Texte intégral
Commissariat de l’armée de terre (alimentation et achats concurrentiels)
Q. : La lutte contre le chômage est notre priorité. Pour y parvenir, il faut bien entendu favoriser la création de nouveaux emplois, mais aussi et surtout assurer le maintien des emplois existants. Le Gouvernement demande aux entreprises de s'atteler à ces tâches ; elles le font, au prix d'efforts parfois importants, et je les en félicite. Toutefois, les efforts consentis par les entreprises ne peuvent suffire, à eux seuls, à résoudre le problème de l'emploi. M. le président de la République a indiqué que cette action incombait au Gouvernement, qui, grâce aux relais que constituent ses administrations, apparaît comme le plus important employeur de France. L'administration, en effet, fait vivre non seulement ceux qu'elle emploie, mais également ceux qui travaillent pour elle, à savoir ses fournisseurs. Dès lors, chaque commande, chaque achat et chaque livraison effectués, quelle que soit leur importance, constituent des remèdes en faveur de l'emploi.
J'ai récemment été interpellé, par un conserveur de mon département. Son entreprise vendait chaque année à l'armée soixante-seize tonnes de conserves de blancs de poireaux faisant vivre ainsi vingt et un producteurs locaux. En janvier dernier, l'armée n'a pas renouvelé sa commande, au motif que les tarifs pratiqués par cette entreprise étaient trop élevés. L'armée continue certes à en acheter. Elle les achète d'ailleurs à une entreprise française. Sachez toutefois que cette entreprise a délocalisé ses unités de production en Espagne et qu'ainsi les salariés qu'elle emploie et les producteurs à qui elle s'adresse sont espagnols. Force est, dès lors, d'en conclure que l'armée ne participe pas à l'effort national en faveur de l'emploi.
La situation ainsi créée dans ma région est aujourd'hui inacceptable tant pour le transformeur qui aura des difficultés à maintenir la totalité de ses emplois que pour les producteurs qui ont vu leurs contrats modifiés à la baisse. Je sais bien qu'au-delà d'un certain écart de prix les organismes d'achat de l'État ont entière liberté pour acquérir au meilleur prix. Mais les économies ainsi réalisées ne sont-elles pas illusoires ? En effet, outre que certains achats de biens importés décidés sur des critères de prix ne se réalisent pas toujours – des asperges du Pérou ont été refusées par le contrôle de l'armée en raison de leur qualité défectueuse – la perte de ces emplois en France génère probablement un coût supérieur aux économies recherchées.
Je souhaite vivement qu'il soit mis fin à cette situation pour le moins navrante. Si notre agriculture et ses transformeurs ne peuvent plus compter sur l'administration pour faire face aux problèmes difficiles auxquels ils sont confrontés, vers qui devront-ils désormais se tourner ? Pouvez-vous me donner quelques apaisements sur cet important problème, qui rejoint beaucoup d'autres du même genre ?
R. : Monsieur le sénateur, le ministère de la défense a une conscience aiguë de l'incidence des achats publics sur le maintien de l'emploi en France. Il partage avec les autres administrations le souci de respecter les règles de la transparence et de la libre concurrence qui gouvernent la commande publique.
Vous m'interrogez sur un cas très précis qui a déjà donné lieu à un certain nombre de débats au sein d'autres assemblées. Jusqu'en 1994, ce sont en effet les services décentralisés du commissariat de l'armée de terre qui passaient les commandes. Le légumier-conserveur de votre département auquel vous faites référence a ainsi pu accéder aux commandes auprès des grossistes locaux. En 1994, pour des raisons d'efficacité et d'économie, il a été décidé de réaliser cet approvisionnement à l'échelon central mais cette décision n'a pas empêché ce même fournisseur d'être choisi pour une livraison importante. Il l'a d'ailleurs lui-même souligné à plusieurs reprises.
En 1995, à la suite de la concurrence plus forte d'une autre entreprise française, l'ancien titulaire du marché n'a pu conserver celui-ci. Il s'agissait donc d'une concurrence franco-française sur le marché français. Il est exact que le nouveau titulaire du marché a remis à l'armée de terre des conserves fabriquées en Espagne, ce qui a suscité un certain nombre de remarques.
Toutefois, vous le savez, rien dans le code des marchés publics, ni dans la jurisprudence, ne permettrait d'écarter ce fournisseur français, d'autant que, je vous le rappelle, l'Espagne fait partie de l'Union européenne. Je tiens cependant à insister sur le fait que les acheteurs du ministère de la défense ont été sensibilisés au problème que vous avez évoqué et que, dans le respect de la légalité, ils ont réduit de manière significative la part des fabrications étrangères dans les commandes militaires.
S'agissant des conserves de légumes, le commissariat de l'armée de terre maintient à moins de 3 % la part de fabrication effectuée hors du territoire national, Union européenne comprise. Vous comprendrez, monsieur le sénateur, que les services du ministère de la Défense mettent tout en œuvre pour que préservation de l'emploi et commande publique puissent se décliner de manière harmonieuse et que, dans le cadre des marchés publics, qu'ils soient français ou européens, les entreprises françaises puissent fournir nos forces armées. Sachez que je ferai procéder, comme vous l'avez souhaité, à une vérification très minutieuse.