en cours et les prochaines commandes laisse présager une période critique de deux à trois ans de sous-activité pour cet établissement. Une telle rupture peut être pronostiquée de la même façon pour l'arsenal de Cherbourg.

Vous l'imaginez, l'inquiétude des personnels est très vive. En effet, que peut signifier, pour eux et pour nous, à terme, un tel trou dans le plan de charge d'un établissement comme celui d'Indret ? La très haute compétence, reconnue, en matière de propulsion nucléaire développée par cet arsenal, ne peut s'accommoder, notamment pour des raisons de maintenance de haut niveau de technicité, d'une période de sous-activité prolongée sur deux à trois ans. L'outil, lui-même, en serait compromis. Avec la sous-traitance, près de 2000 emplois sont concernés.

Est-ce donc la pérennité de ce site qui est remise en cause par les arbitrages effectués par le Gouvernement dans le cadre de son projet de loi de programmation militaire ? Pour nous, cette issue est totalement inacceptable. Il en va, pour la France, de la maîtrise d'un outil performant de production de systèmes de propulsion nucléaire, garant de l'indépendance nationale. La seule maîtrise comptable des dépenses de l'État ne peut, à elle seule, servir de doctrine militaire à notre pays.

Quelles solutions avez-vous étudiées pour éviter cette rupture dans le plan de charge du site industriel d'Indret, pour assurer sa pérennité comme site industriel et permettre d'éviter à notre pays une décadence technologique tout autant qu'un cataclysme social, particulièrement dans l'Ouest et notamment en Loire-Atlantique ?

R : Vous attirez mon attention sur l'arsenal d'Indret ainsi que sur l'avenir de la DCN, compte tenu du projet de loi de programmation militaire dont l'Assemblée à débattu et qu'elle a adopté en première lecture la semaine dernière.

Nous sommes très attachés à ce que la Direction des constructions navales conserve son avance technologique et son avance commerciale dans le monde. Notre objectif est d'en faire un lieu, une entreprise au sens général du terme, qui satisfasse les besoins nationaux et soit présente sur les marchés à l'exportation. Elle a fait l'objet d'un audit, et une concertation générale a été ouverte avec tous ses personnels, dont je voudrais saluer l'esprit d'entreprise. Le groupe de réflexion tendant à adapter la DCN aux conditions modernes a rassemblé plus de 2 000 participants.

Tout cela n'a de sens, que si, parallèlement, sont conclus des marchés entre la marine nationale et les chantiers navals. Bien évidemment. Mais il faudra aussi, je le répète, compter sur l'exportation. J'ajoute – et je dois le rappeler pour que vous compreniez notre démarche – que la DCN est en train de vivre une transformation, que je salue, avec, d'un côté, la DCN étatique qui passe commande, et, de l'autre, la DCN industrielle qui va fabriquer.

Commandes futures (4e SNLE, propulsion pour le 2e porte-avions)

La loi de programmation militaire prévoit, comme vous le savez, la commande du quatrième SNLE, les études préalables aux études de propulsion pour le deuxième porte-avions, une frégate supplémentaire pour Lorient, ainsi que l'engagement d'études pour l'exportation. Je mets à part les contrats TCD qui ont été conclus pour le chantier de Brest.

Ce n'est pas suffisant ? Je constate simplement qu'il y aura, c'est vrai, des réductions de charge, mais aucune rupture de charge. C'était une requête qu'ont présentée les responsables de la DCN et les syndicats, et je me plais à souligner qu'il y a été répondu en tenant compte de l'outil industriel. Cet outil, il convient maintenant de l'adapter, et c'est l'objet, notamment, du fonds d'adaptation industrielle, doté de 4,1 milliards, prévu par !e projet de loi de programmation que l'Assemblée a adopté en première lecture.

DCN

Ce fonds aura à accompagner le développement de la compétitivité et de la productivité de la DCN, non comme une fin en soi, mais pour conquérir un certain nombre de marchés extérieurs. À cet effet, je fais de déplacements dans divers pays pour démontrer que la DCN est capable de répondre à leurs besoins en fournitures de bâtiments. J'ai une très grande confiance dans la qualité des produits, dans la passion que les salariés de la DCN mettent à augmenter leur compétitivité et leur productivité. Je ne veux donc pas participer à ce concert de catastrophisme. Je sais que la situation est difficile, et qu'il va falloir remonter la pente. Il eût été préférable, depuis des années, sinon des décennies, de revoir le cas de la DCN pour en faire un véritable outil, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.

Le Gouvernement est décidé à tout mettre en œuvre pour que le chantier naval d'Indret, comme les autres chantiers navals, puisse non seulement satisfaire les besoins du marché national, mais aussi relever les défis de l'exportation.

Q : Je vous remercie de votre réponse, mais elle ne me satisfait pas entièrement, vous l'imaginez, parce qu'elle manque de précision. Les 1600 salariés de l'établissement d'Indret savent lire les textes, et vos propos étaient un peu sibyllins quant au plan de charge. Ils ont bien vu qu'il y aurait à un moment donné une rupture de ce plan de charge. Que va-t-il se passer ? Le bruit court ces derniers jours qu'un plan social est en cours. Ce flou crée un véritable climat d'inquiétude. Vous avez répondu indirectement sur la pérennité du site. Mais quel sera le contenu de son activité ?

Ce sont là des questions extrêmement importantes. Vous avez engagé une réforme. On peut partager ou non certains de ses aspects, certains choix stratégiques. Ce n'est pas le moment d'en parler aujourd'hui. En tout cas, vous ne pouvez pas sous-estimer – vous l'avez d'ailleurs évoqué – l'angoisse sociale qui s'installe. Je vous l'ai déjà dit en commission, il faut être clair vis-à-vis des salariés, des populations, des élus, parce que ce climat d'insécurité dû à l'incertitude ne fait qu'aggraver l'angoisse. Vous auriez tout intérêt à être précis dans vos réponses aux questions que je vous ai posées sur l'avenir du site, sur l'avenir des effectifs, sur le plan de charge. Comment va-t-on faire puisqu'on sait qu'il y aura une rupture à un moment donné ? Vous avez même parlé de plan de charge fluctuant. Tout cela n'est pas tout à fait rassurant.

R : Vous aurez des réponses extrêmement précises, ciblées, dans les jours à venir, mais des concertations sont en cours et je respecte le calendrier. Vous le savez, mon principe, depuis ma prise en charge de ce département ministériel, c'est qu'il faut d'abord un audit – la Délégation générale à l'armement l'a fait, – ensuite une concertation pour que les projets de réforme, de rénovation de redéploiement naissent d'une volonté partagée. On a donc créé des groupes de travail dans tous les établissements ; dans les semaines à venir, dès que les conclusions m'auront été transmises par M. le Délégué général à l'armement, il y aura une annonce officielle.

Bien sûr, je privilégierai les salariés de la DCN en les informant au préalable pour leur faire partager nos soucis et nos espoirs. Je transmettrai ensuite le dossier aux élus concernés avant de le faire connaître à la nation tout entière.


Assemblée nationale : 26 juin 1996

Réponse du ministre de la défense à une question orale de M. Louis le Pensec, député du Finistère

Constructions navales (réduction des effectifs)

Q : Cherbourg : 1900. Brest : 1900. Lorient : 600. Nantes-Indret : 500. Plus de 6200 emplois éradiqués dans les constructions navales, c'est-à-dire plus d'un quart des effectifs ; un cataclysme social brutal. Et je ne cite pas les chiffres de la sous-traitance, qui viendront bientôt s'ajouter à cette funeste liste. Ces chiffres, par-delà leur sécheresse, ne disent pas la somme de drames humains et de déchirures sociales dans des sites qui vivaient par l'arsenal. Ils ne disent pas non plus le gâchis des compétences et des savoir-faire, car au-delà des suppressions d'emplois ne se dessine pas une perspective de pérennisation de la construction navale française. Nous gardons la conviction que c'est une logique financière qui a présidé à l'élaboration de ce plan, et qu'il eût été possible de gérer l'affaire autrement. La loi de programmation militaire parlait d'adaptation et de modernisation de la marine ; le Gouvernement a traduit par plan de licenciements ; or licencier autant en si peu de temps est ingérable.

Monsieur le Premier ministre, que répondez-vous aux élus nombreux qui, sur le littoral, demandent le retrait et le réexamen de ce plan ? Comment entendez-vous donner corps à l'assurance formulée par le chef de l'État qu'il s'occuperait personnellement du devenir de chacun de ces sites ?

DCN (plan de restructurations et d'exportations)

R : Monsieur le député, ayez un peu de mémoire ! Il y a un an, quand j'ai pris la responsabilité de ce dossier, j'ai trouvé, d'un côté, 15 milliards de francs de recettes et, de l'autre, 22 milliards de charges ; et cette situation date de plus de quatorze ans ! Monsieur Le Pensec, je veux bien recevoir des leçons de tout le monde, mais pas de vous ! Je rappelle que nous avons le choix entre deux solutions :

– la première consiste à laisser aller, à creuser le déficit, à assurer la mort lente des chantiers navals français et à renoncer à la Direction des constructions navales, qui est l'une des - entreprises les plus performantes au monde si on en prend soin et si on s'en occupe ;
– la seconde, que nous avons choisie, consiste à tracer un plan ambitieux d'avenir pour la DCN, comportant une modification de ses structures, un plan d'exportation et de conquête des marchés, une révision du format de l'entreprise.

Je le dis clairement, les salariés n'ont pas choisi la voie de l'immobilisme, que vous voulez conserver, mais celle de la réflexion, de la concertation, de l'avenir. C'est à eux que je m'adresse car ils ont compris qu'ils pouvaient conquérir des marchés et faire de la DCN une entreprise compétitive sur le plan mondial. Je le confirme ici, il n'y aura pas de licenciements secs, il y aura prise en compte de chaque situation particulière ; mais il est indispensable, je le répète, de revoir la structure, le mode de fonctionnement et le format de la DCN si on veut lui assurer un avenir.