Texte intégral
Date : lundi 2 mars 1998
Source : France Inter – Édition du soir
France Inter : A propos du plan de rattrapage scolaire en Seine-Saint-Denis, présenté aujourd’hui par S. Royal et C. Allègre.
C. Allègre : On propose un plan pluriannuel qui comprend à la fois des mesures d’urgence et, deuxièmement, un plan sur cinq ans qui va rattraper les retards qu’avait la Seine-Saint-Denis et permettre son développement. Cela comprend la mise en place tout de suite d’un réseau d’éducation prioritaire ; cela comprend des postes d’enseignants, de médecins scolaires, d’infirmières, d’aide-éducateurs. Cela comprend beaucoup d’emplois-jeunes supplémentaires ; cela comprend également la nomination d’un nouvel inspecteur d’académie supplémentaire et d’une aide accrue aux établissements. Et puis, la décision de faire de la Seine-Saint-Denis un lieu d’expérimentation pédagogique, de permettre une modulation des services des enseignants, de manière à améliorer cette situation.
Date : lundi 2 mars 1998
Source : Europe 1 – Édition du soir
Europe 1 : A propos du plan de rattrapage scolaire en Seine-Saint-Denis, présenté aujourd’hui par S. Royal et C. Allègre.
C. Allègre : C’est un plan de rattrapage avec deux parties : un plan d’urgence et beaucoup de postes – postes d’enseignants, postes d’emplois-jeunes, postes d’environnement sanitaires, postes d’administratifs et de techniciens. Beaucoup de moyens aussi, d’installations de nouvelles technologies, et d’autre part une discussion d’un plan pluriannuel avec les élus et les responsables de la Seine-Saint-Denis.
Europe 1 : Il y a des problèmes avec les emplois jeunes également dans ce département. Les postes ne sont pas tous pourvus ?
C. Allègre : Absolument et donc nous avons décidé de permettre d’étendre les emplois-jeunes jusqu’à 28 ans. Et en plus, je répète que les emplois-jeunes ne sont pas obligatoires bac+2. C’est de bac à bac+2. Donc ceux qui ont le bac peuvent légitimement être candidats aux emplois-jeunes.
Europe 1 : Est-ce que vous répondez réellement à la demande du rectorat et de l’inspecteur de l’académie ?
C. Allègre : Oui, du rectorat et de l’inspection de l’académie. On répond au-delà parce qu’on met plus de postes que ce qu’ils en réclamaient. Maintenant est-ce qu’on répond aux besoins ? Je vous le dirai dans un an et demi.?
Date : 19 mars 1998
Source : L’Humanité
L’Humanité : Constatant la gravité de la situation de l’enseignement en Seine-Saint-Denis, vous avez annoncé des mesures d’urgence. Mais les enseignants et les parents trouvent que ça ne fait pas le compte…
C. Allègre : En effet, durant quatre ans, rien n’a été fait pour ce département. Or je considère que la Seine-Saint-Denis est le département socialement le plus défavorisé. Il doit faire l’objet d’un effort particulier. Il est un peu décourageant qu’un tel mouvement se développe au moment où les problèmes sont réellement pris en compte.
Revenons sur la démarche du ministère. Nous avons dans un premier temps identifié les problèmes avec la mission confiée au recteur Fortier et à Catherine Mills. Nous avons immédiatement mis en place l’essentiel des recommandations qu’ils avaient formulés. En urgence, 200 emplois ont été débloqués, dont 1000 heures d’enseignement (soit l’équivalent de 60 postes), le nombre des emplois-jeunes affectés au département sera doublé à la rentrée prochaine, ce qui portera l’effectif à 3 500. La limite d’âge de recrutement des emplois-jeunes a été repoussée à vingt-huit ans pour que l’ensemble des postes soit pourvu. Par ailleurs dix établissements supplémentaires sont classés en ZEP. Ils constituent des « têtes de réseau » d’éducation prioritaire. Il faut obtenir que la Seine-Saint-Denis rejoigne progressivement le pourcentage national d’enfants scolarisés à deux ans en maternelle. La scolarisation précoce est en effet un élément capital dans la prévention de l’échec scolaire.
Au-delà de ces mesures immédiates, je propose à tous les partenaires du système éducatif l’établissement d’un plan pluriannuel de développement. Autre exemple, il faut faire de la Seine-Saint-Denis un département prioritaire pour l’utilisation des nouvelles technologies à l’école.
L’Humanité : L’administration prévoit plus de suppression de postes que de créations dans les collèges…
C. Allègre : Des maladresses ont été commises. Il a été envisagé dans un premier temps d’étaler sur deux ans l’affectation des 1 000 heures d’enseignement supplémentaires. Mais cela est corrigé. Les mesures de carte scolaire seront revues très rapidement. Et, en Seine-Saint-Denis, je souhaite qu’à terme les classes fonctionnent avec 18 élèves. Des modulations d’horaires doivent également être introduites pour permettre une prise en charge diversifiée des élèves. Afin de tenir compte de la difficulté de la tâche des enseignants, nous ouvrons des discussions pour que des avantages de carrière leur soient dévolus pour stabiliser les équipes.
L’Humanité : Mais alors, comment expliquez-vous la persistance du mécontentement ?
C. Allègre : Parce que l’espoir renaît pour l’enseignement en Seine-Saint-Denis, l’abattement fait place à la revendication.
Mais que puis-je faire de plus dans l’immédiat ? Ce que je donne en Seine-Saint-Denis, il me faut le prendre ailleurs.
Par contre, il faut que nous nous mettions ensemble au travail pour préciser les termes du contrat pluriannuel. Des négociations sont ouvertes. Au début de mai, un plan pluriannuel et un calendrier de mise en œuvre seront arrêtés. Ils constitueront un véritable engagement contractuel. Dès hier, des binômes, choisis parmi des proviseurs et des inspecteurs, ont été constitués. Ils se rendent dans les établissements scolaires. Dans les deux semaines qui viennent, ils vont écouter les équipes éducatives de soixante-dix collèges, expertiser la situation de chaque établissement. Dès la rentrée, nous ouvrons également trois sections supplémentaires de BTS. Mais, dans le cadre du plan pluriannuel, une mise à plat de la carte des formations professionnelles sera réalisée. Il faut en effet proposer aux élèves des formations qui leur conviennent et leur permettent de trouver des stages en entreprises.
Je souhaite désormais que le dialogue se noue. Si nous réussissons ensemble à renverser la vapeur, le pays peut trouver dans ce département des sources d’énergie formidables. N’est-ce pas bien souvent dans ces banlieues que naissent des mouvements innovants ?
L’Humanité : La sécurité dans les établissements scolaires est un sujet d’inquiétude pour les parents en Seine-Saint-Denis.
Qu’envisagez-vous ?
C. Allègre : C’est un des thèmes de l’audit entamé dans les établissements. Mais les problèmes de sécurité concernent également les universités de Villetaneuse et de Saint-Denis qui subissent l’intrusion de bandes – liées à la drogue. Il faut sans doute revoir la législation sur les armes, qui circulent trop librement, presque banalement. Enfin, je veux me pencher sur les rapports entre la violence et la télévision, ou encore les jeux-vidéos. Je recevrai prochainement des réalisateurs pour examiner ces problèmes.
Date : 10 mars 1998
Source : Europe 1 – Édition du matin
J.-P. Elkabbach : Les lycées de Seine-Saint-Denis, fermés pour cause de déchaînement de violence, vont ouvrir aujourd’hui, avec l’inquiétude maintenue des parents, des enseignants, des élèves qui vont manifester demain. Dans ces établissements, on découvre de plus en plus des armes, c’est vrai ?
C. Allègre : « On découvre, ici ou là, des armes. C’est exact. Et je crois que nous devons être extrêmement fermes sur ce problème de violence. Nous avons fait un plan violence. Il donne déjà des résultats dans beaucoup d’endroits, dans les endroits les plus durs. Il est peut-être encore insuffisant. Mais je crois que l’école, d’une part, doit être un havre de paix, cela doit être un lieu où il n’y a pas de violence, à ce sujet, j’ai écrit hier au Garde des Sceaux pour lui demander de faire en sorte que les actes de violence dans les établissements scolaires, et notamment ceux dont les enseignants sont les victimes, soient très sévèrement punis. La deuxième chose que je voudrais dire, c’est que la société doit lutter contre la violence. Moi, je crois qu’il faut maintenant prendre une loi beaucoup plus stricte contre la détention d’armes, contrôler cela, punir sévèrement ceux qui détiennent des armes. Il est anormal que des enfants de quinze ans aient des fusils à pompe, comme on l’a vu récemment dans un fait divers. Et puis, peut-être qu’il va falloir briser les tabous et s’attaquer au problème de la violence dans les films et à la télévision. Alors je sais que le CSA… »
J.-P. Elkabbach : Cela, c’est l’argument classique…
C. Allègre : « Non, non, ce n’est pas l’argument classique… »
J.-P. Elkabbach : …qui est ni tout à fait vrai, ni tout à fait convaincant et efficace, les films et la télé !
C. Allègre : « Je ne crois pas que ce soit l’argument classique et je voudrais vous dire, il y a quelques années, quelqu’un que je connais de très près a fait une enquête du temps où il y avait une seule chaine de télévision et où il y avait des émissions de violence. Et ces enquêtes à ce moment-là, il n’y avait pas de discussion, elles étaient absolument définitives là-dessus. Je pense qu’il faut arrêter, sous le prétexte multiple, et moi je suis pour la créativité et tout cela, mais voir à partir de 21 heures des films sans arrêt, où on passe son temps à tuer des gens à coup de révolver, cela finit par donner des idées malsaine et on essaie de les traduire dans la vie, sauf qu’on les traduit avec un vrai révolver. »
J.-P. Elkabbach : Cela, c’est un grand débat permanent, mais on revient si vous voulez…
C. Allègre : « Non, il n’est pas permanent, je m’excuse, je crois qu’il… »
J.-P. Elkabbach : …parce qu’on ne peut pas dire qu’à l’époque où il n’y avait pas de télé du tout, il n’y avait pas d’effet de la télé sur la violence sociale ?
C. Allègre : « Non, je ne pense pas que ce soit la télé, ce n’est pas la télé… »
J.-P. Elkabbach : …c’est le cinéma, les films ?
C. Allègre : « …c’est le fait qu’il y ait une rétroaction permanente. Si vous voulez, le cinéma n’est pas la cause, le cinéma traduit la vie et il rétroagit sur la vie. Je crois qu’il faut mettre un terme à un certain nombre d’abus dans ce domaine. »
J.-P. Elkabbach : En revenant au concret, vous avez dit que le plan violence commence à avoir des résultats…
C. Allègre : « Mais c’est très concret, cela ! »
J.-P. Elkabbach : …mais qu’il y aura la nécessité d’aller plus loin. Est-ce que cela veut dire qu’il peut y avoir des renforts pour avoir un peu plus d’ordre autour des lycées, je ne dis pas dans les lycées. Est-ce qu’il est exclu, comme on l’entend chuchoter par-ci, par-là, que dans les établissements des quartiers les plus menacés, vous ayez recours, même momentanément, à des militaires ?
C. Allègre : « Je crois qu’il faut dans certains établissements empêcher que des bandes venant de l’extérieur de l’établissement viennent menacer les élèves, le personnel et les enseignants. Et il faudra prendre les mesures qu’il faudra. Moi, j’ai demandé, par exemple, au ministre de l’Intérieur de protéger les universités de Villetaneuse et de Saint-Denis qui étaient l’objet d’intrusions de bandes qui terrorisaient les étudiants. »
J.-P. Elkabbach : Donc vous n’excluez rien ?
C. Allègre : « Je crois que la violence doit être extirpée avec la plus grande énergie. Je crois que la cause de la violence bien sûr, c’est la détresse, c’est le chômage et tout cela. Mais lorsqu’il y a une guerre en Bosnie, on ne commence pas par dire « ah cette guerre, c’est dû à des dizaines d’années, des centaines d’années de frustration », on commence à y mettre fin. Je crois que c’est la même chose. La violence pour moi, c’est une guerre interne et il faut y mettre fin. »
J.-P. Elkabbach : Votre ami Lionel Jospin, homme de gauche, déterminé, insoupçonnable, n’est-il pas choqué que, lui à Matignon, avec un gouvernement qu’il dirige, le Front national arrive à séduire encore près de 4 millions d’électeurs ?
C. Allègre : « Nous sommes tous choqués. Nous sommes extrêmement choqués mais nous avons un résultat d’années et d’années de dégradation de la vie politique. Je crois qu’il faut bien dire une chose : c’est que le Front national n’est pas un parti comme les autres. Et à ce sujet, pas plus qu’il n’est reçu par le Président de la République, je ne sais pas s’il doit être reçu pendant trois quart d’heure ou une demi-heure dans tel ou tel média pour lui donner la parole. Je m’interroge beaucoup parce que le jour où il sera trop tard, il sera trop tard. »
J.-P. Elkabbach : Est-ce que c’est vrai que dans les lycées, il y a de plus en plus de profs qui se revendiquent Front national ? Et est-ce qu’il y a des effets des élections régionales sur certains lycées dans certaines régions ?
C. Allègre : « Sur le premier point, je n’ai pas à vous répondre parce que l’opinion politique des enseignants ne concerne pas le ministre de l’Éducation nationale, et je ne fais pas d’enquêtes politiques. Sur le deuxième point, oui, il y aura des tensions parce que dans certaines régions, comme le Languedoc Roussillon, il y a une négociation pour permettre aux élus du Front national d’être présents dans les conseils d’administration des lycées. Étant élu de cette région, je sais que lorsque les conseils d’administration se réuniront, des gens refuseront d’avoir des gens du Front national. Je pense que le Front national porte des idées qui sont à combattre totalement. Les idées de racisme, de xénophobie, d’ultranationalisme sont des idées dont on sait où elles ont mené les pays qui les ont adoptées. »
J.-P. Elkabbach : Alors que fait le ministre de l’Éducation nationale dans ce cas ?
C. Allègre : « Le ministre de l’Éducation nationale dans ce cas va, pour l’instant, faire faire un petit livre sur le racisme qui sera distribué dans tous les établissements scolaires. Il va organiser un concours de rédaction auprès des élèves sur le sujet du racisme dans lequel je sais que beaucoup de médias participeront et qui sera primé. Il va faire son travail d’éducateur. Éradiquer le racisme, éradiquer les idées mêmes du Front national, car c’est cela la véritable lutte contre le Front national. Par-delà la modernisation de la vie politique, par-delà la réforme des modes de scrutin absolument nécessaire, il faut aussi combattre et d’abord combattre les idées. »
J.-P. Elkabbach : Il y aura un référendum bientôt sur les changements institutionnels ?
C. Allègre : « Je ne suis pas Président de la République. Ce n’est pas moi qui décide des réformes. »
J.-P. Elkabbach : Mais vous êtes l’ami du Premier ministre, et vous êtes un politique.
C. Allègre : « Je ne sais pas. Je peux vous dire simplement que nous n’avons pas attendu le Président de la République pour proposer une modernisation de la vie politique. Nous sommes en train de proposer une réforme du cumul des mandats, nous proposerons une réforme du scrutin régional, du scrutin des sénatoriales et par conséquent, ceci est conforme à la vision que L. Jospin a donnée, c’est-à-dire faire de la politique autrement. »
J.-P. Elkabbach : La cohabitation ne va pas subir le contrecoup de mars 1998 ? Faut-il se préparer à des tensions, des fâcheries nouvelles ?
C. Allègre : « Si vous êtes objectif, vous avez vu, en politique internationale, le Gouvernement et le Président de la République défendre les mêmes idées. J’ai cru comprendre que par rapport au Front national, ils avaient des idées voisines. Pourquoi voudriez-vous parler de tensions ? »
J.-P. Elkabbach : J’allais oublier : L. Jospin va procéder à un remaniement. C. Allègre et S. Royal restent là où ils sont, bien sûr ?
C. Allègre : « Oui, je crois bien, oui. »
J.-P. Elkabbach : Il y aura beaucoup de nouveaux ?
C. Allègre : « Vous le verrez. »
J.-P. Elkabbach : Quand ? Demain ? Aujourd’hui ?
C. Allègre : « Dans les jours qui viennent. »