Article de M. Pierre Zarka, membre du secrétariat du comité national du PCF, dans "L'Humanité" du 25 mars 1998, sur les solutions proposées par Jacques Chirac pour moderniser la vie politique notamment après les alliances entre la droite et l'extrême-droite lors des élections cantonales et régionales 1998, l'alternative au libéralisme proposée par le PCF, et l'attente d'un nouveau type de relations entre partis et citoyens.

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  • Pierre Zarka - membre du secrétariat du comité national du PCF

Média : L'Humanité

Texte intégral

Les alliances entre une partie de la droite et du Front national ont suffisamment secoué la vie politique pour provoquer l’intervention du président de la République. Provoquer ou permettre ? Sa promptitude à mettre en cause les institutions laisse penser qu’il y avait songé auparavant. Ainsi donc, la réponse à la profonde crise politique qui traverse le pays serait la réforme des institutions, dont il serait surprenant que nous prenions ici la défense, et du mode de scrutin. S’il s’agit de rapprocher les citoyens des centres de décision et de mieux les entendre. Pourquoi pas ? Mais si, devant chaque problème, on pense répondre par une représentativité moindre des assemblées en fustigeant la proportionnelle ou par des exécutifs moins démocratiques ou encore par davantage de présidentialisation, on ne fera qu’aggraver la crise et modifier les canaux par lesquels elle s’exprimera. Ce n’est pas le scrutin proportionnel qui explique l’existence d’un électorat Front national et aucun mode de scrutin ne peut se substituer aux responsabilités du personnel politique. La double élection régionale et cantonale témoigne d’une formidable aspiration à des changements profonds, tant au plan social et économique qu’au plan des modes de vie politique. C’est d’abord de cela que la droite est malade. Déjà sa défaite de juin dernier avait été la manifestation de l’hostilité de la majorité du corps électoral vis-à-vis de l’ultralibéralisme (alors même que Jacques Chirac, deux ans plus tôt, avait été élu sur l’annonce d’une autre politique). Depuis, la droite, dans toutes ces composantes, n’a su qu’en rajouter et se réclamer encore plus ostensiblement de ce même ultralibéralisme, en attestent les aléas des assises du RPR et l’ascension d’Alain Madelin au sein de l’UDF. Cet entêtement l’empêche de renouer avec ses électeurs perdus, la plonge dans un marasme idéologique qui conduit certains de ses dirigeants à faire feu de tout bois, en faisant le choix d’une crise aiguë de la vie politique et des institutions. Les résultats de la gauche plurielle, et dans ce cadre ceux du Parti communiste, témoignent également de cette volonté de changement, d’autant que, même insatisfaite, l’opinion ne se retourne plus vers le libéralisme.

Mais, en même temps, si l’on prend en compte les abstentionnistes, les non-inscrits, les votes extrême gauche et même la part populaire du vote Front national, on mesure que la demande sociale a du mal à rencontrer la politique. Ou peut-être est-ce l’inverse ? La majorité des citoyens n’a pas le sentiment de pouvoir trouver dans le cadre des forces institutionnelles des réponses ni à ses attentes ni à ses aspirations à participer à la vie démocratique. Cela débouche sur une crise des modes de représentation, qu’on ne peut dissocier de l’absence de réponse sociale suffisante. Le problème ne se réglera donc pas uniquement par des mesures institutionnelles, même si elles sont indispensables. Personne ne peut faire l’économie de cette interpellation. Incontestablement, le gouvernement de gauche n’est pas resté sans rien faire : emplois-jeunes, loi sur les 35 heures, loi sur l’exclusion… mais, visiblement, cela ne suffit pas. Et face à une droite que désormais rien n’effraie, cette insuffisance constitue un risque.

Il ne s’agit pas de jouer les « Monsieur Plus », mais de rechercher l’efficacité. Une alternative au libéralisme existe. Si la France a une voie d’avenir à se frayer, elle consiste dans sa capacité à prendre l’argent là où il est et à le réinjecter dans l’emploi, la consommation, la formation, la protection sociale. Il ne s’agit pas d’humanisme charitable, mais bien de faire reposer le développement de l’économie sur celui des hommes. En même temps, on a vu avec les 35 heures que cela ne pouvait se faire sans que le monde de la finance grince des dents. Le comportement du CNPF montre que le Gouvernement ne peut guère compter sur des espaces utilisables sans modifier les règles qui permettent de faire de l’argent en dehors du travail. Mais l’énoncé des mesures à prendre ne peut être délégué à quelque pouvoir que ce soit. Le mode de représentation des Français est en crise et un nouveau type de relations entre partis et citoyens est attendu. Le souhait grandit que les forces politiques produisent des projets mais sans se substituer aux citoyens. Qu’au contraire elles leur donnent sur le terrain les moyens de savoir et d’intervenir, afin de constituer des majorités d’idées pour se faire entendre jusque dans les institutions. C’est dans sa capacité à saisir à bras le corps la politique que le mouvement citoyen détient la clé de la situation. C’est à sa capacité de favoriser un tel mouvement que chaque parti politique sera jugé.