Texte intégral
Point presse à l'aéroport Houari Boumediene (Alger, 31 juillet 1996)
Q. : Quelle importance accordez-vous à cette visite ?
R. : Je me rends à Alger à l'invitation de mon collègue et ami, M. Attaf, ministre des Affaires étrangères. Je souhaite que ce soit pour nos deux pays l'occasion d’un nouveau départ. C'est une visite politique. Ce n'est pas une visite technique. Nous n'allons pas traiter des dossiers techniques bien qu’il y en ait, naturellement, mais nous allons, ensemble, nous efforcer de donner à la relation entre la France et l'Algérie un nouveau style, un nouveau ton et un nouveau départ. Je souhaite qu'entre nos deux pays, il y ait des relations normales d'État à État, et aussi des relations denses et amicales. C'est l'objet même de cette visite, et je dirai que pour cela mon projet est de prendre avec M. Attaf les questions à bras le corps, de sorte que ce nouveau départ nous permette d'aboutir à une situation à la fois stable, permanente, chaleureuse entre la France et l'Algérie.
Q. : M. de Charette, vous avez déclaré hier sur RFI, je vous cite : « Nous avons des choses à faire ensemble. Il vaut mieux les faire ». Qu'est-ce que cela signifie ?
R. : Eh bien, cela veut dire que l'Algérie est pour la France un partenaire majeur. Nous avons beaucoup d'intérêts communs. Nous avons beaucoup de questions qui intéressent la relation bilatérale entre la France et l'Algérie dont je viens de parler, mais aussi l'Algérie est un grand pays qui compte sur la scène régionale en Méditerranée, où nous-mêmes sommes très présents, qui compte également sur la scène internationale. Je souhaite par conséquent que cette rencontre et ces réunions de travail nous permettent d'établir ce partenariat entre nos deux pays.
Entretien à « France 2 », à l'aéroport Houari Boumediene (Alger, 31 juillet 1996)
Q. : Monsieur le ministre, dans quel cadre s'inscrit cette visite officielle ici en Algérie ?
R. : Je viens à Alger pour faire en sorte que le travail de la diplomatie française et les relations entre la France et l'Algérie aient un cours normal. Ma mission est de renforcer notre dialogue, notre coopération politique, notre présence économique, qui est très importante et, bien entendu, dans un pays où le français est important, notre présence culturelle. Je viens naturellement avec une préoccupation amicale, et il faut que vous sachiez que j'ai aussi à l'esprit celles et ceux qui ont été les victimes des drames de l'Algérie, en particulier les sept moines de Tibhirine qui ne quitteront pas ma pensée. Mais je crois que nous devons aussi faire en sorte qu'entre l’Algérie et la France, il y ait des relations sereines, détendues et solides.
Q. : Alors, ces derniers mois, les relations étaient plutôt difficiles entre l'Algérie et la France. Est-ce que vous avez, vous, au cours de ce voyage, l'intention d'apurer les comptes ?
R. : Je voudrais faire surtout un voyage de caractère politique. Naturellement, il y a des questions techniques. Nous aurons l'occasion d'en parler. Mais elles feront l'objet de discussions entre les spécialistes ensuite. Je souhaite surtout que ce voyage soit une occasion de rétablir entre l'Algérie et la France le dialogue normal entre pays voisins qui ont une histoire commune ancienne, mais qui ont surtout des intérêts communs en Méditerranée.
Point presse (Alger, 31 juillet 1996)
Je crois que nous avons eu une longue réunion de travail avec M. Attaf, puisque nous avons dû nous retrouver vers 17 h 30. Nous avons eu une heure en tête-à-tête strict, lui et moi, sans personne d'autre, et ensuite deux heures qui, je crois, ont permis d'abord de dissiper les malentendus qui s'étaient accumulés au cours des années passées, et de poser les bases d’un dialogue et d'un travail franco-algérien dont l'esprit me paraît positif.
Nous avons examiné successivement les trois volets des relations entre la France et l'Algérie. D'abord les aspects politiques et diplomatiques, ensuite les aspects économiques, très importants, car l'Algérie est un pays avec lequel nous avons des échanges commerciaux intenses, enfin tout ce qui a trait aux aspects humains dans les rapports franco-algériens, qui sont forcément très importants compte tenu à la fois des liens culturels très étroits qui existent entre la France et l'Algérie, créés par l'histoire, et de la présence en France d’une communauté algérienne importante. Tout cela fait que nous avons des relations humaines d'une sensibilité mutuelle très forte. Nous avons traité toutes ces questions. Ce n'était pas une visite technique. C'était une rencontre politique destinée à faire en sorte que désormais le travail entre nos deux pays reprenne sur de nouvelles bases.
Je crois pouvoir dire, au terme de cette première étape de mon voyage en Algérie, que les choses sont bien engagées. Naturellement, tout cela demande à être précisé et confirmé au cours de la journée de demain, où je reverrai M. Attaf, où je rencontrerai le Premier ministre, et serai reçu par le président de la République, M. Zéroual.
Entretien avec « France 2 » (Alger, 1er août 1996)
Q. : Monsieur le ministre, peut-on dire que votre visite est une façon pour la France de reconnaître la valeur démocratique du régime algérien ?
R. : C'est d'abord parce que nous pensons que les relations entre la France et l'Algérie, qui sont des relations politiques, économiques, culturelles aussi, sont des relations importantes pour nos deux pays, pour la France en particulier, que je suis venu ici afin de donner à ces relations un ton qui soit plus chaleureux et plus cordial et je crois que nous y parvenons.
Q. : Les violences continuent en Algérie depuis l’élection de Liamine Zéroual en octobre dernier. Quelle est votre analyse de ce problème ?
R. : L'analyse que je fais est très simple. Ce sont des problèmes très difficiles, très éprouvants pour le peuple algérien. Ils relèvent de la responsabilité et de l'autorité à la fois du peuple algérien et de ses dirigeants, et notamment de son président élu, comme vous le savez, au mois de novembre dernier.
La France n'a pas l'intention de se mêler des affaires algériennes.
Q. : Vous avez rencontré la communauté religieuse à Alger. Qu'est-ce que vous vous êtes dit ?
R. : J'ai en effet rencontré l'évêque d'Oran, l'évêque de Constantine, le vicaire général d'Alger. Nous avons parlé et nous avons évoqué, vous vous en doutez, la mémoire des moines de Tibhirine, ce drame épouvantable. Nous avons aussi parlé des mesures de sécurité, et je crois que cet entretien a été très utile et très amical.
Q. : Avant l’élection de Liamine Zéroual, Jacques Chirac et lui devaient se rencontrer. Est-ce qu'une nouvelle rencontre est aujourd'hui à l'ordre du jour ?
R. : Non, ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui. J'ai apporté au Président Zéroual un message très cordial du Président Chirac. J’ai eu des entretiens très approfondis, aussi bien avec le Président algérien qu'avec le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. Nous avons décidé d'organiser un dialogue désormais nourri et sérieux, dans tous les domaines qui intéressent les rapports et les relations franco-algériennes, que nous avons l'intention de rendre efficaces et cordiaux.
Allocution devant la communauté française (Alger, 1er août 1996)
Mes chers amis,
Le mot qui me vient dans cet instant qui nous rassemble tous ensemble, c'est le mot de fierté.
Nous étions rassemblés autour de l’emblème national, notre drapeau, dans ce parc Peltzer où, sous la responsabilité de l'ambassadeur de France, beaucoup d'entre vous assument la charge, la responsabilité que je sais lourde, d'être la représentation de la France en Algérie.
Je voudrais d'abord vous exprimer la reconnaissance du gouvernement et de la nation pour les responsabilités que vous acceptez d'assumer. Ceci vaut naturellement pour les personnels de la gendarmerie qui assurent votre sécurité. Ils le font à leurs risques. Et vous savez, hélas, que ce sont de vrais risques. Ceci vaut enfin pour vos conjoints, pour vos familles, pour ceux qui ne sont pas ici, c'est-à-dire vos enfants, qui les uns et les autres acceptent cette charge, cette contrainte, qui sont la charge et la contrainte du devoir d'État, en son sens plein. C'est-à-dire le devoir que l'État réclame aux siens.
Vous méritez la reconnaissance du gouvernement et je vous l'exprime du fond du cœur.
Mes propos s'adressent aussi, bien sûr, a ceux qui représentent l'Église. J’ai rencontré ce matin l’évêque d'Oran, l’évêque d'Annaba, le vicaire général d'Alger que j'ai interrogés naturellement sur les conditions dans lesquelles ils exercent leur mission, et à qui j'ai exprimé l’émotion, une fois de plus, que le gouvernement français ressent à l’égard de ce qu'ils ont accepté, et aussi à l’égard du prix qui en a été payé.
Mes propos s'adressent enfin aux Françaises et aux Français, ici aussi représentés, qui sont celles et ceux qui, en dépit, je le sais, des recommandations faites par le gouvernement, ont fait le choix de vivre ici. Et c'est un choix que je respecte.
Mes chers amis, j'ai rencontré aujourd'hui le Président Zéroual, le Premier ministre. J'ai travaillé longuement, hier et aujourd'hui, avec note ambassadeur, avec le ministre des Affaires étrangères. Bref, j'ai rencontré les autorités de ce pays et nous avons évoqué, vous vous en doutez, les relations entre la France et l'Algérie. Elles ont connu, chacun le sait, des hauts et des bas. Nous avons décidé ensemble d'entrer dans une période nouvelle, de faire en sorte que, entre nos deux pays, s'organise durablement une relation de compréhension, de cordialité, fondée à la fois sur le respect mutuel – respect que spontanément la France porte à l'Algérie d'aujourd'hui – sur les intérêts qui nous lient, et sur la nécessité d'un dialogue approfondi concernant à la fois les sujets d'intérêt français et algérien, mais aussi, bien entendu, les préoccupations communes en Méditerranée et dans le monde. Je souhaite que désormais, et c'est ce dont nous sommes convenus, entre la France et l'Algérie, nous écrivions une meilleure page. Une page positive. J'ai ajouté, je le redis devant vous, que s'il est vrai que d'État à État, il faut que ces relations soient sérieuses, solides et fortes, parce que la géographie, l'histoire, le passé, le présent, l'avenir, nous appellent à travailler et à vivre ensemble, il faut aussi qu'il y ait entre nous, je crois qu'on peut le dire sous ce soleil, de la chaleur. Et je le dis sans jeu de mots, de la chaleur humaine. Nous avons tant et tant en commun. Nous sommes des voisins. Nous appartenons les uns et les autres à cette Méditerranée que nous aimons. Il nous appartient de faire en sorte que la relation franco-algérienne soit aussi une relation d'affection. C'est ce que je souhaite. C'est ce à quoi je travaillerai. C'est, je crois, ce qu'ont bien voulu considérer comme notre objectif commun mes interlocuteurs algériens.
À chacun, à chacune d'entre vous, merci de faire ce que vous faites. Que reconnaissance vous soit rendue. Que témoignage vous soit donné de votre détermination, de votre courage, de votre sens de l'État. Ce que nous faisons ensemble aujourd'hui, autour de notre drapeau, c'est de reconnaître que la France est fière des siens par ce que les siens lui donnent. Merci à vous.
Déclaration à l'issue de son entretien avec le Président Liamine Zéroual (Alger, 1er août 1996)
J'ai été chargé d'un message du Président Chirac.
J'ai fait, avec le Président Liamine Zéroual, un tour complet des relations franco-algériennes. Et j'ai fait part au Président algérien, de la volonté politique de la France de faire en sorte que les relations franco-algériennes prennent un nouveau départ, qu'elles soient fondées sur des principes de respect mutuel, de l’intérêt commun entre Français et Algériens, et de concertation étroite sur toutes les questions qui nous concernent les uns et les autres. J'ai ajouté qu'un peu de chaleur dans les relations franco-algériennes sera la bienvenue. Et c'est sur ces bases que désormais nous allons travailler.
Entretien avec « RTL » (Alger, 1er août 1996)
Q. : Cela faisait plus de trois ans qu'un ministre français des Affaires étrangères ne s'était pas rendu en Algérie. Il s'agissait de Roland Dumas, Alors, est-ce que les Français et les Algériens ont compris qu'il était beaucoup plus utile de se voir et de se parler que de se contenter de simples messages par voie diplomatique ?
R. : Je crois que cette visite que j'ai rendue à Alger était très utile, parce qu'elle a permis de rétablir entre nos deux gouvernements des relations de travail, des relations de sérieux, et bien entendu des relations de cordialité nécessaires entre nos deux pays, qui ont non seulement un passé très important, qui ont aussi des échanges économiques très denses, et qui ont enfin très souvent en Méditerranée et ailleurs des intérêts communs.
Q. : Alors, oublié le rendez-vous manqué de l'ONU en octobre 95 entre le Président Zéroual et le Président Chirac ?
R. : Tout cela est loin. Le Président Chirac a adressé au Président Zéroual un message que j'ai remis au Président algérien, qui est un message, je dirais, chaleureux et cordial, qui va dans le sens de la normalisation de nos rapports, et qui est animé par l'esprit qu'entre les deux pays, il faut désormais travailler.
Q. : Alors, avant de la fin de l’année, est prévu en Algérie un référendum, et avant le 31 mars de l'année prochaine, des législatives. Avez-vous le sentiment que ces consultations se préparent dans la sérénité nécessaire ?
R. : Écoutez, je voudrais surtout vous dire la chose suivante. Les affaires algériennes relèvent des Algériens. C'est vrai que ce pays a traversé de très difficiles épreuves, c'est vrai qu'il est maintenant engagé dans un processus à caractère démocratique, c'est vrai que le Président Zéroual a été élu dans des conditions, qui ont, me semble-t-il, impressionné le monde et, je le répète, ce sont des affaires qui sont des affaires algériennes. Les Algériens ont des problèmes, ils les résolvent, c'est leurs problèmes, et la France n'a pas l'intention de s'en mêler.
Q. : Alors, vous avez rencontré des ressortissants français. Là, ce sont des affaires françaises, essentiellement des religieux qui, malgré le massacre des moines de Tibhirine en avril, ont préféré rester en Algérie, et cela malgré les demandes pressantes qui leur avaient été faites de rentrer. Comment les avez-vous trouvés ?
R. : D'abord, j'ai rencontré la communauté française. Il y a ici un nombre finalement assez important de fonctionnaires et de diplomates français, qui assument leur fonction dans des conditions difficiles, et qui méritent qu'on leur rende hommage. J'ai rencontré aussi les Français qui ont choisi de rester en Algérie parce que c'est là qu'est leur vie et qu'ils ont leurs centres d'intérêt. Bien entendu, nous avons eu l'occasion de les avertir sur les dangers et les risques qu’ils avaient pu y courir. Je dirai que je respecte leur choix et que je leur ai dit qu'en tout cas la France était attentive. Enfin, je voudrais dire que je suis allé à Tibhirine me recueillir sur la tombe des moines qui ont été victimes de l'acte le plus ignoble qu'on ait connu au cours de ces dernières années, à la fois pour émettre une protestation ardente contre ce drame épouvantable, et pour rendre hommage à ces moines qui sont morts à la fois pour témoignera de leur foi profonde, de leur croyance en Dieu et de leur vie consacrée à Dieu, mais aussi je crois par amour pour l'Algérie.
Q. : Merci, monsieur le ministre. Je voudrais quand même vous poser encore une question à propos du refus d'Air Algérie de quitter Orly pour Roissy, qui fait que depuis un an il n'y a plus un seul vol direct entre Alger et Paris. Est-ce que cela est en voie d'arrangement ?
R. : Oui, certainement. Nous avons fait le tour des problèmes qu'il y a entre nous, relevant de cette question irritante d'escale d'Air Algérie à Paris. Il y a aussi les questions qui intéressent la coopération financière, la distribution des visas. Toutes ces questions sont des questions techniques. Nous avons décidé de les traiter comme telles, et nous avons monté ensemble des procédures pratiques qui permettront, je crois, d'apporter dans les prochains mois des solutions positives. Nous avons surtout, c'est cela que je voudrais que ceux qui nous écoutent retiennent, décidé de rétablir un courant de dialogue et d'échanges entre la France et l'Algérie qui, je crois, est utile pour les deux pays.