Texte intégral
Q. : Où en sont les contacts pour organiser une nouvelle conférence de paix sur le Moyen-Orient après l’appel de l’Égypte et de la France à ce sujet ?
R. : Nous sommes en train de travailler. Quand je dis « nous », il s’agit des Égyptiens, des Français et, également, de l’ensemble des pays arabes intéressés, des Européens, des Russes et des Américains.
Je voudrais rappeler, brièvement, la façon dont cette idée a été mise sur la table. Le président Moubarak est venu à Paris pour une visite d’État. Il a rencontré le président Chirac et ils se sont dit, comme M. Moussa et moi même, qu’il n’était pas possible de rester passif devant l’éventualité d’un échec des efforts américains. Nous soutenons ces efforts. L’engagement des États-Unis au cours des derniers mois était indispensable et tout à fait méritoire et Mme Albright a fait, comme conciliateur, un travail tout à fait remarquable. Nous ne sommes pas sûrs que cela aboutisse. Si cela aboutit, nous serons les premiers à nous réjouir, naturellement, et nous verrons, à ce moment-là, comment consolider ces résultats et aller plus loin. Mais si cela n’aboutit pas – ce n’est pas impossible – la situation sera encore plus grave qu’elle n’est aujourd’hui. On voit bien que les tensions remontent, que tous les mécanismes de négociations et de solutions sont bloqués. Donc, il n’y a pas de perspective d’avenir. C’est une situation dans laquelle nous ne voulons pas rester. L’échec serait trop grave, les conséquences seraient trop considérables, sur trop de plans. Les présidents Chirac et Moubarak ont donc décidé qu’il fallait envisager sans attendre, face à cette situation, la façon de recommencer le travail. Mais, en même temps, nous tenons beaucoup à ce que cela ne gêne pas les efforts américains actuels et, au contraire, les complète et les renforce. Le résultat de cette réflexion était de lancer un appel à une réunion, à un sommet, à une conférence de tous les pays qui ne se résignent pas à l’asphyxie du processus de paix ou, comme l’a dit le président, à la mort programmée du processus de paix. Le sommet concerne donc les pays qui veulent sauver la paix, les sauveurs de la paix.
Nous pensons que c’est un peu compliqué de réunir dans un premier temps, à la fois les pays de bonne volonté qui peuvent être des pays arabes, des Européens, des Occidentaux, la Russie, d’autres membres du Conseil de sécurité… – la liste de départ n’est pas fermée, elle est ouverte – et les protagonistes directs d’un processus qui est bloqué, c’est-à-dire Israël, les Palestiniens, les Syriens et les Libanais. Il ne faut oublier aucun volet et pour nous, les dimensions syrienne et libanaise sont toujours extrêmement importantes.
Voilà l’idée qui a été lancée par les deux présidents. Dans un premier temps, une réunion de tous les pays de bonne volonté qui saisiraient ensuite, dans un second temps, les protagonistes des conclusions qu’ils auraient adoptées, étant entendu que nous rappellerons les principes fondamentaux qui sont ceux des Accords d’Oslo, du processus de Madrid et de tous les accords qui ont été conclus depuis. Il faut, à partir de ces principes fondamentaux, reconstruire la paix.
Depuis que l’idée a été lancée, nous en avons discuté et nous sommes dans une phase de concertation et de discussion avec nos différents partenaires pour voir comment on peut préciser cette idée et quelles sont les conditions opportunes pour la faire avancer. Pour le moment, naturellement, nous soutenons les efforts américains. Leur initiative est toujours sur la table.
Q. : Les Américains sont-ils favorables à votre initiative ? Sont-ils convaincus ? Et quelle est la réponse américaine ?
R. : Pour le moment, les choses sont évolutives et ouvertes à la discussion parce que nous n’avons pas mis sur la table un projet complètement arrêté. Les Américains nous ont dit qu’ils n’étaient pas contre cette idée, mais qu’ils sont, en ce moment, concentrés sur leurs propres efforts. Mme Albright était encore au téléphone avec le Président Arafat il y a deux ou trois jours. Ils sont donc engagés dans leurs propres efforts. Et je répète que s’ils obtiennent un résultat positif, nous serons les premiers à marquer notre satisfaction et à réfléchir à la manière dont on peut consolider cette étape, pour aller plus loin. Voilà la réaction des États-Unis. Les Européens sont évidemment intéressés. Les autorités égyptiennes ont donné beaucoup d’explications aux autres pays arabes ; le président de la République a parlé au roi du Maroc et il rentre du Liban où il y a eu de nombreuses conversations à ce sujet, ainsi que moi-même qui l’accompagnait.
Q. : Quelle sera la différence entre cette conférence et celle de Madrid ?
R. : L’idée que nous avons mise en avant était ouverte. Il ne faut pas avoir une approche formaliste. Il ne faut pas comparer à ceci ou à cela. Il faut se dire des choses simples. Si les efforts américains aboutissent, tant mieux et, à ce moment-là, il faudra se demander comment aller plus loin. Sinon, il faut que tous ceux qui sont de bonne volonté et ne se résignent pas, rassemblent leurs forces. Sous quelle forme exacte ? Avec quels participants ? Quel programme ? L’idée est de relancer une dynamique.
Q. : À votre avis, une conférence va-t-elle être efficace ?
R. : Cela dépend du contexte. Ce que je sais c’est que si les efforts américains, malheureusement, n’aboutissaient pas, il faudrait reprendre l’effort sous une autre forme et l’idée qui a été lancée par les présidents Chirac et Moubarak, permettrait, je crois, à ceux qui veulent faire quelque chose quand même.
Q. : Israël a demandé récemment l’intervention de la France auprès de la Syrie et du Liban, pour qu’ils acceptent les dernières propositions israéliennes sur le retrait du Sud-Liban. Comment la France va-t-elle réagir ?
R. : Le retrait israélien du Sud-Liban est demandé par la résolution 425 qui date de 1978. La France ne peut pas se substituer aux protagonistes directs. Elle ne peut pas se substituer aux protagonistes israéliens, libanais, syriens pour traiter le problème au fond à leur place. Ce que peut faire la France, qui est un pays qui a un dialogue politique avec chacun des pays intéressés, c’est informer les uns et les autres, transmettre des indications, transmettre des messages et donner aux uns et aux autres son point de vue. Les Israéliens ont fait certaines déclarations qui expriment quand même un changement sur l’application de résolution 425. Mais nous disons que les Israéliens posent des conditions qui ne figurent pas dans la résolution 425 dans laquelle il n’y a pas de conditions. D’autre part, nous pensons aussi que pour pouvoir aboutir à une situation stable et à une vraie amélioration qui consolide la situation dans l’ensemble de la région, il faut prendre en compte l’ensemble des éléments et, donc, le volet syrien. Dans cette phase-là, nous ne pouvons pas nous substituer aux intéressés eux-mêmes.
Q. : Mais les propositions israéliennes sont-elles suffisantes pour rendre possible un retrait du Sud-Liban ?
R. : Encore une fois, ce n’est pas nous qui sommes directement concernés. Cela ne se passe pas sur notre territoire. Nous sommes l’ami des uns et des autres. Nous écoutons les uns et les autres et nous constatons que les Libanais disent que les conditions proposées ne sont pas suffisantes, même s’ils reconnaissent qu’il y a un changement de ton, qu’il y a des termes qui n’étaient pas employés auparavant. On ne peut pas dire qu’il n’y ait aucun changement. Est-ce suffisant pour régler le problème ? Pour le moment, il ne me semble pas. La question n’est pas fermée, mais il faut la traiter avec beaucoup de sérieux et en prendre en compte tous les éléments.
Q. : Auparavant, il y avait un projet pour un déploiement de forces internationales et de forces françaises au sud du Liban. Ce projet existe-t-il toujours ?
R. : Il ne s’agit pas de projets différents. Dans l’hypothèse où les Israéliens, les Libanais, les Syriens se mettent d’accord et demandent à la France d’apporter sa garantie à l’accord signé, y compris en envoyant des troupes sur place, le président de la République a déjà annoncé l’an dernier – il vient de le reconfirmer à Beyrouth – que la France serait disponible. Mais ce n’est pas une solution qui se substitue à l’autre. On ne peut pas faire l’accord à la place des intéressés. La France exprime donc une disponibilité pour l’avenir.
La France a joué un très grand rôle pour la mise en place du Groupe de surveillance des Accords d’avril 1996, qui n’est pas en mesure de régler le problème au fond mais qui s’occupe du cessez-le-feu et où, déjà, se rencontrent pour travailler les Israéliens, les Libanais et les Syriens. S’il y a un véritable accord sur le fond, la France, naturellement, examinera la possibilité, en effet, d’aller plus loin.
Q. : Je reviens sur la conférence de paix. Est-ce qu’il y a une date prévue ? Un lieu ?
R. : Le lieu serait vraisemblablement Paris. Quant à la date, elle n’est pas encore fixée. C’est une contribution à la recherche d’une solution et selon le cas, selon le contexte, selon l’évolution des contacts et des discussions en cours, ce projet sera immédiatement nécessaire ou utile, au contraire, plutôt dans quelques semaines. On ne peut pas le dire aujourd’hui. L’idée c’est que nous ne voulons pas nous retrouver, avec le Proche-Orient, dans une situation où il n’y aurait plus aucune dynamique possible pour la recherche de la paix, parce que tout ce qui se passe dans cette région nous préoccupe énormément. C’est l’expression de l’attachement de la France à cette région.
Q. : Je voudrais évoquer les essais nucléaires indiens et pakistanais. Quelle est la proposition française pour contribuer à la stabilisation de l’Asie du Sud ? Ne craignez-vous pas que l’exemple indo-pakistanais soit suivi par d’autres pays dans la région ?
R. : Je ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup de pays qui soient dans la situation de l’Inde et du Pakistan avec des programmes nucléaires très avancés et poursuivis depuis très longtemps – je pense aux premiers essais nucléaires indiens qui ont eu lieu en 1974. Nous avons en tout cas regretté naturellement les essais et ce mouvement qui était lancé par les Indiens. Nous l’avons déploré, nous l’avons condamné, nous avons dit que cela allait à contre-courant des efforts mondiaux pour l’arrêt des essais et le contrôle de la prolifération. Cela a créé une situation dont il faut absolument reprendre le contrôle.
Il faut distinguer deux choses pour travailler utilement. Les cinq membres permanents se réunissent, mercredi soir à Genève, au niveau des ministres des Affaires étrangères. Il faut rechercher comment reprendre le contrôle de la situation, comment rétablir la crédibilité du régime de non- prolifération, comment consolider pour retrouver la stabilité qui a prévalu depuis maintenant de très longues années. Cela est l’une des deux urgences. L’autre urgence est la question particulière des relations entre l’Inde et le Pakistan. Là, il faut savoir ce qui peut être fait d’urgence pour arrêter cette tension, obtenir une désescalade, créer des mesures de confiance.