Texte intégral
L'année qui vient de s'écouler a apporté une preuve nouvelle que la politique économique et sociale dépend moins des idéologies et des théories, quelques séduisantes qu'elles puissent être, que la pression des faits et du poids des réalités.
Au lendemain de l'élection présidentielle, les incertitudes qui avaient pu naître des débats électoraux se sont rapidement dissipées. Les orientations majeures définies par le président de la République et mises en oeuvre par le nouveau gouvernement ont assuré la continuité de la politique monétaire et financière de stabilité que la France, comme ses grands partenaires occidentaux, mène depuis plusieurs années ; l'engagement de la France à l'égard de l'Union économique et monétaire et de la monnaie unique a été solennellement confirmé !
Réduire les déficits
Alors fut décidé l'effort douloureux, mais indispensable, de réduction des déficits budgétaires et sociaux, dont l'accélération était devenue préoccupante. La France ne pouvait continuer à s'endetter aussi massivement sans avoir à subir une perte de confiance sur les marchés internationaux dommageable pour sa monnaie et une hausse des taux d'intérêt décourageant une activité économique déjà hésitante. La baisse massive des taux d'intérêt à court terme préconisé par certains milieux économiques et politiques pour stimuler la croissance n'aurait eu d'autre effet que de réveiller les anticipations inflationnistes et de provoquer une hausse des taux d'intérêt à long terme pernicieuse pour l'investissement et pour les finances publiques. Avec une prudence tenace, la Banque de France a géré progressivement la baisse des taux en tenant compte de l'évolution des taux allemands ; elle a pu en fin de compte obtenir que les taux d'intérêt français se trouvent à l'heure actuelle à leur plus bas niveau depuis 1987. Le succès de la politique monétaire a été renforcé par la politique budgétaire rigoureuse adoptée par le Gouvernement. L'aventure de « l'autre politique » avait été ainsi évitée.
Réformer la Sécurité Sociale
Le Gouvernement a, par ailleurs, engagé la réforme de la Sécurité sociale. En dépit des remous provoqués par ses projets, le Premier ministre a fait prendre les ordonnances qui définissent les nouvelles conditions de fonctionnement du système. Il aura fallu certes procéder à des hausses de cotisations et à des emprunts massifs pour combler les trous du passé. Le retour à un équilibre durable dépendra du respect des nouvelles disciplines qui ont été introduites. Mais je doute que l'on puisse renoncer à faire appel à la responsabilité et à la participation des assurés sociaux eux-mêmes. La maîtrise des dépenses sociales ne dépend pas seulement d'une meilleure gestion hospitalière, d'un comportement plus attentif des professionnels de la santé, d'un élargissement du financement, mais aussi de la modération des bénéficiaires des prestations ; la multiplication des actes médicaux, l'abondance des médicaments, l'utilisation abusive de certains soins ne constituent pas pour eux une garantie de soins efficaces, mais menacent à terme le système de protection sociale lui-même.
Remettre en ordre les finances publiques
La remise en ordre des finances publiques et sociales, si elle est poursuivie avec vigueur, permettra à la France de satisfaire aux conditions de réalisation de la 3e phase de l'Union économique et monétaire au 1er janvier 1999. La raison qui justifie cette remise en ordre est d'abord nationale, mais elle sert en même temps la politique européenne de la France. Il est bon que ce soit le président de la République lui-même qui ait, devant le Parlement de Westminster, souligné les avantages que la France voit à l'instauration de la monnaie unique et invité les Anglais à rejoindre leurs partenaires continentaux. Il reste maintenant à la France à satisfaire, dans les deux prochaines années, aux critères de convergence fixés par le Traité de Maastricht. Ce n'est pas impossible.
Ainsi, tout ce qui avait été depuis tant de mois dit et écrit sur les méfaits de la « pensée unique », sur l'impuissance définitive des plans de redressement de la Sécurité sociale, sur l'urgence d'une stimulation de la croissance, sur l'abomination du Traité de Maastricht et sur le choix de la servitude monétaire que représentait la création d'une monnaie européenne, tout ce qui avait enflammé les joutes électorales et les prestations médiatiques, tout ce beau feu s'est éteint : seules quelques flammèches témoignent encore ici ou là de la survivance de « l'exception française » …
Moins qu'aux retours de flammes, c'est à la suite qu'il convient désormais de porter attention : la politique est un art tout d'exécution. Le budget de 1997 sera un test des chances de succès de l'action réformatrice entreprise. Les problèmes sont considérables, la résistance aux changements puissante. Mentalités et comportements ne s'adaptent pas rapidement, surtout quand il s'agit de traiter un problème de société : la remise en question de l'État providence. Substituer à une protection sociale généralisée et indifférenciée une protection sociale bénéficiant en priorité aux moins favorisés, tel est en fait l'enjeu d'une politique qui entend mettre un terme à l'explosion des dépenses publiques et sociales et qui a pour but de les réduire toutes les fois que la responsabilité individuelle peut et doit s'exercer à la place de l'assistance illimitée de l'État.
L'indispensable réforme fiscale
La réduction des dépenses est la condition de la réforme fiscale, ardemment désirée par les Français. La lourdeur des prélèvements obligatoires est devenue si intolérable qu'il est psychologiquement et économiquement souhaitable d'amorcer sans délai un allègement des impôts.
Le rapport établi par le groupe de travail présidé par M. de la Martinière apporte de très utiles suggestions et recommandations. Je me réjouis de constater que les propositions que j'ai formulées depuis dix ans ne sont plus tenues pour irréalistes ou inapplicables. Il est vrai qu'il serait aujourd'hui difficile à un gouvernement de ne rien faire. Il importe donc que, dès 1997, un allègement de l'impôt sur le revenu soit réalisé, notamment en faveur des revenus moyens et des revenus des « entreprenants ». Ne cherchant pas dans la baisse de l'impôt sur le revenu un fonds de commerce électoral ou médiatique, je préconise un allègement plus significatif que substantiel pour 1997. Mais il est indispensable qu'il soit réalisé et que, d'ici l'an 2000, la France dispose d'un système fiscal moderne, simplifié et incitatif.
Ce résultat ne sera effectif que si la diminution des dépenses publiques permet une réduction du déficit budgétaire. Tous les Français devraient lire le remarquable « Rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire » sur le bureau des assemblées : ils y verraient comment la France, aujourd'hui, finance par l'emprunt des dépenses de fonctionnement qui ne cessent de croître aux dépens de l'investissement. Cela ne peut plus durer.
L'emploi ne souffrira-t-il pas d'une politique économique et financière orientée à une modération de la dépense ? On aura pu remarquer qu'à la Conférence ministérielle de l'OCDE, qui vient de se tenir à Paris, tous les gouvernements représentés, quelle que soit leur couleur politique, ont mis l'accent sur la nécessité de revenir à une croissance durable par l'adoption de politiques budgétaires plus strictes. Après la Grande-Bretagne, l'Allemagne fédérale, la Suède, l'Autriche s'attaquent aux excès de la dépense publique et de « l'État de bien-être ».
La croissance et l'emploi
Une conception nouvelle remplace le Keynésianisme des années 30, souvent appliqué de façon inadaptée dans les décennies d'après-guerre. La stimulation de la croissance ne peut plus dépendre d'une augmentation des dépenses publiques financée par l'emprunt, dont les limites sont atteintes. Elle résultera d'une politique de stabilité monétaire et financière fondée sur des taux d'intérêt relativement bas favorables aux investissements, sur une réduction des dépenses publiques de fonctionnement et sur une diminution des prélèvements obligatoires ; ainsi se créera un climat de stabilité et de confiance, qui encourage l'esprit d'entreprise et qui laisse aux agents économiques le choix d'affecter librement leurs ressources à la consommation et à l'investissement au lieu de s'en remettre aux décisions de l'État.
La croissance de l'activité économique favorisera l'emploi mais elle le fera d'autant plus que les rigidités structurelles du marché du travail seront assouplies. Certaines dispositions, d'ordre légal ou conventionnel, constituent un frein à l'embauche lorsqu'elles déterminent des niveaux de rémunération supérieurs à la productivité du travail ou lorsqu'elles accroissent fortement le coût des ajustements. La protection des salariés est nécessaire, mais l'excès de protection engendre, de la part des entreprises, le refus d'employer, donc le chômage. Ce n'est pas en subventionnant l'emploi que l'on compensera durablement l'effet négatif des rigidités. La subvention suscite un emploi précaire ; l'emploi durable est celui que l'employeur crée parce qu'il le juge incontestablement utile à son activité dans le climat de compétition où il vit. Tout le reste n'est qu'artifice temporaire.
Faut-il recourir à de nouvelles recettes ? La réduction de la durée de travail ne peut-elle contribuer à limiter le chômage ? Cette idée revient à la mode et on oublie les échecs constatés dans le passé ou dans certains pays étrangers. Distinguons l'aménagement de la durée du travail au sein d'une entreprise de la réduction générale de la durée du travail dans l'économie.
Distinguons aussi la réduction de la durée du travail avec diminution de salaire ou à salaire inchangé. Un certain nombre d'entreprises peuvent, si elles ont la possibilité d'aménager la durée du travail de leur personnel (par exemple sur l'année), obtenir de ce fait des accroissements de productivité qui permettent de maintenir les salaires et/ou de créer de nouveaux emplois. Ce qui susciterait a beaucoup d'entre elles des difficultés serait d'imposer par la loi une réduction uniforme de la durée du travail. Laissons les entreprises négocier avec leur personnel en fonction de leurs intérêts respectifs !
Évitons les incitations fiscales ou autres, qui risquent de conduire à des situations dépourvues de justification économique. Finissons-en avec le dirigisme de l'emploi, qui est probablement une des causes du chômage.
L'économie connaît « l'éternel retour » de certains thèmes et de certaines illusions. L'opinion s'y laisse souvent prendre jusqu'à ce que vienne le jour du règlement des comptes. Mieux vaut en éviter le coût par l'acceptation de certaines disciplines et la continuité de l'effort.