Texte intégral
Le Figaro. – Lionel Jospin invoque la cohésion de la majorité pour convaincre les élus d'approuver la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Êtes-vous sensible à l'argument ?
Roger Gérard Schwartzenberg. – Je préférerais qu'il ne l'utilise pas. Évitons de dramatiser le vote du congrès, d'autant plus que la majorité aura naturellement tendance à faire bloc derrière le gouvernement si l'opposition s'unit pour le mettre en échec. Mais la réforme de la justice mérite mieux qu'un affrontement fondé sur le clivage gauche-droite. Élisabeth Guigou a d'ailleurs fait la preuve de sa volonté de dialogue et de concertation avec l'ensemble des élus.
Le Figaro. – Cette concertation avec la Garde des Sceaux vous a-t-elle permis d'obtenir satisfaction ?
La réforme constitutionnelle me paraît positive. Le texte prévoit que le ministre de la justice sera obligé de se plier à l'avis du CSM en ce qui concerne la nomination des magistrats du parquet. Actuellement, il n'est pas contraint de le suivre. Élisabeth Guigou le fait, mais son prédécesseur, Jacques Toubon, est presque toujours passé outre. Le gouvernement ne fera plus la carrière des juges et c'est très bien. À deux conditions : que ce changement n'entraîne pas un affaiblissement de l'autorité hiérarchique du ministre, et qu'en contrepartie de cette indépendance nouvelle la responsabilité des juges soit accrue.
Le Figaro. – Deux conditions qui, selon vous, ne sont pas remplies ?
On a un peu l'impression que la réforme de la justice a été passée à la tronçonneuse. Elle est devenue une sorte de kit, au détriment de la cohérence de l'ensemble des trois volets qui la composent.
Le Figaro. – C'est précisément ce que lui reproche Jacques Chirac…
Sauf que la responsabilité principale de la situation actuelle n'incombe pas au gouvernement ! Le morcellement de la réforme est d'abord la conséquence de la complexité des procédures législatives : pour réviser le système dans sa globalité, il fallait une loi constitutionnelle, une loi organique et une loi ordinaire. Ensuite, Jacques Chirac a mis beaucoup trop longtemps à convoquer le Parlement en congrès. S'il avait fait début janvier au lieu d'attendre l'automne, la lisibilité aurait été meilleure.
Le Figaro. – Avez-vous encore un espoir d'être entendu par Élisabeth Guigou sur le renforcement de la responsabilité des juges ?
J'ai déjà demandé et obtenu qu'elle fasse connaître avant le congrès l'avant-projet de loi organique relative au statut et à la responsabilité des magistrats, et que le gouvernement l'inscrive en première lecture à l'Assemblée nationale avant la deuxième lecture de la loi sur les liens chancellerie-parquet.
Le Figaro. – Cela vous suffit ?
Je continue à trouver regrettable que le Garde des Sceaux s'interdise de donner des instructions dans les affaires individuelles. Sauf, bien sûr, quand elles concernent les élus, pour éviter la stratégie « Himalaya » chère à Jacques Toubon (1). Il me semble également indispensable que le non-respect des directives ministérielles soit sanctionné, pour garantir la cohérence de l'action publique en matière de justice et l'égalité des citoyens devant la loi. Un procureur totalement libre pourra par exemple, en fonction de ses convictions, décider de ne pas poursuivre les auteurs de délit d'entrave à l'IVG, ou encore les auteurs de délits racistes.
Le Figaro. – Que ferez-vous si Élisabeth Guigou ne modifie pas ses projets dans ce sens ?
Elle m'a déjà dit qu'elle était prête à aller dans cette direction. Je dois la revoir avant la réunion du congrès, le 24 janvier. Le vote des radicaux de gauche dépendra des garanties qu'elle me donnera.
(1) Jacques Toubon, ministre de la justice, avait envoyé un hélicoptère survoler l'Himalaya pour retrouver le procureur Davenas, adepte du trekking et seul susceptible d'interrompre la procédure en cours contre Xavière Tiberi dans l'affaire du conseil général de l'Essonne.