Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
C'est un réel plaisir pour moi de m'exprimer devant le Conseil économique et social à l'occasion de la présentation du rapport sur la conjoncture au premier semestre, que vous avez confié à Monsieur André.
Les délais très brefs avec lesquels nous avons dû mettre en œuvre nos grandes orientations de politique économique et sociale ne nous ont pas permis de consulter votre assemblée sur nos projets de lois comme j'aurais souhaité le faire. Mais, d'une part vous avez noté que les avis de votre conseil ont trouvé un large écho dans certaines de nos propositions, d'autre part je souhaite associer votre assemblée non seulement aux prochains projets que nous présenterons - nous venons de vous transmettre le projet de loi d'orientation agricole -, mais aussi à la discussion des grandes orientations de la politique économique du gouvernement. J'aurai l'occasion d'y revenir.
Je m'exprime avec d'autant plus de plaisir devant vous, que le projet d'avis de Monsieur Roulet déborde largement du seul cadre conjoncturel pour dessiner une perspective économique pour la France et, que les axes choisis par votre rapporteur semblent faire écho aux grandes orientations de la politique économique et sociale de mon gouvernement :
- conforter la croissance ;
- enrichir le contenu en emploi de cette croissance ;
- mettre l'Europe au service de la croissance et de l'emploi ;
- assumer les indispensables solidarités.
J'ai souvent développé, depuis ma déclaration de politique générale, le triptyque « croissance plus forte, plus riche en emplois, et plus solidaire », en indiquant d'ailleurs que celui-ci structure aussi bien notre politique nationale que nos orientations européennes. Je ne peux m'empêcher de saluer la convergence entre les réflexions de votre assemblée et les grandes orientations de la politique de mon gouvernement.
Monsieur le rapporteur, puisque vous m'invitez en quelque sorte à m'inscrire à nouveau dans ce cadre, je le ferai avec plaisir.
* Conforter et pérenniser la croissance.
Notre premier objectif était de favoriser la croissance économique. Je ne prétends pas que la croissance aujourd’hui retrouvée résulte de notre seule action politique. Mais l'expérience a montré – et il n'y a d'ailleurs pas si longtemps – qu'une politique conjoncturelle inadéquate peut très facilement casser une reprise qui s'amorce, surtout lorsque celle-ci ne s'appuie, comme c'était le cas au milieu de l'année dernière, que sur la seule amélioration de la demande étrangère. Car, en dix mois, la croissance a non seulement changé de rythme ; elle a changé profondément de nature. Au premier semestre de 1997, le seul élément dynamique était les exportations ; depuis l'automne, c'est la demande intérieure, c’est-à-dire la consommation et plus récemment l'investissement, qui stimule notre croissance, alors même que la demande étrangère a nettement ralenti.
Le rythme annualisé de croissance qui s'établissait à 2,6 % au premier semestre de l'année 1997 a ainsi atteint 3,4 % au second semestre, alors même que celui de nos cinq principaux partenaires européens ralentissait de 3,3 % à 2,8 %. Cette accélération de la croissance, conjuguée aux premiers effets de notre plan emploi-jeunes a permis une baisse significative du chômage qui devrait s'accentuer au cours de 1998.
Notre politique, fondée sur la hausse du pouvoir d'achat, grâce notamment au relèvement de celui du SMIC, à la revalorisation de certaines prestations sociales et au transfert des cotisations d'assurance maladie sur la CSG, favorise le retour de la confiance et donc de la croissance. Il nous faut maintenant la rendre pérenne.
C'est en ayant à l'esprit nos priorités politiques à moyen terme que nous construisons le budget de 1999. Parce que je crois à intervention publique, je refuse un État impuissant parce qu'endetté. Consacrer une part importante des recettes fiscales, qui sont en partie prélevées sur les revenus d'activité, pour verser des intérêts, c'est faire de la redistribution à rebours, en favorisant la rente au détriment des revenus d'activité. Laisser la dette publique dériver, c'est fermer notre avenir et nous condamner à terme à l'impuissance, à cause de l'importance de la ponction ainsi opérée sur les ressources publiques. Enfin, pour retrouver les moyens d'une politique conjoncturelle active, il nous faut réduire les déficits dans une période de croissance afin de pouvoir soutenir l'activité dans une phase éventuelle de ralentissement.
En outre, en privilégiant une évolution régulière et maîtrisée des dépenses publiques, nous serons en mesure d'inscrire dans la durée nos priorités politiques en évitant les coups d'accordéon aux dépenses qui nuisent à l'efficacité des politiques structurelles. C'est ainsi que le choix que nous avons fait pour 1999 d'une progression de 1 % en termes réels des dépenses de l'état, permet à la fois de financer nos priorités et de ramener l'ensemble des déficits publics à 2,3 % du PIB.
En matière de fiscalité, la politique du gouvernement a été dictée par trois objectifs ne pas augmenter les prélèvements obligatoires, rééquilibrer les prélèvements pesant sur le travail et sur le capital, alléger la charge fiscale des ménages les plus modestes.
Pour la première fois depuis 1992, et grâce au retour de la croissance, le taux de prélèvements obligatoires va baisser en 1998 ; je suis résolu à aller plus loin dès que notre situation budgétaire le permettra : je considère en effet que notre fiscalité souffre autant de sa structure déséquilibrée que de son niveau désormais excessif.
* Mettre l'Europe au service de la croissance et l'emploi
Mettre l'Europe au service de la croissance et de l'emploi est un autre axe essentiel de notre politique comme je l'ai déjà souligné, notamment la semaine dernière à l'Assemblée Nationale en ouverture du débat sur la mise en œuvre de la 3e phase de l'union Économique et Monétaire. Depuis le sommet d'Amsterdam, nous avons en effet contribué à réorienter la construction européenne.
Comme nous le souhaitions, l'euro sera large puisque onze des quinze pays de l'Union devraient en faire partie dès le début.
Nous avons contribué à rééquilibrer l'union monétaire en développant, à côté du pôle monétaire, un pôle de politique économique indispensable à une coopération plus étroite des politiques économiques. Les discussions que nous avons poursuivies avec ténacité ont en effet abouti à la création du Conseil de l'euro, qui préfigure le « gouvernement économique » que rendra indispensable le fonctionnement de l'union monétaire. Le dialogue entre les deux pôles de la future union monétaire est, en effet, essentiel à la mise en œuvre d'une politique économique privilégiant à la fois la croissance et la stabilité monétaire en Europe.
Le sommet sur l'emploi réuni sur notre proposition à Luxembourg a mis en mouvement l'Europe sociale et contribué à inscrire l'emploi au premier rang des priorités des Européens.
C'est toujours au nom de l'emploi et de l'activité que s'agissant de la réforme de la Politique Agricole Commune, mon gouvernement a pris résolument position en faveur de la défense du modèle européen, différent de celui qui prévaut aux États-Unis, contre tout démantèlement des organisations communes de marché existantes. Il s'agit pour moi de confirmer l'importance économique de ce secteur et notre vocation exportatrice tout en affirmant la dimension territoriale et environnementale de l'agriculture. Tel est le sens du projet de loi d'orientation agricole qui vous a été soumis la semaine dernière.
* La croissance économique retrouvée n'a de sens que si elle est mise au service d'une solidarité plus forte
Nous le savons tous, le chômage a progressé de façon quasi inexorable depuis près de 25 ans. Un jeune actif sur quatre au moins connaît un chômage que les spécialistes qualifient de « récurrent ». À l'autre extrémité, des hommes et des femmes plus âgés subissent un chômage de longue durée, un chômage qui exclut.
Face à l’insuffisance quantitative et qualitative d'emplois durables, face au chômage de masse ; aujourd'hui encore installé, et aux ferments de dissolution sociale qu'il comporte, il nous fallait non seulement conforter la croissance, mais aussi agir vite et fort pour l'emploi et la solidarité. C'est ce que nous avons fait.
Tout d'abord, pour répondre à l'urgence sociale, on ne pouvait accepter de laisser sans réponse les situations d'exclusion auxquelles trop de nos compatriotes se trouvent exposés.
C'est pourquoi nous avons défini un programme pluriannuel de lutte contre les exclusions. Le projet de loi, qui sera discuté la semaine prochaine à l'Assemblée nationale et qui en concrétise les premières dispositions, est le point d'arrivée d'une réflexion dont le Conseil économique et social a été le premier initiateur. Permettez-moi donc de saisir l'occasion de ma présence ici pour saluer la mémoire du Père Joseph Wrezinski ainsi que la ténacité et l'énergie de celle qui en a poursuivi l'action, Mme Geneviève Antonioz-de Gaulle.
Revalorisation des minima sociaux concernés ; traitement des problèmes du logement, du surendettement, de l'éducation, de la culture et des loisirs ; actions d'insertion dans la vie économique des plus démunis : notre politique en la matière est globale et vise à prendre en compte les différents aspects de l'exclusion. Tout cela sera, par ailleurs, prolongé par des projets de loi spécifiques concernant l'accès aux droits et la couverture maladie universelle.
Affirmer la solidarité, est un axe majeur de notre politique, même si, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, nous refusons une société d'assistance. C'est pourquoi il nous faut donner des perspectives durables à travers des politiques actives de l'emploi.
La politique de ce gouvernement est tout entière tendue vers la reconquête de l'emploi : en favorisant la création d'emplois, d'emplois durables, d'emplois permettant à chacun d'assurer son autonomie personnelle véritable
Pour reconquérir l'emploi, nous avons mis en place sans tarder le programme « nouvelles activités, nouveaux emplois » pour les jeunes. C'est un programme ambitieux quantitativement (350 000 emplois créés avant l'an 2000, 150 000 avant la fin de cette année) et qualitativement (ces créations doivent correspondre à des projets de vraies activités nouvelles et viables et ces emplois sont souvent des emplois qualifiés).
À côté de ce dispositif, la réduction négociée du temps de travail est à mes yeux un élément central de la reconquête de l'emploi : les créations d'emplois nouveaux qu'elle autorise, s'ajoutant d'ici l'an 2000 à celles permises par la croissance, doivent conduire à une réduction significative et durable du chômage à cet horizon.
C'est la condition essentielle pour que notre pays puisse se retrouver et se raffermir. Mais, je sais bien qu'au-delà de la loi et des décrets d'application, qui la compléteront immédiatement, le dialogue entre partenaires sociaux sera déterminant pour assurer le succès de la réduction du temps de travail.
* Conduire un vrai chemin du dialogue social et pratiquer la négociation est essentiel.
Votre rapporteur le dit : « l'activité contractuelle est au ralenti ». Sans doute est-il mieux placé que je ne le suis pour en juger, mais je partage son analyse et nous ne pouvons pas plus lui que Moi, nous en réjouir. C'est particulièrement vrai, et depuis trop longtemps, dans le domaine du temps de travail.
À cet égard, il ne serait pas pertinent d'opposer l'État et ses interventions au paritarisme et ses difficultés. Le paritarisme nous est indispensable, mais il ne suffit pas de l'affirmer. Il faut aussi le faire vivre.
Je souhaite qu'en dehors de la réduction du temps de travail et des négociations qui vont bientôt s'engager sur ce sujet dans les entreprises, d'autres chantiers puissent être rapidement ouverts sur l'emploi des jeunes dans le secteur privé et sur la situation des personnes ayant commencé à travailler très tôt et ayant 40 années d'activité.
À mon sens, nous avons besoin de plus de dialogue social et nous devons à cette fin mieux utiliser les formidables instruments de concertation qui sont à notre disposition. Je voudrais conclure sur ce point.
Votre rapporteur, Monsieur André Roulet, plaide pour une relance de la procédure de planification en concertation étroite avec les partenaires sociaux. C'est précisément la mission que j'ai confiée au Commissaire au Plan, Jean-Michel Charpin. Je lui ai notamment demandé de réfléchir, en concertation avec les partenaires sociaux, sur la forme que pourrait prendre un vrai moment de mobilisation collective autour de la recherche d'une stratégie nationale de développement économique et social. Il me soumettra avant la fin juin, des propositions sur les formes que pourrait prendre un tel rendez-vous.
Votre assemblée est un lieu privilégié du débat social sur les mutations économiques et les transformations de notre société. Je souhaite donc que le gouvernement s'attache périodiquement à recueillir son avis sur les enjeux économiques auxquels notre pays est confronté. Le rendez-vous d'aujourd'hui devrait conduire à une procédure plus régulière de consultation du Conseil économique et social sur les grandes orientations de notre politique économique et sociale. J'ai demandé au ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie d'en examiner la possibilité, en liaison avec les réflexions qu'il conduit sur la rénovation de la Commission des comptes de la nation. Notre souci commun, je le sais, est de créer les conditions d'un débat plus ouvert et plus informé sur les questions économiques et les choix de politique économique, un débat qui donne toute sa place aux enjeux de société qui s'y rattachent.
Croyez que le gouvernement s'y prêtera.