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La Montagne : Vous êtes plus discrète que lorsque vous étiez ministre de l’Environnement. Est-ce parce qu’il est plus délicat ou plus complexe de diriger l’éducation nationale ou cela tient-il à autre chose ?
Ségolène Royal : La mission n’est pas la même. À l’environnement, la psychologie du comportement est très importante. Faire savoir, diffuser de l’information, mettre à jour la carte des sols pollués par exemple, c’est déjà être dans la stratégie du changement des comportements.
Dans le domaine de l’éducation, c’est un travail en profondeur, de longue haleine, pas forcément spectaculaire, mais efficace à long terme.
On s’adresse à 12 millions d’élèves, à 1,2 million de salariés, à des milliers d’établissements : c’est une matière complexe, variée, mouvante. Il faut faire preuve d’une grande détermination pour entreprendre les réformes, et en même temps de respect vis-à-vis des établissements, des enseignants, de leur diversité.
Les Français n’attendent pas de grandes réformes miraculeuses, auxquelles ils ne croient plus, mais le repérage des dysfonctionnements et l’application des solutions.
C’est ce qui a été fait dans mon domaine, en particulier à propos des problèmes de lutte contre toutes les formes de violence. J’ai même la satisfaction d’avoir fait une loi contre le bizutage.
La Montagne : Au bout d’un an, quel bilan tirez-vous de votre action et êtes-vous satisfaite des résultats ?
Ségolène Royal : C’est un grand bonheur de s’occuper de ce domaine, car le pacte social du pays se joue à l’école. Il s’agit de lutter contre les exclusions, de répondre à la soif des parents de voir leurs enfants heureux à l’école.
Je voudrais parfois que les changements soient plus rapides, mais il faut compter avec la nécessité de bien articuler la formation et l’action. Je mesurerai l’efficacité de mon travail si je fais reculer l’échec en classe de 6e (par l’amélioration du primaire), et si je diminue le nombre d’élèves qui sortent du collège sans qualification.
La Montagne : Les actes de violence dans les établissements scolaires ne sont pas nouveaux, mais ils sont de plus en plus fréquents et de plus en plus graves. Des dispositions ont été prises ou annoncées pour lutter contre ce phénomène, mais sans beaucoup d’effets pour l’instant. Existe-il des remèdes ?
Ségolène Royal : Il y une montée de la violence partout dans la société. L’école révèle les carences sociales et la violence est entrée aussi à l’école. Beaucoup trop. Ce qui conduit à une dégradation des conditions de travail de tous les personnels.
Nous avons mis en place des zones antiviolence en les dotant d’un certain nombre de moyens, comme le système des tableaux de bord, pour assurer un suivi. J’ai renforcé l’éducation civique à l’école et mis en place des initiatives citoyennes. Car la prévention est essentielle, de la maternelle jusqu’au bac.
Dès la rentrée, on verra donc, dans les programmes, un renforcement de l’éducation civique, qui commence par respect d’autrui et le respect du matériel.
Je voudrais augmenter le nombre de classes-relais, qui accueillent des collégiens perturbateurs. On ne peut plus accepter que quelques élèves gâchent la scolarité de tous leurs camarades. Il existe actuellement 30 à 50 classes de ce type, c’est très insuffisant. Il y a urgence à traiter ce problème, mais toujours dans une perspective éducative.
La Montagne : De nouveaux postes d’emplois-jeunes seront créés à la prochaine rentrée dans l’éducation nationale, notamment en Corrèze. À la lumière de l’expérience, le dispositif va-t-il être modifié ?
Ségolène Royal : Il y aura une nouveauté : les emplois-jeunes vont pouvoir encadrer des activités périscolaires. Dans le cadre d’un contrat éducatif local, nous allons rassembler les associations, collectivités locales, jeunesse et sports, culture, pour la mise en place d’activités périscolaires. Je souhaite également un développement du soutien scolaire, de l’aide aux devoirs, proposés gratuitement, face à la montée de l’offre privée dans ce domaine.
La Montagne : Vous voulez aussi étendre les activités périscolaires aux collèges. Quand il n’y a pas d’emplois-jeunes dans ces établissements, qui financera l’encadrement ?
Les enseignants volontaires seront payés en heures supplémentaires, comme c’est le cas actuellement dans les opérations « écoles ouvertes ». Les nouveaux emplois-jeunes participeront aussi à l’encadrement. Les conseils généraux, les communes et les associations peuvent également se trouver partenaires de ce dispositif, et eux aussi avec leurs emplois-jeunes et leurs emplois d’animateurs.
En milieu rural, où les écoles ont des difficultés d’accès aux activités périscolaires, je souhaite qu’elles puissent aussi en bénéficier grâce à une mise en réseau.
Mon souci est de développer en particulier les matières de la sensibilité et de la créativité, car ce sont des éléments importants de la réussite scolaire et de l’égalité culturelle.
La Montagne : Qu’attendez-vous de la mise en place des nouvelles technologies de la communication dans les établissements scolaires ?
Ségolène Royal : Une mise à niveau dans une compétition européenne importante, afin de maintenir les écoliers de France à l’avant-garde des nouvelles technologies. Il est également important, pour leur réussite professionnelle, que tous les élèves y soient familiarisés, dès la maternelle.
Il s’agit en même temps de démocratiser l’accès à la connaissance, de mettre en réseau des écoles rurales isolées. J’ai pu voir, en Creuse, des écoliers dialoguer sur un écran avec des élèves italiens et britanniques. C’est une fenêtre sur le monde extraordinaire ! Cela suppose une formation des enseignants, que je souhaite accélérer.
Mais l’équipement des écoles concerne toute la population : il doit pouvoir offrir à tout le monde un accès à la documentation. Ce qui peut donner l’occasion de dialoguer entre parents et enfants, de favoriser la coéducation.
Et pour les enfants en difficulté, la médiation par l’écran, qui oblige à lire et à écrire pour répondre à un correspondant, est une source de motivation pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture : l’outil informatique peut être mis au service de l’acquisition des savoirs de base.
La Montagne : Le moratoire concernant la fermeture des écoles rurales est toujours en vigueur. Si bien que des écoles à classe unique, avec souvent moins de 15 élèves, sont maintenues, alors que ces établissements ne sont satisfaisants ni pour les enfants, ni pour les enseignants. Jusqu’à quand allez-vous prolonger ce moratoire ?
Ségolène Royal : J’ai créé les comités locaux d’éducation en leur donnant la possibilité d’aménager ce moratoire. Les élus locaux peuvent être mis devant leurs responsabilités : on peut rattacher une commune à un regroupement pédagogique plutôt que de maintenir une école à classe unique. Cela se fait dans plusieurs départements.
Je dis souvent aux maires : pensez à l’intérêt des élèves comme s’il s’agissait de vos propres enfants. Chaque cas mérite d’être étudié. Il y aussi des classes uniques qui fonctionnent bien.
La Montagne : C’est avant tout le pragmatisme qui guide votre action ?
Ségolène Royal : Mon souci est de donner des orientations nationales claires, y compris pour les ZEP. Et en même temps, le moment est venu de passer à une politique contractuelle de proximité avec les communautés éducatives. Ça me permet de favoriser le travail en équipe, les projets d’établissement. En associant les parents d’élèves, qui se montrent très dynamiques et expriment une demande extrêmement forte de coopération.
Il faut se parler pour se comprendre, il faut institutionnaliser le dialogue. C’est le cas notamment pour l’éducation civique, qui ne peut pas se faire sans les parents.
La Montagne : Y a-t-il d’autres chantiers, d’autres projets qui vous tiennent à cœur ?
Ségolène Royal : La lutte contre l’échec devant la lecture. Une réflexion est engagée. Pour faire reculer de façon visible le nombre d’enfants qui, en sixième, ne maîtrise pas les savoirs de base, je souhaite repérer dès l’école primaire les élèves en difficulté. J’ai ainsi rétabli, avec des modifications, les évaluations en CE2 et en sixième pour que chaque enfant en retard soit soutenu, individuellement.
Je souhaite insister aussi sur la maîtrise du langage oral, que trop d’enfants n’ont pas, alors que c’est une condition pour acquérir la lecture et l’écriture.
D’autre part, j’ai lancé un audit sur les collèges pour prendre des mesures concrètes afin de remédier à plusieurs problèmes : l’orientation, l’excès des redoublements (car un redoublement à l’identique est toujours un échec pour l’élève ; il s’agit donc de mettre en place des procédures différenciées), le passage du CM2 à la sixième, la place des nouvelles technologies, les problèmes relatifs au comportement, la pédagogie.
Les collèges concentrent de nombreux problèmes. Il y a une demande de formation de la part des enseignants pour comprendre les nouvelles générations. Il y a en effet une grande vitalité chez les adolescents. Il faut chercher à se comprendre et à canaliser cette énergie nouvelle des jeunes, souvent généreuse, vers des créneaux positifs.