Texte intégral
Discours d’ouverture du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, à Paris 9 septembre 1996
Monsieur le ministre,
Cher Jean-Louis,
Mesdames et Messieurs,
J’éprouve beaucoup de plaisir à me trouver avec vous, à l’invitation de Jean-Louis Debré pour parler des questions qui vous intéressent et qui nous concernent. Quand je viens au ministère de l’intérieur, je ressens ce que vous savez, c’est-à-dire l’autorité, le poids que représente la grande tradition de l’administration française. Naturellement, l’administration aujourd’hui est souvent décriée, sans doute parce qu’elle est très souvent sur des champs qui ne sont pas les siens. Dans les grandes administrations, dont les traditions sont multiséculaires, on retrouve des valeurs, des traditions, des comportements, un niveau qui sont l’expression de ce qu’est l’histoire de l’État français. Je le ressens naturellement tous les jours au ministère des affaires étrangères. Je le ressens aussi chez vous ce matin et je voulais vous le dire. Il m’est arrivé de visiter un jour la forêt de Tronçay, forêt absolument admirable, belle, somptueuse et qui, à cette saison, doit être merveilleuse. Je l’ai visité avec un ingénieur général des eaux et forêts, et en la visitant, cet homme a eu une phrase formidable : « c’est une forêt d’État » et il nous a dit en parlant de ces arbres, « nous les avons plantés il y a trois cents ans ».
Tout est dans le « nous » qui exprime cette permanence de l’organisation administrative française au-delà de l’histoire et quels que soient les régimes. Je crois que ce « nous », qui lui venait spontanément aux lèvres, vous pouvez l’exprimer de la même façon, comme les diplomates peuvent l’exprimer de la même façon. Je travaille sur le bureau de Vergennes, je vous rassure, ce n’est pas le bureau, car il est au mobilier national, mais c’est une copie. C’est un symbole de la permanence de la diplomatie, comme vous êtes l’incarnation dans le présent et avec les problèmes d’aujourd’hui de la permanence de l’État.
C’est vous dire que je suis heureux de me trouver devant vous et ceci témoigne, comme vient de le dire Jean-Louis Debré excellemment, de l’importance que le ministère des affaires étrangères attache aujourd’hui aux questions de sécurité. Elles sont d’ailleurs dans notre administration, regroupées désormais au sein d’une sous-direction spécifique. Celle-ci témoigne, bien entendu, de l’excellente coopération et de l’excellente collaboration qui s’est instaurée sur tous les plans entre le ministère des affaires étrangères et le ministère de l’intérieur. C’est bien. C’est d’autant meilleur qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Si j’en crois, en tout cas, ce que l’on me rapporte. Cette coopération est indispensable, je la crois vitale pour améliorer l’efficacité de l’action extérieure française dans des domaines aussi importants que la lutte contre la drogue, contre le terrorisme, contre la grande criminalité, contre toutes les menaces réelles ou potentielles qui affectent la sécurité de notre pays et ses intérêts dans le monde. Ce qui est, pour vous, une préoccupation majeure, vous devez savoir que c’est aussi pour le ministère des affaires étrangères, pour notre diplomatie, une dimension très forte de son action.
Nos deux ministères trouvent donc, là, matière à travailler ensemble, à montrer leur efficacité commune et à manifester ainsi l’unité de l’État.
Un aspect important de ce travail, de cette reconnaissance des fonctions essentielles qui sont les vôtres, c’est la réforme de votre statut, entrée en application il y a un an et qui a, je crois, marqué votre action et votre organisation. C’est d’ailleurs, si j’ai bien compris, l’un des objets essentiels de votre colloque. Votre métier s’inscrit donc totalement dans le cadre de l’action de l’État à l’étranger, qui suppose une approche interministérielle et qui exclut le cloisonnement toujours nuisible à l’efficacité de l’État et toujours menaçant dans notre structure administrative. Je rends donc hommage aux qualités et aux compétences que vous manifestez. Je rends aussi hommage au rôle que vous jouez comme tous vos collègues en poste à l’étranger pour représenter notre pays et donner de lui une image à la fois exemplaire et forte. Cela est d’autant plus remarquable que vous êtes confrontés à des missions difficiles, parfois dangereuses et qui font de vous des agents particulièrement exposés. La fonction d’attaché de police suppose aussi un très grand professionnalisme. Le bilan, que nous faisons de notre côté, de la mise en place d’attachés spécialisés dans les questions de coopération policière est à cet égard tout à fait positif. Je tiens à affirmer devant vous que votre concours est grandement apprécié par nos ambassadeurs, que je l’apprécie aussi vivement à travers les comptes rendus que je reçois de nos ambassadeurs et de vos services.
Ce constat encourageant m’amène donc à insister seulement sur trois points qui concernent directement votre mission.
Les attachés de police, d’abord, disposent désormais d’un statut diplomatique. Cela contribue à clarifier et à préciser les relations sur place avec les ambassadeurs. L’attaché de police est donc, désormais, un membre à part entière de l’équipe de l’ambassade à laquelle il est affecté. Il n’est pas seulement le représentant à l’étranger d’un ministère, d’une direction, d’un service, il est un chef de service ayant compétence générale pour s’occuper des questions touchant à la police et plus généralement à la sécurité de notre pays sans préjudice, naturellement, du rôle d’autres services spécialisés. Il travaille sous l’autorité et la direction de l’ambassadeur, unique représentant du président de la République et du gouvernement à l’étranger, en fait très exactement comme un chef de service déconcentré, le fait sous l’autorité du préfet, lorsqu’il s’agit du territoire national. Cette comparaison vaut raison. C’est ainsi que s’exprime l’unité de l’État sur le territoire, autour des préfets et l’unité de la représentation française à l’étranger et de l’action de la France dans le monde, dans nos ambassades et dans nos représentations à l’étranger.
Cette nouvelle définition s’accompagne de responsabilités accrues. D’une part, l’attaché de police dispose des mêmes informations et des mêmes moyens que les autres chefs de service et peut donc ainsi faire jouer pleinement les synergies de l’ambassade. D’autre part, il dispose du système de communication chiffré pour correspondre en toute sécurité avec le ministère de l’intérieur et les autorités gouvernementales. Enfin, il peut mettre en œuvre une véritable coopération en matière de police qui soit cohérente avec les valeurs que nous défendons et avec les orientations générales de notre politique extérieure. Il en est ainsi naturellement de la politique de coopération bilatérale conduite avec son pays de résidence par la direction des relations culturelles, scientifiques et techniques de mon ministère ou par les services de Jacques Godfrain, lequel a parlé avec beaucoup de pertinence des aspects propres à son secteur.
En un mot, l’attaché de police est désormais en mesure de jouer le rôle de conseiller de l’ambassadeur, rôle que je vous invite, Mesdames et Messieurs, à assurer pleinement et en toute certitude.
Deuxième observation, l’intégration de l’attaché de police au sein de représentations diplomatiques a été d’autant plus facilité que les administrations centrales des deux ministères unissent elles-mêmes leurs efforts avec efficacité. J’en veux pour preuve et exemple, le remarquable travail que nous avons effectué en commun, à l’occasion de la présidence française du G7, en matière de lutte contre la grande criminalité et contre le terrorisme. Ce travail a été conduit sous la responsabilité de Jean-Louis Debré et sous la mienne avec nos deux administrations.
Dernière observation : j’ai écouté tout à l’heure Jacques Godfrain en parler. Je peux donc l’évoquer d’un mot pour m’y rallier, comme l’ensemble de notre réseau diplomatique. La carte des postes d’attachés de police doit s’adapter en permanence aux exigences de notre action extérieure. Je connais la tradition administrative et son goût des situations immuables. Ce goût est évidemment un travers. Cela va de soi qu’il faut adapter notre réseau diplomatique en permanence. Le fait que nos administrations, la vôtre et celle que je dirige, soient des administrations ayant derrière elles de très longues traditions que j’évoquais tout à l’heure, ne doit pas les empêcher, bien au contraire, d’être en permanente évolution pour tenir compte, derrière les objectifs qui souvent subsistent, des situations qui évoluent. C’est ce que doit faire en tout cas notre diplomatie. Dans le cadre du comité interministériel des moyens extérieurs de l’État qu’évoquait tout à l’heure Jean-Louis Debré, nous sommes en train de réviser, prudemment et modérément, bien sûr, la carte diplomatique française.
Nous sommes, par exemple, surreprésentés en terme consulaire sur le territoire européen et sous-représentés dans le monde émergeant de l’Asie. Nous sommes attachés à de vieilles représentations : pour le consulat à Florence, naturellement, les candidats au poste sont nombreux. C’est extrêmement sympathique et je ne méconnais pas toute l’histoire puissante des relations entre la France et l’Italie. Je parle de ce consulat mais aussi celui de Venise, encore plus convoité. Mais j’ai du mal à penser qu’à l’heure des moyens qui galopent en terme de communication, à l’heure de la télécopie, il soit bien raisonnable d’avoir la charge de représentations consulaires dans de belles villes européennes pendant que, dans le monde d’un milliard deux cents millions d’habitants de la Chine, nous n’avons qu’un consulat et une ambassade. C’est-à-dire des moyens en réalité très faibles, qui nous rendent, dans ce monde mystérieux, quasi aveugles. Je dis aveugle car dans votre métier, il s’agit de voir et d’écouter. Je pense que vous aussi, plus que d’autres encore, vous avez cette tâche d’adapter votre mission à l’évolution des temps. Jean-Louis Debré l’évoquait à l’instant. Je ne peux que souscrire à ce devoir impératif. Nous ne pouvons pas maintenir des structures obsolètes mais coûteuses, qui, dans le monde où nous sommes, où l’argent public est rare et sera de plus en plus rare. Si nous les maintenons, nous nous rendons incapables d’être présents sur les autres fronts où, au contraire, l’évolution du monde nous appelle d’urgence.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais dire ici même. Je me réjouis vraiment d’être là. Je remercie Jean-Louis Debré de m’avoir invité, j’y suis extrêmement sensible. Je crois, en effet, que nos deux administrations, qui ont, séparément, une histoire très ancienne et très forte, une tradition très haute, nous conduisent à travailler désormais, de façon très étroitement associée, dans le domaine qui est le vôtre, dès lors qu’il s’agit d’une action extérieure.
Notre coopération doit s’exercer sur le terrain, comme je vous l’ai dit. Elle doit s’organiser au niveau national, c’est ce qui se passe. Je crois que cette intimité entre nos deux structures, intimité que j’espère très franchement chaleureuse, est le gage que nous remplissons et que nous remplirons toujours bien la mission qui nous est confiée. Ainsi, au service de la France, nous ferons ce que nous avons à faire. Merci.
Date : 9 septembre 1996
Discours d’ouverture du ministre délégué à la coopération, M. Jacques Godfrain, à Paris
Je tiens à apporter, dans cette circonstance un peu solennelle, une contribution sur trois messages qui sous-tendent la politique que le Premier ministre m’a, dans sa lettre de mission, confié le soin de mener à bien. Tout d’abord, je voudrais très brièvement retracer l’histoire d’une action que nous avons réussie ensemble.
Cette politique réussie, vous le savez, c’est celle de l’installation en Afrique de l’État de droit. Il y a 10 ans, trois ans avant la chute du Mur de Berlin, ont été systématisés dans les pays « du champ » l’équipement de la police et la formation au maintien de l’ordre républicain, en partant de l’idée simple et juste qu’il n’y aurait pas d’État de droit sans police capable de jouer son rôle, conformément aux impératifs de la démocratie. Depuis 1986, nous avons mis en place, dans presque tous les pays d’Afrique, une quarantaine de projets FAC pour un montant total de près de 300 MF. Nos partenaires rencontreront forcément des difficultés. Mais il est légitime d’espérer que le mouvement de démocratisation est irréversible. Nous ne baisserons donc pas pour autant la garde. Il suffit pour s’en convaincre, de constater que nous avons en cours 18 autres projets FAC en matière de sécurité publique, pour un montant de 143 MF. C’est le prix à payer pour la sauvegarde de la démocratie grâce à l’action que le STIM mène sur le terrain.
Le deuxième message que je voudrais vous adresser concerne nos priorités actuelles, au nombre de trois. D’abord, la lutte contre les grands trafics et la corruption. Deuxièmement, la sécurité des personnes et des biens. Enfin, la lutte contre l’immigration clandestine. Il s’agit de politiques de longue haleine difficiles à mettre en œuvre, et dont le succès ne peut être que relatif. La lutte contre les grands trafics et contre la corruption impliquera un grand nombre d’acteurs, d’organisations internationales, que nous aidons chacune pour plusieurs millions de francs. Cette action vous concerne, à la fois comme attachés de police chargés de défendre les intérêts de la France, et comme responsables de la coopération chargés d’aider nos amis africains. En plus des crédits FAC, j’ai dégagé 10 MF pour les premières actions que nous mettons en place, aussi bien en Afrique que dans les Caraïbes, pour protéger les départements français d’Amérique.
La sécurité des personnes et des biens est la composante indispensable du développement durable. C’est pourtant dans ce domaine que notre coopération est la plus ingrate, car les projections démographiques montrent qu’en Afrique, l’explosion urbaine dans les trente prochaines années sera sans commune mesure avec la croissance éventuelle de nos moyens.
La lutte contre l’immigration clandestine est le meilleur exemple de la nécessaire complémentarité entre le rôle de l’attaché de police et le rôle de la coopération technique. Je prendrai comme exemple le FAC-sécurité que nous venons de mettre en place au Mali. Sa composante majeure consiste à donner à la police malienne de l’air et des frontières, les moyens de contrôler réellement la validité des visas. Cela constituera à l’évidence l’épreuve de vérité de notre coopération avec ce pays. Je réponds là à des instructions formelles du Premier ministre et du ministre des affaires étrangères. Je vais aller à Bamako et dans l’arrière-pays malien à la fin du mois et, quelles que soient les difficultés, je ne doute pas de convaincre nos interlocuteurs que la politique généreuse, amicale, ferme, que nous leur proposons, est la seule possible et la seule sauvegarde, aussi bien de leurs intérêts que de leur dignité.
Je voudrais ajouter que c’est, à mon sens, la seule qui préserve aussi nos intérêts durables.
Pour conclure sur un troisième et dernier message, je voudrais vous dire que je me félicite de l’adoption de votre nouveau statut d’attaché de police. Cela témoigne de la volonté du gouvernement de montrer toute l’ampleur de votre rôle qui, englobant dans les pays du champ la traditionnelle coopération technique, va au-delà et contribue à la sécurité intérieure de notre pays. Dans cet esprit, j’ai donné instruction à mes services de redéployer les emplois d’assistants techniques pour accueillir, à mesure des renouvellements, les agents du STIP sur des postes de la coopération, cela, afin que le STIP puisse, sur ses propres emplois, développer son action en dehors des pays du champ.
Dans les pays du champ, nous sommes trois ministres et trois administrations à concourir au même but, à consacrer notre volonté, notre foi, nos moyens, au succès des mêmes ardentes obligations que nous a fixées le Premier ministre. Cela implique certainement de notre part un effort de clarification et de coordination sans lequel il n’y a pas de grande politique possible.
Sachez que, pour ma part, je ne négligerai aucun effort, car il y va de l’intérêt de l’Afrique et du rôle de la France.