Texte intégral
Madame le ministre, Mesdames et Messieurs, Chers amis,
Je voudrais vous dire, monsieur le ministre, le plaisir qui est le mien et l'honneur qu'est celui de la France de vous recevoir aujourd'hui en visite officielle.
La vérité, c'est que nous avions programmé votre visite à Paris il y a trois mois, et c'est la situation tragique de la crise libano-israélienne qui nous a conduits à vous demander de bien vouloir déplacer votre visite prévue au mois d'avril dernier et de la reporter. Je suis heureux qu'en cette fin du mois de juillet, vous soyez enfin là, mais cet « enfin » s'adresse à moi puisque c'est moi qui suis à l'origine de ce retard.
C'est un plaisir extrêmement grand pour nous de vous accueillir, vous, personnellement, que nous connaissons bien, que nous apprécions beaucoup, et avec qui nous avons établi des relations privilégiées entre nos deux pays, grâce à votre savoir-faire, grâce à votre affection pour notre pays, et grâce à l’extrême qualité de la façon dont vous assumez les hautes fonctions qui sont les vôtres. Ce dialogue privilégié entre la France et la Roumanie, monsieur le ministre, vous le savez mieux que tout autre, résulte d'une affinité culturelle très vigoureuse, très vivante, qui l’est aujourd'hui sans doute plus que jamais et que je souhaite voir se développer.
Dans le dialogue franco-roumain, on pourrait citer beaucoup de noms illustres, depuis Anna de Noailles jusqu'à Eugène Ionesco, que toute une génération de Français a admiré dans ses œuvres théâtrales très populaires et très connues en France, en passant par Tristan Tzara, mais il se vit aussi au quotidien. Deux millions de jeunes Roumains apprennent le Français, 40 % de ceux qui apprennent le français en Europe centrale et orientale se trouvent en Roumanie, et cela crée entre nos deux pays des liens extrêmement forts. Vous savez quelle est la sensibilité française. Y a-t-il de la vanité chez nous en cela, je ne sais, mais il y a une très grande sensibilité à l’égard des pays qui veulent bien donner et maintenir à la langue française son poids et son importance.
De l’affinité culturelle au rapprochement politique, il n'y a évidemment qu'un pas. Il a été franchi très souvent dans l'histoire des relations entre nos deux pays. La Roumanie a lutté sans relâche pour son indépendance et, chaque fois, elle a trouvé la France à ses côtés. Aujourd'hui, vous concentrez vos efforts sur ce que l'on appelle la transition. C'est tout simplement un effort considérable de transformation d'un système politique et économique de caractère oppressif, et d'ailleurs inefficace, vers la démocratie, l’économie de marché, la liberté de chacun d'aller et de venir, de s'exprimer, de vivre. Cette transformation, nous savons qu'elle est difficile. Nous ne sommes pas là comme des maîtres d'école sûrs de leur science et exigeants à l’égard de leurs élèves. Non, vous n'êtes pas nos élèves, vous êtes nos amis et nous savons que cette transition-là est extrêmement difficile pour tous les pays qui doivent l'affronter et qui sont engagés sur ce chemin. Elle suppose d'énormes efforts dans le domaine du droit, dans le domaine de l’organisation de la vie économique et sociale de votre pays, dans le domaine des structures politiques, économiques et sociales. Mais elle suppose aussi, et ce n'est pas la moindre tâche, un énorme effort de transformation des mentalités. Quand un pays, cela est vrai pour chacun d'entre nous d'ailleurs, doit faire une telle transformation, cela suppose en réalité des bouleversements et des changements très profonds dans les mentalités, qui font que tous s'habituent à de nouveaux réflexes, à de nouvelles références, une nouvelle façon d'appréhender les choses, de travailler et de réfléchir. Tout ceci n'est pas simple.
Monsieur le ministre, sachez que, de ce point de vue, nous avons, je dirai, l’indulgence et l’affection de vieux amis pour la Roumanie, Il nous arrive d'être pressants, mais cette façon d'être pressants n'est pas dictée par je ne sais quelle prétention, elle est l’expression d'une amitié elle-même pressante pour votre pays.
L’aide de la France, qui est si prompte à être déployée dans un pays francophone, vous savez, monsieur le ministre, qu'elle vous est donc très largement ouverte. Le ministre de la Justice était à Bucarest en avril, où il a pu mesurer l'ampleur et la diversité de notre coopération juridique. Nous nous en sommes très bien rendu compte au Conseil des ministres à son retour.
Douze diplomates roumains ont été formés en France l'année dernière, et nous souhaitons poursuivre et développer avec vous cette coopération, sur ce sujet-là comme sur tous les autres.
Naturellement, la transition ne réussira que si toutes les formes souhaitables sont mises en œuvre activement. Je connais votre volonté dans ce domaine comme je connais aussi, parce que vous m'en avez déjà parlé à plusieurs reprises, et que vous m'en avez reparlé aujourd'hui avec insistance, votre volonté de faire en sorte que votre pays puisse adhérer dans les meilleurs délais à l'Union européenne.
Je vous l'ai dit en tête-à-tête il y a quelques minutes, je vous le redis en cet instant de façon publique, la France soutient l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne. C'est la France qui a demander et obtenu, non sans peine à vrai dire, que les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne adoptent la règle qui veut que l'ensemble des pays qui demandent à adhérer soient traités sur un même plan, dans des conditions égales, placés sur la même ligne de départ, que chacun des pays concernés ait les mêmes chances. Nous tenons beaucoup à ce principe, et nous ne sommes pas de ceux qui pensent que l'Union européenne doit s'élargir à certains pays d'Europe centrale, et laisser les autres en dehors de l'Union. Nous sommes d'avis, et c'est désormais notre règle commune, que les douze pays d'Europe centrale et orientale aient un droit égal – et le mot est essentiel – à adhérer à l'Union européenne, pour autant et dès lors qu’ils seront prêts à en accepter l'ensemble des règles. Ceci suppose beaucoup d'efforts dans le domaine politique, dans tout ce qui relève de l'État de droit, et beaucoup d'efforts d'adaptation de l'économie et de la société. Non seulement nous avons voulu faire en sorte que chaque pays soit placé sur la ligne de départ, dans les mêmes conditions et avec les mêmes chances, mais nous sommes prêts, nous sommes désireux, de vous aider dans l'effort d'adaptation que vous-mêmes êtes décidés à entreprendre pour être en état d'adhérer à l'Union européenne dans les meilleurs délais possibles.
Nous serons les défenseurs des principes qui font que chacun est sur la même ligne. Nous serons, en même temps, les avocats de la Roumanie et nous souhaitons être à vos côtés, votre meilleur conseil, votre meilleur soutien, votre meilleur assistant pour faire en sorte que vous soyez, le moment venu, en état d’adhérer à l'Union et que ce moment vienne le plus vite possible.
L'élargissement de l'Union européenne, si ardemment souhaité par vous-même et, comme vous me l'avez dit aussi, par le peuple roumain et ardemment souhaité par nous, a pour objet de créer en Europe plus de stabilité et plus de prospérité. C'est pourquoi nous souhaitons aussi pouvoir à cette occasion contribuer ensemble à régler toutes les questions de voisinage qui se posent en Europe, et celles qui vous concernent bien entendu ont pour nous une grande importance. C'est tout le sens du pacte de stabilité, initiative française, avalisé par les États membres de l'OSCE. Je sais que la Roumanie aura à cœur de se présenter à la porte de l'Union européenne en ayant surmonté les différends qui peuvent encore exister avec certains de ses voisins. Vous pouvez compter sur nous, monsieur le ministre, pour vous y aider.
Dans le droit-fil du pacte de stabilité, la France et l'Union européenne ont mis en route un exercice de stabilité dans le sud-est de l'Europe, auquel je voudrais noter avec beaucoup de plaisir que votre gouvernement apporte tout son appui. Je vous en remercie, monsieur le ministre, de façon très chaleureuse. Je crois que c'est une contribution forte que nous apportons ensemble à faire que le sud-est de l'Europe, comme l'on dit maintenant – au début du siècle on aurait dit les Balkans, ce mot a fini par prendre mauvaise réputation, et donc on a trouvé une autre formulation plus aimable – devienne une zone de stabilité avant d'être ce qu'il devra bien finir par être, une zone d'amitié.
La Roumanie a refusé de se joindre au chœur des critiques malveillantes que l'on a pu entendre contre la France lorsque celle-ci a procédé à une ultime campagne limitée d'essais concernant son armement nucléaire. Cette solidarité politique forte qui en remontrait, je le dis au passage, y compris à certains membres de l'Union européenne, a été appréciée à Paris à sa juste valeur par les plus hautes autorités françaises, et je voudrais ici rendre témoignage, monsieur le ministre, à l'attitude très amicale, très compréhensive, et de mon point de vue très intelligente, du gouvernement et du Président roumain. Cela nous ramène à ce dialogue privilégié que j'évoquais au début de mon propos. Nos relations politiques sont étroites et confiantes, on ne compte plus les ministres français qui se rendent à Bucarest, nos deux chefs d'État se voient fréquemment, et le Président Chirac a bien l'intention, je vous le dis, d'honorer l'invitation du Président roumain à se rendre dans votre pays.
J'ai déjà mentionné la qualité de nos relations culturelles. C'est peut-être au plan économique que les résultats ne sont pas encore à la hauteur des espoirs que nous formons de part et d'autre. Nos opérateurs sont-ils sans doute un peu frileux, mais il nous appartient de tout mettre en œuvre pour qu’ils se sentent encouragés à faire preuve de plus de dynamisme, de plus d'audace et de plus d'ambition.
C'est pourquoi nous avons décidé ensemble, à l'instant, monsieur le ministre, de créer un groupe de travail sur le partenariat économique que nous allons mettre en place dans les prochains jours, et qui devrait nous permettre à la fois de régler quelques problèmes en suspens, mais surtout de créer entre nos deux pays, sur le plan économique, les relations intenses que la qualité de nos relations politiques justifient pleinement.
Sur les questions sociales, la situation de l'enfance abandonnée en Roumanie préoccupe, vous le savez, de larges secteurs de l'opinion publique française. Des personnalités généreuses, dont certaines sont présentes ici, s'efforcent, avec l'appui du gouvernement français mais aussi avec l'appui de programmes multilatéraux dont le programme Phare, non pas de se poser en donneurs de leçons, je n'aime pas ce rôle-là et je ne l'occuperai jamais, mais d'aider les autorités, aider les responsables sociaux roumains à surmonter l'épouvantable héritage d'un système aujourd'hui rejeté. Vous savez, comme le président de la République l'a écrit au Président Iliescu, que la France est disponible pour aller de l'avant, pour prendre avec vous des initiatives, et pour soutenir dans l'effort d'adaptation que vous avez courageusement entrepris l'action des esprits les plus généreux de Roumanie.
La réponse ouverte du Président Iliescu confirme que nous pouvons coopérer étroitement dans ce domaine, et c'est pourquoi vous avez bien voulu me donner votre accord pour que nous créions ensemble un groupe de travail qui nous permettra de progresser, d'apporter notre concours, car je crois qu'il peut être utile, et qui nous permettra de faire en sorte que ce problème qui nous taraude soit demain derrière nous.
Monsieur le ministre, vous le voyez, la coopération franco-roumaine est multiforme. Elle plonge ses racines dans une longue histoire d'amitié entre nous, elle n'a jamais cessé, y compris aux heures les plus sombres. Elle s'est développée dans les combats, dans la culture partagée, elle doit se développer dans l'histoire dont nous devons écrire ensemble de nouvelles pages. Une telle densité, une telle richesse n'est possible qu'entre deux nations proches par l'esprit et par le cœur. Permettez-moi, monsieur le ministre, de lever mon verre à l'amitié franco-roumaine, à vous-même personnellement, et au succès de votre visite à Paris.