Interview de M. Charles Millon, ministre de la défense, à Radio France Internationale le 14 juin 1996, sur l'utilisation des GFIM pour assurer la sécurité européenne dans le cadre de la rénovation de l'OTAN et sur la notion de dissuasion concertée.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q. : Le ministre de la Défense, Charles Millon, occupait lors de la réunion de Bruxelles le siège qui était vacant depuis trente ans, depuis que le général de Gaulle avait quitté le commandement intégré en 1966. Charles Millon, vous êtes notre invité, bonjour monsieur le ministre ! Avec Frédéric Jeannot, nous allons évoquer cette rénovation de l'OTAN. Est-ce que ce rapprochement est un petit peu, en quelque sorte, le retour de l'enfant prodigue ?

R. : Pas du tout, la France ne réintègre pas, la France ne reprend pas sa place, la France ne revient pas, la France participe à la construction, à la définition d'une alliance nouvelle. Et, c'est la raison pour laquelle hier, j'ai siégé avec les quinze autres ministres de l'Alliance atlantique, car depuis la réunion de Berlin, il a été décidé de donner une seconde jeunesse à l'Alliance atlantique et de permettre, à travers une affirmation d'une identité européenne de défense, de permettre à l'Alliance atlantique d'avoir des moyens plus adaptés aux situations tels que nous les connaissons aujourd'hui.

Q. : La France n'est pas la seule à chercher depuis assez longtemps à conforter un pilier européen de défense, est-ce qu'elle y est parvenue et en quoi consiste-t-il ?

R. : Bien sûr qu'elle y est parvenue, au moins dans l'affirmation des principes et durant l'année qui va s'écouler, il va falloir mettre maintenant les dispositions pratiques en place pour qu'effectivement l'identité européenne de défense soit reconnue. Qu'est-ce que cela signifie, cela signifie qu'il sera possible de mener un certain nombre d'opérations sous le contrôle de l'Union de l'Europe occidentale (c'est un contrôle politique et militaire) en ayant recours à des moyens de l'OTAN, des soutiens matériels et militaires : c'est là en réalité la principale avancée. C'est ce qu'on appelle sous l'angle technique des groupements de forces interarmées multinationales (GFIM), ces forces seront à disposition des commandements pour pouvoir mener un certain nombre d'opérations, elles seront adaptées en fonction de ces opérations.

Q. : Le pilier européen ne pourra fonctionner que grâce aux forces de l'OTAN dont on le sait que les États-Unis fournissent la plus grosse partie. Est-ce que ce n'est pas finalement une sorte d'aveu d'impuissance de l'Europe occidentale en tant que puissance militaire ?

R. : On peut présenter les affaires comme étant des affaires sans contraintes, or ce n'est absolument pas cette démarche qu'on a prise, c'est une démarche volontaire d'explication où l'Europe pourra avoir recours à des moyens de l'OTAN pour pouvoir mener des opérations. Cela n'empêchera pas l'Europe de pouvoir continuer des opérations, si elle le souhaite, d'une manière tout à fait autonome. Elle l'a déjà fait dans l'histoire trop récente, puisqu'il y a un an, elle montait la force de réaction rapide qui était une force exhaustivement européenne, mais pour pouvoir mener des opérations d'une toute autre ampleur, elle pourra avoir recours aux moyens de l'OTAN. Il n'y a pas là d'exclusivité américaine puisqu'il y a simplement un Conseil atlantique qui décide à l'unanimité. Et dans ce Conseil atlantique, il y a les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France, la plupart des pays européens de l'Alliance atlantique, c'est alors une question de procédure, ce n'est pas une question en réalité de droit de veto, comme certains le présente.

Q. : À Bruxelles, les Américains ont laissé entendre une fois de plus de se faire déposséder de leurs prérogatives. Il y a quelque temps, on avait parlé de tactique de cheval de Troie parlant de l'attitude française vis-à-vis de l'OTAN. Est-ce que vous pensez qu'on a désamorcé cette démarche soupçonneuse des États-Unis vis-à-vis de la France ?

R. : Je crois que les États-Unis ont compris que si on voulait assurer une alliance stable qui puisse faire face à une nouvelle situation, il fallait faire confiance à ses partenaires. Il est indispensable d'avoir une Europe qui s'affirme, une identité européenne de défense qui sera reconnue et pour pouvoir avoir une identité européenne de défense, il est nécessaire de la décliner dans le cadre de l'Alliance. C'est le phénomène nouveau, c'est cette dialectique qui a été utilisée ou reconnue par la France et qui lui a permis aujourd'hui de participer au Conseil atlantique d'hier, comme de participer à un certain nombre de discussions préparatrices à la rénovation de l'Alliance atlantique.

Q. : Il y a un autre point important, monsieur le ministre, c'est le nucléaire. La France va-t-elle garder sa souveraineté sur sa force de frappe nucléaire, ou bien va-t-elle la laisser à la disposition de ses alliés ?

R. : Il n'est pas question pour la France de renoncer à son indépendance et à son autonomie en matière de dissuasion nucléaire. Par contre, la France continue de proposer à ses partenaires une démarche de dissuasion concertée, c'est-à-dire de pouvoir se concerter sur la dissuasion et permettre ainsi de garantir les intérêts vitaux de la France, mais aussi d'autres pays avec qui il y aurait eu concertation et accord. Je vous rappelle qu'il y a déjà eu avec un pays bien déterminé, c'est-à-dire la Grande-Bretagne, des discussions à ce propos, avec une nouvelle définition des intérêts vitaux qui pourraient provoquer une mise en œuvre de la force de dissuasion. Mais il n'est pas question de renoncer à notre autonomie et notre indépendance en matière de dissuasion nucléaire.

Q. : Monsieur le ministre, hier, au cours de la réunion, il a été évoqué de proposer à un certain nombre de pays tiers, notamment de l'Europe de l'Est et y compris à la Russie, d'avoir des officiers de liaison au sein de l'Alliance atlantique. Si l'Europe de l'Est et la Russie se rapprochaient ou finissaient par adhérer complètement à l'OTAN, l'Alliance atlantique ne perdrait pas toute justification géopolitique dans la mesure où il n'y a plus de confrontation Est-Ouest.

R. : C'est évident que depuis la chute du Mur de Berlin et l'effondrement de l'empire soviétique, l'Alliance atlantique a vu ses objectifs, son objet évoluer. Avant la chute du Mur de Berlin, c'était une Alliance qui garantissait la sécurité, l'indépendance, la souveraineté de ces pays qui pouvaient être menacées par des actions de l'empire soviétique. Maintenant, c'est une Alliance de sécurité collective, c'est-à-dire que l'on veille à ce qu'il n'y est pas de pays qui puisse atteindre à la sécurité des pays faisant partie de l'Alliance. Dans cette hypothèse, on comprend que l'Alliance puisse s'ouvrir à d'autres et c'est la raison pour laquelle, hier, il a été décidé de continuer les négociations (si je peux utiliser cette expression) avec les pays qui sont candidats pour rentrer dans l'Alliance atlantique, en particulier les anciens pays de l'Est.

Q. : Monsieur le ministre, cet entretien touche presque à sa fin. Nous allons peut-être quitter l'OTAN pour parler un peu plus de la France. Je pense que vous avez vu que 81 % des Français approuvent le passage à l'armée de métier, selon un sondage publié hier. Êtes-vous content de la façon dont la réforme des armées est menée ?

R. : Je crois que la réforme des armées correspond à l'analyse stratégique que l'on peut faire. Elle correspond aussi aux missions qui sont demandées à nos armées. Vous savez que les quatre grandes missions de nos armées sont la dissuasion, la prévention, la projection et la protection. On s'aperçoit que pour pouvoir assurer ces missions, il nous faut une armée qui soit efficace, en fonction des compétences accumulées, manier les techniques nouvelles. C'est tout l'objectif de l'armée professionnelle.

Se pose évidemment, avec le passage de l'armée professionnelle, l'avenir du service national. Il y a eu le grand débat qui s'est tenu en France, à l'Assemblée et au Sénat. Il a été décidé de passer à un volontariat après une période de quelques jours obligatoires, qui serait un rendez-vous citoyen. Il conviendra maintenant que la représentation nationale, le Sénat et l'Assemblée nationale, puissent décider, lors du vote d'un projet de loi portant réforme du Code du service national, du format définitif de ce service national.