Interview de M. Guy Le Néouannic, secrétaire général de la FEN, dans "La Tribune Desfossés" du 26 août 1996, sur l'expulsion des sans-papiers de l'église Saint-Bernard et sur le mécontentement des enseignants face à la politique gouvernementale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Tribune Desfossés

Texte intégral

La Tribune : Les fédérations d’enseignants ouvrent cette semaine une série de rencontres intersyndicales. Qu’attendez-vous de ce premier rendez-vous ?

Guy Le Néouannic : Nous étions convenus de nous rencontrer avec nos partenaires, car nous sommes inquiets depuis l'été. Le gouvernement annonce environ 5.000 suppressions de postes dans l’Éducation nationale, ce qui fait beaucoup à un moment où est mise en place une série de réformes. Selon lui, l’Éducation nationale doit être en perpétuelle évolution pour faire face à ses missions. Mais nous l'avons prévenu : on ne peut pas à la fois demander aux personnels de l'éducation de faire des efforts, qu'ils sont prêts à faire, et réduire au même moment leurs moyens de fonctionnement. Cela n'a pas de sens.

À moins que le gouvernement n’ait, par avance, sacrifié les réformes qu'il disait vouloir engager. De surcroît ce n'est pas en supprimant des postes que l’on va parvenir à mettre en application l’accord que nous avons signé sur la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique.

La Tribune : Depuis vendredi un élément nouveau est intervenu : l’évacuation des sans-papiers de l’église Saint-Bernard. Pensez-vous que cette affaire est de nature à cristalliser le mécontentement ?

Ce gouvernement a un talent particulier pour mettre les gens dans la rue. De ce point de vue, je suis béat d'admiration. Qu'est-ce qui empêchait le ministre de l'Intérieur de faire dès le mois de juillet ce qu'il annonce aujourd'hui ? À quoi sert cette intervention, sinon à faire de la provocation ? On dit que le gouvernement ne veut pas perdre la face, qu'il veut donner des signes de fermeté. Or ce n'est pas comme cela que l'on renforce l'État de droit et la démocratie. Je crois, à l'inverse, qu'il a donné des signes de faiblesse en montrant son incapacité à gérer un petit problème par un dialogue intelligent… Des discours de fermeté, le gouvernement en a déjà tenus au mois de décembre dernier. Regardez où cela l’a mené, à une déculottade complète.

La Tribune : Cela risque-t-il de peser sur la rentrée ?

Guy Le Néouannic : Cette affaire est en train de pourrir la rentrée. Les questions qui se posent sont différentes : il y a l’affaire des sans-papiers, qui est du domaine de la conscience, des libertés, des dignités, des droits de l'homme, et les problèmes économiques. Mais comme tout cela arrive à la rentrée, les choses s’accumulent. L'an passé, on nous a assené d'un seul coup le gel des salaires, la remise en cause des retraites, le plan SNCF, ce fut l’explosion. Cette fois-ci, il y a l’expulsion des sans-papiers, on continue de geler les salaires et on supprime des emplois publics. Le climat social est explosif. On a l’impression que le gouvernement fait tout pour multiplier les terrains de conflit. Il faut qu’il reprenne ses esprits.

La Tribune : Comment ?

Guy Le Néouannic : S'agissant des sans-papiers, il peut calmer le jeu en faisant les choses sereinement et humainement. Sur le reste, il va y avoir un débat budgétaire et nous souhaitons que le Parlement prenne conscience de la situation.

La Tribune : Des rendez-vous sont déjà fixés pour la rentrée. FO organise un rassemblement le 21 septembre. Que va faire la FEN ?

Guy Le Néouannic : Nous sommes tous sur les mêmes bases de protestation. Il faut que l’on arrive à se rencontrer pour voir ce qu’il est possible de faire ensemble. Une « course à l’échalote » entre organisations syndicales serait dramatique.

La Tribune : La perspective d’élections professionnelles à l’Éducation nationale n’est-elle pas justement propice à une surenchère entre syndicats ?

Guy Le Néouannic : Bien sûr, c'est toujours le cas. Et quand le gouvernement prend des décisions de cette nature, c'est comme s’il nous invitait à entrer dans l'action. Faire de la politique, ce n’est pas seulement faire des additions, il faut aussi regarder le contexte.

La Tribune : Pensez-vous, comme certains aujourd’hui, qu’il est temps que le gouvernement d’Alain Juppé démissionne ?

Guy Le Néouannic : Plusieurs aspects de sa politique ne nous conviennent pas. Nous le disons et nous souhaitons que l'on change de politique. Ensuite les hommes… Je ne vois pas au nom de quoi une organisation syndicale irait contester la légitimité politique du Premier ministre. Les choix politiques, c'est autre chose. Ils ne sont pas la propriété du gouvernement, ils concernent l’ensemble des forces sociales de ce pays.