Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à France-Inter le 19 avril et à RTL le 30 avril 1996, sur la situation au Sud Liban, la politique arabe de la France, le rapport sur l'immigration clandestine, les consignes de vote du Front national notamment de refus de faire élire un candidat de la majorité.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France Inter - RTL

Texte intégral

France Inter - vendredi 19 avril 1996

A. Ardisson : La situation s'aggrave au Sud-Liban ; en Egypte, des touristes ont été massacrés. Faut-il s'entremettre comme tente de le faire la diplomatie française ?

J.-M. Le Pen : Les événements montrent bien les limites très étroites de l'offensive diplomatique de J. CHIRAC qui est allé au Liban, en quelque sorte apporter la protection de la France à ce malheureux peuple, à la fois occupé par les Syriens, bombardé par les Israéliens, et dans une situation tragique. Mais il faut savoir que tous les événements qui se produisent dans ce pays retentissent non seulement dans l'ensemble du monde arabe, mais dans l'ensemble de l'opinion musulmane mondiale. Et par conséquence, ce qui est en train de se mettre en place, c'est une guerre interminable que ne résoudra certainement pas le processus de paix actuel entre ARAFAT et le Gouvernement israélien.

A. Ardisson : Même si les Américains se fâchent très fort ?

J.-M. Le Pen : Oh, les Américains ont des responsabilités écrasantes dans l'évolution de la situation. Ce qui s'est produit, ce qu'on pourrait appeler les tragiques noces de Cana, où on a transformé l'eau en sang, sont de la responsabilité au moins égale des Américains. Les Américains n'ont jamais été très regardant quand il s'agit de bombarder les populations civiles, ni de les affamer comme en Irak, où sont morts, je le rappelle, plus de 600 000 enfants depuis 1990, affamés par le blocus. Eh bien, au Liban, c'est la même chose. Dans toute cette région, les Américains, qui sont de surcroît en période électorale, les Israéliens, qui sont de surcroît en période électorale, doivent montrer les uns leur appui inconditionnel à Israël et les autres leur fermeté à l'égard du monde arabe.

A. Ardisson : Et l'affirmation très gaulliste d'une politique arabe de la France ?

J.-M. Le Pen : Pour avoir une grande politique diplomatique, il faut d'abord être indépendant. Et il ne faut pas être à la remorque des États-Unis comme l'est le Gouvernement français depuis tant d'années. Et il faut avoir une force, ce n'est pas au moment où l'on démantèle l'année française sous prétexte de modification des équilibres, de modernisation, que l'on représente une force politique et militaire. Il y a une raison, J. CHIRAC pourrait faire quelque chose, c'est prendre des initiatives. Il pourrait par exemple interrompre unilatéralement le blocus de l'Irak. Il pourrait. On aurait, là, alors, une politique française ...

A. Ardisson : On en revient toujours à l'Irak.

J.-M. Le Pen : Non. Mais tout se tient. C'est parce qu'en Irak le crime est particulièrement ignoble, parce qu'il est hypocrite et commis par des gens qui ont toujours la main sur le cœur et qui ne parlent que d'humanitarisme, de bonté et de charité internationale.

A. Ardisson : Quelle est votre position sur le rapport Sauvaigo ? Il est insuffisant ?

J.-M. Le Pen : Oui, évidemment, c'est une poussière de petites mesures qui traduisent d'ailleurs l'angoisse des parlementaires face aux élections de 1998, où ils s'attendent évidemment au pire, et ils ont bien raison de le faire. C'est aussi parce que la pression de l'opinion ne cesse de monter contre le phénomène global de l'immigration. Il ne faut pas se faire d'illusions. Ce rapport, et d'ailleurs en général les autorités françaises, ne parle que de l'immigration clandestine. Mais l'immigration clandestine, c'est la bouteille d'eau qui fait déborder la piscine. Si l'immigration clandestine est actuellement plus sensible, c'est parce qu'il y a une masse d'immigrés de plusieurs millions qui s'est accumulée dans le pays, qui coûte 300 milliards par an et dont la présence devient de moins en moins supportable parce que les éléments marginaux de cette immigration, laissée libre d'agir, il faut bien le dire, commettent des crimes, agressent les pouvoirs publics, les services publics, la police, etc.

A. Ardisson : A vos yeux, la lutte contre l'immigration clandestine n'est pas une priorité, un préalable à l'intégration en douceur d'une population déjà implantée en France ?

J.-M. Le Pen : Mais il n'y pas d'intégration en douceur. Il faut envisager de résoudre le problème global de l'immigration. Et ce ne sont pas les mesurettes de Mme SAUVAIGO, mesurettes qu'elle préconise. Ce qui ne veut pas dire, du reste, que le Gouvernement les adoptera et que ça réglera la situation. Il faut rétablir les contrôles aux frontières, modifier le code de la nationalité, et il faudrait couper les pompes aspirantes de l'immigration que représente l'égalitarisme social. Un cas précis : nous sommes en plein débat de cette affaire et le Gouvernement se trouve en face d'une situation qui est celle des réfugiés de Saint-Ambroise, des immigrés clandestins. Or le chef du Gouvernement a promis qu'il s'engageait à régler la situation, à les admettre en France, non pas en bloc mais cas par cas, ce qui revient exactement au même. Ceci prouve l'impuissance du pouvoir face à ce problème comme, du reste, en général, face à tous les problèmes.

A. Ardisson : Si nous étions les seuls dans le monde à avoir des problèmes d'immigration ! Mais il y a une poussée migratoire très forte, vous le dites vous-mêmes en expliquant les mesures à prendre, par cette poussée de la pauvreté.

J.-M. Le Pen : Ce n'est pas la pauvreté mais c'est d'abord et avant tout la poussée démographique du Tiers-Monde dans le sens de l'augmentation et la poussée démographique de l'ancien monde de l'écroulement. Il est évident que tout cela était prévisible et que nous l'avions prévu depuis un quart de siècle, que nous le répétons, que nous tirons la sonnette d'alarme, en disant : « Il va y avoir là le problème le plus important pour le monde dans les décennies qui viennent ». Nous n'avons pas été entendus et les politiciens ont pratiqué la politique du chien crevé au fil de l'eau. On a laissé rentrer les gens bien que, je le rappelle, en 1974, dès le premier million de chômeurs français, on avait affirmé que la politique d'immigration était terminée. Or, en dehors de l'immigration clandestine, on laisse rentrer, en immigration légale, plus de 100 000 personnes par an, et en 1995, on naturalisé 126 000 personnes. C'est donc un phénomène global. Ce n'est pas seulement les Maliens de Saint-Ambroise qui ne sont, en quelque sorte, que l'arbre qui cache la forêt.

A. Ardisson : Samedi dernier, à La Mutualité, vous avez célébré, à votre façon, les 1 500 ans du baptême de CLOVIS et vous avez eu des propos très violents contre les hommes politiques français. Je dis ceci car, ces derniers temps, vous nous aviez habitué à un style plus soft et vous les avez invités «  ... à partir pacifiquement pendant qu'il était encore temps ... ». Ça veut dire que vous prévoyez une insurrection ?

J.-M. Le Pen : Non, mais je prévois un bouleversement politique consécutif à ces désordres immenses et surtout à cette impuissance des gouvernements, de droite comme de gauche. Mais quand on fait une mauvaise analyse, qu'on refuse de prendre en compte les éléments de cette analyse, il n'y a aucune chance que l'on puisse dégager les éléments d'une solution.

 

RTL - mardi 30 avril 1996

M. Cotta : L'Église dénonce la confusion très grave et le scandale du soutien de l'abbé PIERRE aux thèses négationnistes sur l'ampleur de l'extermination des Juifs. Quel est votre commentaire sur les propos de l'abbé PIERRE réitéré hier dans Libération ? Ça vous étonne venant de sa part ou ce qui vous étonne est-ce tout le tracas qu'on lui fait ?

J.-M. Le Pen : Je me dispenserais de répondre à cette question. Depuis la loi Gayssot, elle est frappée d'un véritable interdit, d'une véritable censure. Et pour ma part, j'ai déjà donné, ça m'a coûté 140 millions de centimes d'avoir émis l'idée que « les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire de la guerre ». Vous comprendrez donc que je ne veux pas entrer dans ce débat piégé.

M. Cotta : Vous maintenez « le détail » ?

J.-M. Le Pen : C'est évident voyons, bien sûr que je le maintiens ! Un détail, c'est une partie. Reconnaître que les chambres à gaz, dont je ne niais pas l'existence, étaient un détail de la guerre c'est... Il y a eu 50 millions de morts pendant la guerre, dont mon père du reste. J'accorde plus d'importance à ce qui m'est arrivé à moi, comme tout le monde le fait. Quant à l'Église, ça n'est pas la première fois qu'elle émet des dogmes en matière extra religieuse. Elle s'était déjà opposée sur la question de la terre à un certain Galilée, en affirmant qu'elle ne tournait pas.

M. Cotta : On peut dire que le débat a eu lieu sur le nombre des morts ou sur le fait que l'on n'a pas retrouvé d'ordre écrit d'HITLER sur la Shoah mais le débat n'a pas contribué à remettre en question le fait même.

J.-M. Le Pen : Ce débat est soumis à une véritable censure intellectuelle. Je ne veux pas y participer. J'épargnerai au moins mon argent.

M. Cotta : Anniversaire de la première année à l'Élysée de J. CHIRAC. Comment caractériseriez-vous ce premier bilan ?

J.-M. Le Pen : « Desinit in piscem », ça se termine en queue de poisson. J. CHIRAC avait fait beaucoup de promesses mais les électeurs français sont habitués à voir les promesses qu'on leur fait trahies. Ça ne les empêche pas, semble-t-il, de revoter pour les mêmes. C'est donc à eux de se regarder dans le miroir ce matin, premier anniversaire de l'élection de CHIRAC, et voir s'ils n'ont pas de cornes qui leur poussent sur le front.

M. Cotta : A. JUPPE semble aujourd'hui plutôt sorti renforcé des épreuves. Les taux d'intérêt ont baissé, le franc s'est apprécié. Peut-on parler de redressement ?

J.-M. Le Pen : Venez demain écouter mon discours place de l'Opéra, je donnerai la liste des entreprises qui ont 1 milliard au moins de pertes, des entreprises françaises. Il doit y en avoir une quinzaine ou une vingtaine.

M. Cotta : Pas de redressement ?

J.-M. Le Pen : Je ne crois pas. Il y a du redressement certainement dans les commentaires de certains journaux favorables ou dans les sondages que l'on commande aux instituts.

M. Cotta : Et quand J. CHIRAC demande un effort draconien pour diminuer les dépenses publiques c'est une bonne chose ?

J.-M. Le Pen : Je n'ai pas pu m'empêcher de rire quand j'ai entendu J. PERRIMOND annoncer cela. Un État qui va diminuer, on va demander des comptes, sou par sou, de l'argent des contribuables ! Je pense qu'au moins le contribuable ça va le faire rire. Ça sera au moins cela de gagné pour ce qui le concerne.

M. Cotta : Lors de la conférence de presse organisée le 25 avril en vue du défilé du 1er mai, B. MEGRET a évoqué le rapport sur l'immigration. Il dit : « Ce sera une reculade car la majorité ne l'appliquera pas ». Pensez-vous que ce rapport ne va pas être appliqué ?

J.-M. Le Pen : L'Assemblée nationale recèle à la fois la légitimité populaire et la volonté nationale. A peine s'était-elle exprimée sur l'immigration que le Gouvernement donnait l'ordre aux préfets de régulariser la situation de 110 clandestins sur 140 pour commencer. Nul ne doute que les autres seront dans ce cas, sauf peut-être, un arrière-petit-fils de Turco de la Guerre 14-18, de Verdun. Celui-là, peut-être, sera expulsé compte tenu de ses antécédents.

M. Cotta : Certaines des idées du Front National passent dans la majorité, ça vous réjouit ou ça vous irrite ?

J.-M. Le Pen : Ce que je vois, c'est qu'elles passent dans le pays enfin et j'espère qu'elles passeront encore beaucoup plus avant qu'il ne soit trop tard. Car tout le monde sait qu'il s'agit là du problème le plus important, essentiel, capital, celui dont dépend l'avenir de notre pays et probablement sa sécurité et sa liberté.

M. Cotta : Un sondage publié la semaine dernière sur le Front national dans Le Point, montre que le FN obtiendrait un score équivalent aujourd'hui à celui des législatives de 1993 et que la capacité de nuisance du FN à l'égard de la droite classique reste intacte et même renforcée. Ça vous conforte dans votre stratégie anti-majoritaire ?

J.-M. Le Pen : Je ne me fie pas beaucoup aux sondages.

M. Cotta : Même quand ils vous sont favorables ?

J.-M. Le Pen : Non, même quand ils me sont favorables. Je crains ceux qui me font des cadeaux. Mais en revanche, je suis très attentif à l'enseignement des élections partielles. Je cite la dernière, celle de Rouen, où le candidat du FN est passé de 13 à 21 %. C'était exactement le même pourcentage à Lunéville il y a quelques jours. Ça a été le cas dans d'autres villes, comme Sète. Je crois donc que la situation, pour le FN, pour la France, hélas, c'est autre chose, mais pour le FN la situation est bonne.

M. Cotta : Vous avez suggéré à certains de vos électeurs de préférer le candidat du PS à un candidat de la majorité. Est-ce une tactique purement locale ou envisagez-vous d'en faire une stratégie nationale pour les futures élections de 1998 ?

J.-M. Le Pen : C'est une stratégie nationale. En 1988, pour éviter qu'il y ait une majorité socialiste à l'Assemblée, le FN a fait voter pour le RPR et l'UDF et il en a été payé d'outrages et de persécutions. Ceci ne se reproduira pas !

M. Cotta : Et dans le cas de Sylvia BASSOT ?

J.-M. Le Pen : S. BASSOT, que je ne connais pas, sans hostilité particulière à son égard, c'est une attitude générale. La majorité s'est réjouie de l'élection de S. BASSOT. Elle n'a pas remarqué qu'elle n'avait perdu que 10 points.

M. Cotta : Vous pensez que votre capacité de nuisance effectivement est intacte et que vous allez en profiter ?

J.-M. Le Pen : De nuisance pour mes adversaires mais d'excellence pour le pays.

M. Cotta : Les élections prochaines, vous pensez que vous arriverez à faire battre la majorité ?

J.-M. Le Pen : Je suis certain de cela car je pense que ça ira, hélas, de mal en pis et que ce sont les électeurs qui fusilleront la majorité.

M. Cotta : Au profit de qui ?

J.-M. Le Pen : J'espère au profit du FN car c'est la seule chance, à mon avis, que ce pays ait de s'arracher à cette décadence mortelle.

M. Cotta : Pour le 1er mai, vous prévoyez la manifestation, désormais traditionnelle, du FN. Prendrez-vous toutes les précautions pour que ne se reproduise pas une bavure, même en dehors de votre cortège ?

J.-M. Le Pen : Ce n'est pas à moi de prendre des précautions sur la voie publique, c'est au préfet de Paris. C'était lui qui était responsable. Il est vrai qu'il n'avait mis que 1 400 policiers lors de la dernière manifestation, qui ont été à vingt mètres, parfaitement incapables d'éviter ce qui s'est produit et qui n'est pas le fait du FN.